Politique et géopolitique. Deux siècles de guerre au Moyen-Orient et en Asie Centrale. Analyse géopolitique de l'évolution des rapports de forces des acteurs régionaux et mondiaux au Proche et au Moyen-Orient: Afghanistan, Irak, Iran, Liban, Palestine et Syrie face à une guerre permanente. Naissance d'une nouvelle alliance militaire de portée mondiale.
30.11.18
1.11.18
Analyse 14 (2018). Le baiser de la mort d'Istanbul
Paix et Justice au
Moyen-Orient
STRASBOURG, le 1er novembre 2018
geopolitique.mo67@gmail.com
Le baiser de la mort d'Istanbul
Que se passerait-il si l'Iran
retirait son soutien au régime syrien ?
Samedi 27 octobre, les
chefs d’État français, allemand, russe et turc, se sont réunis à Istanbul, et ont appelé à un cessez-le-feu « stable et durable » à Idlib. Lors
d’une conférence de presse qui a suivi cette rencontre, Emmanuel Macron président français a déclaré : « Nous
comptons sur la Russie pour exercer une pression très claire sur le régime, qui
lui doit sa survie » afin de garantir un « cessez-le-feu
stable et durable à Idlib ». (Lemonde.fr du 27 octobre 2018 avec AFP)
L'Iran, principal soutien
militaire, politique et financier de l'actuel régime syrien, n'a pas été convié
à cette réunion. Que se cache-t-il derrière l'injonction française à propos
d'un « cessez-le-feu stable et durable à Idlib »? Pour
comprendre le véritable enjeu de la réunion d'Istanbul et les raisons de
l'absence de l'Iran, un rappel sur le rôle de chacun des protagonistes pendant
la guerre de Syrie s'impose.
Pourquoi la guerre de Syrie ?
La guerre de Syrie
poursuivait les mêmes objectifs, sinon davantage, que la guerre d'Irak et, plus
tard, les guerres du Sud Liban et de Libye : étendre le pouvoir des puissances militaires et financières
occidentales à l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient, après la chute de
l'Union soviétique.
Ladite guerre devait
ensuite se conclure par l'écrasement du Hezbollah libanais, suivi de
l'asservissement de l'Iran, de la mainmise sur l'ensemble des ressources
énergétiques et voies de communication terrestres, maritimes et aériennes du
Moyen-Orient, du démantèlement des grands pays de la région, dont la Turquie,
ainsi que la marginalisation croissante de la Russie et de la Chine.
Comme nous l'avons écrit
dans l'une de nos analyses, «la Syrie est la porte de l'Iran» et, par ricochet,
celle de la Russie. La guerre de Syrie devait exaucer le souhait de l'aile
militariste du pouvoir américain, à savoir : « Make America great again » !
Chose inédite. Dès le début
de la contestation en Syrie, les ambassadeurs français et britannique, alliés
des Etats-Unis au sein de l'OTAN, se sont rendus dans certaines villes
insurgées pour apporter le soutien de leur pays respectif, deux anciennes
puissances tutélaires du Moyen-Orient et de la Syrie, auxdits insurgés.
L'insurrection de la
population syrienne contre le régime dictatorial de Bachar Al-Assad était fort
légitime. Cependant, la visite des ambassadeurs français et britannique aux
insurgés envoyait des signaux clairs de soutien aux insurgés et d'ingérence
dans les affaires intérieures d'un pays souverain.
Le passage de la révolte
pacifique de la population à l'insurrection armée (encouragée par lesdites
puissances et leurs obligés régionaux ?) a fini par transformer la révolte en
guerre (presque) internationale, avec l'intervention directe et indirecte des
puissances militaires occidentales et régionales, en particulier américaine,
française, turque et par djihadistes wahhabites interposés.
L'Iran à l'avant poste de la guerre de Syrie
Dès le début, l'Iran,
associé à la Syrie par un traité d'amitié, s'est fortement impliqué dans la
guerre de Syrie. Même le Hamas palestinien, les démocrates occidentaux et moyen
orientaux se sont trompés sur les vrais enjeux de cette guerre de reconquête en
soutenant les insurgés dont le caractère progressiste - réel seulement avant la
militarisation de l'insurrection - était mis en avant par les puissances
militaires occidentales, la Turquie et les régimes médiévaux et archaïques
saoudien, qatari, émirati.
Face aux milliards de
dollars investis et l'afflux de djihadistes pressés de mourir en «martyr», le
pari de l'Iran paraissait difficile à gagner. C'est à ce moment là que l'Iran
invita la Russie à s'engager dans la guerre ; l’Iran fournissant les
miliciens fantassins aguerris et la Russie son aviation.
Grâce à cette combinaison,
le régime syrien fut sauvé, les djihadistes furent mis en déroute et les
desseins de la coalition occidentale pour remodeler le Moyen-Orient furent mis
en échec.
Il reste encore quelques
poches de résistance dont Idlib, la plus importante, où l'Occident tente de
maintenir le statut quo, sous forme d'un « cessez-le-feu stable et
durable à Idlib », afin de sauver ses djihadistes restants,
indispensables pour faire pression sur le régime syrien et l'Iran, dans
l'espoir d'imprimer leurs marques sur la Syrie de l'après guerre.
Les puissances militaires
occidentales n'ont toujours pas renoncé à leurs desseins diaboliques de
reconquête et de dépeçage des grands pays du Moyen-Orient; desseins hérités de
l'administration George W. Bush.
La Turquie et la Russie ont besoin de l'Iran
L'Occident compte sur la
Russie et la Turquie qui ont des relations (et intérêts) très étendues avec les
pays occidentaux pour faire fléchir la Syrie et l'Iran. «Mais plusieurs escarmouches ont eu lieu ces derniers jours [sur
Idlib] et des frappes du régime ont fait
sept morts vendredi» 26 octobre. (Lemonde.fr du 27 octobre 2018 avec AFP). C'est
le message envoyé par la Syrie et l'Iran aux conférenciers d'Istanbul. La
Russie a vite réagi : sans la participation de l'Iran, impossible de rétablir
la paix en Syrie. CQFD !
Par ailleurs, la Russie et
la Turquie sont conscientes qu'elles ont besoin de l'Iran. Imaginons un instant
que l'Iran retire son soutien au régime syrien : le régime chuterait
rapidement; comme en Irak, on assisterait à la création d'un Kurdistan autonome
au Nord de la Syrie. À son tour, la Turquie a toutes les chances de perdre le
Kurdistan turc qui, associé au Kurdistan syrien, formeraient un «Grand
Kurdistan» au Sud de la Turquie et sous la protection de l'Occident. La Russie
perdrait ses bases militaires et devrait quitter la Syrie. Après la chute du
régime syrien, ce serait le tour de l'Iran de subir la guerre et la
dévastation.
Le baiser de la mort d'Istanbul
Accepter la «main tendue»
et les promesses du couple Macron-Merkel, c'est donner le baiser de la mort. La
Russie et la Turquie - qui savent bien que les puissances militaires
occidentales ne respectent jamais leurs promesses - en sont conscientes. C'est
pourquoi, la conférence d'Istanbul du 27 octobre est mort né et, sans doute,
n’aura jamais de suite.