19.12.12

Analyse 16 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 19 décembre 2012


                  
Le «droit international» ou La loi américaine ?

L’Occident et ses représentants emblématiques que sont les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne, l’Allemagne se cachent constamment sous la burqa du «droit international» pour punir les pays qu’ils qualifient souvent de «terroristes», «axes du mal», «voyous» ou admonester des sanctions sévères aux récalcitrants que sont, en particulier, l’Iran et la Corée du Nord qui ne respecteraient pas ledit «droit international».

Se voulant «leader mondial du camp de la démocratie et de la liberté»(1), affublés, de surcroit d’un «We are good»(1), les Etats-Unis se servent, dans la pratique, de leur puissance de feu et des Nations Unies pour imposer leur loi à la place du droit international. Les exemples ne manquent pas. Mercredi 12 décembre 2012, la Corée du Nord a procédé au tir d’une fusée qui a placé un satellite en orbite. A lire la presse, «la condamnation est unanime (….) Les Etats-Unis pourraient demander un renforcement des sanctions au niveau de celles frappant l’Iran. Parmi les options envisagées : des restrictions sur les transactions financières de Pyongyang, l’ajout de nouvelles entités ou individus nord-coréens sur la liste noire de l’ONU, l’interdiction de voyager et le gel des avoirs financiers à l’étranger de responsables du gouvernement, le renfort des inspections des cargaisons aériennes, maritimes et terrestres à destination ou en provenance de Corée du Nord.»(2) Des sanctions qui ont pour objectif d’étouffer l’économie de la Corée du Nord dont le tir d’une fusée enfreindrait les résolutions 1718 et 1874 de l’ONU.

Parallèlement, Israël, allié stratégique des Etats-Unis et de l’Occident, se comporte comme un Etat voyou et foule aux pieds-depuis sa création- toutes les résolutions des Nations Unies et ce dans une indifférence généralisée des chancelleries occidentales. La résolution 181, prévoyant explicitement l’établissement d’un Etat palestinien sur 46% de la Palestine historique n’est toujours pas appliquée par Israël. La résolution 465, adoptée en 1980, demande à Israël de «démanteler les colonies existantes» dans les territoires occupés en 1967, tout en précisant que toutes les mesures prises par Israël pour «changer le caractère physique, la composition, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et autres territoires arabes depuis 1967, Jérusalem Y compris, n’ont pas de base légale» et constituent des violations flagrantes du droit international. Tout le monde sait ce qui est advenu de ladite résolution : avec l’approbation des Etats-Unis, Israël développe encre davantage ses colonies dans les territoires occupés.

Après l’acceptation de la Palestine aux Nations Unies comme Etat observateur, l’Etat d’Israël a lancé la construction de 3000 nouveaux logements en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est. «De nouveaux logements devraient être construits dans la zone hautement sensible dite «E-1». Ce territoire, qui couvre quelque 12 kilomètres carrés, est compris entre Jérusalem-Est et le bloc de colonies de Maalé Adoumim(3)

Comme nous l’avons souvent écrit, Israël est avant tout un Etat satellite au service des visées hégémoniques américaines au Proche et Moyen-Orient. Le développement des colonies en Cisjordanie ne peut se faire sans l’assentiment des Etats-Unis. Pour la forme et pour calmer la colère de la «rue arabo-musulmane», les occidentaux font semblant de condamner la construction de nouveaux logement dans les colonies sans qu’aucune action contraignante ne vienne perturber la colonisation de la Palestine par Israël. Les soi-disant pourparlers de paix et autres «initiatives de paix occidentales» ne servent qu’à amuser la gallérie. Le véto américain aux Nations unies a toujours protégé Israël de l’application contraignante des résolutions des Nations unies et du droit international. En effet «Washington a toujours refusé que l’ONU se mêle de la reprise du processus de paix.»(4)

Pour Elie Barnavi, ex-ambassadeur d’Israël en France «cette idée que la solution viendra des deux adversaires est une faribole.» Car «la paix viendra de Washington. D’abord de Washington(5) La messe est dite et, comme en Irak, les mensonges américains sont mis à nu, une fois de plus, sur la place publique.


(1)  Sylvain Cypel- Le Monde du 29 mai 2012.
(2)  Alexandra Geneste- Le Monde du 14 décembre 2012.
(3)  Laurent Zecchini- Le Monde des 2-3 décembre 2012.
(4)  Laurent Zecchini- Le Monde du 05 décembre 2012.
(5)  Alain Frachon- Le Monde du 30 novembre 2012.

19.11.12

Analyse 15 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 19 novembre 2012

                

Moyen-Orient et Israël à la croisée des chemins


Mercredi 14 novembre 2012, Ahmed Jabari, le chef militaire du Hamas, a été assassiné à Gaza  par un missile  israélien, provoquant une nouvelle flambée de violence dans cette partie du Moyen-Orient.

Chronologiquement, la provocation de l’armée israélienne pour déclencher les hostilités ne fait aucun doute. En effet, «le 8 novembre, ce sont les forces israéliennes qui avaient provoqué les groupes armés palestiniens en pénétrant dans la bande de Gaza. L’incursion, qui venait rompre une période de calme de deux semaines, s’était soldée par la mort d’un enfant de 12 ans, tué en plein match de football.»(1)

Pour les analystes politiques, les prochaines élections israéliennes y sont pour quelque chose. Si nous acceptons que les raids aériens meurtriers de l’aviation israélienne à Gaza servent avant tout les intérêts électoraux du clan d’extrême droite au pouvoir, le quasi silence des autres fractions de l’Etat, face à l’utilisation clanique de l’aviation, provoque l’interpellation du commun des mortels.

La lecture des évènements actuels à l’aune de l’histoire de l’Etat d’Israël et de l’agitation qui règne au Proche et au Moyen-Orient, permet de constater que :

Premièrement, depuis sa fondation, l’Etat d’Israël- quelle que soit la fraction qui le dirige- ne peut exister qu’en maintenant un climat de tension, de crise et de guerre permanentes. Faut-il souligner que le ministre de la défense est un travailliste, au service de l’aile la plus droitière et réactionnaire de la bourgeoisie israélienne.
Deuxièmement, la radicalisation de l’Etat d’Israël ne date pas d’aujourd’hui. Face à l’incurie des Etats soi-disant laïcs des pays arabes- ancrés à l’Occident- les masses éprises de paix et de justice sont en train de reprendre leur destin en main. Elles se mobilisent dans des organisations radicales de masse du type «Hezbollah» au Liban ou «Hamas» à Gaza, s’équipent d’armes diverses et variées dont des missiles, afin de résister à l’agression permanente des Américano-israéliens qui mettent la région en coupe réglée. La vague de contestation à l’hégémonie de l’Occident a même gagné les régimes «amis» de l’Occident, balayés par le «printemps arabe».

Les Etats-Unis ont senti la montée de la température du volcan de contestation et ont adopté un profil bas. Ils ont accompagné le «printemps arabe» et ont réussi à conserver la Tunisie, l’Egypte et le Yémen dans leur giron. Mais, les évènements du 11 septembre, qui ont provoqué l’assassinat de l’ambassadeur américain en Libye, ont montré que la contestation antiaméricaine ne cesse de gagner en ampleur.

Contrairement aux Etats-Unis, l’Etat d’Israël, au cœur du Moyen-Orient, persévère dans sa tactique agressive. Pendant un certain temps, le glaive de l’Etat d’ Israël visait l’Iran. Le niet des Etats-Unis a calmé les ardeurs du clan au pouvoir qui se contente maintenant d’écraser les organisations révolutionnaires autonomes et armée de missiles qui échappent au contrôle de l’Occident.

L’agressivité et l’intransigeance des Américano-israéliens au Moyen-Orient ont conduit à la radicalisation des mouvements anticolonialistes au Moyen-Orient.

L’Occident est conscient que le «printemps arabe» n’a pas dit son dernier mot et les mouvements anticolonialistes qualifiés de «salafistes» ont le vent en poupe. La lecture de la lettre d’un étudiant tunisien est plus que révélateur du climat pesant au Nord de l’Afrique : «la situation économique et sociale empire et les gens attendent un changement qui n’a toujours pas eu lieu (…) ce sont les même personnes qui déclament les mêmes discours avec les même mots. Comment peut-on faire du neuf avec du vieux(2)

Actuellement, les villes israéliennes sont à la portée des missiles du Hezbollah et du Hamas. La crainte de l’Etat d’Israël c’est la victoire des mouvements anticolonialistes au Nord de l’Afrique, en Jordanie, voire en Arabie saoudite, dans des pays autrement plus puissants qui pourraient s’équiper de missiles de longue portée. Que pourrait faire l’Etat d’Israël et son système antimissile, encerclé et menacé par des milliers de missiles arrivant des quatre coins du Moyen-Orient ?

En attendant, l’Etat d’Israël laisse le pouvoir à l’extrême droite civile et religieuse et l’armée israélienne montre les dents, écrase la bande de Gaza sous les bombes et tente d’intimider les anticolonialistes du «printemps arabe».

Sans se laisser impressionner, les mouvements de libération nationale des pays arabo-musulmans se radicalisent davantage. Mais demain l’Etat d’Israël et ses protecteurs occidentaux seront amenés à choisir entre la destruction des villes, les centres vitaux d’Israël et le vivre ensemble dans une région dépourvue d’apartheid et de colonialisme. Seront-ils assez intelligents ? La question mérite d’être posée, car la réalité actuelle ne va pas dans ce sens.


(1)   Benjamin Barthe- Le Monde du 18-19 novembre 2012.
(2)   Eymen Gamha- Etudiant en management à l’IHEC Carthage, Tunis- Le Monde du 14 novembre 2012.

14.11.12

Analyse 14 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 14 novembre 2012

                 
                                              
Le néoconservatisme de l’intelligentsia française
                         
Dans sa chronique du vendredi 19 octobre 2012, Alain Frachon parle du dernier livre (1) de Francis Fukuyama, fils du doyen de la faculté de théologie de l’université de Chicago, né dans le conservatisme éclairé, ayant servi dans l’une des administrations du républicain Ronald Reagan (1980-1988) «Le grand essayiste Francis Fukuyama s’interroge : comment aller de Mogadiscio à Copenhague?» écrit Alain Frachon.

F. Fukuyama définit, en quelque sorte, les conditions nécessaires à la réalisation de la démocratie dans un pays. Ainsi, la démocratie au Danemark, en Afghanistan ou le «printemps arabe» et la tragédie syrienne sont observées et analysées à travers le prisme de l’intellectuel occidental et en dehors de toutes contraintes historiques et géopolitiques. «L’Afghanistan a organisé des élections démocratiques depuis 2003, mais ne dispose que d’un gouvernement faible, incapable de faire respecter ses lois», écrit F. Fukuyama.

Ce qu’oublient F. Fukuyama- et A. Frachon ?-, c’est que la «démocratie afghane» est une démocratie colonialiste- apportée par la baïonnette des américano-britanniques -, aucunement comparable à la démocratie danoise, «l’une des réussites les plus achevées des social-démocraties scandinaves.» Faut-il rappeler que le Danemark, allié des Etats-Unis, a participé à la recolonisation de l’Afghanistan qui, depuis la fondation du royaume en 1747, souffre d’ingérences étrangères répétées, en particulier occidentales.

Depuis le dix-huitième siècle, la décolonisation de l’Asie centrale, du Proche et du Moyen-Orient est à l’ordre du jour. Un moment tournée vers le communisme, la libération nationale des pays arabo-musulmans se conçoit actuellement avec l’islam et la charia, dépourvus de toute contamination culturelle et idéologique occidentale.

«Le printemps arabe» est fêté en Occident comme un modèle réussi de passage d’un régime autocratique à un régime démocratique. Or, ledit printemps n’a pas encore résolu le problème essentiel, voire existentiel, des nations arabo-musulmanes : comment se débarrasser de l’influence américaine et accéder à l’indépendance nationale ? Un exemple : le régime installé en Egypte après le renversement de l’autocrate Moubarak- pion des Etats-Unis – continue à vivre dans le giron des Américano-israéliens, comme si de rien n’était.

La réponse vient de la rue égyptienne : «des milliers d’islamistes, dont des salafistes et des membres du Gaama Islamiya, ont manifesté, vendredi 9 novembre [2012] au Caire, pour réclamer l’instauration en Egypte de la Charia (loi coranique)(2)

Le même phénomène s’observe en «Tunisie démocratique» où le chef salafiste du groupe Ansar Al-Charia, Abou Ayad fustige le gouvernement «transitoire et injuste qui s’est lancé dans les bras de l’Occident mécréant- surtout les Etats-Unis et la France-, afin d’empêcher la charia»(3).

En Tunisie, quelle est la force des opposants à la charia? Selon Rached Ghannouchi, «président du parti islamiste tunisien au pouvoir» : «Ceux qui refusent la charia peuvent représenter une minorité mais cette minorité a une forte influence, dans les médias, l’économie, l’administration, donc il ne faut pas les négliger(4)

Les opposants à la charia sont sûrement constitués majoritairement d’intellectuels avertis, qualifiés d’«occidentalisés», qui ne peuvent s’épanouir que dans une société évoluée, libre et démocratique. Le sort réservé aux intellectuels iraniens «occidentalisés» juste après la révolution de 1979 (ils ont été poussés à l’exode) attend peut-être les intellectuels égyptiens, tunisiens et autres ? La question mérite d’être posée.

Tout porte à croire qu’entre la charia moyenâgeuse- mais anticolonialiste- et la «démocratie colonialiste», l’intelligentsia française et occidentale a tranché : ce sera la «démocratie néoconservatrice» chère aux néoconservateurs à la Georges Bush et F. Fukuyama.

En France, sans évoquer quelques directeurs d’instituts géopolitiques et de journalistes, ce sont surtout Bernard Kouchner, Bernard- Henry Lévy et André Glucksmann, qui représentent la tendance néoconservatrice, parfaitement alignée sur les positions du ministère des affaires étrangères et de l’OTAN.

Actifs pendant le «printemps libyen»-où ils ont encouragé et justifié l’intervention occidentale- les néoconservateurs français encouragent maintenant «l’ingérence humanitaire» des armées occidentales en Syrie et au Nord Mali.

Selon la diatribe violente de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères : «Le régime syrien doit être abattu. (…) M.Bachar Al-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre. »(5) Laurent Fabius, qui a condamné le président syrien à la mort, serait-il un adepte clandestin des «aspects positifs» du colonialisme, «sauveur de l’humanité» comme au dix-huitième siècle ?

C’est une déclaration de nature colonialiste. En effet, c’est Laurent Fabius, et non pas le peuple syrien, qui décide de l’avenir de Bachar Al-Assad et de la Syrie. La France qui a hâte de « libérer» la Syrie, investit financièrement dans le conflit en cours et fait parvenir depuis le mois d’août «quelques centaines de milliers d’euros, sous forme d’enveloppe d’argent liquide» aux insurgés. (6)

Les «intellectuels», caution de Laurent Fabius, suivent. «Assez de dérobades, il faut intervenir en Syrie !» harangue le Collectif formé, entre autres, par Bernard Kouchner, Bernard- Henry Lévy et André Glucksmann. (7) Sans qu’aucune analyse n’étaye leur diagnostic, le Collectif, toujours injurieux et violent, mélange les genres et prétend que : «Le gang barbare des Assad et les extrémistes islamistes sont les ennemis de la paix au Moyen-Orient.» Il s’agit, bien entendu, de la «paix américaine» et son cortège de crime de masse en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et en Palestine.

Pauvres Syrien soumis à d’horribles traitements divers, qu’on oblige à se mettre sous la protection d’une partie de ses agresseurs !

La même rhétorique violente et injurieuse s’observe par rapport au Mali. L’éditorial du quotidien Le Monde du 23 octobre 2012 est, à cet égard, édifiant. Il contient beaucoup d’injures et aucune analyse. Voici quelques extraits : «Libérer le nord du Mali, aujourd’hui aux mains de bandes islamistes (…) deux groupes d’islamo-gangsters qui tyrannisent le nord du Mali (…) ces bandes armées (…) un réseau de crime organisé (…) la terreur aveugle (…) imposer leur tyrannie à la population (…) se comportent en barbares (…) ils violent, amputent, torturent et tuent au nom de l’islam (…) les islamo-gangsters» etc., etc. On dirait que c’est Bernard-Henry Lévy, membre du conseil de surveillance du quotidien, qui a rédigé l’éditorial.

Il faudra donc intervenir de toute urgence pour sauver les «pauvres africains»! C’est ce qu’on appelle les «aspects positifs» du colonialisme !!!!

Boubou Cissé, économiste à la Banque mondiale, Joseph Brunet- Jailly, économiste  et Gilles Holder, anthropologue au CNRS ne sont pas de cet avis. Se moquant des qualificatifs tels que les «narcotrafiquants, les terroristes» employés fréquemment par les médias occidentaux, ils estiment qu’il faudrait tenir compte de la détermination des «bandits armés» : qu’ils soient bien payés ou pas, qu’ils soient endoctrinés ou pas, ils sont animés par une envie de domination territoriale et d’élimination de toute influence occidentale, prêts à mourir pour la cause qu’ils servent. (8)

Il s’agit bel et bien de «bandits» anticolonialistes et «il se pourrait aussi que le soutien populaire aux islamistes soit plus profond qu’on ne l’imagine (…) l’application de la charia est ressentie comme la réintroduction d’une forme de justice que l’Etat n’assurait plus (…) l’Etat s’est montré si obstinément prédateur (…) dirigeants politique, tous partis confondus, depuis quarante ans, se sont réparti les prébendes au lieu de faire face aux besoins de leurs concitoyens». (8)

Conclusion : «tout cela ne fait que rendre plus probable une intervention vouée à l’échec». (8)

Ça sera également l’échec du néoconservatisme ou du colonialisme à visage humain, messieurs les néoconservateurs.


(1)   Le début de l’histoire. Des origines de la politique à nos jours (Saint-Simon, 438 pages).
(2)   Reuter-Le Monde du 11-12 novembre 2012.
(3)   Isabelle Mandraud-  Le Monde du  25 octobre 2012.
(4)   Isabelle Mandraud- Le Monde du 19 octobre 2012.
(5)   Le Monde du 19-20 août 2012.
(6)   Benjamin Barthe- Le Monde des 11-12 novembre 2012.
(7)   Collectif- Le Monde du 23 octobre 2012.
(8)   Le Monde du 26 octobre 2012.

13.10.12

Analyse 13 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 13 octobre 2012
                 

Quel «Grand Moyen-Orient» 
pour demain ?


Après la facile reconquête de l’Irak en mars 2003, le rêve de reconquête de la Libye, de la Syrie et de l’Iran fut formulé en 2004 par Georges Bush, l’ancien président des Etats-Unis : créer le «Grand Moyen-Orient». Voici le grand titre du quotidien Le Monde, daté du 27 février 2004 : «L’administration américaine a proposé à ses alliés [européens] un vaste plan de remodelage d’un ensemble régional allant du Maghreb au Pakistan.»

Lors de la réunion des ministres européens des affaires étrangères, lundi 23 février 2004, Javier Solana, haut représentant de l’Union, a mis des choses au point : «L’impulsion doit venir de la région. L’Union européenne doit définir une approche distincte qui complète celle des Etats-Unis, et travailler à travers ses propres institutions et instruments(1) Autrement dit, pour ne pas donner l’impression d’un retour au colonialisme d’antan, l’Union européenne devrait s’appuyer sur la synergie née de la contestation interne plutôt que sur l’invasion militaire et brutale d’un pays.

La démarche prônée par Javier Solana fut appliquée avec succès en Libye où «l’impulsion» conduisant à la reconquête de la Libye est venue de l’intérieur, par les insurgés qui, pour combattre le régime dictatorial de Kadhafi, firent appel aux forces étrangères «libératrices» !

La même politique, basée sur «l’impulsion» interne, est actuellement appliquée en Syrie où les insurgés s’appuient sur des forces étrangères (turque, saoudienne, qatarie, services secrets américain, français, allemand,…) pour abattre le régime dictatorial syrien et balayer ainsi le terrain pour le retour de l’Occident. Il va sans dire qu’après la Syrie, ce sera le tour du Liban, puis de l’Iran, soutien moral d’un nouveau type d’insurgés qui commencent sérieusement à inquiéter les chancelleries occidentales.
La presse occidentale appelle ces insurgés «wahhabites», «talibans», «jihadistes», «salafistes», «frères musulmans», etc.

Sur le plan idéologique, lesdits courants de l’islam intégriste sont pour l’application stricte d’un islam rigoriste, qui évalue la gestion des sociétés modernes à l’aune de la charia moyenâgeuse et réactionnaire : lapider celle suspectée d’adultère; couper la main des voleurs; qualifier la femme d’immature, ne valant que la moitié de l’homme; conférer des pouvoirs exorbitants sur les plans politique, juridique et économique à la théocratie, ces pouvoirs étant les représentants du Dieu tout puissant; etc.
Une telle idéologie répugnante est malheureusement bien comprise d’une grande partie des masses arabo-musulmanes. La défense du prophète et la charia constituent des leviers puissants, en mesure de mobiliser la masse des croyants.
Pour un profane, la confusion est totale. Quelle différence réelle y a-t-il entre ces différents courants de l’islam intégriste? Une chose est sûre : l’Occident ne traite pas tous les intégristes de la même manière. En effet, le «wahhabisme», cher aux colonialistes, est un courant intégriste au service des intérêts occidentaux, en particulier américains. Derrière le drapeau vert saoudien, frappé du sceau du premier verset du Coran, les «wahhabites» conduisent une guerre de religion à outrance, contre les «apostats», dans l’optique d’empêcher l’unité anticolonialiste des musulmans de toutes obédiences. Les attentats contre les mosquées chiites au Pakistan ou en Irak sont fréquents.

Avec le «printemps arabe», les «frères musulmans» égyptiens et tunisiens ont basculé dans le camp occidental et se sont transformés en bons gestionnaires des intérêts des multinationales. En Egypte et en Tunisie «le procès et l’épuration des appareils politiques attendent toujours, notamment parce que les nouveaux pouvoirs en ont besoin pour rétablir l’ordre et asseoir leur légitimité. L’ancienne sécurité d’Etat égyptienne-rebaptisée sécurité nationale- reste active dans l’ombre. A tort ou à raison, les activistes de la révolution voient son ombre derrière la multiplication des incidents confessionnels, les éruptions de violence place Tahrir, aussi soudaines qu’inexpliquées, et les drames comme celui du stade Port-Saïd (74 supporteurs tués)(2)
«Incidents confessionnels» telle est l’arme absolue des colonialistes et de leurs affidés qui poursuivent deux objectifs : discréditer les révolutionnaires et empêcher l’unité anticolonialiste.

Contrairement aux «frères» égyptiens, le Hamas-sunnite- palestinien, issu de la même confrérie, reste encore dans le camp anticolonialiste et a tissé de solides liens avec le Hezbollah libanais et l’Iran, pourtant qualifiés d’«apostats» par les sunnites. Cet exemple montre que l’on ne peut donc pas mettre tous les «frères» ou tous les sunnites dans le même sac.

Si les choses sont relativement claires avec les «wahhabites » ou les «frères», elles deviennent plus compliquées avec les «salafistes» qui regroupent une diversité de tendances. Il faut souligner qu’afin de montrer l’extrême obscurantisme, fanatisme et jusqu’auboutisme d’un courant intégriste, on lui colle la marque «salafiste», voire «salafiste jihadiste».

A en croire la presse occidentale, il y a des «salafistes» présents au sein des gouvernements tunisien ou libyen et des «salafistes», dans l’opposition, qui continuent à se battre contre lesdits gouvernements. Il est difficile de faire la part des choses. Un exemple : l’ambassade américaine a été attaquée par des «salafistes» libyens et tunisiens. Alors qu’en Egypte, «une partie des salafistes est bien entrée dans le jeu électoral» (3). On voit bien que le seul critère qui permet de voir clair sur la véritable nature des fondamentalistes qualifiés de «salafistes» est le critère politique. Les «salafistes» sont-ils anticolonialistes ou pro-occidentaux, prêts à servir dans des gouvernements acceptables par les multinationales ?

Pourquoi une telle peur des «salafistes»? Le président tunisien Moncef Marzouki a bien dû le résumer, le 2 octobre : «le centre pour une partie des djihadistes- entre guillemets, le mouvement terroriste- se déplace maintenant d’Afghanistan et du Pakistan vers la région du Maghreb arabe et le grand danger est à nos portes(4)

Nous voilà, enfin, entrés dans le vif du sujet : la dimension anticolonialiste du conflit en cours au Proche et au Moyen-Orient. En effet, les anticolonialistes sont qualifiés de «salafistes», de «djihadistes» ou de «terroristes» car, lorsqu’ils prônent la défense du prophète et de l’islam, ils arrivent à mobiliser la masse des croyants contre l’Occident colonialiste.

Pour Alain Frachon, chroniqueur, l’abcès israélo-palestinien concentre une partie de la rancœur des Arabes à l’endroit des Occidentaux. Il fixe un sentiment d’humiliation (…) qui entretient au Proche-Orient un antiaméricanisme latent, toujours prêt à exploser en bouffées de violence éruptive, comme on vient de le voir en Egypte et en Libye. Enfin, il nourrit une partie du discours djihadiste.»(5)

Il n’y pas que le conflit israélo-palestinien qui concentre la rancœur des Arabes. Le colonialisme est une plaie qui infecte toute la région depuis plusieurs siècles et humilie l’Egyptien, le Tunisien, le Libyen, le Yéménite, etc. Dans une interview avec le New York Times, le président égyptien, Mohamed Morci, «allié majeur» des Américains, estime que «les administrations américaines successives ont pour ainsi dire acheté, avec l’argent du contribuable, la détestation sinon la haine des peuples de la région»(6). Mohamed Morci a exigé des Américains d’appliquer pleinement les accords de Camp David, qui prévoyaient l’auto-administration des territoires palestiniens (7). Ce que refusent toujours les Etats-Unis et leur allié israélien, contribuant ainsi à l’entretien de la haine anti-américaine dans la région.

La partie n’est pas gagnée pour l’Occident, désireux de créer le «Grand Moyen-Orient». Un autre «Grand Moyen-Orient» est en gestation : celui des nations libérées du colonialisme, du Maghreb au Pakistan. Le sort de ce «Grand Moyen-Orient» se joue actuellement en Syrie. L’étau se resserre autour de l’Iran, soutien stratégique de la Syrie et parrain moral de la lutte anticolonialiste du monde arabo-musulman.

Afin de mobiliser les masses sunnites contre les chiites et alaouites «apostats», l’Arabie saoudite se mobilise pour faire glisser la lutte anticolonialiste sur le terrain de la «guerre de religion». Ainsi, «en Syrie, les djihadistes montent en puissance» titrait Le Monde du 11 octobre 2012. La nouvelle organisation djihadiste anti-Assad qui commet des attentats aveugles, semant la désolation sur son chemin, se nomme «Jabhat Al-Nosra» (le Front de secours). Ladite organisation djihadiste appelle les musulmans à se révolter contre «l’ennemi alaouite»(8). Ça sent encore la «guerre de religion». L’Arabie saoudite est-elle derrière ce courant ? Certains voient dans cette organisation une manipulation du régime Assad. A suivre.

Par leurs analyses superficielles et biaisées, certains intellectuels français renforcent la propagande saoudienne. Pour Alain Frachon, chroniqueur «cette guerre de religion au cœur de l’islam structure les camps dans la tragédie syrienne»(5).

Actuellement, les Etats-Unis contrôlent les portes d’accès à la Méditerranée : les détroits de Bâb Al Mândab, de Gibraltar, du Bosphore, des Dardanelles et le canal de Suez. Il manque à leur tableau de chasse le contrôle des côtes syriennes et libanaises et du détroit d’Ormuz, dans le Golfe Persique.

Une victoire occidentale en Syrie permettrait aux Etats-Unis de contrôler totalement les détroits, voies de navigation et sources d’énergie (pétrole et gaz) au «Grand Moyen-Orient». Après la chute de l’Iran, toute la zone depuis l’Afghanistan jusqu’à la Méditerranée tomberait sous le contrôle occidental et l’encerclement des deux géants asiatiques (Russie et Chine) serait achevé. Le monde redeviendrait unipolaire, sous la coupe des Etats-Unis.

La guerre en Syrie revêt ainsi une importance stratégique pour l’humanité. Les puissances occidentales et orientales se battront jusqu’à la dernière cartouche. L’avenir du «Grand Moyen-Orient» se construit actuellement sur les ruines de la Syrie.


(1)  Le Monde du 27 février 2004.
(2)  Christophe Ayad- Le Monde du 7-8 octobre 2012.
(3)  Olivier Roy- Le Monde du 21 septembre 202.
(4)  Isabelle Mandraud- Le Monde du 7-8 octobre 2012.
(5)  Alain Frachon- Le Monde du 05 octobre 2012.
(6)  Envoyée spéciale- Le Monde du 25 septembre 2012.
(7)  Christophe Ayad- Le Monde du 25 septembre.
      (8) Benjamin Barthe- Le Monde du 11 octobre 2012.

22.9.12

Analyse 12 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 22 septembre 2012

                 
La dernière cartouche
 
Depuis l’effondrement du mur de Berlin, tout, ou presque, a réussi aux Etats-Unis : démantèlement du «camp socialiste», de l’Union soviétique et des puissances potentielles (la Yougoslavie et l’Irak) ; exacerbation des tensions ethniques (Croates, Kosovars et Bosniaques contre la Serbie) et religieuses (sunnites contre chiites et alaouites et vice-versa).

On ne compte plus les destructions massives des infrastructures dans les pays bombardés par les forces américaines et alliées ou le nombre de morts causés par des milliers de tonnes de bombes déversées sur les populations sans défense des pays visés par l’«ingérence humanitaire» des colonialistes occidentaux. Parallèlement, une main courante relève minutieusement le nombre de «charniers» ethniques découverts par-ci, par-là, ainsi que le nombre de chiites massacrés par les sunnites, et vice-versa. On ne voit pas le visage des mères et des pères de familles dont les maisons ont été bombardées par des avions de chasse, des hélicoptères ou autres drones téléguidés depuis la Maison Blanche. Mais, on s’émeut devant les larmes qui coulent lentement des yeux cachés par des lunettes noires des mères, épouses ou sœurs des soldats «morts pour l’Empire», soutien militaire des compagnies de pétrole ou d’armement.

Les habitants hostiles à la présence des Occidentaux sont systématiquement qualifiés de «membres d’Al-Qaïda», de «terroristes» ou de «salafistes», donc de «barbares» et condamnés à mort sans jugement par l’Occident «civilisé». «Chaque mardi, Barak Obama préside à la Maison Blanche une réunion où est arrêtée la liste des membres d’Al-Qaïda à «éliminer» »(1). Sans passer par une instance internationale, le président américain, prix Nobel de la Paix, dispose donc d’un permis de tuer. Les mardis de la terreur de Barak Obama «font des dizaines de victimes civiles-femmes, enfants- etc(1)

Les frappes de drones «nourrissent un antiaméricanisme exacerbé dans les pays les plus touchés, là où Obama, précisément, voulait changer l’image de l’Amérique. Elles ont radicalisé et gagné à la cause du djihad des régions et des tribus entières(1)

Un bilan. «Le 17 décembre 2009, 46 habitants du hameau d’Al Maajala [Yémen] étaient tués par un missile américain. La haine contre les Etats-Unis s’enracine(2). Lorsque ce ne sont pas les drones, ce sont les soldats gorgés de haine qui assassinent : «un soldat américain tue 16 civils afghans. Neuf enfants figurent parmi les victimes»(3). Selon un humanitaire occidental «les gens me rapportent qu’ils sont désormais prêts à rejoindre les talibans»(3).

Normal. «De l’Inde au Maghreb, la haine de l’Amérique» titrait Le Monde des 16-17 septembre 2012. Les peuples occidentaux, ceux-là même qui ont soutenu le «printemps arabe» qui a chassé les dictateurs, ne comprennent pas cette haine anti-occidentale enracinée dans les pays arabo-musulmans. Ils ne comprennent pas que cette haine-là a des racines historiques.

Pendant deux siècles, les Britanniques ont pillé le sous-sol et la main d’œuvre, humilié les peuples, leur histoire et leur culture, ont réprimé sauvagement toute velléité de résistance des peules d’Orient, depuis l’Inde jusqu’au Maghreb et l’Afrique noire, en laissant des traces très négatives, presque indélébiles, dans la mémoire collective. Leurs navires de guerre semaient la terreur dans les mers et les océans, confisquaient toute cargaison échappant aux intérêts impériaux. Un petit exemple : le pétrole nationalisé iranien, qualifié de «pétrole rouge», ne pouvait pas quitter le Golfe Persique.

Après la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis ont supplanté les Britanniques et, du coup, la haine anticolonialiste ancestrale s’est reportée sur les Américains. A travers les Etats-Unis, c’est encore et toujours, la domination séculaire anglo-saxonne qui se perpétue.

Au nom du «socialisme arabe», du nassérisme et autres idéologies laïques et baasistes, des coups d’état ont reversé des régimes pro-occidentaux en Egypte, en Irak, en Syrie, au Yémen et en Libye. Sans résultats tangibles pour les masses pauvres et humiliées. La disparition du «camp socialiste» puis de l’Union soviétique et le rapprochement russo-occidental ont fini par achever l’attrait des idéologies laïques anticolonialistes pour les peuples arabo-musulmans.

Depuis 1979, date de la victoire de la révolution islamique en Iran, une nouvelle forme de résistance anticolonialiste a fait surface : résister aux puissances colonialistes au nom de l’islam et de son prophète.
A sa naissance, l’exemple iranien paraissait fragile et, aux yeux des intellectuels laïcs, en particulier iraniens, la «révolution islamique» était «historiquement» une aventure sans lendemain. Tout porte à croire que les puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis, partageaient la même analyse.

Profitant du vide, suite à l’effondrement du «camp socialiste», les Etats-Unis se sont lancés à la conquête de l’Irak et de l’Afghanistan, tout en méprisant et menaçant la république islamique d’Iran, sortie très affaiblie de huit années d’une guerre sanglante avec l’Irak.

Mais, les graines de la «résistance islamique» au colonialisme et à ses laquais régionaux n’ont pas tardé à se répandre. L’attaque de la Mecque, perpétrée par le messianiste Jouharyman Al-Otaibi, en est un exemple.

Aux yeux des peuples arabo-musulmans, l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak et l’encerclement de plus en plus hermétique de la république islamique, sont la suite logique de l’aventure colonialiste britannique qui dure depuis plus de deux siècles. Les crimes commis par les forces occidentales en Irak et en Afghanistan, ainsi que la destruction systématique et la décomposition des pays envahis, ont fini par renforcer la haine anticolonialiste et anti-américaine. A la place d’un Irak, il y en a actuellement trois : un Irak kurde centrifuge, un Irak sunnite rebelle et un Irak chiite qui gouverne un pays ingouvernable !

Toujours est-il qu’affaiblie financièrement et militairement et consciente de l’effervescence révolutionnaire anticolonialiste dans les pays arabes «amis», l’équipe de Georges Bush, très agressive et militariste, a cédé sa place à l’équipe de Barak Obama, d’apparence calme, conciliante et civilisée. Cette équipe - si elle a fait écraser brutalement ledit «printemps» à Bahreïn et a fait durer le changement au Yémen - a même soutenu le «printemps arabe» en Tunisie et en Egypte. Une performance ! Dans l’espoir que les peuples se satisferont d’un changement de façade, sans remettre en cause les fondements colonialistes des pouvoirs en place. C’est oublier la dimension anticolonialiste de la révolution en cours.

«Comment Morsi [président égyptien] prétend-il faire condamner des Américains alors que les lois des Etats-Unis les [profanateurs] protègent ? C’est toujours la même chose, toujours la même police qui nous tire dessus. Rien n’a changé», s’énervait jeudi soir un manifestant blessé replié place Tahrir.»(4).

Il est malheureux de constater que les intellectuels occidentaux ignorent la dimension anticolonialiste du mouvement de contestation dans des pays arabo-musulmans. C’est le cas de Gilles Kepel, professeur à Sciences Po., qui analyse la situation en Tunisie sous son prisme d’intellectuel occidental. A la suite de sa visite, il se questionne : «la démocratisation du monde arabe sera-t-elle avortée, ou menée à terme?»(5). En rapportant la marginalisation des syndicalistes et militants de gauche, donc forcément laïcs, il décrit Ennahda [le parti à connotation islamique au pouvoir] comme la nouvelle incarnation d’un Etat lointain et inefficace. Pour Gilles Kepel «la force la plus dynamique, qui mobilise la jeunesse désœuvrée, lui fournit les slogans promettant de «changer la vie» en instaurant la charia et en chassant «les impies et les apostats» du pouvoir, est le mouvement salafiste Ansar Al-Charia.» En effet, la charia*et la défense de l’islam sont- comme aucune autre idéologie-les seules à mobiliser en profondeur les masses pauvres et humiliées.

La «charia*anticolonialiste» s’élève contre l’«ingérence humanitaire» et les «droits de l’homme» colonialistes. Nous vivons des moments historiques. Ils devraient logiquement s’achever par la victoire de la «charia anticolonialiste»- dernière cartouche de la «bourgeoisie nationale»- qui devrait apporter la souveraineté politique au «Grand Moyen-Orient» souffrant depuis plus de deux siècles d’un colonialisme qui a trop duré.

Sinon, ce serait la longue nuit d’hiver de la domination colonialiste qui durerait encore, peut-être, une éternité, avec sa cohorte de pillage, d’humiliation, de violence et de crimes.


(1)  Alain Frachon- Le Monde du 15 juin 2012.
(2)  François-Xavier Trégan- Le Monde du 16-17 septembre 2012.
(3)  Frédéric Bobin- Le Monde du 13 mars 2012.
(4)  Claire Talon- Le Monde du 15 septembre 2012.
      (5) Gilles Kepel- Le Monde du 19 septembre 2012.

       * Pour nous, la charia est un ensemble de lois médiévales et réactionnaires.

15.9.12

Analyse 11 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 15 septembre 2012

                
Le 11 septembre des peuples arabo-musulmans

La projection du court métrage «L’innocence des musulmans», un film islamophobe, a mis le feu aux poudres dans les pays arabo-musulmans, en Afrique du Nord, au Proche et Moyen-Orient et en Asie. L’ambassadeur des Etats-Unis en Libye et trois autres américains sont morts lors de l’attaque, mardi soir du 11 septembre, du consulat américain à Benghazi, en Libye. Les Ambassades des Etats-Unis au Yémen et en Tunisie ont été prises d’assaut. Les manifestants se sont attaqués aux ambassades britannique et allemande à Khartoum, capitale du Soudan, mettant le feu au drapeau allemand.

Les critiques fusent pour condamner l’effervescence qui règne actuellement dans le monde arabo-musulman. Mais, il serait naïf de limiter cette agitation à l’aspect religieux et à la montée des «salafistes»-donc violents et intolérants- en Afrique du Nord.

En effet, c’est depuis plus de deux siècles que les peuples arabo-musulmans souffrent le martyre et subissent des régimes dictatoriaux et corrompus à la solde de puissances occidentales qui n’ont qu’une idée en tête : pérenniser leur domination, empêchant les peuples d’accéder à la souveraineté politique. L’Irak, l’Afghanistan et la Libye ont été recolonisés alors que l’Egypte, la Tunisie et le Yémen sont tenus d’une main de fer par des régimes pro-américains. La Palestine est toujours occupée par Israël qui, avec les Etats-Unis et la France, menace l’Iran de bombardement, seul pays indépendant du Moyen-Orient. A son tour, la Syrie risque de retomber dans l’escarcelle de l’Occident qui arme les rebelles syriens via ses satellites régionaux, l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.

L’affaiblissement des Etats-Unis a offert l’occasion aux peuples d’Afrique du Nord de se débarrasser de potentats locaux comme Ben Ali, mais les régimes tunisien, égyptien et yéménite n’ont toujours pas accédé à la souveraineté politique. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la poussée de fièvre qui monte actuellement en Libye, en Tunisie, en Egypte et au Yémen. L’éditorial du quotidien Le Monde du samedi 15 septembre est révélateur : «vidéo islamophobe, prétexte à ces violences». Oui, un «prétexte» pour manifester sa colère contre les ingérences de l’Occident colonialiste.

L’embrasement actuel des pays arabo-musulmans a commencé le 11 septembre 2012. C’est le début d’une nouvelle ère, celle du virage révolutionnaire pris par le «printemps arabe».

Comme nous l’avons écrit en avril 2012 : «le séisme révolutionnaire qui secoue actuellement le Nord de l’Afrique, le Proche et le Moyen- est le prolongement des révolutions bourgeoises démocratiques, commencée aux dix-huitième siècle en Europe et en Amérique (…) l’Occident colonialiste vit ses derniers jours qui peuvent paraître long à l’échelle d’une vie mais qui paraîtront courts pour l’Histoire» (Analyse 5 (2012)).
D’aucuns soulèvent le radicalisme des assaillants, fustigent, au passage, le caractère arriéré du projet de société des «salafistes». Il n’y a aucun doute sur le caractère moyenâgeux, réactionnaire et misogyne des projets fondamentalistes. Mais l’Histoire n’en a cure. Car le radicalisme est le carburant du moteur de l’Histoire à certains moments décisifs. L’Histoire de la France avait besoin du radicalisme des Jacobins ; celle de la Russie des Bolchevicks ; celle de l’Iran du chiisme radical et celle des pays d’Afrique du Nord des «salafistes». L’idéologie véhiculée par des révolutionnaires radicaux sert à mobiliser les masses et à les faire rêver.

L’agressivité de l’Occident fait face actuellement à la colère des peuples arabo-musulmans qui agit comme un tsunami qui emportera, tôt ou tard, tout l’édifice colonialiste.

Tout porte à croire que l’Occident* est conscient des enjeux. Mais, il n’a d’autre choix que d’expédier des marins sur les champs de batailles et de souffler encore et encore sur les braises de la révolution en cours. L’existence même de l’Etat d’Israël-qui ne respecte aucune loi internationale et qui continue de martyriser le peuple palestinien- sera en jeu. L’Arabie saoudite et la Jordanie n’en sortiront pas indemnes.
L’offensive anticolonialiste actuelle finira par aboutir. C’est la marche de l’Histoire.

*Rappel : «L’Occident», c’est-à-dire l’Amérique et ses soutiens, l’ensemble des pays colonialistes. Ce n’est pas un affrontement de deux civilisations, comme veut nous le faire croire la presse aux ordres, mais du monde colonialiste et des pays colonisés.

11.9.12

Supplément à l'analyse 10 (2012). Etats-Unis - Iran : quel pays représente le plus grand danger pour la paix mondiale ?


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 11 septembre 2012
       
Rappel, pour ceux qui ont la mémoire courte.

Etats-Unis, Iran :

Quel pays représente le plus grand danger pour la paix mondiale ?

Ci-dessous, une liste de pays agressés par la bombe, le sabotage et divers attentats ou pays dont le gouvernement ayant été renversé depuis la seconde guerre mondiale.


Pays agressés par les Etats-Unis :
Chine : 1945-46.
Syrie : 1949.
Corée : 1950-53.
Chine : 1950-53.
Iran: coup d’état de 1953.
Guatemala: 1954.
Tibet: 1955-70.
Indonésie: 1958.
Cuba: 1959.
République démocratique du Congo: 1960-65.
Iraq: 1960-63.
République Dominicaine : 1961.
Vietnam : 1961-73.
Brésil : 1964.
Congo belge : 1964.
Guatemala: 1964.
Laos: 1964-73.
République Dominicaine: 1965-66.
Pérou: 1965.
Grèce: 1967.
Guatemala: 1967-69.
Cambodge : 19669-70.
Chili : 1970-73 (11 septembre).
Argentine : 1976.
Turquie : 1980.
Pologne : 1980-1981.
El Salvador : 1981-92.
Nicaragua : 1981-1990.
Cambodge : 1980-95.
Angola : 1980.
Liban : 1982-84.
Grenade : 1983-84.
Philippine : 1986.
Lybie : 1986.
Iran : 1987-88.
Lybie : 1989.
Panama : 1989-90.
Iraq : 1991.
Koweït : 1991.
Somalie : 1992-94.
Iraq : 1992-96.
Bosnie : 1995.
Iran : 1998
Soudan : 1998.
Afghanistan : 1998.
Yougoslavie -Serbie : 1999.
Invasion de l’Afghanistan : 2001.
Invasion de l’Iraq : 2002-2003.
Somalie : 2006-2007.
Iran : le pays subit actuellement le blocus américain et autres provocations armées à ses frontières.
Lybie : 2012.
Syrie : 2012. Les Etats-Unis et ses alliés régionaux (la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar) arment les insurgés, envoient des combattants jihadistes en Syrie et informent les insurgés des mouvements de troupes.

Rappel : 3700 milliards de dollars, soit le quart de la dette américaine, 225000 morts et 365000 blessés : c’est le coût des conflits dans lesquels les Etats-Unis se sont engagés depuis le 11-Septembre, selon une étude américaine publiée par l’université Brown (Le Monde du 3-4 juillet 2011).

Pays agressés par l’Iran :

22.8.12

Analyse 10 (le 22 août 2012) : Pourquoi Israël agite-t-il le chiffon rouge de la guerre contre l'Iran ?


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 22 août  2012

                 

Pourquoi Israël agite-t-il le chiffon rouge de la guerre contre l’Iran ?


Comme l’économie des pays occidentaux, l’économie israélienne traverse une zone de turbulence. En effet, tout comme dans la France de Nicolas Sarkozy, la politique économique néolibérale dévastatrice- pour les couches les plus défavorisées- de Benyamin Nétanyahou s’accompagne de diatribes racistes et guerrières contre l’Iran et les Palestiniens. Benyamin Nétanyahou a ainsi réussi son plan pour détourner l’attention des Israéliens des problèmes sociaux et faire oublier la cause palestinienne. Beaucoup de gens actuellement montrent du doigt et craignent le chiffon rouge de la guerre agité par Benyamin Nétanyahou ; la dénonciation de la politique colonialiste de l’Etat d’Israël et l’absence de volonté des Etats-Unis passent ainsi au second plan.

Il n’y a pas longtemps les «indignés israéliens» fustigeaient l’injustice sociale en Israël. En effet, «50% des israéliens vivent au-dessous du seuil de pauvreté»(1). Alors que pour Shlomo Swirski, du centre d’analyse de la société et de l’économie israélienne Adva Center, les baisses d’impôts entre 2003 et 2010, au profit des plus favorisés s’élèveraient à 50 milliards de shekels(1). Le déficit budgétaire est deux fois plus important que prévu et devrait atteindre 4% du PIB d’ici à la fin de l’année. Conséquences : le taux de la TVA va ainsi augmenter d’un point à 17%. Cette hausse touchera tous les Israéliens. Les crédits accordés aux différents ministères subiront une baisse générale de 5% en 2012 et de 3% l’an prochain. Même la défense devra composer avec une coupe de 100 millions de shekels dans son budget(1).

Malgré les problèmes économiques et sociaux récurrents-en particulier la coupe dans le budget militaire-qui secouent Israël, Benyamin Nétanyahou et son équipe va-t-en- guerre tenteraient-ils une aventure guerrière contre l’Iran ? L’Histoire est remplie de guerres pour justifier le maintien au pouvoir d’hommes politiques, représentants de couches ou classes dirigeantes défaillantes. Or, la classe politique israélienne est profondément divisée. Elle sait qu’Israël n’est pas un pays acteur, mais un pays satellite, au service des intérêts occidentaux, en particulier américains.

Les Etats-Unis sont en crise, endettés à hauteur de 15000 milliards de dollars, soit 25% du PIB mondial. Les coupes budgétaires n’épargnent pas la défense américaine dont les armées se retirent de l’Afghanistan. Sur la défensive, les Etats-Unis –le plus grand pays néocolonialiste de l’Histoire-se sont accrochés au train des «printemps arabes», tout en sauvant l’essentiel : le maintien de la Tunisie, de l’Egypte et du Yémen dans l’escarcelle de l’Occident. De son côté, l’Arabie saoudite, bastion de la réaction islamique, a étouffé dans l’œuf les velléités démocratique des Bahreinis.

En soutenant les révolte libyenne et syrienne, les Etats-Unis sont passés à l’offensive face à des pays comme la Russie, la Chine et l’Iran qui, en tant que soutiens des mouvements de libération nationale, se trouvent du mauvais côté de la barrière en soutenant le régime tyrannique de Bachar Al-Assad.

Les Etats-Unis sont conscients qu’une aventure militaire contre l’Iran- pays acteur de la région- serait très coûteuse sur le plan financier, militaire et humain. Et ce, sans tenir compte de la réaction des puissances orientales comme la Chine et la Russie qui n’a pas caché son intention d’intervenir militairement au Caucase au cas où…Ce n’est pas un hasard si «M. Poutine a assuré que Moscou s’était préparé bien à l’avance à un éventuel conflit avec la Géorgie, et y avait mis les moyens. «Il y avait un plan, ce n’est pas un secret»»(2).

Tout ceci rappelle l’épisode du «Grand jeu», opposant la Grande Bretagne à l’empire russe au dix-neuvième siècle. En effet, répondant à l’avancée vers le nord de l’armée de l’empire indo-britannique, l’armée russe se déployait vers le sud.

Vu les difficultés économiques et les enjeux géostratégiques, les Etats-Unis se satisfont, pour l’instant, d’une guerre «soft» par miliciens interposés en Syrie, voire en Iran où certaines personnalités ou organisations d’opposition n’hésiteraient pas à faire appel à des puissances étrangères. Les grandes puissances se servent également des minorités ethniques pour saper le régime iranien. Ce n’est pas une idée nouvelle. Et certains intellectuels occidentaux ne voient pas le visage du parrain colonialiste qui se sert de la révolte ethnique (Azérie, Kurde, Baloutche, etc.). Par exemple un membre républicain du Congrès, à Washington, vient d’appeler les Etats-Unis à œuvrer à une «réunification» des Azéris, répartis entre l’Azerbaïdjan et l’Iran(3).

Les cyberattaques sont une autre arme «soft» au service des colonialistes américains. David Sanger le journaliste américain du New York Times, a exposé le rôle des services américains dans le virus informatique Stuxnet qui ralenti le programme nucléaire iranien, et l’usage des drones par l’armée américaine au Yémen (4).

Malgré des intérêts divergents avec son parrain, Israël ne peut pas se permettre d’agir contre les intérêts des américains. Une intervention militaire israélienne en Iran ou à n’importe que point du Moyen-Orient se fera seulement avec le feu vert des Etats-Unis. L’affaiblissement croissant du régime syrien-allié stratégique de l’Iran- avancera-t-il une telle échéance avec les conséquences que l’on peut prévoir ? L’avenir nous le dira.


(1)  Véronique Falez- Le Monde du 02/08/2012.
(2)  Le Monde du 14/08/2012.
(3)  Natalie Nougayrède- Le Monde du  03/08/2012.
(4)  Corine Lesnes- Le Monde du 10-11/06/2012.