Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 27 janvier 2011
Après le printemps, un hiver rigoureux attend-t-il la Tunisie?
La révolte s’étend en Tunisie où les employés chassent les patrons coupables de s’être compromis avec l’ancien régime. Le peuple demande la dissolution du RCD- le parti unique- dont les immobiliers seront restitués à l'État. D’autres mesures ont été prises par le nouveau gouvernement pour calmer la contestation populaire : «deuil national de trois jours en mémoire des manifestants tués par la police ; amnistie générale pour tous les prisonniers politiques ; commissions d’enquête sur la réforme politique, sur le bilan des victimes ainsi que sur la corruption.»(1)
L’étendu de la contestation et les victoires acquises par le peuple tunisien conduisent certains à parler de «révolution tunisienne».
L’étude des révolutions française, russe, chinoise ou iranienne montre qu’une révolution consiste à la destruction violente de l’ancienne superstructure (l'État, la bureaucratie, l’armée, la police), en conflit avec l’infrastructure moderne. Est-ce le cas en Tunisie où la police de l’ancien régime continue sa répression et où l’armée- le soutien de la mafia étatique- est toujours en place, imposant le couvre feu et bénéficiant du soutien populaire? Les chefs militaires sont aussi compromis que les anciens responsables politiques, accusés de corruption et de meurtres. Les chefs de l’armée, le dernier recours du régime Ben Ali, ont d’immenses intérêts économiques et politiques. Les anciens «amis» de Ben Ali tentent de sauver l’ancien régime qui perdure sous d’autres formes. (Pour l’instant, il s’agit plutôt d’un profond mouvement de révolte populaire que révolutionnaire en Tunisie.)
Faut-il rappeler que le régime Ben Ali est pieds et mains liés aux intérêts occidentaux qui empêchent le développement naturel de l’économie locale. En effet «les règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) limitent les mesures de politique industrielle que ces pays [Maroc, Algérie et Tunisie] pourraient mettre en place.»(2) Ces même règles, associées aux phénomènes de corruption, de népotisme et de clientélisme du régime sont la cause du chômage de masse et de la «mal-vie» qui touche la jeunesse et le pays tout entier.
Déjà, les Américains s’inquiètent de la révolte en Tunisie qui s’étend comme une trainée de poudre en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. «Les États-Unis redoutent une contagion trop brusque qui menacerait cette fois leurs intérêts stratégiques.(…) Barack Obama a appelé le président égyptien Hosni Moubarak. «Il s’agissait de le rassurer sur le fait que les États-Unis n’allaient pas utiliser ce qui s’était passé en Tunisie pour presser publiquement à la démocratisation en Egypte», dit l’expert [Steven Cook] du CFR (Council on Foreign Relations)(3).
Trop d’intérêts économique, politique, géopolitique et géostratégique sont en jeu. Le nouveau gouvernement, avec les anciens ministres de Ben Ali, s’entête à garder le pouvoir. Les manifestations sont toujours réprimées à coup de gaz lacrymogène. Comment réagiront les chefs militaires face à la détermination du peuple, décidé à aller jusqu’au bout de ses rêves d’émancipation, transformant le mouvement de révolte populaire en mouvement révolutionnaire de renversement du régime? Les signes annonciateurs sont là : les masses laborieuses, ouvriers et paysans, prennent conscience, descendent dans la rue, investissent les bâtiments officiels et réclament leur dû.
Un scénario plusieurs fois observé risque de se reproduire: une répression féroce et un bain de sang, dernier recours de l’armée, rempart de l’ancien régime et des multinationales occidentales. N’oublions pas que, grâce au mouvement populaire, une grande partie des opposants est sortie de la clandestinité et la police en profite pour la ficher.
En attendant, savourons les victoires du peuple tunisiens et espérons qu’il saura déjouer les pièges tendus, et soutenons-le fortement.
(1) Isabelle Mandraud- Le Monde du 22 janvier 2011.
(2) Alexandre Kateb Economiste- Le Monde du22 janvier 2011.
(3) Corine Lesnes- Le Monde du 22 janvier 2011.