Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 22 septembre 2012
La dernière cartouche
Depuis l’effondrement du mur de Berlin, tout, ou presque, a
réussi aux Etats-Unis : démantèlement du «camp socialiste», de
l’Union soviétique et des puissances potentielles (la Yougoslavie et
l’Irak) ; exacerbation des tensions ethniques (Croates, Kosovars et
Bosniaques contre la Serbie) et religieuses (sunnites contre chiites et
alaouites et vice-versa).
On ne compte plus les destructions massives des infrastructures
dans les pays bombardés par les forces américaines et alliées ou le nombre de morts
causés par des milliers de tonnes de bombes déversées sur les populations sans
défense des pays visés par l’«ingérence humanitaire» des colonialistes
occidentaux. Parallèlement, une main courante relève minutieusement le nombre
de «charniers» ethniques découverts par-ci, par-là, ainsi que le nombre de
chiites massacrés par les sunnites, et vice-versa. On ne voit pas le visage des
mères et des pères de familles dont les maisons ont été bombardées par des
avions de chasse, des hélicoptères ou autres drones téléguidés depuis la Maison
Blanche. Mais, on s’émeut devant les larmes qui coulent lentement des yeux
cachés par des lunettes noires des mères, épouses ou sœurs des soldats «morts
pour l’Empire», soutien militaire des compagnies de pétrole ou d’armement.
Les habitants hostiles à la présence des Occidentaux sont
systématiquement qualifiés de «membres d’Al-Qaïda», de «terroristes»
ou de «salafistes», donc de «barbares» et condamnés à mort sans
jugement par l’Occident «civilisé». «Chaque mardi, Barak Obama préside à la
Maison Blanche une réunion où est arrêtée la liste des membres d’Al-Qaïda à
«éliminer» »(1). Sans passer par une instance
internationale, le président américain, prix Nobel de la Paix, dispose donc
d’un permis de tuer. Les mardis de la terreur de Barak Obama «font
des dizaines de victimes civiles-femmes, enfants- etc.»(1)
Les frappes de drones «nourrissent un antiaméricanisme
exacerbé dans les pays les plus touchés, là où Obama, précisément, voulait
changer l’image de l’Amérique. Elles ont radicalisé et gagné à la cause du
djihad des régions et des tribus entières.»(1)
Un bilan. «Le 17 décembre 2009, 46 habitants du hameau
d’Al Maajala [Yémen] étaient tués par un missile américain. La haine
contre les Etats-Unis s’enracine.»(2). Lorsque ce ne sont pas
les drones, ce sont les soldats gorgés de haine qui assassinent : «un
soldat américain tue 16 civils afghans. Neuf enfants figurent parmi les
victimes»(3). Selon un humanitaire occidental «les gens
me rapportent qu’ils sont désormais prêts à rejoindre les talibans»(3).
Normal. «De l’Inde au Maghreb, la haine de l’Amérique»
titrait Le Monde des 16-17 septembre 2012. Les peuples occidentaux, ceux-là
même qui ont soutenu le «printemps arabe» qui a chassé les dictateurs, ne
comprennent pas cette haine anti-occidentale enracinée dans les pays
arabo-musulmans. Ils ne comprennent pas que cette haine-là a des racines
historiques.
Pendant deux siècles, les Britanniques ont pillé le sous-sol
et la main d’œuvre, humilié les peuples, leur histoire et leur culture, ont
réprimé sauvagement toute velléité de résistance des peules d’Orient, depuis
l’Inde jusqu’au Maghreb et l’Afrique noire, en laissant des traces très négatives,
presque indélébiles, dans la mémoire collective. Leurs navires de guerre semaient
la terreur dans les mers et les océans, confisquaient toute cargaison échappant
aux intérêts impériaux. Un petit exemple : le pétrole nationalisé iranien,
qualifié de «pétrole rouge», ne pouvait pas quitter le Golfe Persique.
Après la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis ont
supplanté les Britanniques et, du coup, la haine anticolonialiste ancestrale
s’est reportée sur les Américains. A travers les Etats-Unis, c’est encore et
toujours, la domination séculaire anglo-saxonne qui se perpétue.
Au nom du «socialisme arabe», du nassérisme et autres
idéologies laïques et baasistes, des coups d’état ont reversé des régimes
pro-occidentaux en Egypte, en Irak, en Syrie, au Yémen et en Libye. Sans
résultats tangibles pour les masses pauvres et humiliées. La disparition du «camp
socialiste» puis de l’Union soviétique et le rapprochement russo-occidental
ont fini par achever l’attrait des idéologies laïques anticolonialistes pour
les peuples arabo-musulmans.
Depuis 1979, date de la victoire de la révolution islamique
en Iran, une nouvelle forme de résistance anticolonialiste a fait
surface : résister aux puissances colonialistes au nom de l’islam et de son
prophète.
A sa naissance, l’exemple iranien paraissait fragile et, aux
yeux des intellectuels laïcs, en particulier iraniens, la «révolution
islamique» était «historiquement» une aventure sans lendemain. Tout porte à
croire que les puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis,
partageaient la même analyse.
Profitant du vide, suite à l’effondrement du «camp
socialiste», les Etats-Unis se sont lancés à la conquête de l’Irak et de
l’Afghanistan, tout en méprisant et menaçant la république islamique d’Iran,
sortie très affaiblie de huit années d’une guerre sanglante avec l’Irak.
Mais, les graines de la «résistance islamique» au
colonialisme et à ses laquais régionaux n’ont pas tardé à se répandre. L’attaque
de la Mecque, perpétrée par le messianiste Jouharyman Al-Otaibi, en est un
exemple.
Aux yeux des peuples arabo-musulmans, l’invasion de
l’Afghanistan et de l’Irak et l’encerclement de plus en plus hermétique de la
république islamique, sont la suite logique de l’aventure colonialiste
britannique qui dure depuis plus de deux siècles. Les crimes commis par les
forces occidentales en Irak et en Afghanistan, ainsi que la destruction systématique
et la décomposition des pays envahis, ont fini par renforcer la haine
anticolonialiste et anti-américaine. A la place d’un Irak, il y en a
actuellement trois : un Irak kurde centrifuge, un Irak sunnite rebelle et
un Irak chiite qui gouverne un pays ingouvernable !
Toujours est-il qu’affaiblie financièrement et militairement
et consciente de l’effervescence révolutionnaire anticolonialiste dans les pays
arabes «amis», l’équipe de Georges Bush, très agressive et militariste, a cédé
sa place à l’équipe de Barak Obama, d’apparence calme, conciliante et civilisée.
Cette équipe - si elle a fait écraser brutalement ledit «printemps» à
Bahreïn et a fait durer le changement au Yémen - a même soutenu le «printemps
arabe» en Tunisie et en Egypte. Une performance ! Dans l’espoir que
les peuples se satisferont d’un changement de façade, sans remettre en cause les
fondements colonialistes des pouvoirs en place. C’est oublier la dimension
anticolonialiste de la révolution en cours.
«Comment Morsi [président égyptien] prétend-il
faire condamner des Américains alors que les lois des Etats-Unis les
[profanateurs] protègent ? C’est toujours la même chose, toujours la
même police qui nous tire dessus. Rien n’a changé», s’énervait jeudi soir
un manifestant blessé replié place Tahrir.»(4).
Il est malheureux de constater que les intellectuels
occidentaux ignorent la dimension anticolonialiste du mouvement de contestation
dans des pays arabo-musulmans. C’est le cas de Gilles Kepel, professeur à
Sciences Po., qui analyse la situation en Tunisie sous son prisme d’intellectuel
occidental. A la suite de sa visite, il se questionne : «la démocratisation
du monde arabe sera-t-elle avortée, ou menée à terme?»(5). En
rapportant la marginalisation des syndicalistes et militants de gauche, donc
forcément laïcs, il décrit Ennahda [le parti à connotation islamique au
pouvoir] comme la nouvelle incarnation d’un Etat lointain et inefficace. Pour
Gilles Kepel «la force la plus dynamique, qui mobilise la jeunesse désœuvrée,
lui fournit les slogans promettant de «changer la vie» en instaurant la
charia et en chassant «les impies et les apostats» du pouvoir, est le
mouvement salafiste Ansar Al-Charia.» En effet, la charia*et la défense de
l’islam sont- comme aucune autre idéologie-les seules à mobiliser en profondeur
les masses pauvres et humiliées.
La «charia*anticolonialiste» s’élève contre l’«ingérence
humanitaire» et les «droits de l’homme» colonialistes. Nous vivons
des moments historiques. Ils devraient logiquement s’achever par la victoire de
la «charia anticolonialiste»- dernière cartouche de la «bourgeoisie
nationale»- qui devrait apporter la souveraineté politique au «Grand
Moyen-Orient» souffrant depuis plus de deux siècles d’un colonialisme qui a
trop duré.
Sinon, ce serait la longue nuit d’hiver de la domination colonialiste
qui durerait encore, peut-être, une éternité, avec sa cohorte de pillage, d’humiliation,
de violence et de crimes.
(1) Alain Frachon- Le Monde du 15 juin 2012.
(2) François-Xavier Trégan- Le Monde du 16-17 septembre 2012.
(3) Frédéric Bobin- Le Monde du 13 mars 2012.
(4) Claire Talon- Le Monde du 15 septembre 2012.
(5) Gilles Kepel- Le Monde du 19 septembre 2012.* Pour nous, la charia est un ensemble de lois médiévales et réactionnaires.