22.3.09

Analyse 7 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 22 mars 2009


cpjmo@yahoo.fr


L’OTAN part démoralisée et battue en Afghanistan


Des «conférences des donateurs» ont consacré des milliards de dollars à la «reconstruction» de l’Afghanistan. Des équipes se sont formées pour «construire» ou «reconstruire», ici des routes facilitant le déplacement des troupes étrangères, là des écoles. Le même élan de «reconstruction» s’est observé en Irak. Dans son livre « la stratégie du choc», la journaliste, essayiste et réalisatrice, Naomi Klein écrit : «Les Irakiens ne perçurent pas la reconstruction corporatiste de leur pays comme un «cadeau», la plupart d’entre eux y voyant plutôt une forme moderne de pillage».


Comme en Irak, le pillage tire profit de la «reconstruction» de l’Afghanistan. Faut-il rappeler que le pillage va de pair avec la corruption avérée et la criminalité des autorités locales et colonialistes? «Il n’y a jamais eu autant d’argent dans ce pays, relève Barnett Rubin, directeur du centre sur la coopération internationale, celui des donateurs, celui de la drogue, celui de l’économie afghane; la corruption est liée à la conjonction de ce fait et d’un Etat faible et l’économie de la drogue est devenue une grande entreprise criminelle»(1).


Pierre Lellouche, monsieur «Af-Pak» du gouvernement français, se pose la question: «où sont passés les 20 milliards de dollars réunis en juin à la conférence de Paris pour l’Afghanistan?» et d’ajouter: «on a réussi à fabriquer le premier narco-Etat de la planète financé par l’argent du contribuable de l’OTAN»(2). Bravo l’OTAN!


Conséquences: selon Ahmet Davutoglu, conseiller du premier ministre turc, Recep Erdogan: «c’est une honte pour l’OTAN, pour nous tous, que sept ans après le début de l’intervention, il n’y ait aucune vraie amélioration des infrastructures, notamment des routes, alors qu’une énorme ambassade américaine a été construite»(3).


A tout ceci, rajoutez la brutalité, les exactions et les «dégâts collatéraux» des forces de l’OTAN, en particulier celles des Etats-Unis, démotivées et étrangères à la culture d’un pays rebelle, situé à des milliers de km de leurs frontières et vous aurez deviné l’avenir sombre des colonialistes en Afghanistan.


Un seul exemple. Nathalie NOUGAYREDE, journaliste du Monde écrit: «dans la région voisine de Wardack, les forces spéciales américaines ont tué cinq personnes. Selon le porte-parole de la coalition, les victimes étaient des insurgés. Selon les autorités afghanes locales, c’était une famille de civils»(4).


Dans un pays, les nouvelles circulent très vite. Les Afghans comptent chaque jour le nombre de leurs compatriotes, hommes, femmes et enfants, tués ou massacrés par les armées occidentales. La colère et la haine de l’Occident ne font que se renforcer dans tout l’Orient.


Pourtant, certains Occidentaux, comme Bernard LAVARINI, père de la première arme laser française, vous regardent droit dans les yeux et vous parlent de la «raison occidentale», opposée à celle des Eurasiens, «parce qu’ils n’attachent pas le même prix à la vie» (une autre façon de traiter les Eurasiens de barbares!), ou du caractère pacifique de «notre pays»(5). La France (plutôt l’Etat français) pacifique! C’est une blague, n’est-ce pas? Il s’agit bien d’un Etat qui, au cours de l’histoire, a commis des crimes de guerre dans ses colonies, en Indochine, en Afrique, et qui partage actuellement, avec les Etats-Unis, les crimes de guerre commis contre le peuple afghan et sa souveraineté. Voici une preuve de la nature «pacifique» de l’Etat français: le total des troupes françaises déployées à travers le monde atteint 36 849 hommes! 14 970 militaires français sont répartis dans une quinzaine d’opérations extérieures (OPEX), dont les plus importantes se situent dans les Balkans, en Afghanistan, au Liban et en Côte d’ Ivoire(6).


Evidemment, selon les autorités, le déploiement des forces françaises à l’étranger répondrait au maintien de la «paix mondiale». Comprenons-nous: il s’agit bien, ni plus ni moins, de la Pax americana, via l’OTAN!


Dès lors, faut-il s’étonner de la montée en puissance de la résistance anticolonialiste en Afghanistan, en Asie centrale et au Moyen-Orient? Faut-il s’étonner du regain de pessimisme au sein des forces et des diplomates de l’OTAN?


Voici quelques extraits qui dénotent l’état d’esprit des diplomates et stratèges, au sujet de l’avenir de la guerre de l’OTAN en Afghanistan.


William WOOD, ambassadeur des Etats-Unis à Kaboul: les Afghans «sont renommés pour avoir conservé leurs vallées contre n’importe quel ennemi»(7).


Bernard KOUCHNER: «personne n’a jamais dompté l’Afghanistan, ni les Anglais ni Alexandre»(8).


Henry KISSINGER, diplomate et ancien secrétaire d’Etat américain: «aucun conquérant étranger n’a jamais réussi à occuper l’Afghanistan»(9).


Gérard CHALIAND, géostratège: en Afghanistan : «la victoire, pour les Occidentaux, est hors de question»(10).


La lecture de ces phrases montre qu’il s’agit bien des Afghans et de leur résistance à l’OTAN et non pas des talibans, «horde sauvage, coupeurs de route et étrangleurs de femmes», image véhiculée par la propagande occidentale.


Si «aucun conquérant étranger n’a jamais réussi à occuper l’Afghanistan», pourquoi l’OTAN y parviendrait-elle?


1- Jacques FOLLOROU- Le Monde du 27/05/08.

2- Propos recueillis par Jacques FOLLORU- LM du 09/02/08

3- LM du 19/12/08.

4- LM du19/03/09.

5- LM du 19/03/09.

6- LM du29/08/06.

7- LM du 28/10/08.

8- LM du 25/11/08.

9- LM du 15-16/03/09.

10- LM du 10/01/09.

9.3.09

Analyse 6 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 8 mars 2009


cpjmo@yahoo.fr


La politique «Af-Pak» et Moyen-Orientale d’Obama


Avec l’équipe Obama, l’Iran entame son deuxième round d’empoignade avec les Etats-Unis.



De part sa position géostratégique, l’Afghanistan a toujours joué un rôle prépondérant dans la politique des chancelleries occidentales, en particulier britannique et américaine. Toujours est-il que depuis la naissance du royaume afghan en 1747, l’Afghanistan a été agressé à trois reprises par les Britanniques, une fois par les Soviétiques (1978) et, depuis 2001, par les Etats-Unis et leurs alliés euro-canadiens.


C’est dire l’importance accordée, par ces temps de crise, à cette aventure militaire qui assure à l’Occident une présence aux frontières de quatre vieilles civilisations: chinoise, iranienne, indienne et russe. L’Afghanistan est un maillon très important de la chaîne de domination planétaire de l’OTAN.


Pour assurer leur victoire, les Etats-Unis appliquent une politique à trois volets: s’unir avec l’Inde, négocier avec l’Iran et humilier le Pakistan.

Dans l’analyse 24, datée du 15 décembre 2008, nous avons écrit: «Depuis plus de soixante ans l’ISI, les services pakistanais, et la RAW (Research and Analysis Wing) service de renseignements indien, se livrent une guerre clandestine sans merci sur le sol afghan. L’objectif de l’Inde: s’attirer les faveurs du gouvernement afghan afin de compléter l’encerclement du Pakistan, qui cherche, à son tour, à vassaliser ce pays, qualifié de «profondeur stratégique» pour les besoins d’un éventuel futur affrontement indo- pakistanais. Tout porte à croire que, sur le plan stratégique, les Etats-Unis et le Pakistan ont des intérêts contradictoires».


La bourgeoise pakistanaise résiste tant bien que mal à la soumission totale à l’axe américano-indien et essaie de promouvoir ses intérêts géostratégiques. D’où l’ambigüité de la hiérarchie militaire concernant la lutte contre les talibans, ambiguïté stigmatisée par les Etats-Unis et ses alliés. En effet, le 16 février à Peshawar un accord de paix a permis d’imposer la charia (loi islamique) dans la région de Malakand. Objectif: «ménager un mouvement taliban qui peut être utile pour relayer l’influence pakistanaise en Afghanistan, où la consolidation des réseaux indiens alarme les stratèges d’Islamabad»(1).


Il est à souligner que la politique de B. Obama en Asie centrale est la continuation de la politique de G. Bush qui a conduit à l’extension de la guerre au Pakistan, devenu «instable, structurellement volatile, incurablement convulsif», selon Frédéric Bobin, journaliste au Monde(2). Désormais, B. Obama suggère une approche intégrée de l’Afghanistan et du Pakistan, regroupés sous le label «Af-Pak». C’est une fuite en avant.


A l’incendie colonialiste déclenché par l’Occident, mené par Washington, s’oppose la résistance des peuples et nations de la région. Mais, l’administration Obama gère un empire affaibli, discrédité, en proie à une crise morale et économique profonde. Jadis unilatéralistes, les Etats-Unis d’Obama devront composer avec différentes puissances pour pouvoir circonscrire, grâce au dialogue avec l’Iran, et l’extension de ses rapports avec la Russie, une insurrection qui s’étend et qui gagne en intensité. N’oublions pas que c’est la Russie qui facilite le ravitaillement des bases américaines via son territoire.


Le dialogue entre puissances mondiales ou régionales ou l’assistance mutuelle ne devraient pas faire oublier les tensions permanentes entre puissances. Prenons le cas de l’Iran qui, ignorant les pressions occidentales, développe sa technologie militaire (missiles, satellite,…), enrichit de l’uranium et qui est sorti gagnant du premier round d’empoignade très agressive avec l’administration Bush. Face à l’administration Obama, l’Iran entame son deuxième round d’empoignade en position de force. La Russie encourage le Kirghizistan à fermer la base de Manas, louée aux américains qui, à leur tour, installent des bases de missiles antimissiles en Pologne et en Tchéquie.


Le même phénomène s’observe au Moyen-Orient, où les intérêts stratégiques américains façonnent la diplomatie des alliés arabes et israélien des Etats-Unis. D’aucuns pensent que la baisse des tensions souhaitée par l’administration Obama va régler tous les problèmes de la région. Est-ce vrai?


Analysons l’héritage laissé par l’administration Bush à celle d’Obama. Depuis l’échec de l’offensive israélienne au sud Liban de l’été 2006, les Etats-Unis et Israël ne gagnent aucune guerre. La récente offensive israélienne à Gaza n’a pas permis, non plus, à Israël d’atteindre ses objectifs: arrêter les tirs de Qassam, empêcher la contrebande, neutraliser le Hamas, rétablir la prépondérance de l’armée israélienne. Par contre, selon Gidéon Levy, journaliste israélien engagé, l’image d’Israël sort extrêmement ternie des 22 jours de destruction et de massacre délibérés à Gaza. La pratique de l’armée israélienne prouve «qu’Israël est un Etat violent et dangereux, qui ne connaît aucun retenue et ignore délibérément les résolutions du Conseil de Sécurité des Nations unies, et qui se soucie comme d’une guigne du droit international». La messe est dite.


La guérilla harcelle également l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Faute de pouvoir neutraliser des milices armées populaires, les américano-israéliens détruisent les infrastructures et massacrent la population civile, la jetant dans les bras de la résistance anticolonialiste.


Comme ses prédécesseurs, depuis 1989, l’administration Obama parle du «processus de paix», de l’«Etat palestinien» et envoie des émissaires en Syrie. Espère-t-elle amener la Syrie et les Palestiniens à une paix à l’égyptienne, à savoir territoires contre souveraineté politique? La Syrie, ainsi que les résistances libanaise et palestinienne, ont prouvé qu’elles ne transigeront pas avec leur souveraineté. Comme pendant la période Bush, l’impasse parait donc totale.


Contrairement à l’administration Bush, celle d’Obama préfère dialoguer avec ses ennemis. La formation éventuelle de l’unité Fatah- Hamas permettra à l’équipe Obama de rétablir un dialogue indirect avec le Hamas, qui porte pour une grande partie le fardeau de la résistance armée à l’occupant israélien. Ce serait une grande victoire pour la résistance anticolonialiste qui gagne en puissance. Car ce n’est pas le Hamas qui a, comme le Fatah, changé de nature et d’attitude. Ce sont les Etats-Unis qui, sous la contrainte, modifient leur diplomatie.


Pour autant, faut-il surestimer le dialogue avec les colonialistes américano-israéliens? Sûrement pas. Les facteurs qui pourraient modifier les rapports de force seraient le développement de la résistance anticolonialiste en cours et le progrès de la technologie militaire iranienne.


Par le dialogue, l’équipe Obama espère-t-elle ralentir l’érosion de la puissance américaine? Croit-elle peut-être au père noël ?


(1) Frédéric Bobin- Le Monde du 19/02/09.

(2) Frédéric Bobin- LM du 05 mars 2009.