26.2.14

Analyse 3 (2014): Kiev n'est pas l'Ukraine

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 26 février 2014

                                    

Kiev n'est pas l'Ukraine

Dans un pays où l'alternance n'est pas assurée démocratiquement par les urnes et par l'"entente cordiale" entre les partis ou forces politiques représentatifs de la société, elle se fait par l'exercice de la violence via les révoltes populaires.

Ce fut le cas en mai 1968 en France et plus récemment en Iran en 2010, dans certains pays de l'Afrique du Nord (Tunisie, Egypte, Libye) ou du Moyen-Orient, le "Printemps arabe".

Dans certains pays, l'alternance politique met en danger l'intérêt des forces et puissances étrangères et en favorise d'autres. La Syrie, la Libye, l'Egypte, le Yémen et l'Ukraine en forment les exemples les plus éclatants des alternances qui dégénèrent en violence aveugle, suite au télescopage des intérêts géostratégiques des puissances étrangères qui profitent du chaos ambiant pour affaiblir, voir déloger un adversaire afin de consolider leur emprise.

Un petit exemple. Alors que les protagonistes s'entredéchiraient sur la place Maïdan à Kiev, "la chancelière Angela Markel à la conduite de la manœuvre pour les Européens, était en contact avec Barack Obama et Vladimir Poutine afin de rechercher "le plus rapidement possible" une solution politique à la crise ukrainienne..."(1) Cette phrase concerne l'effort de trois puissances étrangères cherchant à trouver une solution politique à la crise ukrainienne; elle en dit long sur la nature de la crise: les Ukrainiens seuls n'ont pas le droit de décider de l'avenir de leur pays.

Une chose est sûre. Le mouvement de contestation en Ukraine est un mouvement démocratique contre l'autoritarisme, la corruption et pour l'instauration d'un Etat de Droit. S'y greffe l'intrusion des intérêts économiques, politiques et militaires des puissances étrangères dont le but n'a rien a voir avec l'idéal démocratique de la population.

En effet, l'affaiblissement de Viktor Ianoukovitch est allé de pair avec celui de la Russie et l'entrée en scène des puissances occidentales, en particulier de l'Union européenne (UE): trois ministres ont fait le déplacement à Kiev et ont négocié un accord politique avec le pouvoir en place, rejoints par Vladimir Loukine, le délégué russe aux droits de l'homme et émissaire du Kremlin.

Selon Piotr Smolar, l'envoyé spécial du quotidien Le Monde, "il est évident que, sans la Russie, un accord ne peut intervenir" (2) Vladimir Loukine a paraphé l'accord, mais ne l'a pas signé. La guerre de tranchée sur l'Ukraine, entre la Russie d'une part et l'Occident d'autre part, est belle et bien relancée.

Garder le contrôle politique de l'Ukraine, coûte que coûte, constitue l'objectif principal de la Russie. Les atouts ne lui manquent pas. Certes, la partie orientale du pays est acquise à la Russie. Mais, d'autres facteurs jouent en sa faveur. Même parmi les opposants déclarés, certains leaders veulent composer avec la Russie, voisin puissant et indispensable. A commencer par Ioulia Timochenko. En effet, Poutine "avait financé la campagne de Timochenko, contre Ianoukovitch, en 2010 " (3).

Et puis, dans le cadre du "partenariat oriental" lancé en 2009 vis-à-vis des anciennes Républiques soviétique européennes, l'accord d'association avec l'UE a été refusé au dernier moment par Kiev. Non pas par europhobie, mais par opposition de certains "oligarques" qui craignent les "réformes" proposées par l'UE. Celles-ci consistent à mettre fin aux monopoles du marché, détenu par la bourgeoisie ukrainienne, afin de l'ouvrir aux multinationales, puissantes sur les plans financier et technologique. "Oligarques" contre multinationales? C'est peut-être vrai pour une fraction de la bourgeoisie qui tient au marché intérieur, sa chasse gardée.

Le choix par la classe dirigeante ukrainienne de l'"accord d'association" avec l'UE, espace économique dominé par des multinationales occidentales, ou de l'"union douanière", espace économique unifié dominé par la Russie, déterminera l'avenir de l'Ukraine, celui du continent européen et du monde. Un choix qui aura, sans nul doute, des répercussions au Moyen-Orient.

Un accord d'association avec l'UE peut aller très loin et évincer petit à petit la Russie de l'Ukraine. Depuis la chute de l'Union soviétique, "l'espace vital" géostratégique et économique de la Russie, transformée en vendeur de gaz, de pétrole et d'armes, se réduit comme une peau de chagrin. La Russie est sur la défensive et, les uns après les autres, les pays de son ancien glacis en Europe Orientale ont été absorbés par l'OTAN et par des multinationales occidentales, avides de faire fructifier leur fortune colossale. Les puissances occidentales se rapprochent dangereusement des "frontières naturelles" occidentales de l'empire!

L'intrusion de l'UE et surtout de l'OTAN dans le pré carré russe est un casus belli. Les messages de mécontentement et de réorganisation politique des "pro-russes" en vue d'une contre offensive se multiplient. Après la faillite du "Parti des régions" de Vikor Ianoukovitch, une nouvelle formation politique proche de Moscou, le "Front ukrainien", vient de se former.(4) Les gouverneurs des régions russophones (...) se sont réunis samedi à Kharkov, faisant craindre l'explosion du pays.(5) Il est encore tôt pour parler de la partition de l'Ukraine. Par ailleurs, par la bouche de Dmitri Medvedev premier ministre, la Russie ne reconnait pas les nouvelles autorités d'Ukraine. Les manifestations d'hostilité de la population russophone à l'égard des nouvelles autorités se multiplient également dans la partie orientale de l'Ukraine.

L'explosion du pays en deux entités dépendra des nouveaux maîtres de Kiev, de l'UE et des Etats-Unis. S'ils savent ne pas aller trop loin, l'Ukraine restera unie. Sinon, comme en 2008 - où l'Abkhazie et l'Ossétie du Nord ont été arrachée à la Géorgie -, la Russie n'hésitera pas à provoquer la partition de l'Ukraine - qui ne connait son unité territoriale que depuis peu de temps - par ukrainiens russophones interposés. Il faudrait en même temps, suivre de près les manœuvres des troupes russes près des frontières ukrainiennes.

L'opposition a remporté Kiev, la capitale. Mais Kiev n'est pas l'Ukraine. Sale temps en Europe Orientale.


(1) Jean-Pierre Stroobants - Le Monde du 22 février 2014
(2) Le Monde du 22 février 2014.
(3) Lorraine Millot - Libération du 24 février 2014.
(4) Marie Jégo - Le Monde du 23 - 24 février 2014.
(5) Libération du 24 février.

19.2.14

Analyse 2 (2014): L'occident et l'Orient s'affrontent en Syrie et en Ukraine

Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 19 février 2014
                                  
L'Occident et l'Orient s'affrontent
en Syrie et en Ukraine

A qui profite la balkanisation du Moyen-Orient?

Quel rapport entre la Syrie et l'Ukraine? Rien à priori. Pourtant, lesdits pays sont des champs de bataille, opposant les puissances occidentales (Etats-Unis, Royaume-Unis, France et Allemagne) aux puissances orientales (Russie, Iran, Chine).

En Syrie, le conflit a pris un tournant avec l'entrée en action de l'"Etat Islamique en Irak et au Levant" (EIIL), groupe djihadiste violent et adepte de la guerre de religion. L'histoire de ces dernières années montre que les groupes qui prônent la guerre de religion (sunnites contre chiites ou contre chrétiens ou juifs) sont des bras armées de l'Arabie saoudite - le bailleur de fonds numéro un des insurgés [syriens] (1) -  qui travaillent en étroite collaboration avec les services américains.

Ce fut le cas en Afghanistan et, actuellement, c'est le cas en Irak et en Syrie. Lesdits groupes cherchent à opposer les communautés religieuses et ethniques les unes contre les autres dans le but de décomposer les pays de la région, de créer des pays ethno-religieux du type israélien ou kurde; bref de balkaniser le Moyen-Orient. C'est le prolongement du plan de Georges W. Bush qui s'appelait autrefois le "chaos constructif" (constructif pour qui?). Ce plan avait pour rôle d'affaiblir les Etats-nations et les puissance régionales, pour la création du "Grand Moyen-Orient".

ces derniers temps, les attentats commis au Liban dans les quartiers peuplés majoritairement de Libanais de confession chiite, ainsi que le "soulèvement armé" d'un groupuscule djihadiste sunnite à Tripoli, devaient exacerber les tension confessionnelles dans un Liban multiconfessionnel. Peine perdue. Au Liban il y des quartiers à majorité confessionnelle où le poids d'une confession est plus important que celui des autres. Mais, il n'y a pas de ghettos où les communautés vivraient complètement coupées les unes des autres.

Il est à souligner que le groupe politique du "14 mars" de Saad Hariri est soutenu essentiellement par l'Occident et l'Arabie saoudite pour affronter l'opposition multiethnique et multiconfessionnelle au sein de laquelle le Hezbollah constitue un poids lourd. Face aux conséquences néfastes pour l'unité du Liban de cette guerre de religion imposée de l'extérieur et face au danger de décomposition du pays qui en résulterait, les groupes politiques libanais ont formé d'urgence un gouvernement d'union nationale.

Le quotidien Le Monde du 16-17 février 2014 donne un exemple concret d'un Liban où musulmans et chrétiens travaillent main dans la main pour préserver l'unité nationale. On y lit qu'un ancien "policier de 43 ans, Toufik a rejoint le groupe d'autodéfense mis sur pied à Ras Baalbek par Rifaat Nasrallah, un entrepreneur chrétien, partisan du Hezbollah chiite". On y lit également que "des hommes patrouillent à Fakiha, localité mixte sunnite-chrétienne voisine de Ras Baalbek."

Les risques de décomposition de la Syrie ont poussé les insurgés syriens à se retourner contre l'EIIL. Le dialogue, même infructueux, engagé entre le gouvernement syrien et une fraction des rebelles aurait-il été provoqué par le soucis de préserver l'unité nationale? La question mérite d'être posée.

L'entrée en action de l'EIIL montre bien que le plan macabre de balkanisation du Moyen-Orient, par le truchement de guerre de religion, continue à faire couler le sang. Ce qui contredit l'"analyse" de ceux qui prétendent que les Etats-Unis se "désintéressent" et souhaitent se "désengager" du Moyen-Orient!

Les tensions sont également très vives en Ukraine où l'opposition défie la légitimité du pouvoir en occupant Maïdan, place centrale de Kiev, la capitale. Et les autorités n'hésitent pas à massacrer les opposants. Cela donne un argument à l'Occident (les Etats-Unis, la France, l'Allemagne,...) qui, sous le prétexte de défendre les "droits de l'homme", soutient l'opposition et reçoit même ses chefs - Vitali Klitschko et Arseni Iatseniouk (du parti de l'opposante emprisonnée Ioulia Timochenko) - le 1er février à la conférence de Munich sur la sécurité. Ils avaient alors notamment rencontré John Kerry, le secrétaire d'Etat américain, Frank Walter Steinmeier, ministre allemand des affaire étrangères et Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères.(2) Du jamais vu.

Après l'effondrement de l'Union soviétique, l'Occident à récupéré l'ancien "camp socialiste". Mais l'Ukraine et la Biélorussie manquent à son tableau de chasse. L'Ukraine, aussi grand que la France, pays industrialisé et traversé par des gazoducs russes, est un pays d'importance géopolitique. Profitant des tensions sociales, l'Occident essaie de déstabiliser le pouvoir central et son allié russe. L'opposition est très bien choyée par les Occidentaux. Vitali Klitschko, l'un de ses chefs, tient depuis le début de la crise, une tribune quotidienne dans un journal allemand, Bild. Début septembre, pour manifester son soutien à l'opposition, Guido Westerwelle, ancien ministre allemand des affaires étrangères, s'était rendu sur place Maïdan.(2)

Mais, l'Occident avance doucement en Ukraine, étant conscient que le cas ukrainien représente un casus belli pour la Russie qui dispose encore d'atouts non négligeables pour contrer l'offensive occidentale en Ukraine et en Syrie.

Le véto aux Nations-Unies et, surtout la force de frappe nucléaire de la Corée du Nord, représentent les Jokers de la Russie et de la Chine dans leur bras de fer face à l'Occident affaibli, mais toujours offensif. Aussi ces jours-ci la presse occidentale s'en prend violemment à la Corée du Nord, l'accusant de "crime contre l'humanité".


La Syrie, l'Ukraine et la Corée du Nord: un trio explosif qui empêche l'Occident de mettre la main, pour l'instant, sur le globe tout entier.

Les négociations entre l'Iran et l'Occident sont fortement influencées par la partie d'échecs qui se joue actuellement devant nos yeux entre les puissances occidentales et orientales sur l'échiquier mondial.


1- Benjamin Barthe - Le Monde du12 février 2014.

2 - Frédéric Lemaître - Le Monde du 18 février 2014.