Politique et géopolitique. Deux siècles de guerre au Moyen-Orient et en Asie Centrale. Analyse géopolitique de l'évolution des rapports de forces des acteurs régionaux et mondiaux au Proche et au Moyen-Orient: Afghanistan, Irak, Iran, Liban, Palestine et Syrie face à une guerre permanente. Naissance d'une nouvelle alliance militaire de portée mondiale.
16.12.16
2.12.16
10.10.16
Analyse 12 (2016). La guerre de Syrie annonce la renaissance d'un monde multipolaire
Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 10
octobre 2016
La guerre de Syrie
annonce
la renaissance d'un monde
multipolaire
Dans la nuit du vendredi 9 au samedi 10 septembre
2016, le secrétaire d'Etat américain et son homologue russe Sergueï Lavrov ont
annoncé la conclusion d'un accord de "paix" sur Alep. Ils l'ont qualifié
de «majeur». Mais, du fait de la
volonté américaine, «toute une partie [de
l'accord de paix] reste secrète.» En
quoi consiste-elle ? Est-elle liée à la «sécurité
nationale» des Etats-Unis, avancée souvent par les Américains pour faire
taire les analystes et les «alliés»-seconds couteaux ou, plutôt, pour cacher la
complicité américaine dans la destruction d'Alep ?
Faut-il rappeler que les discussions se déroulaient
depuis la mi-juillet 2016. Les partisans de la paix espéraient la fin prochaine
des souffrances. Mais, la guerre a ses lois. Tant qu'elle n'est pas finie,
chaque «pourparler de paix» prépare le terrain à de nouveaux affrontements,
souvent plus violents. Comme c'est actuellement le cas à Alep.
De deux choses, l'une : soit il faut être naïf pour
croire à la sincérité des Américano-russes lorsqu'ils parlent de paix (ce qui
n'est pas notre cas). Soit, extrapoler que ce qui se passe actuellement à Alep
fait partie des plans secrets - jamais dévoilés «du fait de la volonté américaine» - décidés par le secrétaire
d'Etat américain et son homologue russe.
Le deuxième cas nous paraît plus pertinent. Promis
pour durer, l'accord de «paix» n'a jamais été respecté et la guerre se
poursuivait par des frappes aériennes, par ci, par là, dont la plus meurtrière
fut le bombardement, le 17 septembre 2016, par l'aviation américaine et les
coalisés, des soldats syriens encerclés par…Daech à Deir Ez-Zor. Cette frappe a
dévasté une base de l'armée syrienne, faisant entre 60 et 90 morts. La frappe
faisait-elle partie des clauses secrètes de l'accord John Kerry-Sergueï Lavrov
? Le questionnement et le doute sont permis.
Cette frappe confère aux Etats-Unis l'image
d'ennemi «intraitable» du régime d'Assad auprès des «insurgés»; une image qui
permettra aux Américains de continuer à négocier le sort de la Syrie et du
Moyen-Orient, sans être qualifiés de «traîtres» ou de «lâcheurs». Toujours
est-il que, (selon les clauses secrètes de l'accord ?), la guerre est repartie
de plus belle.
La Syrie
comme ligne rouge
Il serait faux et naïf de réduire la Syrie à une
voie de transit des hydrocarbures du Golfe Persique à la Méditerranée. La
Syrie, c'est beaucoup plus que ça.
La Syrie est la ligne rouge de la Russie et de
l'Iran face aux puissances occidentales qui veulent appliquer à tout prix le
projet américain de «remodelage» du
Moyen-Orient, hérité de l'administration de Georges W. Bush, ancien président
des Etats-Unis. Un «remodelage» qui
menace la souveraineté territoriale et politique des grands pays de la région :
l'Irak, la Syrie, l'Iran, la Turquie, l'Arabie saoudite, etc.
Un tel «remodelage»
consiste à créer, à la place des Etats multiethniques actuels, des Etats
faibles et fantoches à caractère ethnique ou confessionnel : Etat kurde, Etat
azéri, Etat islamique, Etat chiite, Etat hébreu, etc.
En son temps, l'empire tsariste avait créé des
Etats arménien, géorgien, azéri, en arrachant des provinces septentrionales de
l'ancien empire perse. Staline voulait compléter l'œuvre de ses prédécesseurs
en créant des «Etats socialistes» azéri et kurde en Iran, juste après la
seconde guerre mondiale.
Depuis l'invasion de l'Irak par l'armée américaine
en 2003, le Kurdistan irakien s'éloigne de l'autorité centrale et se comporte
comme une entité ethnique autonome au sein d'un Irak très divisé où les
populations de confession chiite et sunnite se replient sur leur communauté
respective.
Le danger de partition menace également l'intégrité
territoriale de la Syrie où les miliciens djihadistes ou «modérés» - grâce aux largesses financières et militaires des
monarchies du Golfe Persique et des puissances militaires occidentales - se
sont emparés de vastes territoires, faisant le jeu des puissances occidentales.
La Turquie
change de cap
En soutenant les Kurdes syriens, alliés des Kurdes de
Turquie, les Américano-russes ont mené une campagne de déstabilisation du sud
de la Turquie, menacée de partition par la sédition des kurdes du Parti des
Travailleurs du Kurdistan (PKK).
En lâchant ses protégés djihadistes à Alep, en
empêchant le passage par son territoire de djihadistes, en fermant le robinet
d'aide militaire et financière à l'Etat islamique (EI), la Turquie s'est
tournée vers l'alliance russo-iranienne, évitant ainsi sa décomposition
avancée.
C'est pourquoi, la Syrie est devenue la ligne rouge
de la Russie et de l'Iran qui y jouent leur survie. La mainmise des puissances
occidentales en général, et des Etats-Unis en particulier, sur la Syrie, puis
sur l'Iran, leur assureraient la maîtrise des voies de communication
(terrestres, aériennes, maritimes) du Grand Moyen-Orient, leur permettant aussi de devenir les maîtres
incontestés du globe en matière énergétique.
L'intérêt géostratégique de la Syrie est tel que la
Russie et l'Iran seraient prêts à déclencher une grande guerre à caractère
régional, voire mondial. Cet aspect du conflit Est-Ouest n'échappe pas aux
puissances occidentales qui l'ont intégré dans leurs calculs
politico-militaires.
Ajoutons que la Russie exhibe, à intervalle
régulier, ses missiles intercontinentaux à têtes nucléaires, les déploie à
Kaliningrad et fait voler ses bombardiers stratégiques, capables de transporter
des têtes nucléaires. A son tour, l'Iran exhibe ses exploits technologiques en
matière militaire et procède à des manœuvres militaires dans le Golfe Persique.
Concernant Alep, les puissances occidentales sont
conscientes que, depuis l'encerclement complet de la partie est de la ville,
les Russes et Iraniens ne la lâcheront plus, jusqu'à la victoire finale sur les
"insurgés".
Il est à souligner qu'en Syrie et en Irak, le camp
occidental instrumentalise les miliciens djihadistes ou «modérés» à son profit, comme dans un jeu d'échec. Les miliciens en
sont conscients mais ne peuvent pas modifier les rapports de force en leur
faveur sur un échiquier où jouent les grandes puissances mondiales et
régionales.
Alors, les puissances militaires occidentales
souhaitent donner une image «humaniste» au monde entier, en particulier, à
leurs supplétifs «rebelles», dont Al-Nosra, affiliés à Al-Qaida, très influents
au sein des «insurgés». A défaut d'influer sur les pourparlers, Abou Mohamed
Al-Jolani, le chef djihadiste d'Al-Nosra, a dénoncé, sur la chaîne qatari
Al-Jazira, «la trêve et ses «trahisons» » des Américano-russes.
Al-Nosar s'offusque donc de la trahison de l'ami
américain ! Ne s'y attendait-elle pas ? Alors, que croire ? Les quolibets anti
Al-Qaida de l'administration américaine ou son "amitié", un secret de
polichinelle, à l'égard des djihadistes d'Al-Nosra, reçue en grande pompe sur
Al-Jazira ?
Pour paraître «humanistes», les puissances
occidentales fustigent les frappes russes des hôpitaux d'Alep comme relevant de
«crimes de guerre» (ce qu’elles sont), «oubliant» au passage ceux commis par
elles-mêmes en Irak, en Syrie et en Afghanistan, ainsi que par leurs «amis»
saoudiens et israéliens au Yémen et en Palestine.
17.9.16
Analyse 11 (2016) : Moyen-Orient : de Babylone à Bagdad
Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 17 septembre 2016
Moyen-Orient : de Babylone à Bagdad
Pour entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire
de faire un état des lieux aux quatre coins du monde.
La péninsule
coréenne
Depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, la
tension reste vive dans la péninsule coréenne. Elle agit comme une sorte de
thermomètre, permettant de mesurer la montée de fièvre, caractéristique des
relations tumultueuses entre l'Occident mené par les Etats-Unis et les
puissances orientales, en particulier russe. Voici les faits les plus récents :
Mercredi 3 août,
un vecteur nord coréen atterrit dans la zone économique exclusive (ZEE) du
Japon. Mercredi 24 août 2016, la
Corée du nord a tiré un missile balistique, depuis un sous marin, en direction
du Japon. "Les Nord-Coréens avancent
méthodiquement" estime Jeffrey Lewis de l'Institut Middlebury de
Californie.
vendredi 9
septembre 2016, la Corée du nord a procédé à son cinquième et le plus
puissant essai nucléaire. Le pays dispose d'un vaste gisement de mine
d'uranium.
A leur tour, les Etats-Unis et leur allié Sud Coréen,
procèdent aux manœuvres militaires annuelles Ulchi Freedom, qui mobilisent 50
000 Sud-Coréens et 30 000 Américains. Ceci est perçu par la Corée du Nord comme
une préparation à une invasion du Nord.
Vendredi 8
juillet 2016, Washington et Séoul ont annoncé le déploiement d'un système
de défense antimissile américain THAAD (Terminal High Altitude Aerial Defense)
en Corée du Sud. Le rayon de surveillance du système peut s'étendre à 2000 km,
couvrant également le nord-est de la Chine. La Russie et la Chine ont manifesté
leur mécontentement et effectueront à partir de lundi 12 septembre 2016 des exercices militaires communs en mer de Chine
méridionale qui dureront huit jours. Face à la puissance militaire américaine,
elles restent solidaires dans la péninsule coréenne, en Mer de Chine et au
Moyen-Orient.
Il est à souligner que, vu la position
géostratégique da la Corée du Nord - proche des puissances économiques et des
lignes de commerce mondial en Asie du Sud -, ce pays sert de moyen de pression
dans les pourparlers russo-américains, en particulier, sur l'Europe de l'Est, sur l'Ukraine et sur le
Moyen-Orient.
En Syrie
La conclusion d'un accord de cessez-le-feu entre le
secrétaire d'Etat américain John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov
dans la nuit du vendredi 9 au samedi 10
septembre coïncide avec l'encerclement total de la ville d'Alep, d'une
part, et l'explosion du plus puissant essai nucléaire Nord-Coréen le 9 septembre, d'autre part. Ces
coïncidences sont déconcertantes. Certains chroniqueurs oseront-ils encore
parler de la guerre chiite-sunnite au Moyen-Orient ?
Par ailleurs, les textes de l'accord restent
confidentiels ! Portent-ils sur une entente avancée du partage de la région ?
Le dossier crucial pour Washington étant "celui de l'Irak plus que la Syrie" (Marc Semo - Le Monde des 11-12 septembre 2016). [Par
conséquent ?], les Etats-Unis et la Russie invitent les "rebelles modérés" à se séparer des
groupes djihadistes, sinon…Ce qui signifie un affaiblissement des
"insurgés" encerclés à Alep; affaiblissement approuvé donc par les
Etats-Unis, soi-disant soutiens desdits "insurgés".
Le 12 septembre - début de l'application du
cessez-le-feu à Alep - Bachar Al-Assad a annoncé qu'il compte reprendre
l'ensemble du territoire syrien. Il règne donc une totale confusion sur
l'avenir de la Syrie.
Dans le Golfe
Persique
Parallèlement à la manifestation de puissance des
russo-chinois en mer de Chine, l'Iran montre ses muscles en Syrie, en Irak, au
Yémen et dans le Golfe Persique. Le 4 septembre 2016, sept vedettes rapides de
la marine des "Gardiens de la révolution" se sont dirigées vers un
navire de guerre américain. L'une d'entre elle s'est approchée à 90 mètres du
navire qui a dû changer de direction pour éviter la collision. Ce type de manœuvre
d'intimidation s'est répété à plusieurs reprises.
Parallèlement au défi lancé contre la présence
américaine dans le Golfe Persique, le guide de la révolution, Ali Khamenei,
saisissant l’occasion du pèlerinage de la Mecque, a haussé le ton, mercredi 7
septembre 2016, envers l'Arabie saoudite.
Certains y voient une nouvelle "guerre de
religion". Or, selon toute vraisemblance, il s'agit d'une posture
politique, venant de la nouvelle puissance du Golfe s'adressant à une puissance
déchue. Une manière d'annoncer : désormais, "c'est moi le chef !" ?
Le président de la république islamique, Hassan
Rohani, enchaina dans le même sens, accusant Riyad de "verser le sang des musulmans",
allusion à peine voilée à l'intervention militaire saoudienne en Syrie et au
Yémen où l'aviation Saoudienne continue à bombarder des écoles et des hôpitaux.
A son tour, les miliciens Houthistes ont lancé des missiles Zelzal 3, de
conception iranienne, sur les casernes
saoudiennes, causant des dizaines de morts côté saoudien.
L'Iran confirme sa présence sur
tous les fronts du Moyen-Orient, de Bagdad à Damas en passant par Beyrouth et
Sanaa.
En Irak
Tout porte à croire qu'en Irak, un
rôle de premier plan serait confié au général iranien Qassem Soleimani, chef
des Forces Al-Qods, forces spéciales des Gardiens de la Révolution Islamique d'Iran (GRI). Il est à souligner que "la coordination de la bataille [de Mossoul] est faite par le Centcom" [commandement central des
Etats-Unis]. Par ailleurs, tout le monde reconnait que, dans la lutte contre
l'Etat islamique (EI), les milices chiites (sous influence iranienne) se sont
rendues incontournables.
En effet, soutenues par le feu des
bombardiers américains, les milices chiites brisent la première ligne de
défense, ouvrant la voie à l'entrée de l'armée irakienne au cœur du dispositif
de défense djihadiste.
On voit bien que, malgré les
diatribes antiaméricaines des autorités iraniennes, en Irak, les Etats-Unis et
l'Iran marchent main dans la main. Il n'y a aucun doute qu'actuellement l'Irak
est cogéré par les deux puissances rivales et ce sera encore le cas après la
disparition de l'EI.
Depuis la conquête de Babylone le
12 octobre 539 avant notre ère, la Mésopotamie était l'arrière-cour de l'empire
Perse. Quelques ruptures plus tard, elle retourne, depuis 2003, sous
l'influence conjointe irano-américaine.
La Turquie se tourne vers de nouveaux acteurs
Conséquence de la (re)naissance
des nouvelles puissances au Moyen-Orient, la Turquie se tourne, désormais, vers
la Russie et l'Iran pour venir à bout des combattants kurdes syriens du PYD
(Parti de l'union démocratique) qui
poursuit la politique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), bête
noire d'Ankara.
L'intervention de l'armée turque
au nord de la Syrie (autorisée par la Russie et l'Iran) profite à la Russie, à
l'Iran et à la Turquie. Elle les débarrasse de l'EI et des combattants
indépendantistes kurdes du nord de la Syrie et éloigne, en même temps, le
spectre de la partition qui hante, depuis l'effondrement de l'empire ottoman,
la souveraineté territoriale turque.
Lundi 5 septembre, Mikhaïl Bogdanov, envoyé spécial
de Vladimir Poutine pour le Moyen-Orient, s'est entretenu avec Benyamin
Netanyahou, lui proposant "d'accueillir
à Moscou une rencontre en tête à tête" entre Netanyahou et Mahmoud
Abbas.
Hormis le sort réservé à l'initiative russe, cela
ne changera rien quant au nouveau rôle de puissance ressuscitée de la Russie au
Moyen-Orient.
Les Etats-Unis, la Russie et l'Iran rédigent en ce
moment l'acte d'enterrement des accords secrets Sykes-Picot, signés le 16 mai
1916.
21.8.16
Analyse 10 (2016). Alep, centre névralgique de la guerre entre puissances
Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 21 août 2016
Alep, centre névralgique de la guerre
entre puissances
La Turquie a-t-elle lâché ses protégés djihadistes à Alep ?
Selon un diplomate européen "sans les Russes et sans les milices
pro-iraniennes, l'armée syrienne ne peut rien faire".
Nous pouvons dire la même chose de la
"rébellion syrienne" : sans l'arrivée massive de djihadistes venus du
monde entier via la Turquie, la base arrière de la rébellion dite syrienne,
ainsi que le soutien massif financier et militaire de l'Occident mené par les
Etats-Unis et leurs milices locales "la coalition islamiste Fatah Halab (la conquête d'Alep"),
le groupe salafiste armé "Ahrar
Al-Cham", le "Front
Al-Nosra", une franchise d'Al-Qaida
rebaptisée "Front Fatah Al-Cham",
un pilier de la coalition Jaïche
Al-Fatah, tous soutenus par les pays "amis" des Etats-Unis, l'Arabie
saoudite, le Qatar, la Turquie, Israël, la guerre en Syrie et le massacre de
civils seraient terminés depuis longtemps.
A ceci, il faut rajouter la présence officielle de
5000 militaires américains en Irak qui prêtent main forte aux "Forces démocratiques syriennes"
(FDS), une alliance dominée par les combattants kurdes, leur milice locale en
Syrie et la milice de l'ancien gouverneur de la province de Mossoul, Atheel
Al-Noujaifi, financée, équipée et entraînée par la Turquie. «Un détachement de
l'armée turque fort de plusieurs centaines d'hommes est entré en Irak pour
s'installer à Bachika, où il entraîne les hommes d'Atheel Al-Noujaifi.»
Nous voyons bien qu'en plus des milices à la solde
des puissances mondiales et régionales, celles-ci envoient leurs propres
détachements militaires sur le terrain en Irak et en Syrie.
Les guerres en Irak et en Syrie sont étroitement
liées, impliquant des puissances militaires mondiales et régionales à la
recherche de zones d'influence, de bases militaires, de marchés, de voies de
communications terrestres, aériennes, maritimes ainsi que de voies
d'acheminement du gaz et du pétrole et d'accès à la mer.
Le diplomate européen n'est pas seul dans son
"analyse" unilatérale. Selon Suheir Atassi, membre de l'opposition
syrienne au sein du Haut Comité des négociations (HCN) : "la solution à la crise en Syrie passe par
l'éviction de l'Iran". (Le Monde
du 10 août 2016).
Monsieur Atassi n'ignore sûrement pas la portée
internationale de la guerre en Syrie et en Irak. Il roule pour ses protégés
occidentaux et soutiens saoudiens et autres turcs et qataris. En effet, pour
représenter le HCN, il doit passer par
le MOM, une structure de coordination hébergée dans les bases militaires
du sud de la Turquie, où siègent les principaux partenaires des
"rebelles" syriens (Arabie saoudite, Qatar, Turquie, France,
Royaume-Uni, etc.), sous la baguette de la CIA.
Depuis peu, la guerre pour la prise d'Alep est
entrée dans une phase décisive. Des fronts se fissurent (la Turquie et l'Arabie
saoudite s'opposent aux choix de leur parrain américain) et de nouvelles
alliances se forment : l'Arabie saoudite se rapproche d'Israël. En effet, selon
la presse du mois de juillet 2016, Anwar Eshki, un général saoudien et
conseiller familier de la monarchie, s'est rendu en Israël. Dans quel but ?
Pour créer, entre autres, une alliance contre le développement de l'influence
iranienne au Moyen-Orient (une alliance qui passerait par la reconnaissance de
l'État d'Israël)? Comment ? En
augmentant le soutien aux djihadistes wahhabites ? Ou en soutenant
l'instabilité aux frontières iraniennes ? Ou les deux à la fois ? Le mutisme
est de mise ! Nous verrons les conséquences sur le terrain.
Tandis que la Turquie, inquiète du soutien des
Etats-Unis aux Kurdes syriens, se rapproche de l'axe Russie-Iran. En effet, les
Etats-Unis souhaitent la création d'une entité kurde au sud de la Turquie. Les
Kurdes syriens sont regroupés au sein des "Unités de protection du
peuple" (YPG), la branche armée du "Parti de l'union
démocratique" (YPD).
Pour mémoire : l'opposition frontale de la Turquie
et de ses "amis" saoudiens et qataris au régime de Bachar Al-Assad,
leur soutien aux djihadistes et à l'Etat islamique (EI), ont provoqué
l'indulgence, voire le soutien (politique et militaire) de la Russie et de
l'Iran aux combattants kurdes de Syrie, alliés du Parti des Travailleurs du
Kurdistan (PKK) de Turquie. Le 14 mai 2016, les combattants kurdes ont abattu
un hélicoptère Cobra de l'armée turque à l'aide d'un "système portatif de
défense aérienne" (Manpad), de fabrication russe, dans la province
d'Hakkari.
Sous la protection des bombardiers américains, les
combattants Kurdes ont considérablement étendu leur territoire, avançant un pas
de plus vers la création de l'entité kurde au nord de la Syrie, le cauchemar de
la Turquie qui ne cesse de critiquer son "ami" américain.
Le rapprochement de la Turquie avec la Russie et
l'Iran sur la question kurde signe-t-il le revirement de la Turquie (menacée de
partition) sur Alep ? En un mot, la Turquie, base arrière des djihadistes,
arrêterait de les soutenir à Alep et les Russo-iraniens prendraient leur
distance d'avec les kurdes de YPG ? L'armée syrienne et les milices qui la
soutiennent mettraient la main sur Alep et la Turquie échapperait, pour
l'instant, à la partition.
Toujours est-il que la visite d'Erdogan à
Saint-Pétersbourg, mardi 9 août,
aura des conséquences sur le cours des événements à Alep et en Syrie. Ladite
visite a été suivie par celle, qualifiée de "surprise", du ministre turc des affaires étrangères à Téhéran.
Question : le bombardement, le 18 août 2016, des positions kurdes dans la ville mixte d'Hassaké,
située au nord est de la Syrie, par l'aviation syrienne, serait-il la première
conséquence de la visite d'Erdogan-Poutine ?
Malgré le survol du ciel d'Hassaké par l'aviation
américaine, les combats y font actuellement rage. Parallèlement, les
bombardements des "rebelles" syriens ont augmenté d'intensité depuis
que les bombardiers Tupolev 22 décollent, depuis mardi 16 août 2016, de la base aérienne de Hamadan, située à l'ouest de
l'Iran. Autant de signes qui font penser à un revirement des positions de
l'État turc (sur la Syrie) qui n'exige plus le renversement de Bachar Al-Assad
!
26.7.16
Analyse 9 (2016) : Dans les entrailles du coup d'Etat avorté en Turquie
Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 26
juillet 2016
Dans les entrailles du coup d'Etat
avorté
des 15-16 juillet en Turquie
Vers la république islamique de Turquie ?
37 ans
après la victoire de la révolution islamique d'Iran en février 1979 ( dont se
moquèrent des Turcs kémalistes et des «Turcs blancs», l'élite occidentalisée),
assistons-nous à la naissance de la "république islamique de Turquie"
?
Un retour
sur l'histoire du pays montre que l'empire ottoman s'est constitué en 1299. Il
atteint son apogée au XVIe siècle sous le règne de Soliman le
Magnifique. L'empire décline à partir du XVIIe siècle. En 1913, la défaite de la première guerre balkanique amène
les Jeunes-Turcs (Parti Union et Progrès) au pouvoir de l'empire.
Celui-ci est démantelé en 1920 après le traité de Sèvres.
Le 9 septembre 1923,
le parti unique Cumhuriyet Halk Partisi (Parti républicain du peuple) est
créé. C'est le début des réformes kémalistes.
Le 29 octobre 1923, la Grande Assemblée nationale de
Turquie proclame la République
et Mustafa Kemal Pacha (Atatürk) devient le premier président de la
République. Le califat, instauré
à la fin du XIIIe siècle, est
donc aboli après sept siècles d'existence !
Pendant
ces 7 siècles, la charia sert de loi
fondamentale dans un empire sectaire et discriminatoire, avec son lot de
restrictions, d'interdits, de misogynie et d'exclusions en tout genre. La femme
compte pour la moitié de l'homme, la polygamie est autorisée, l'adultère est
passible de lapidation. L'inégalité sociale est érigée en loi
"naturelle", le voleur amputé des doigts ou des mains, car il serait
«né» criminel. Le sort des homosexuels ou des lesbiennes n'est pas meilleur; ils continuent à souffrir .
Les citoyens de confessions autres que musulmane comptent comme des êtres inférieurs et paient un impôt.
C'est ainsi que «Slaves, Grecs ou Arméniens, pauvres et démunis, se
convertissent à l'islam pour ne pas payer le haraç (impôt prélevé sur les non-musulmans) et deviennent ottomans.»
Sept
siècles plus tard, en 1930, Mustafa Kemal Pacha (Atatürk), sans se demander s'il
agit conformément à la charia (!), décide
d'un coup de crayon d'accorder aux femmes turques le droit de vote et
d'éligibilité pour les élections municipales, et en 1934 pour les élections
législatives.
En 1924,
au grand désespoir des fondamentalistes, une
nouvelle constitution est adoptée, la laïcité est imposée et la femme devient l'
"égale" de l'homme, du moins en théorie. Elle s'habille à
l'occidentale, et elle est encouragée à
occuper la scène sociale. Des réformes
modernes et progressistes sont imposées d'en haut à une société civile vivant encore dans la torpeur du
moyen-âge.
Force
est de constater que les changements sociétaux sont intervenus trop tôt, trop
vite et la Turquie profonde, encore très croyante, pratiquante et attachée aux
valeurs du califat, n'a pas eu le temps de les digérer, restant même réticente
aux changements, voire opposée à la modernité.
Moins
d'un siècle après l'adoption de la Constitution en 1924, la Turquie profonde
pense avoir trouvé en Recep
Tayyip Erdoğan, fondateur du «Parti de la justice et du développement»
(AKP), parti «islamo-conservateur» (qualificatif de la presse occidentale),
l'homme qui serait capable de redonner à la société et à l'Etat turcs son
caractère islamique, en s'écartant de la laïcité imposée ainsi qu'à ses effets
pour la femme turque.
Il faut souligner que
l'AKP, courant islamique de la bourgeoisie turque, n'est pas tombée du
ciel. Le fondateur de l'AKP, Recep Tayyip Erdoğan, a commencé sa formation politique dans les
années 1970 au sein de l'organisation de jeunesse du Parti du Salut National
(Milli Selamet Partisi) fondé par Necmettin
Erbakan.
Le Parti du bien-être, fondé par Necmettin Erbakan en 1983, arrive au
pouvoir en 1996.
Les deux courants de la
bourgeoisie turque, d'accord sur les alliances pro-occidentales de l'Etat ainsi
que sur les grandes lignes économiques, diffèrent sur les choix de société.
L'un est laïque et moderne tandis que l'autre est islamique et rétrograde.
Le conflit entre les
deux courants est permanent. Un seul exemple. La
Cour, dont la majorité des juges a été
nommée par l'ancien président de la République, Ahmet Necdet Sezer, un laïc, annule en juin 2008 deux amendements autorisant le voile dans les universités, votés le 7 février 2008 par le Parlement turc.
Au
pouvoir depuis 2002, l'AKP gère la mégalopole Istanbul depuis 2004 et fait glisser la société vers
plus de religion en s'écartant de
la sacro-sainte loi laïque. Les rues se remplissent
de plus en plus de femmes voilées et d'hommes barbus.
La
bataille de la place Taksim
Il va de soi que
les Turcs attachés à la modernité résistent. En juin 2013, ils se sont
massivement investis, pendant trois semaines, pour la défense du parc Gezi
(Taksim) menacé par un projet de réaménagement. Erdoğan a du reculer face à la détermination de centaines
de milliers de défenseurs de la place
Taksim.
Depuis la nuit du coup d'Etat avorté des 15-16
juillet, des milliers de partisans de l'AKP, dont des femmes voilées, affluent
sur la place Taksim et la reconquièrent en scandant Allahou
Akbar ! (Dieu est grand).
"Occuper Taksim, c'est faire entendre notre
voix au monde entier" assure un manifestant pro Erdoğan. Une grande mosquée
sera construite sur la place !
La prise de la place Taksim par les partisans de l'AKP
symbolise la victoire de l'aile conservatrice-islamique de la bourgeoisie
turque sur l'aile laïque et progressiste.
Les purges ayant frappé des milliers de juges, de
journalistes et d'universitaires devraient satisfaire les nostalgiques du califat.
La Turquie se dirigerait-elle vers une république islamique à l'iranienne ? Les
progressistes laïcs n'ont pas encore dit leur dernier mot. Turbulences sociales
en perspective.
Tout porte à penser que le coup d'Etat des 15-16
juillet était la réaction d'une fraction de l'armée (un tiers de l'état-major,
plus d'une centaine de généraux) soucieuse de préserver le caractère laïc et
démocratique de la République. Pourquoi le gros de l'armée s'est-il tenu à l'écart du coup d'Etat ?
A court terme, la victoire éventuelle du coup d'Etat
pouvait écarter les conservateurs islamiques du pouvoir, assurant la continuité
de l'État laïc, hérité d'Atatürk.
A long terme, les fractures au sein de la société se
seraient accentuées. Le danger de scission territoriale aurait sérieusement menacé le Kurdistan turc, aidé par les Kurdes syriens et
irakiens.
Nous pensons que l'armée turque, instruite par
l'expérience afghane - où les Talibans formés
à l'école wahhabite ont réussi à mobiliser le peuple croyant contre les
«mécréants» Russo-afghans – aurait
pour projet de mobiliser, à son tour, la majorité
sunnite de la population kurde contre les marxistes «impies» du PKK (Parti des
travailleurs du Kurdistan), via l'islamisation de la société.
Autrement dit, l'armée préférerait une Turquie
islamisée, mais unie, plutôt qu'une Turquie laïque et républicaine, mais en
danger de partition.
C'est
un dessein diabolique, mais tenable. Cette tactique aurait pour conséquence la
marginalisation du PKK et la préservation de l'unité territoriale de la Turquie. L'avenir nous dira si
Erdoğan deviendra, comme Mustafa Kemal Pacha (Atatürk), le «père» de l'unité nationale.17.7.16
Analyse 8 (2016) : Le deuxième enterrement de l'empire ottoman
Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 17
juillet 2016
Le deuxième enterrement de l'empire
ottoman
Quel rapport existe-il entre l'Etat islamique
(EI), d'une part et la Turquie, d'autre part?
La création de l'EI ressemble, à s'y méprendre, à
celle d'Al-Qaida. Organisation sectaire djihadiste, formée à l'école wahhabite,
promotrice de la guerre de religion, équipée essentiellement de matériel de
guerre américain et financée par les donateurs saoudiens et autres qataris et
koweitiens. Faut-il rappeler que pendant la bataille de Kobané, ville peuplée
majoritairement de kurdes syriens, située à la frontière turque, l'EI a reçu
par "mégarde" plusieurs colis d'armes jetés par des avions américains
à destination des combattants kurdes.
Faut-il rappeler que l'EI est encore le chouchou
des "amis" arabes des puissances occidentales. La presse arabophone
qatarie qui diffuse des informations différentes de la presse anglophone,
qualifiait l'EI comme la tête de pont de la "révolution sunnite" au
Moyen-Orient.
Des milliers de Saoudiens, Qataris ou Emiratis
continuent à combattre dans les rangs de l'EI qui reçoit toujours encore des dons en provenance des
pays arabes du Golfe Persique via la Turquie. En effet, ce pays est la base
arrière de l'EI qui dispose de
bastions en territoire truc, à l'image d'Adiyaman, ville turque. La Turquie est le passage obligé des combattants
en provenance d'Asie (Caucasiens et autres Tchétchènes ou Indonésiens),
d'Afrique et d'Europe , ainsi que des armes et de l’argent. L'EI y fait même
soigner ses blessés.
A son tour, la Turquie, s’appuie sur l'EI pour combattre les dissidents kurdes de part et
d'autre de la frontière, lui achète du pétrole à prix cassé et continue
d’accéder à une partie des marchés irakien et syrien sous la coupe de l'EI qui
ne manque d’aucun produit de première
nécessité.
Pour les autorités turques, l’EI
leur sert à négocier leur place sur l'échiquier moyen-oriental où une autre
puissance, l'Iran, tente de s'imposer. Cela risquerait de réduire
substantiellement la voie d'accès des camions et entreprises turques aux
marchés du Moyen-Orient, via l'Irak et la Syrie.
La complémentarité stratégique des
deux entités turque et EI laisse à penser que la Turquie considère les
territoires acquis par l'EI comme une extension de son territoire, lui permettant
de ressusciter, ne serait-ce que partiellement, l'empire ottoman défunt, en
mettant la main sur près du tiers de l'Irak et de la Syrie. L'accent
confessionnel de l'actuel gouvernement turc voulant ériger l'Islam en idéologie
de l'État laïc, dénote-t-il de sa volonté de créer l'unité idéologique avec
l'EI, respecté par les intégristes turcs ?
Une chose est sûre :
la politique étrangère de l'actuel pouvoir turc est en contradiction avec celle
de ses parrains occidentaux, décidés à en découdre avec l'EI devenu
incontrôlable. Il faut rappeler que les puissances colonialistes sont pour un
état confessionnel ou ethnique sous contrôle. Al Qaida a payé au prix fort son
opposition aux Etats-Unis.
La presse occidentale n'a pas
tardé à stigmatiser la politique étrangère "néo-ottomane" d'Erdogan, qualifié de "nouveau sultan", pratiquant une
politique intérieure "de plus en
plus islamiste et autoritaire".
Toujours est-il que depuis la mise
à l'écart de l'ancien premier ministre, Ahmet Davutoğlu, le 22 mai 2016, la politique étrangère de
l'actuel pouvoir turc semble avoir emprunté
un tournant à 180°. Après six ans de brouille, la Turquie s'est
réconciliée, dimanche 26 juin 2016,
avec Israël. Lundi 27 juin, Erdogan
s'est excusé auprès de Moscou pour le bombardier russe abattu par la Turquie le
24 novembre 2015. Coïncidence ou acte prémédité de longue date, trois kamikazes
de l'EI ont attaqué, mardi 28 juin,
l'aéroport international Atatürk d'Istanbul, tuant 41 personnes. Cet
acte signe la rupture des relations stratégiques entre l'EI et la Turquie dont
le rêve de "grande puissance" régionale s'évanouit définitivement.
C'est le deuxième enterrement de l'empire ottoman.
Maintenant, tout
semble s'accélérer. Dans un entretien accordé à l'envoyé spécial du quotidien Le Monde, Mevlut Cavusoglu, le nouveau
premier ministre turc, a déclaré que "nous
avons stoppé le flux de combattants étrangers depuis longtemps. Notre liste
d'interdiction d'entrée compte 50 000 noms, nous avons refoulé plus de 3000
personnes, un millier sont détenus en Turquie." (Le Monde du 5 juillet 2016). Wait and see. Il faut souligner que les
effets concrets d'un changement de politique mettent du temps à se faire
sentir.
Après s'être engagé
à renverser Bachar Al-Assad, l'ennemi d'Erdogan (!), les autorités turques
viennent de déclarer qu'elles sont
prêtes à travailler avec la Syrie. Une manière de reconnaître la légitimité du
président syrien. Ses parrains iraniens et russes exultent.
La Turquie se rallie donc à la
"real politique" de son parrain américain. C'est la preuve que les
intérêts d'ordre mondial des grandes puissances priment sur les intérêts
d'ordre régional ou local de leurs alliés.
Il reste encore un
petit effort à faire en direction de la minorité kurde de Turquie. En effet,
pour Mevlut Cavusoglu "utiliser des
terroristes [Kurdes-NDLR] pour
combattre une autre organisation terroriste est une erreur grossière. Le
PKK et les YPG (organisations kurdes) "veulent
créer leur propre "entité".
C'est très dangereux."
21.6.16
Analyse 7 (2016) : La Turquie après l'Irak et la Syrie ?
Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 21 juin 2016
La
Turquie après l'Irak et la Syrie ?
La décomposition de l'empire ottoman est-elle
vraiment terminée ?
Pourtant, tout avait bien commencé pour le
"sultan Recep Tayyip Erdogan", président turc, qui songeait peut-être
à arracher quelques morceaux de territoire de ce qui fut jadis l'arrière cour
du défunt "empire ottoman".
En effet, l'Irak est en état de décomposition
avancé. Le pouvoir central n'a plus de prise sur le Kurdistan irakien qui
s'émancipe sous la "protection" des Etats-Unis, voire d'Israël. Les
sunnites sont majoritairement sous la coupe de « l'Etat islamique"
(EI) en pleine déroute.
La Syrie est un champ de bataille où les puissances
militaires occidentales et orientales se livrent une guerre sans merci par
"forces spéciales" (américaines, britanniques, françaises), milices
confessionnelles (chiites et sunnites) ou ethniques (Kurdes, Arabes, Turkmènes,
etc.) et conseillers iraniens, russes, américains, français, britanniques
interposés.
Tout avait bien commencé pour Erdogan, mais les
rapports de force mondiaux et régionaux n'ont pas tranché en sa faveur. En
effet, côté occidental, il existe plusieurs types d'alliances en Syrie, souvent
opposées. La plus importante est le MOM, un centre d'opération militaire
installé dans le sud de la Turquie où siègent les principaux partenaires des
mercenaires djihadistes (Arabie saoudite, Turquie, Qatar, France, Royaume-Uni),
sous la baguette de la CIA. L' "Armée de la conquête" - cartel djihadiste et wahhabite formé
d'Ahrar Al-Cham, et du Front Al-Nosra, une émanation d'Al Qaida - est
grassement armée et entretenue par le MOM et par l' "impôt religieux"
versé aux djihadistes par des richissimes citoyens-donateurs saoudiens, qatari,
koweitiens, etc.
"Forces démocratiques syriennes" (FDS),
une coalition de groupes kurdes et arabes, dominés par des "Unités de
protection du peuple (YPG) - une émanation du "Parti des travailleurs du
Kurdistan" de Turquie (PKK) en guerre contre l'Etat turc - qualifiées de
"terroristes" par Ankara, mais soutenues par les Etats-Unis.
Il faut souligner que les YPG, considérées comme un
allié fiable par Washington, sont engagées dans la reconquête de Rakka, la
"capitale" de l'EI en Syrie. Le but final des YPG est de réaliser
" la jonction entre les cantons
kurdes de l'est (Kobané, Jazira) et de l'ouest (Afrine)". Ce qui
faciliterait la formation d'une entité kurde au sud de la Turquie. Un sacrilège
pour Ankara.
Pour la Turquie, la menace est multiple. Elle est
prise entre deux feux : celui du PKK à l'intérieur du pays, surtout à
Diyarbakir, province peuplée majoritairement de Kurdes, hostiles au pouvoir central, d'une part et
celui du YPG sur son flanc sud, d'autre part.
Pour manifester leur soutien aux combattants kurdes, les instructeurs américains portent les insignes du YPG sur leurs uniformes.
La divergence irréconciliable américano-turque éclate ainsi au grand jour.
Irréconciliable, car la politique régionale du
pouvoir turc vis-à-vis des Kurdes est opposée aux plans américains, établis au
temps de Georges W. Bush, de construction de nouveaux Etats à caractère
ethnique (kurde) ou confessionnel au Proche et Moyen-Orient.
Pour parer aux dangers qui menacent sérieusement
l'intégrité territoriale de la Turquie, le pouvoir s'appuie désormais sur les
forces les plus réactionnaires régionales et nationales.
Sur le plan régional, la Turquie soutient l'Etat
islamique, bête noire des puissances occidentales qui subissent ses attentas
meurtriers. Elle bombarde les combattants kurdes anti-Daesh et autorise
l'approvisionnement de l'EI en combattants, armes et argent via la Turquie.
L'ennemi commun kurde rapproche Ankara et l'EI.
Alliée de Daesh (acronyme arabe de l'Etat
islamique), la Turquie s'oppose en fait à la politique de ses alliés américains
et français dans cette partie du monde. Ambiance.
La zone située entre Jerablus et Azaz, ainsi que la
ville de Manjib, villes syriennes situées au sud de la frontière turque, sont
les portes d'entrée de l'aide à Daesh. Manjib, située dans un corridor entre la
Turquie et Rakka est actuellement
encerclée par des FDS, soutenues par des forces spéciales américaines et
françaises.
Les Etats-Unis et la France contre les intérêts
turcs en Syrie ? Oui sur le terrain, même si
- sur le papier - les trois pays sont membres de l'Alliance Atlantique
(OTAN), et alliés stratégiques. Je te tiens, tu me tiens…
Sur le plan intérieur, Erdogan tente de
reconfessionnaliser l'Etat laïc en s'appuyant sur la frange intégriste de la
population afin de faire renaître l'esprit de l'empire ottoman du défunt califat.
Cette fois-ci, l'Histoire se répète de façon comique !
L'expérience millénaire des guerres montre que pour
éloigner les périls et assurer la protection des périmètres d'intérêts naturels
d'une puissance ou d'un empire (frontières et zones d'influence), il faut
déployer ses forces militaires au-delà des frontières, aménageant une "profondeur stratégique", en ouvrant
de nouveaux fronts contre les adversaires potentiels. Ce qu'a fait l'Iran, à
l'instar des puissances militaires occidentales, en créant des "forces de
réaction rapide", en déployant les milices chiites pro-iraniennes
(irakienne, syrienne, libanaise, afghane, pakistanaise) en Irak et en Syrie et
en renforçant ses alliés à la frontière nord d'Israël. Ce que font
régulièrement les puissances militaires et colonialistes occidentales
américaine, britannique, française en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient.
Cette leçon de l'Histoire a peut-être échappé à la
Turquie actuelle, résidu de l'empire ottoman. Le pays est en guerre contre sa forte
minorité kurde du Diyarbakir et menacé d'encerclement par les Kurdes syriens et
leurs cousins turcs et irakiens, épaulés par les puissances militaires
occidentales. Voici le cri d'alarme d'Erdogan : "Ceux qui utilisent l'organisation terroriste PYD [ Parti de l'union démocratique (un parti
kurde syrien, émanation du PKK)] pour encercler la Turquie sur sa
frontière sud cherchent à couper nos liens avec le Moyen-Orient et l'Afrique du
Nord." (Benjamin Barthe et Marie Jégo - Le Monde du 02 juin 2016).
"Ceux",
ce sont les décideurs des puissances occidentales qui, en d'autres temps, ont
contribué au dépeçage de l'empire ottoman. Maintenant ils tiennent à faire
aboutir le projet du "chaos
constructif". Ceux-là n'ont rien à cirer d'un Etat fragilisé, en prise
avec la rébellion kurde qui perdure et qui menace la Turquie de partition si
elle ne change pas sa politique envers la communauté kurde de Turquie.
Tout porte à penser qu'Ankara n'a pas su s'adapter
à temps à une géopolitique en plein bouleversement. En effet, loin de pouvoir
projeter ses forces au-delà de ses frontières, la Turquie subit de plein fouet
l'assaut simultané des combattants kurdes de l'intérieur et de ceux de
l'extérieur, transformés en fantassins des Etats-Unis.