Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG,
le 16 octobre 2014
Quelle est la mission
de Da'ech* ?
- Les
puissances occidentales agissent-ils dans l'intérêt des peuples ?
A l'origine, la naissance et le développement des
mouvements djihadistes ont été encouragés par le régime syrien, aux abois, qui
a tenté un coup de poker : lancer des djihadistes obscurantistes, voire
esclavagistes, adeptes de la guerre de religion, sur la scène syrienne pour
diviser l'insurrection. Comme nous l'avons écrit dans l'analyse 19 (2014)
: "le régime syrien se posait comme le rempart de la civilisation contre
une horde de fanatiques islamistes d'Al Qaida. Acculé, le régime de Bachar
El-Assad a ouvert les portes de ses prisons en libérant les islamistes en même
temps que les prisonniers de droit commun !
Lesdits
prisonniers fondamentalistes ont créé leur organisation djihadiste et le régime
de Bachar El-Assad a fini par atteindre ses objectifs : diviser l'insurrection.
En effet, peu de temps après, les organisations djihadistes (Jabhat Al-Nosra et
Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL)) se sont retournés contre les
insurgés laïcs [qualifiés d'impies !]. Certains
insurgés laïcs ont même qualifié les djihadistes d'agents des services syriens
! "
Comme nous l'avons écrit dans l'analyse 17 (2014)
:" Contre toute attente du régime
syrien et au lieu de se retourner contre les djihadistes fanatisés, les puissances
occidentales et leurs alliés locaux les ont soutenus financièrement et
militairement. Un joli coup de poker géopolitique. La récupération des
djihadistes par le trio fut un succès. L'Arabie saoudite, le Qatar, voire même
le Kuwait, alimentaient la caisse des djihadistes, tandis que "les
autorités [turques] ont longtemps fermé les yeux sur le passage de ces rebelles
le long de la frontière turco-syrienne et sur les activités de leurs soutiens
sur le sol turc." "
Lancée initialement pour instaurer un Etat de Droit
en Syrie, la guerre civile en Syrie s'est transformée en guerre confessionnelle
sunnite (wahhabite)-chiite, si chère aux Saoudiens et à ses soutiens
occidentaux et turcs.
Actuellement, 4 puissances profitent amplement de
la présence de Da'ech et ne sont pas prêts de s'en passer :
1- Le régime syrien qui a réussi à diviser
l'insurrection, à "libérer" la partie vitale de son territoire et
dont l'armée tente d'encercler définitivement Alep.(1)
2 - Le régime turc qui observe perfidement le massacre
des Kurdes de Kobané par les djihadistes esclavagistes. Au lieu d'aider les
Kurdes, ses ennemis jurés, l'aviation turque bombarde les postions du PKK (le
parti des travailleurs kurdes) en territoire irakien. Sur le terrain, le régime
turc se comporte comme un allié actif de Da'ech.
3 - Les Etats-Unis se servent de Da'ech comme
instrument de pression sur ses adversaires locaux, en particulier l'Iran. Ils
souhaitent contrôler, voire réduire l'influence iranienne en Irak. Grâce à
l'avancée fulgurante des djihadistes en Irak, les Américains ont imposé à
l'Iran le départ de Nouri Al-Maliki, ancien premier ministre et pion de l'Iran.
L'actuel premier ministre, Haïdar Al-Abadi, est le chef du "cabinet
d'union" souhaité par Washington. Il s'agit d'un cabinet d'
"union" des intérêts américano-iraniens en Irak ! Ce n'est pas tout.
Tout porte à croire que les agents américains et saoudiens sont actifs au sein
de Da'ech qui essaie de déstabiliser les frontières ouest de l'Iran.
L'activisme américaine double d'intensité à l'approche du 24 novembre, date
officielle de la fin des discussions sur le nucléaire iranien.
4 - L'Arabie saoudite, spécialiste en démolition,
adepte de la guerre de religion, faible sur le plan technologique et militaire,
n'a jamais joué un rôle stratégique au Moyen-Orient. Le but de l'Arabie
saoudite : devenir une puissance politique et militaire à l'échelle de la
région, contrer et contrôler la puissance grandissante de l'Iran en élevant des
obstacles (Da'ech) sur la route de l'Iran. D'autant plus que les rebelles
yéménites chiites d'Ansaruallah, appelé "houthis", avaient pris le
contrôle, en quelques jours, de plusieurs bâtiments publics de la capitale
yéménite. Les "houthis" sont solidement implantés dans les quartiers
nord de Sanaa.(2) Pour les Saoudiens, les rebelles
"houthis" sont des alliés de l'Iran qu'il faudra mâter. Da'ech aux
frontières ouest de l'Iran est un contrepoids qui permet d'exercer des
pressions sur l'Iran afin de ralentir la "progression chiite" dans la
région.
Les puissances occidentales, en particulier
américaine et les puissances orientales russe, iranienne et chinoise, pensent
avant tout à leurs intérêts économiques et géopolitiques. Le sort de la
population se trouvant sur le champ de bataille les indiffère. C'est le cas des
Kurdes syriens massacrés actuellement à Kobané en Syrie. L'intervention de
l'aviation américaine et alliées sert avant tout à limiter la liberté de
manœuvre de Da'ech et à prendre en main la direction de l'organisation
djihadiste. Un coup d'état au profit de "modérés" au sein de Da'ech
n'est pas à exclure.
les Etats-Unis veulent-ils vraiment en finir avec
Da'ech ? Nos analyses ainsi que le témoignage des acteurs locaux laissent
planer le doute sur la volonté réelle des Etats-Unis de vouloir en finir avec
l'organisation djihadiste.
Nilufer Koc, la coprésidente du Congrès national du
Kurdistan reproche aux bombardements de manquer d'efficacité.(3) Du
côté des brigades rebelles anti-Assad, le même dépit est perceptible. Selon les
insurgés, les bombardements sont trop concentrés sur les centres de
commandement de l'EI (Etat Islamique), et pas assez sur les zones de combat.
"Les dégâts causés aux djihadistes
sont minimes".(3)
C'est que la mission destructrice de Da'ech, un
instrument aux mains des puissances mondiales et régionales, n'est pas
terminée. Car l'équilibre des forces rompu en 1979 après la chute du Chah
d'Iran, et suite à l'effondrement de l'Union soviétique, n'est pas encore
rétabli. L'Afghanistan est sous la coupe des Etats-Unis. Le régime syrien,
encore fragile, devra se consolider même s'il reste attaché aux puissances
orientales. Le sort de l'Irak est encore très incertain.
Qui occupera
le terrain envahi actuellement par l'organisation djihadiste ? Jusqu' où
s'étendra la puissance de l'Iran ? Quel sera l'étendue de la balkanisation de
l'Irak ?
La réponse aux questions posées et tant d'autres qui vont se poser et que nous
ignorons encore permettra de voir le bout du tunnel d'une vie sans Da'ech.
Barack Obama, président des Etats-Unis, prévoit une période de deux ou trois
ans. C'est déjà pas mal !
*L'acronyme
arabe de l'Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL)
1)
Hélène Sallon - Le
Monde du 07 octobre 2014.
2)
François-Xavier Trégan - Le Monde du 23 septembre 2014.
3)
Benjamin Barthe - Le Monde du 1er octobre 2014.