Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 11
novembre 2015
Djihadistes
wahhabites au service des desseins américains
Voici un journaliste qui donne des leçons de
géopolitique à Barack Obama
Quel est
le point commun - au Proche, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord - entre les
Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l'Arabie saoudite, la Turquie,
Israël ? Ils sont mobilisés pour réaliser le projet de Georges W. Bush,
l'ancien président américain, du "chaos
constructif" qui consiste à décomposer les grands pays multiethniques
(l'Afghanistan, l'Irak, la Syrie, la Libye, le Yémen,…) qui composent la vaste
région nommée souvent le "Grand Moyen-Orient",
en petites entités ethniques et confessionnelles, opposées les unes aux autres
et sous la coupe des puissances militaires occidentales.
Que
reste-t-il de l'Irak, pays aussi vaste que la France mais, actuellement,
dépourvu d'une véritable armée nationale, gangrénée par des milices en tout
genre ? Le pays est actuellement divisé en trois entités : le Kurdistan irakien
autonome, tourné vers la Turquie qui achemine son pétrole via le port de Ceyhan
vers l'Occident et exporte ses marchandises vers le Kurdistan lequel paie en
pétrodollars. Le "Sunnistan"
de l'Etat islamique (EI), proclamé en 2014, qui combat ses ennemis dont les
kurdes et les chiites, présents au centre et au sud de l'Irak, sous influence
du voisin iranien qui y entretient des milices sous ses ordres, y écoule ses
produits agricoles et industriels, son gaz, son électricité, ses armes, etc. Il
est à souligner que la décomposition de l'Irak convient parfaitement à l'Iran
qui ne souhaite pas avoir un Irak uni et puissant comme voisin.
La Syrie
ne connaît pas un sort meilleur et sa décomposition est très avancée. Le pays
est pratiquement divisé entre plusieurs ethnies et confessions. L'ouest appelé
la "Syrie utile" ayant
accès à la mer Méditerranée, est encore contrôlé par le régime de Bachar
Al-Assad, soutenu activement pas l'Iran et la Russie, laquelle a dû batailler
en Ukraine, menacer Donbass pour imposer ses priorités stratégiques en Syrie.
En effet, selon Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne, "si nous atteignons un bon degré de
collaboration avec Moscou dans d'autres dossiers - la Syrie, la Libye, le
terrorisme, la migration…- cela peut ouvrir un canal à l'application des
accords de Minsk"(1)sur l'Ukraine. C'est du donnant
donnant.
Méfiante
envers ses adversaires occidentaux, la Russie préfère consolider ses arrières
avant de s'engager sur le terrain syrien. C'est un jeu d'échecs planétaire où
la Corée du Nord, comme un roc, met l'adversaire occidental en respect, en
annonçant la reprise, mardi 15 septembre, de ses activités nucléaires et d'un
possible lancement de satellite. Selon les experts, Pyongyang aurait accumulé
40 kg de plutonium, suffisamment pour mettre au point sept bombes. (2)
L'Amérique
a ses djihadistes bornés, prêts à se faire exploser car formés à l'école
wahhabite de l'Arabie saoudite obscurantiste, fidèle parmi les fidèles. Les
djihadistes sont regroupés au sein de jaïch Al Fatah, l' "armée de la conquête", composée du
Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda et d'Ahrar Al-Chams, l'un des
plus puissants groupes armés dits syriens, d'obédience wahhabite.(3)
Ladite "armée de la conquête"
et l' "Armée syrienne libre" (ASL), son pendant "modéré",
sont soutenues par la Turquie (membre de l'OTAN), le Qatar et le royaume
saoudien (pions régionaux des Etats-Unis) et règnent sur une partie du
territoire syrien.
Certains
groupes armés de l'opposition syrienne, tel l'ASL, sont sélectionnés par la CIA
qui leur fournit des missiles antitanks BGM-71 TOW de fabrication américaine,
livrés depuis la Turquie. Ces lance-missiles sont prélevés sur les stocks de
l'armée saoudienne, l'un des principaux fournisseurs de l'opposition syrienne.(4)
Selon Ayman Abdel, journaliste pro-opposition "ils nous fournissent suffisamment de TOW pour embêter Moscou, mais pas
assez pour faire chuter Assad."(4) C'est la confirmation de
ce que disait Federica Mogherini, chef de la diplomatie européenne qui cherche
"un canal pour l'application des
accords de Minsk" avec Moscou, protecteur de Bachar Al-Assad.
Tout porte
à croire que sur le dossier syrien, un accord "secret" existerait bel
et bien entre les américano-russes. En
effet, le ministère américain de la défense (le Pentagone) a formé des
"combattants syriens" anti-EI en Turquie dont le nombre devait passer
à 15000 en trois ans. Déployés dans le nord-est de la Syrie, les combattants
s'engageaient par écrit à ne pas pointer leurs armes contre le régime Assad.(5)
Comme si la Syrie était déjà partagée : l'ouest aux Russes et aux
Iraniens et le nord-est aux Américains ! Les "combattants" formés par
le Pentagone n'avaient même pas le droit de pointer leurs armes contre les
militaires du régime Assad, respectant ainsi la "coexistence
pacifique" des deux puissances militaires sur le champ syrien. L'opération
du Pentagone a été couronnée d'échec. Certains "combattants" ont
rejoint, avec armes et bagages (des jeeps équipées de mitrailleuses), le Front
Al-Nosra qui, malgré sa rhétorique islamiste pure et dure, fait partie de l'
"armée de la conquête"
turco-saoudo-américaine.
Les
phénomènes contradictoires ne manquent pas sur le champ de bataille syrien. La
Turquie participe au découpage de la Syrie, mais se sent menacée par la
création d'une entité kurde. L'Arabie saoudite forme des miliciens
fondamentalistes et des kamikazes qui sèment l'instabilité au sein même du
royaume wahhabite en critiquant sa servilité envers le patron américain.
Il faut
souligner que les Kurdes syriens du PYD (Parti de l'union démocratique), sont
courtisés par Moscou et Washington qui a parachuté récemment, au grand dam
d'Ankara, 50 tonnes d'armes et munitions aux unités kurdes.(5)
Israël,
autre allié régional des Etats-Unis, ne reste pas les bras croisés. L'aviation
israélienne mène souvent des raids meurtriers sur des bases de l'armée syrienne
dont la 155e et la 65e divisions de l'armée syrienne
formées de soldats d'élite. Israël a lancé plus d'attaques en cinq jours que
sur l'ensemble de l'année 2014.(7)
Qu'en
est-il de la Libye ? L'assassinat, sous l'égide du couple franco-britannique,
de Kadhafi, l'ancien dirigeant libyen, a abouti de facto à une partition da la
Libye en deux gouvernorats rivaux : l'un installé à Tobrouk (Est) qui dirige
surtout l'est de la Libye (la Cyrénaïque). L'autre, installé à Tripoli, est
composé d'islamistes regroupés au sein d'une coalition baptisée "Fajr
Libya" (Aube de la Libye).(8) Les deux factions rivales
s'affrontent dans des guerres ethniques par procuration (la tribu des Ouled
Slimane, alliée aux Touareg contre les Toubou). Ce dont Georges W. Bush a rêvé,
le couple franco-britannique l’a réalisé en Libye ! Parallèlement, l'Etat
islamique consolide ses positions sur une bande de territoire de 200 km autour
de la ville de Syrte, sur le littoral central.(8) Il y aura bientôt
trois gouvernorats.
Le Yémen
ressemble, à s'y méprendre, à la Libye. Le Nord du pays est gouverné par les
Houthistes et le Sud par une coalition de pays arabes du Golfe Persique, dirigé
par l'Arabie saoudite. Les djihadistes d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique
(AQPA) ont participé aux combats au côté de la coalition. Actuellement, le
drapeau noir d'Al-Qaïda flotte sur le commissariat de police de Tawahi, un
quartier d'Aden, où les fondamentalistes ont organisé des parades militaires.(9)
A Aden, les djihadistes d'Al-Qaïda ont entrepris d'imposer leur morale à
l'université et dans les super marchés, exigeant la fin de la mixité. Que font
les militaires saoudiens et émiratis retranchés dans leurs bases ? "on ne les voit jamais dans les rues".
Autrement dit, ils laissent faire ! L'AQPA est actuellement équipé de blindés,
de tanks, et de batteries de missiles de fabrication américaine, et ont aussi
saisi 6000 tonnes de diesel.(9)
En diffusant
leur morale obscurantiste, les djihadistes wahhabites rendent un grand service
aux puissances occidentales qui craignent le réveil des peuples arabo-musulmans
: maintenir le Proche et le Moyen-Orient dans l'obscurantisme et empêcher leur
développement social et scientifique; leur émancipation politique et
économique.
Tout porte
à croire que certains journalistes ne comprennent pas le "Grand jeu"
qui se déroule sous nos yeux au Proche et au Moyen-Orient. Un seul exemple.
Christophe Ayad, journaliste au quotidien Le
Monde ose qualifier Barack Obama d' "incapable d'user de la force, discrédité auprès de ses proches alliés,
la Turquie, l'Arabie saoudite et même la France, et prêt à se faire berner par
l'Iran".(10) Donner une telle image de Barack Obama, chef
de la plus puissante armée du monde, entouré de conseillers autrement plus
qualifiés que monsieur Christophe Ayad, représente une ignorance totale des
enjeux géopolitiques.
En effet,
pourquoi envoyer l'armée américaine en Syrie alors que Washington atteint ses
objectifs par miliciens wahhabites, combattants kurdes et syriens interposés ?
Ils reçoivent des tonnes d'armes et œuvrent collectivement à la décomposition
de la Syrie, projet américain du "chaos
constructif".
Le proche
et le Moyen-Orient se trouvent au stade post-accords Sykes-Picot, conclus le 16
mai 1916. Ces accords ont donné des frontières artificielles aux lambeaux du
défunt empire ottoman. La conférence internationale de Vienne sur la Syrie,
commencée le 30 octobre 2015, devrait les enterrer définitivement. Nous
connaîtrons bientôt la nouvelle carte géopolitique du Proche et du
Moyen-Orient.
1) Propos
recueillis par Jean-Pierre Stroobants - Le
Monde du 30 octobre 2015.
2) Philippe
Mesmer - Le Monde du 17 septembre
2015.
3) Dossier
sur la Syrie - Le Monde des 18-19
octobre 2015.
4) Benjamin
Barthe - Le Monde du 23 octobre 2015.
5) Benjamin
Barthe (à Gaziantep, Turquie) et Gilles Paris (à Washington) - Le Monde des 11-12 octobre 2015.
6) Marie Jégo
(Istanbul, correspondante) - Le Monde
des 25-26 octobre 2015.
7) Libération du 28 avril 2015.
8) Frédéric
Bobin - Le Monde du 22 octobre 2015.
9) Benjamin
Barthe - Le Monde du 04 novembre
2015.
10) Christophe
Ayad - Le Monde du 30 octobre 2015.
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