Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 23
mai 2013
Quossaire sera-t-il le Diên
Biên Phu de l’insurrection syrienne ?
Les enjeux de la bataille de Quossaire, ville frontalière syro-libanaise, occupée par des milliers d’opposants armés aguerris, sont éminemment stratégiques. La victoire de l’armée syrienne dans cette ville aurait pour première conséquence de sonner le glas de l’insurrection, et par ricochet, celui de ses soutiens occidentaux et régionaux qui ont misé sur elle pour « casser les liens entre l’Iran, le Hezbollah et la Syrie » dixit Mme Clinton, l’ancienne secrétaire d’Etat américaine. (1)
La
conquête de cette ville stratégique sera-t-elle le Diên Biên Phu des
« insurgés » ? Suivie par d’autres conquêtes qui, in fine,
propulserait l’Iran vers l’avant de la scène politique du Moyen-Orient, le
consacrant dans son rôle de « puissance régionale » ?
En
cas de victoire de l’insurrection, par contre, la bataille de Syrie favorable à
l’opposition, mettrait le pouvoir syrien et ses soutiens en difficulté et
permettrait aux Etats-Unis d’agir en position de force à l’encontre des Russes.
Opposée
à l’occupation de l’Irak en 2003, l’Union européenne s’est ralliée aux
Etats-Unis en Syrie -l’avant dernier maillon de la chaîne de domination
planétaire des Etats-Unis - œuvrant ensemble pour l’instauration de la pax
americana dans ce pays.
Les
propos de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangère, éclairent
les enjeux stratégiques de la bataille de Syrie : « Le chaudron
syrien constitue, avec le nucléaire iranien-et d’ailleurs les deux sont liés-,
la plus grande menace actuelle contre la paix »(2) Il
s’agit, bien sûr, de la pax americana ! Pour Laurent Fabius, l’engagement
des Iraniens aux côtés du régime syrien est « considérable. Il existe
d’ailleurs une certaine relation entre la question du nucléaire iranien et les
affrontements en Syrie. Si la communauté internationale n’est pas capable
d’arrêter un mouvement dans lequel les hommes d’Assad sont soutenus puissamment
par les Iraniens, quelle sera notre crédibilité pour assurer que l’Iran ne se
dotera pas de l’arme nucléaire ? » (2) Le « nucléaire
iranien » sert de paravent à des questions d’ordre géopolitique.
La
bataille de Syrie est le prolongement de
l’affrontement Israël-Hezbollah au Sud Liban en 2006. La défaite de
l’insurrection syrienne rendra impossible l’attaque directe ou indirecte de
l’Occident contre l’Iran.
Les
« insurgés » syriens, djihadistes venus d’Arabie saoudite, d’Egypte,
de Libye, de Tunisie, de Turquie, soutenus militairement et financièrement par
les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Arabie saoudite
(siège du Conseil national syrien), le Qatar, la Turquie, Israël et la
Jordanie, composent l’opposition qui
affronte l’armée syrienne, soutenue de son côté, par le Hezbollah libanais, les
conseillers iraniens et russes. C’est une vraie mini « guerre
mondiale » qui ne dit pas son nom.
Faut-il
rappeler qu’aucun des participants à la guerre en Syrie ne mérite la palme des
droits démocratiques et humains, bien au contraire !
Tout
porte à croire que la rencontre entre John Kerry, secrétaire d’état américain
et son homologue russe, Sergueï Lavrov, les 7 et 8 mai, a tourné en faveur
des positions russes. Mais une entente ne signifie pas la fin des combats. Les
adversaires se battront jusqu’à la dernière cartouche afin d’arracher une
dernière concession et participer en position de force à la conférence de fin
mai, qui devra décider de la victoire des uns ou des autres. Voilà qui explique
la férocité des combats à Quossaire.
La
livraison d’armes sophistiquée au pouvoir syrien (missiles sol-air S-300 ;
missiles sol-mer) devrait afficher une fois de plus la détermination des
Russes, et mettre en garde Israël et l’Occident contre une éventuelle aventure
militaire irréfléchie en Syrie.
Le tir de quelques missiles Nord Coréens
rappellera également aux Etats-Unis que ses bases militaires, les voies de
navigation en Asie du Sud-est ainsi que les territoires japonais et Sud-
Coréens sont à portée des missiles Nord-Coréens équipés de têtes nucléaires.
L’équilibre de la terreur fonctionne encore et toujours.
Il
est vrai que « le conflit syrien consacre le repli américain »
(3). Les guerres incessantes aux quatre coins du monde et
l’entretien de centaines de bases militaires, d’une armada de navires de
guerre, de sous-marins nucléaires et de porte-avions ont amoindri la volonté de
puissance américaine, endettée et démoralisée. « Nous ne pouvons pas
être en position de force dans le monde si nous ne sommes pas en position de
force chez nous » affirme le titre du dernier livre de Richard Haass,
un va-t-en-guerre, ancien adjoint de Colin Powell au département d’Etat de
Georges Bush. (3)
D’aucuns
pensent que l’importance économique prise par la Chine dans l’Océan Pacifique
conduit les Etats-Unis à se « désengager » du Moyen-Orient. C’est
oublier que cette région se trouve sur la voie de navigation entre le détroit
de Malacca et Gibraltar, par où passent, chaque année plus de 50 000
navires de marchandise et pétroliers. Malgré l’importance prise par l’Océan
indien, les voies de navigation traversant le Moyen-Orient représentent plus
des deux tiers du commerce mondial. Les Etats-Unis ne se désengagent pas du
Moyen-Orient. Mais ils n’ont plus les moyens d’intervenir comme avant.
Le
vrai perdant de la bataille de Syrie est le peuple syrien martyrisé, dont la
révolution a été confisquée par les puissances étrangères, qui ont fait de ce
pays le champs-clos de leurs règlements de comptes. Des milliers de morts, des
destructions massives et des centaines de milliers de réfugiés n’ont pas eu
raison d’un régime dictatorial qui su tirer profit des contradictions des
puissances mondiales et régionales.
(1) AFP, Reuter- Le Monde du 14 août 2012.
(2) Propos recueillis par Christophe Châtelot et Rémy Ourdan- Le
Monde du 10 mai 2013.
(3) Corine Lesnes- Le Monde du 18 mai 2013.