Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 26
juillet 2016
Dans les entrailles du coup d'Etat
avorté
des 15-16 juillet en Turquie
Vers la république islamique de Turquie ?
37 ans
après la victoire de la révolution islamique d'Iran en février 1979 ( dont se
moquèrent des Turcs kémalistes et des «Turcs blancs», l'élite occidentalisée),
assistons-nous à la naissance de la "république islamique de Turquie"
?
Un retour
sur l'histoire du pays montre que l'empire ottoman s'est constitué en 1299. Il
atteint son apogée au XVIe siècle sous le règne de Soliman le
Magnifique. L'empire décline à partir du XVIIe siècle. En 1913, la défaite de la première guerre balkanique amène
les Jeunes-Turcs (Parti Union et Progrès) au pouvoir de l'empire.
Celui-ci est démantelé en 1920 après le traité de Sèvres.
Le 9 septembre 1923,
le parti unique Cumhuriyet Halk Partisi (Parti républicain du peuple) est
créé. C'est le début des réformes kémalistes.
Le 29 octobre 1923, la Grande Assemblée nationale de
Turquie proclame la République
et Mustafa Kemal Pacha (Atatürk) devient le premier président de la
République. Le califat, instauré
à la fin du XIIIe siècle, est
donc aboli après sept siècles d'existence !
Pendant
ces 7 siècles, la charia sert de loi
fondamentale dans un empire sectaire et discriminatoire, avec son lot de
restrictions, d'interdits, de misogynie et d'exclusions en tout genre. La femme
compte pour la moitié de l'homme, la polygamie est autorisée, l'adultère est
passible de lapidation. L'inégalité sociale est érigée en loi
"naturelle", le voleur amputé des doigts ou des mains, car il serait
«né» criminel. Le sort des homosexuels ou des lesbiennes n'est pas meilleur; ils continuent à souffrir .
Les citoyens de confessions autres que musulmane comptent comme des êtres inférieurs et paient un impôt.
C'est ainsi que «Slaves, Grecs ou Arméniens, pauvres et démunis, se
convertissent à l'islam pour ne pas payer le haraç (impôt prélevé sur les non-musulmans) et deviennent ottomans.»
Sept
siècles plus tard, en 1930, Mustafa Kemal Pacha (Atatürk), sans se demander s'il
agit conformément à la charia (!), décide
d'un coup de crayon d'accorder aux femmes turques le droit de vote et
d'éligibilité pour les élections municipales, et en 1934 pour les élections
législatives.
En 1924,
au grand désespoir des fondamentalistes, une
nouvelle constitution est adoptée, la laïcité est imposée et la femme devient l'
"égale" de l'homme, du moins en théorie. Elle s'habille à
l'occidentale, et elle est encouragée à
occuper la scène sociale. Des réformes
modernes et progressistes sont imposées d'en haut à une société civile vivant encore dans la torpeur du
moyen-âge.
Force
est de constater que les changements sociétaux sont intervenus trop tôt, trop
vite et la Turquie profonde, encore très croyante, pratiquante et attachée aux
valeurs du califat, n'a pas eu le temps de les digérer, restant même réticente
aux changements, voire opposée à la modernité.
Moins
d'un siècle après l'adoption de la Constitution en 1924, la Turquie profonde
pense avoir trouvé en Recep
Tayyip Erdoğan, fondateur du «Parti de la justice et du développement»
(AKP), parti «islamo-conservateur» (qualificatif de la presse occidentale),
l'homme qui serait capable de redonner à la société et à l'Etat turcs son
caractère islamique, en s'écartant de la laïcité imposée ainsi qu'à ses effets
pour la femme turque.
Il faut souligner que
l'AKP, courant islamique de la bourgeoisie turque, n'est pas tombée du
ciel. Le fondateur de l'AKP, Recep Tayyip Erdoğan, a commencé sa formation politique dans les
années 1970 au sein de l'organisation de jeunesse du Parti du Salut National
(Milli Selamet Partisi) fondé par Necmettin
Erbakan.
Le Parti du bien-être, fondé par Necmettin Erbakan en 1983, arrive au
pouvoir en 1996.
Les deux courants de la
bourgeoisie turque, d'accord sur les alliances pro-occidentales de l'Etat ainsi
que sur les grandes lignes économiques, diffèrent sur les choix de société.
L'un est laïque et moderne tandis que l'autre est islamique et rétrograde.
Le conflit entre les
deux courants est permanent. Un seul exemple. La
Cour, dont la majorité des juges a été
nommée par l'ancien président de la République, Ahmet Necdet Sezer, un laïc, annule en juin 2008 deux amendements autorisant le voile dans les universités, votés le 7 février 2008 par le Parlement turc.
Au
pouvoir depuis 2002, l'AKP gère la mégalopole Istanbul depuis 2004 et fait glisser la société vers
plus de religion en s'écartant de
la sacro-sainte loi laïque. Les rues se remplissent
de plus en plus de femmes voilées et d'hommes barbus.
La
bataille de la place Taksim
Il va de soi que
les Turcs attachés à la modernité résistent. En juin 2013, ils se sont
massivement investis, pendant trois semaines, pour la défense du parc Gezi
(Taksim) menacé par un projet de réaménagement. Erdoğan a du reculer face à la détermination de centaines
de milliers de défenseurs de la place
Taksim.
Depuis la nuit du coup d'Etat avorté des 15-16
juillet, des milliers de partisans de l'AKP, dont des femmes voilées, affluent
sur la place Taksim et la reconquièrent en scandant Allahou
Akbar ! (Dieu est grand).
"Occuper Taksim, c'est faire entendre notre
voix au monde entier" assure un manifestant pro Erdoğan. Une grande mosquée
sera construite sur la place !
La prise de la place Taksim par les partisans de l'AKP
symbolise la victoire de l'aile conservatrice-islamique de la bourgeoisie
turque sur l'aile laïque et progressiste.
Les purges ayant frappé des milliers de juges, de
journalistes et d'universitaires devraient satisfaire les nostalgiques du califat.
La Turquie se dirigerait-elle vers une république islamique à l'iranienne ? Les
progressistes laïcs n'ont pas encore dit leur dernier mot. Turbulences sociales
en perspective.
Tout porte à penser que le coup d'Etat des 15-16
juillet était la réaction d'une fraction de l'armée (un tiers de l'état-major,
plus d'une centaine de généraux) soucieuse de préserver le caractère laïc et
démocratique de la République. Pourquoi le gros de l'armée s'est-il tenu à l'écart du coup d'Etat ?
A court terme, la victoire éventuelle du coup d'Etat
pouvait écarter les conservateurs islamiques du pouvoir, assurant la continuité
de l'État laïc, hérité d'Atatürk.
A long terme, les fractures au sein de la société se
seraient accentuées. Le danger de scission territoriale aurait sérieusement menacé le Kurdistan turc, aidé par les Kurdes syriens et
irakiens.
Nous pensons que l'armée turque, instruite par
l'expérience afghane - où les Talibans formés
à l'école wahhabite ont réussi à mobiliser le peuple croyant contre les
«mécréants» Russo-afghans – aurait
pour projet de mobiliser, à son tour, la majorité
sunnite de la population kurde contre les marxistes «impies» du PKK (Parti des
travailleurs du Kurdistan), via l'islamisation de la société.
Autrement dit, l'armée préférerait une Turquie
islamisée, mais unie, plutôt qu'une Turquie laïque et républicaine, mais en
danger de partition.
C'est
un dessein diabolique, mais tenable. Cette tactique aurait pour conséquence la
marginalisation du PKK et la préservation de l'unité territoriale de la Turquie. L'avenir nous dira si
Erdoğan deviendra, comme Mustafa Kemal Pacha (Atatürk), le «père» de l'unité nationale.
Excellent article tres informatif sur la partie historique
RépondreSupprimerPar contre beaucoup d'analystes pensent que le Putsch raté a été favaorisé ou instigué par le pouvoir
IL faut savoir que plus de 60% des turcs vivant en Allemagne ( donc habitués à l'occident) ont voté pour l AKP en montrant leur confiance à Erdogan