11.11.15

Analyse 12 (2015). Djihadistes wahhabites au service des desseins américains

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 11 novembre 2015

                                                
                          
Djihadistes wahhabites au service des desseins américains

Voici un journaliste qui donne des leçons de géopolitique à Barack Obama

Quel est le point commun - au Proche, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord - entre les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Arabie saoudite, la Turquie, Israël ? Ils sont mobilisés pour réaliser le projet de Georges W. Bush, l'ancien président américain, du "chaos constructif" qui consiste à décomposer les grands pays multiethniques (l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, la Libye, le Yémen,…) qui composent la vaste région nommée souvent le "Grand Moyen-Orient", en petites entités ethniques et confessionnelles, opposées les unes aux autres et sous la coupe des puissances militaires occidentales.

Que reste-t-il de l'Irak, pays aussi vaste que la France mais, actuellement, dépourvu d'une véritable armée nationale, gangrénée par des milices en tout genre ? Le pays est actuellement divisé en trois entités : le Kurdistan irakien autonome, tourné vers la Turquie qui achemine son pétrole via le port de Ceyhan vers l'Occident et exporte ses marchandises vers le Kurdistan lequel paie en pétrodollars. Le "Sunnistan" de l'Etat islamique (EI), proclamé en 2014, qui combat ses ennemis dont les kurdes et les chiites, présents au centre et au sud de l'Irak, sous influence du voisin iranien qui y entretient des milices sous ses ordres, y écoule ses produits agricoles et industriels, son gaz, son électricité, ses armes, etc. Il est à souligner que la décomposition de l'Irak convient parfaitement à l'Iran qui ne souhaite pas avoir un Irak uni et puissant comme voisin.

La Syrie ne connaît pas un sort meilleur et sa décomposition est très avancée. Le pays est pratiquement divisé entre plusieurs ethnies et confessions. L'ouest appelé la "Syrie utile" ayant accès à la mer Méditerranée, est encore contrôlé par le régime de Bachar Al-Assad, soutenu activement pas l'Iran et la Russie, laquelle a dû batailler en Ukraine, menacer Donbass pour imposer ses priorités stratégiques en Syrie. En effet, selon Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, "si nous atteignons un bon degré de collaboration avec Moscou dans d'autres dossiers - la Syrie, la Libye, le terrorisme, la migration…- cela peut ouvrir un canal à l'application des accords de Minsk"(1)sur l'Ukraine. C'est du donnant donnant.

Méfiante envers ses adversaires occidentaux, la Russie préfère consolider ses arrières avant de s'engager sur le terrain syrien. C'est un jeu d'échecs planétaire où la Corée du Nord, comme un roc, met l'adversaire occidental en respect, en annonçant la reprise, mardi 15 septembre, de ses activités nucléaires et d'un possible lancement de satellite. Selon les experts, Pyongyang aurait accumulé 40 kg de plutonium, suffisamment pour mettre au point sept bombes. (2)

L'Amérique a ses djihadistes bornés, prêts à se faire exploser car formés à l'école wahhabite de l'Arabie saoudite obscurantiste, fidèle parmi les fidèles. Les djihadistes sont regroupés au sein de jaïch Al Fatah, l' "armée de la conquête", composée du Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda et d'Ahrar Al-Chams, l'un des plus puissants groupes armés dits syriens, d'obédience wahhabite.(3) Ladite "armée de la conquête" et l' "Armée syrienne libre" (ASL), son pendant "modéré", sont soutenues par la Turquie (membre de l'OTAN), le Qatar et le royaume saoudien (pions régionaux des Etats-Unis) et règnent sur une partie du territoire syrien.

Certains groupes armés de l'opposition syrienne, tel l'ASL, sont sélectionnés par la CIA qui leur fournit des missiles antitanks BGM-71 TOW de fabrication américaine, livrés depuis la Turquie. Ces lance-missiles sont prélevés sur les stocks de l'armée saoudienne, l'un des principaux fournisseurs de l'opposition syrienne.(4) Selon Ayman Abdel, journaliste pro-opposition "ils nous fournissent suffisamment de TOW pour embêter Moscou, mais pas assez pour faire chuter Assad."(4) C'est la confirmation de ce que disait Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne qui cherche "un canal pour l'application des accords de Minsk" avec Moscou, protecteur de Bachar Al-Assad.

Tout porte à croire que sur le dossier syrien, un accord "secret" existerait bel et bien  entre les américano-russes. En effet, le ministère américain de la défense (le Pentagone) a formé des "combattants syriens" anti-EI en Turquie dont le nombre devait passer à 15000 en trois ans. Déployés dans le nord-est de la Syrie, les combattants s'engageaient par écrit à ne pas pointer leurs armes contre le régime Assad.(5) Comme si la Syrie était déjà partagée : l'ouest aux Russes et aux Iraniens et le nord-est aux Américains ! Les "combattants" formés par le Pentagone n'avaient même pas le droit de pointer leurs armes contre les militaires du régime Assad, respectant ainsi la "coexistence pacifique" des deux puissances militaires sur le champ syrien. L'opération du Pentagone a été couronnée d'échec. Certains "combattants" ont rejoint, avec armes et bagages (des jeeps équipées de mitrailleuses), le Front Al-Nosra qui, malgré sa rhétorique islamiste pure et dure, fait partie de l' "armée de la conquête" turco-saoudo-américaine.

Les phénomènes contradictoires ne manquent pas sur le champ de bataille syrien. La Turquie participe au découpage de la Syrie, mais se sent menacée par la création d'une entité kurde. L'Arabie saoudite forme des miliciens fondamentalistes et des kamikazes qui sèment l'instabilité au sein même du royaume wahhabite en critiquant sa servilité envers le patron américain.

Il faut souligner que les Kurdes syriens du PYD (Parti de l'union démocratique), sont courtisés par Moscou et Washington qui a parachuté récemment, au grand dam d'Ankara, 50 tonnes d'armes et munitions aux unités kurdes.(5)

Israël, autre allié régional des Etats-Unis, ne reste pas les bras croisés. L'aviation israélienne mène souvent des raids meurtriers sur des bases de l'armée syrienne dont la 155e et la 65e divisions de l'armée syrienne formées de soldats d'élite. Israël a lancé plus d'attaques en cinq jours que sur l'ensemble de l'année 2014.(7)

Qu'en est-il de la Libye ? L'assassinat, sous l'égide du couple franco-britannique, de Kadhafi, l'ancien dirigeant libyen, a abouti de facto à une partition da la Libye en deux gouvernorats rivaux : l'un installé à Tobrouk (Est) qui dirige surtout l'est de la Libye (la Cyrénaïque). L'autre, installé à Tripoli, est composé d'islamistes regroupés au sein d'une coalition baptisée "Fajr Libya" (Aube de la Libye).(8) Les deux factions rivales s'affrontent dans des guerres ethniques par procuration (la tribu des Ouled Slimane, alliée aux Touareg contre les Toubou). Ce dont Georges W. Bush a rêvé, le couple franco-britannique l’a réalisé en Libye ! Parallèlement, l'Etat islamique consolide ses positions sur une bande de territoire de 200 km autour de la ville de Syrte, sur le littoral central.(8) Il y aura bientôt trois gouvernorats.

Le Yémen ressemble, à s'y méprendre, à la Libye. Le Nord du pays est gouverné par les Houthistes et le Sud par une coalition de pays arabes du Golfe Persique, dirigé par l'Arabie saoudite. Les djihadistes d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) ont participé aux combats au côté de la coalition. Actuellement, le drapeau noir d'Al-Qaïda flotte sur le commissariat de police de Tawahi, un quartier d'Aden, où les fondamentalistes ont organisé des parades militaires.(9) A Aden, les djihadistes d'Al-Qaïda ont entrepris d'imposer leur morale à l'université et dans les super marchés, exigeant la fin de la mixité. Que font les militaires saoudiens et émiratis retranchés dans leurs bases ? "on ne les voit jamais dans les rues". Autrement dit, ils laissent faire ! L'AQPA est actuellement équipé de blindés, de tanks, et de batteries de missiles de fabrication américaine, et ont aussi saisi 6000 tonnes de diesel.(9)

En diffusant leur morale obscurantiste, les djihadistes wahhabites rendent un grand service aux puissances occidentales qui craignent le réveil des peuples arabo-musulmans : maintenir le Proche et le Moyen-Orient dans l'obscurantisme et empêcher leur développement social et scientifique; leur émancipation politique et économique.

Tout porte à croire que certains journalistes ne comprennent pas le "Grand jeu" qui se déroule sous nos yeux au Proche et au Moyen-Orient. Un seul exemple. Christophe Ayad, journaliste au quotidien Le Monde ose qualifier Barack Obama d' "incapable d'user de la force, discrédité auprès de ses proches alliés, la Turquie, l'Arabie saoudite et même la France, et prêt à se faire berner par l'Iran".(10) Donner une telle image de Barack Obama, chef de la plus puissante armée du monde, entouré de conseillers autrement plus qualifiés que monsieur Christophe Ayad, représente une ignorance totale des enjeux géopolitiques.
En effet, pourquoi envoyer l'armée américaine en Syrie alors que Washington atteint ses objectifs par miliciens wahhabites, combattants kurdes et syriens interposés ? Ils reçoivent des tonnes d'armes et œuvrent collectivement à la décomposition de la Syrie, projet américain du "chaos constructif".

Le proche et le Moyen-Orient se trouvent au stade post-accords Sykes-Picot, conclus le 16 mai 1916. Ces accords ont donné des frontières artificielles aux lambeaux du défunt empire ottoman. La conférence internationale de Vienne sur la Syrie, commencée le 30 octobre 2015, devrait les enterrer définitivement. Nous connaîtrons bientôt la nouvelle carte géopolitique du Proche et du Moyen-Orient.


1)    Propos recueillis par Jean-Pierre Stroobants - Le Monde du 30 octobre 2015.
2)    Philippe Mesmer - Le Monde du 17 septembre 2015.
3)    Dossier sur la Syrie - Le Monde des 18-19 octobre 2015.
4)    Benjamin Barthe - Le Monde du 23 octobre 2015.
5)    Benjamin Barthe (à Gaziantep, Turquie) et Gilles Paris (à Washington) - Le Monde des 11-12 octobre 2015.
6)    Marie Jégo (Istanbul, correspondante) - Le Monde des 25-26 octobre 2015.
7)    Libération du 28 avril 2015.
8)    Frédéric Bobin - Le Monde du 22 octobre 2015.
9)    Benjamin Barthe - Le Monde du 04 novembre 2015.

10) Christophe Ayad - Le Monde du 30 octobre 2015.

8.10.15

Analyse 11 (2015). Une guerre mondiale qui ne dit pas son nom

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 08 octobre 2015

                 
 Une guerre mondiale qui ne dit pas son nom

Sylvie Kauffmann, journaliste, préfère-t-elle les tortionnaires américains aux syriens ?

Que se passe-t-il en Syrie ? A en croire certains journalistes, les frappes de l'aviation russe ont surpris l'Occident et rajoutent au chaos ambiant. Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères s'inquiète des frappes russes qui "ont fait des victimes civiles. On ne fait pas la guerre au terrorisme en bombardant des femmes et des enfants."(1) Belle leçon de lutte "antiterroriste", attentive au respect de la vie humaine !

A-t-on entendu le même Laurent Fabius condamner le bombardement par l'aviation américaine, samedi 03 octobre, de l'hôpital  de Médecins Sans Frontières (MSF) à Kunduz, en Afghanistan ? Selon MSF, les bombardements de l'hôpital ont causé la mort de 22 personnes (douze employés de MSF et dix patients)(2). L'ONG affirme avoir transmis préventivement les coordonnées GPS de son hôpital aux armées afghane et américaine. Qui, apparemment, s'en sont biens servies.

Question : Quelle valeur a la vie d'un Afghan pour monsieur le ministre ? Et celle d'un Yéménite dans le pays duquel "près de 5000 Yéménites - dont 2355 civils - ont été tués dans les combats.(3)

Revenons-en à la Syrie. A en croire certains journalistes français, " le président russe a créé un fait accompli sur le terrain en Syrie"(4). Comme si les "gentils" Américains et leurs "adorables" amis ne s'attendaient pas à ce que le "méchant" Poutine allait attaquer par surprise.

D'autres journalistes emploient les mêmes termes pour décrire la "ruse russe" : "Comme en Ukraine, les capitales européennes sont placées devant un fait accompli"(5).

Le "méchant russe" va trop loin. En effet, il profiterait « de l'embarras des Occidentaux, dépassés [oh les pauvres !] par une offensive qu'ils n'avaient pas anticipée…"(6)

Il faut rappeler que depuis mars 2011, la Syrie est le théâtre d'un affrontement Est-Ouest entre les puissances militaires occidentales, menées par les Etats-Unis, et orientales, principalement russes et iraniennes, soutenues par la Chine et certains pays dits émergents. Côté occidental, "une coalition d'une soixantaine (oui, une soixantaine) de pays [sont] engagés depuis un an dans des opérations contre l'EI en Irak et en Syrie."(7)
C'est une guerre mondiale - pour l'instant sous contrôle - qui ne dit pas son nom, d'une importance stratégique, qui se poursuit depuis l'effondrement de l'Union soviétique le 26 décembre 1991. Après l'effondrement, l'OTAN a mis la main sur l'ancien "glacis soviétique", se rapprochant dangereusement des frontières occidentales russes. Les Etats-Unis ont orchestré activement la décomposition de l'ex-Yougoslavie, de la Serbie et reconquis l'Irak; la France et la Grande Bretagne la Libye.  Ne reste plus que la Syrie, à la porte de l'Iran et de la Russie.  L’adage "Jamais deux sans trois" ne marche pas cette fois-ci. En effet, la Syrie n'est pas la Libye et son importance est vitale pour la Russie et l'Iran, soucieux d'étendre, à leur tour, leurs zones d'influence.

Le but final de cette guerre mondiale qui dure, en fait depuis 34 ans, est à rechercher au début de la guerre Irak-Iran en 1981 ; il est de soumettre définitivement la Russie et l'Iran et d’imposer la suprématie mondiale et unilatérale des Etats-Unis et de l'Occident sur la scène internationale.

Il faut souligner que les belligérants marchent sur des œufs et essaient d'éviter, tant bien que mal, une déflagration généralisée, aux conséquences incalculables pour l'économie mondiale. Les négociations patientes entre l'Iran et les puissances 5+1 l'ont prouvées.

Peut-on imaginer un instant que le mouvement de troupes et de matériels de guerre auquel l’on a assisté se soit effectué sans qu’il y ait modification des rapports de force et sans l'entente préalable des puissances engagées sur le terrain ? D'autant plus que le front s'étend sur trois parties du globe : en Ukraine, en Corée du Nord, et au Moyen-Orient (Irak, Syrie, Palestine, Liban, Yémen). Les deux derniers fronts (le Moyen-Orient et la Corée du Nord) sont situés sur une route stratégique par où transitent chaque année plus de 55 000 navires de marchandises et d'énergie. Une route sous la menace permanente des missiles à tête nucléaire de la Corée du Nord.

La moindre modification sur un des fronts a des répercussions sur l'ensemble des fronts. Tout porte à croire que les pressions exercées par la Russie sur le flanc Est de l'Ukraine et son atermoiement pour appliquer les accords de Minsk ont porté leurs fruits en Syrie.

A en croire Isabelle Mandraud et Benoît Vitkine (à Paris), les premiers contacts ont été pris le 12 mai 2015 (…) avec la venue à Sotchi du secrétaire d'Etat américain, John Kerry qui s'entretient directement avec le président russe.(8) Concomitant aux frappes russes, un sommet sur l'Ukraine réunissait à l'Elysée, le 2 octobre, les présidents français, russe, ukrainien et allemand.

La tenue du sommet n'est pas tombée du ciel. C'est le résultat d'un long marchandage sur la Syrie et l'Ukraine. "Les quatre dirigeants se sont accordés sur les prochaines étapes du processus [de Minsk]". Maintenant, la Russie peut continuer à frapper en Syrie et l'Occident peut espérer "sauver son Ukraine". En partie tout au moins ! Le marchandage conduit à l' "entente cordiale" des puissances militaires pour éviter le "fait accompli" dont parlent certains journalistes. C'est ainsi que fonctionne la diplomatie mondiale basée sur le rapport de force en évolution permanente.

Pourtant, certains journalistes, comme Alain Frachon, ne voient qu'un "vaste affrontement régional et religieux : sunnite (les majoritaires de l'islam) contre chiite (les minoritaires)" ! M. Frachon va encore plus loin et lance des invectives contre Poutine le "soulard" : "Ce devrait être une évidence aussi transparente qu'une vodka bien frappée."(9)

C'est vraiment rigolo monsieur Alain Frachon, surtout quand vous exposez en même temps vos lacunes sur le Moyen-Orient ! A propos de Barack Obama, diriez-vous "troubles comme un whisky bien frappé" en évoquant les tortures pratiquées sous son règne par la CIA et ses prisons secrètes en Europe ?! Voici le gros titre de Libération du 15 décembre 2014 : "Les tortionnaires. De nombreuses voix demandent que Georges W. Bush et Dick Cheney, responsables de l'usage de la torture par la CIA après le 11 septembre, soient traduits devant la justice." Ca mérite quand même un "whisky bien frappé" pour l'Amérique de monsieur Obama, le "phare" de la civilisation occidentale, n'est-ce pas ? !

Comme son confrère, la journaliste Sylvie Kauffmann n'hésite pas à passer aux insultes, lorsqu'elle évoque la rencontre au sommet Obama-Poutine du lundi 28 septembre à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU. "La Maison Blanche a cédé, en se bouchant le nez."(10) Madame Kauffmann pensait-elle au bombardement par la chasse américaine de l'hôpital de MSF à Kunduz en Afghanistan, dénoncé par l'ONG comme "crime de guerre" américain ? Ou aux 5000 Yéménites, dont 2355 civils, massacrés par l'aviation de l'ami saoudien des Etats-Unis ? Un "ami" très intime, équipé d'avions de chasse américains qui continue à détruire le patrimoine de l'Humanité au Yémen ?

Il est  vrai que lorsqu’on s'adresse aux officiels américains ou russes, le bouchage de nez s'impose ! Les puissances militaires sont en train de dévaster la Syrie, massacrer sa population, détruire son patrimoine. C'est honteux de vouloir soutenir un camp contre l'autre.


1)    Le Monde du 03 octobre 2015.
2)    Dernières Nouvelles d'Alsace (DNA) du 05 octobre 2015.
3)    B.BA. - Le Monde du 01 octobre 2015.
4)    Sylvie Kauffmann - Le Monde des 27-28 septembre 2015.
5)    Benjamin Barth, Isabelle Mandraud, Gilles Paris et Yves-Michel Riols (à New York) - Le Monde du 02 octobre 2015.
6)    Yves-Michel Riols, Isabelle Mandraud et Benjamin Barth - Le Monde du 03 octobre 2015.
7)    Yves-Michel Riols - Le Monde du 1er octobre 2015.
8)    Le Monde du 02 octobre 2015.
9)    Alain Frachon - Le Monde du 02 octobre 2015.
10)Sylvie Kauffmann - Le Monde des 27-28 septembre 2015.

11.9.15

Analyse 10 (2015). Al-Qaïda, Etat islamique et après

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 11  septembre 2015

                 
 Al-Qaïda, Etat islamique et après

Comment expliquer la persistance de l'intégrisme islamiste au Proche et au Moyen-Orient ? Dans une analyse très intéressante basée sur l'histoire récente des pays arabes et musulmans, l'écrivaine palestinienne, Sahar Khalifa (1), nous fournit quelques éléments sur l'inspiration au changement, de justice et de modernité colportés par "des personnes instruites (qui) croyaient en ces idées et les défendaient". Toujours selon l'écrivaine, "nos librairies et nos rues regorgeaient de livres appelant à la libération, à la révolution et au changement : littérature existentialiste, socialiste, noire… Cet élan touchait tout le monde, y compris les paysans illettrés et les femmes, qui commencèrent à sortir sans voile".

Cet élan de modernité n'effaçait pas la "haine des Occidentaux", tenace au Proche et au Moyen-Orient : "nous voulions vivre comme eux sans qu'ils nous dominent" ! Vœux inacceptable pour les puissances coloniales occidentales.

Les coups d'état militaires d'inspiration nationaliste et anticolonialiste en Egypte, en Irak, en Syrie et en Libye répondaient à ce désir de changement et de justice sociale.

Dans l'euphorie du changement, on a fini par sous-estimer la résistance et la réaction des pays arabes pro-américains, en particulier l'Arabie saoudite et leurs parrains américano-britanniques dont la domination vacillait sous la vague des mouvements de libération nationale qui déferlait au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique.

La réaction internationale a repris l'offensive et "cette atmosphère idyllique se dissipa lorsque Israël, soutenu par l'Occident, parvint à vaincre le dirigeant égyptien Gamal Abdel Nasser, en 1967." 1967 sonne comme le début de la défaite de la bourgeoisie laïque des pays arabes et musulmans qui n'a pas réussit son pari : mettre un terme à la domination coloniale de l'Occident, en particulier américaine.

De défaite en défaite, "les Frères musulmans, qui laissaient jusqu'alors le peule indifférent, montèrent en puissance." Tout le monde connait la suite : le développement des groupes islamistes fondamentalistes, financés généreusement par la réaction arabe et les Etats-Unis, ennemis jurés de la modernité, du développement social, culturel et scientifique du Proche et du Moyen-Orient.

L'écrivaine n'explique pas pourquoi le monstre intégriste, créé et nourrit par l'Occident colonialiste et la réaction arabe du Moyen-Orient, a fini, à son tour, par s'émanciper de ses mentors et projette d'établir des régime hostiles à l'Occident et à ses obligés locaux tels que l'Arabie saoudite ? Nous en connaissons deux (le régime taliban en Afghanistan, renversé par l'intervention américaine en 2001) et l'Etat islamique ou Daech qui sévit actuellement en Syrie et en Irak.
L'échec de la bourgeoisie laïque des pays arabes et musulmans n'a pas sonné l'échec stratégique de l'anticolonialisme. Bien au contraire. Les islamistes fondamentalistes, certes réactionnaires mais radicalement antioccidentaux, ont récupéré l'étendard de la lutte contre l'Occident colonialiste "mécréant" et sa "culture dépravée".

Selon Sahar Khalifa, un dilemme reste à résoudre. "nous avons le choix entre un Occident synonyme de liberté, de laïcité et de science, mais aussi de colonialisme, et un islam impitoyable qui appelle à résister à l'Occident, mais qui s'oppose à la science, à la modernité ainsi qu'à l'émancipation féminine et sociale".

Doit-on choisir entre ces deux ? Nous pensons qu'il existe une troisième alternative.

Actuellement, la situation n'est vraiment pas propice au développement à l'échelle nationale de partis arabes et musulmans modernes. Le fondamentalisme islamiste bat son plein avec sa cohorte de destruction à tous les niveaux, social, culturel (archéologique) et scientifique. La haine des fondamentalistes islamistes de l'Occident les invite à puiser dans un islam moyenâgeux, dépourvu de toute contamination occidentale, pour, soi-disant, combattre l'Occident et ses manifestations dont les libertés fondamentales et l'égalité homme-femme. Le fondamentalisme islamiste est farouchement hostile à la diversité et sa misogynie transforme les femmes, la moitié de l'humanité, en esclaves, dépourvues de droits humains. Les "minorités religieuses" sont également la cible de la haine du fléau islamiste ou djihadiste.

L' "islam impitoyable" est tout-à-fait incompatible avec l'esprit du XXIe siècle. Tout porte à croire que ses incantations antioccidentales ne seront pas suffisantes pour combler ses lacunes en matière de libertés fondamentales, l'égalité homme-femme, les développements scientifiques indispensables. Sa défaite ne fait aucun doute.

Un militant éclairé, amoureux des idéaux de libération et de justice sociale ne peut pas choisir entre le colonialisme et l' "islam impitoyable". Il faut combattre ces deux monstres du XXIe siècle. C'est une tâche ardue dont la réalisation exige du temps.

L'islamisme antioccidental peut-il évoluer vers la modernité ? L'exemple de l'Iran, dirigé par un régime antioccidental, un pays relativement développé (douzième producteur mondial d'automobiles avant l'application des sanctions internationales), montre que la pratique du pouvoir conduit les dirigeants "islamistes" à adapter leur idéologie à la réalité du terrain.

Ce qui est vrai pour l'Iran ne l'est pas forcément pour le régime Saoudien, pro-occidental, "gardien" de la Mecque et de la "pureté" de l'islam, dans un pays encore très arriéré et réticent, voire hostile à tout ce qui touche à la modernité et à l'égalité.

L'Iran peut servir d'exemple à la future transformation des mouvements islamistes "impitoyables" mais antioccidentaux des pays arabes et musulmans dans le monde qui souhaitent conserver leur identité musulmane, combattre l'ingérence occidentale dans les affaires du pays et conduire leur pays vers la modernité.

Pour l'instant, la réaction islamiste, conduite par l'Arabie saoudite, résiste farouchement. L'affaiblissement de l'Arabie saoudite va de pair avec la montée en puissance de l'Iran antioccidental qui a réussi à fusionner l'islam, la modernité et l'iranité. Ce n'est qu'un début et il reste encore beaucoup de chemin à parcourir jusqu'à l'avènement d'une société iranienne vraiment moderne, libre, démocratique et égalitaire.

En attendant, l'Iran arrive à séduire la population des pays arabes et musulmans qui souffre des régimes corrompus, du colonialisme et du manque de réaction efficace desdits pays à l'égard du colonialisme israélien.

Tout porte à croire que le temps est compté pour la réaction arabe du Golfe Persique.


(1) Sahar Khalifa - Le Monde Diplomatique d'août 2015.

27.7.15

Analyse 9 (2015) : Les Docteurs Folamour du Moyen-Orient

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 27  juillet 2015

               

Les Docteurs Folamour du Moyen-Orient

Bassma Kodmani est l'archétype même de ces opposants syriens qui se jettent dans les bras de n'importe qui pour se débarrasser de Bachar Al-Assad, 

L'opposition syrienne voue une haine tenace à l'égard de Bachar Al-Assad, président syrien, qui a beaucoup de sang sur les mains. Le régime syrien, régime dictatorial de type fasciste, commet des crimes atroces à l'égard de la population sans défense en bombardant aveuglement des localités conquises par l'opposition armée.

Bassma Kodmani est l'archétype même de ces opposants syriens qui, exaspérés par l'atrocité du régime syrien, se jettent dans les bras de n'importe qui pour se débarrasser de Bachar Al-Assad. Comment ? Il suffirait que l'Iran, "principal allié du régime de Damas" accepte "la paix en Syrie".(1)

Nous sommes en droit de nous interroger sur la nature de la paix proposée par Bassma Kodmani dont la position reflète celle d'une partie de l'opposition syrienne.

Une paix se conclut entre deux adversaires. Avec quel adversaire le couple formé par le régime syrien et l'Iran devrait-il faire la paix ? Il y a certes les opposants divisés de la scène syrienne (opposants dits modérés et djihadistes) et leurs soutiens étrangers : les Etats-Unis, la Turquie, le Qatar, l'Arabie saoudite, Israël, pour ne citer que ceux qui sont en première ligne. Questions :

  1. Quelle est la nature des rapports existant entre l'opposition et ses soutiens étrangers ?
  2. Les soutiens étrangers de l'opposition syrienne se soucient-ils vraiment de la démocratie et de l'état de droit en Syrie ?
Lorsque Bassma Kodmani écrit : "Les pays arabes du Golfe et la Turquie ayant massivement augmenté leur soutien à l'opposition armée depuis le début de l'année 2015, la situation militaire semblait en passe de basculer en faveur de l'opposition", elle admet tacitement que la réactivité de l'opposition armée syrienne dépend de ses soutiens étrangers dont l'aide lui fait gagner du terrain. C'est avouer que l'opposition est devenue le bras armé des puissances étrangères qui l'arment quand bon leur semble.

Parmi les soutiens de l'opposition syrienne, Bassma Kodmani cite le régime d'Erdogan, ennemi juré de la communauté kurde de Turquie qui demande un peu de liberté et de droits à un régime qui refuse de reconnaitre les droits légitimes et élémentaires, en particulier culturels et politiques, des Kurdes de Turquie.

La complicité de l'Etat turc à l'égard de l'Etat islamique (EI) ou Daech (acronyme arabe de l'EI), n'est un secret pour personne. La Turquie est une des voies clés des approvisionnements en hommes et en matériel de l'EI.

Depuis l'attentat-suicide du 20 juillet 2015 perpétré à Suruç(2) (la Turquie l'attribue à l'EI), le gouvernement donne l'impression de revenir sur sa politique complaisante à l'égard des djihadistes de l'EI. Les médias annoncent même le bombardement des positions djihadistes en territoire syrien. "Plusieurs sites internet (Incanews, Ummet-i Islam) faisant l'apologie de l'EI ont été bloqués. (…) La vague d'arrestation [en Turquie] a toutefois épargné les villes de Urfa et de Gaziantep où les djihadistes ont pignon sur rue, puisqu'ils y ont leurs bases arrières pour leur repos, leurs soins médicaux ou leurs approvisionnements."(3)

On voit bien que le virage anti-EI de l'Etat turc a des limites. En effet, "l'ennemi numéro un pour la Turquie reste les Kurdes"(4). Une chose est sûre : la Turquie partage les mêmes intérêts stratégiques avec l'Etat islamique, l'opposition syrienne et ses "amis" du Golfe Persique : contenir l'influence iranienne en Syrie, en Irak, au Yémen et au Moyen-Orient.

Les soutiens étrangers, appelés les "amis du peuple syrien", instrumentalisent les djihadistes (Etat islamique ou Al Nosra) ainsi que l'opposition dite modérée. Celles-ci se met consciemment au service des puissances étrangères qui imposent leur agenda aux milices armées. A en croire Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde, "Depuis le début des frappes de la coalition contre l'EI en Irak et en Syrie, les Américains évitent de viser le régime et d'ébranler Assad. Il y a un accord tacite avec l'Iran." Cette même ligne a été imposée aux rebelles syriens que Washington s'est engagé, après de longues tergiversations, à former et à armer pour combattre l'EI.(5) Alors, où est l'autonomie des "rebelles syriens" vis-à-vis de leurs amis les puissances étrangères qui les forment et les arment ?

L'opposition dite modérée se fait également "aider" par Israël cet Etat colonialiste- gardien d'une prison à ciel ouvert nommée Gaza - qui soigne ses blessés. "Des rencontres discrètes ont lieu régulièrement dans la ville de Tibériade entre militaires israéliens et représentants de l'ASL (Armée syrienne libre)". Enfin Israël a commencé à fournir à celle-ci des armes légères(6). Les rapports de la Fnuod (une force des Casques bleus stationnée sur le plateau du Golan depuis 1974) révèlent que les rencontres entre militaires israéliens et rebelles syriens [parmi lesquels des islamistes du Front Al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda] sont quasi quotidiennes depuis au moins dix - huit mois. (7)

Les Etats-Unis, la Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar, Israël et les "rebelles syriens" ("modérés" ou islamistes à la sauce Al-Nosra et Etat islamique) constituent les adversaires du régime de Damas et de son soutien iranien. Un anticolonialiste et révolutionnaire ne peut pas choisir entre ces deux camps antidémocratiques. Les uns font régner la terreur moyenâgeuse dans la société (l'Arabie saoudite, le Qatar), les autres bombardent leur propre peuple (la Turquie) ou instaurent l'apartheid social (Israël) au vu et au su de l'humanité.

Voici ce qu'écrit Hélène Sallon à propos de l'Arabie saoudite et les "trente ans de financement par la monarchie wahhabite de mouvements salafistes et djihadistes au Moyen-Orient, qu'elle a été incapable de maîtriser, à l'instar d'Al - Qaida et de son émanation, l'Etat islamique (EI)"(8) dont les pratiques criminelles et esclavagistes sont connues du monde entier.

Comme nous l'avons souvent écrit, les jeunes Etats syrien et irakien sont des Etats artificiels(9) dont les frontières ont été dessinées dans les bureaux du Foreign office britannique. Tout porte à croire que l'Irak et la Syrie, sous leur forme actuelle, sont voués à disparaître, pour donner naissance à d'autres pays dont les frontières seront discutées entre les puissances impliquées dans l'actuel bras de fer régional, en particulier américaine, russe et iranienne. L'Iran est la seule puissance militaire qui dispose de troupes au sol (via les milices du Hezbollah), donc bien placée pour s'adjuger un vaste territoire en Irak et en Syrie.

L'Iran a le potentiel pour devenir la future superpuissance militaire régionale que l'Arabie saoudite, Israël et la Turquie, unis au sein des "amis du peuple syrien", essaient de contenir. L'armement et la formation de l'ASL (Armée syrienne libre) ou autres formations djihadistes du type Front Al-Nosra servent les intérêts géopolitiques des pays impliqués qui n'en ont rien à cirer des aspirations démocratiques du peuple syrien. Ne pas comprendre ce Grand jeu géopolitique qui secoue le Moyen-Orient c'est rester à côté de la plaque.

L'avenir nous dira si le sort de la région se trouve déjà dans les clauses secrètes des accords de Vienne discutés âprement entre l'Iran et les pays du P5 + 1(10) ? En attendant les docteurs Folamour du Moyen-Orient continuent à s'écharper au prix de dizaines de milliers de morts civils, des millions de déplacés et de destructions innombrables du patrimoine de l'humanité en Syrie, en Irak et au Yémen.


1)    Le Monde du 23 juillet 2015.
2)    Pour l'opposition kurde, l'attentat-suicide de Suruç a été encouragé ( voire commandité selon certains opposants kurdes ) par l'Etat turc qui continue à bombarder les positions du PKK (Parti des travailleurs kurdes) en Irak. Les combattants kurdes de toute obédience sont les ennemis communs de l'Etat turc et de l'Etat islamique.
3)    Marie Jégo - Le Monde du 22 juillet 2015.
4)    Selon des sources militaires françaises de haut niveau, rapportées par Nathalie Guibert (à Paris), Marie Jégo, Stéphane Lauer et Hélène Sallon (à Paris) - Le Monde des 26-27 juillet 2015.
5)    Hélène Sallon - Le Monde du 23 juillet 2015.
6)    Pascal Sadarnac - Dernières Nouvelles d'Alsace (DNA) du 08 septembre 2014.
7)    Nissim Behar - Libération du 08 décembre 2014.
8)    Hélène Sallon - Le Monde du 16 juillet 2015.
9)    L'Arabie saoudite, le Yémen, la Jordanie, le Liban, Israël, le Qatar, le Koweït, les Emirats Arabes Unis, le Pakistan en font partie.

10) Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni, Allemagne et Iran