Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 10
janvier 2016
Iran-Arabie saoudite : la montée des tensions au
Moyen-Orient
L'exécution le 2 janvier 2016 du prédicateur chiite
saoudien Nimr Baqer Al-Nimr par le régime saoudien a fait monter d'un cran la
tension déjà palpable au Moyen-Orient.
Les pays à majorité chiite ont réagi vivement au
point que l'ambassade saoudienne à Téhéran a été saccagée dimanche 3 janvier
2016 par des "manifestants" en colère, manipulés par la fraction
fondamentaliste du pouvoir iranien.
Certains médias, comme " L'Orient- Le jour " de Beyrouth, cité par le " Courrier international " du 7-13
janvier 2016, voient cette montée de fièvre comme de " l'escalade sunnites-chiites ".
Cette vision confessionnelle et étriquée ne permet
pas d'expliquer les vraies raisons qui ont conduit l'Arabie saoudite et ses
alliés (Bahreïn, le Koweït, le Soudan, les Emirats arabes unis, …) à exploiter
le saccage de l'ambassade saoudienne à Téhéran pour rompre ou réduire leurs
relations diplomatiques avec l'Iran, ainsi que l'apathie des grands pays à
majorité sunnite comme l'Egypte, la Turquie ou le Pakistan qui ont adopté une
attitude neutre.
La compréhension de l'actuelle montée des tensions
n'est possible que dans le cadre de la grande déflagration qui secoue
actuellement des pays comme l'Irak, la Syrie ou le Yémen : en Irak et en Syrie, l'Arabie saoudite, la
Turquie et le Qatar semblent avoir été marginalisés en vue d’un règlement
global de la crise, ou au Yémen où l'Arabie saoudite et ses alliés peinent à
remporter une victoire décisive à l'approche du nouveau round de discussion
entre les belligérants, prévu le 14 janvier 2016 à Genève.
Le tournant a été pris mardi 15 décembre 2015 lors
de la visite de John Kerry à son homologue russe, Sergueï Lavrov, ministre
russe des Affaires étrangères et à Vladimir Poutine, président russe.
L'objectif : sortir du blocage syrien généré par l'insistance des puissances
occidentales et leurs alliés régionaux à démettre Bachar Al-Assad avant tout
règlement de la crise syrienne. Nous saurons plus tard si le partage de la
Syrie et des parts de territoires alloués à telles ou telles puissances
militaires occidentales et régionales - des points très importants du blocage !
- a également été négocié lors de ladite rencontre ? Toujours est-il que John
Kerry a salué une "étape importante"
et un "degré d'unité sans précédent"
de la part des grandes puissances pour trouver une solution politique en Syrie.(1)
La visite de John Kerry a permis de finaliser le
projet du règlement qui a permis aux quinze membres du Conseil de sécurité des
Nations unies (ONU) de voter à l'unanimité, vendredi 18 décembre, la résolution
concoctée par John Kerry, Sergueï Lavrov et Vladimir Poutine pour un processus
de paix en Syrie. Parlera-t-on plus tard des accords Kerry-Lavrov-Poutine à la
place des accords Sykes-Picot qui avaient donné naissance à l'Irak et à la
Syrie dans leurs frontières actuelles ?
L'un des points importants de la résolution invite
le secrétaire général des Nations unies, Ban Kimoon, à réunir les représentants
du gouvernement syrien et de l'opposition "pour des négociations formelles sur un processus de transition
politique sur une base urgente, avec l'objectif du début janvier 2016 pour le
lancement des pourparlers".(1)
Tout porte à penser que le désaccord est total
entre John Kerry et ses alliés saoudiens sur la composition de la délégation de
l'opposition qui ira négocier face au régime. En effet, du 9 au 11 décembre,
Riyad a réuni un large spectre de l'opposition politique et militaire syrienne
qui a abouti "à la création d'un comité politique de 34 membres et à une
plate-forme commune ancrée dans le processus de Vienne."(1) Or,
Damas, la Russie et l'Iran ont vivement critiqué cette initiative saoudienne et
dénoncent la présence en son sein de groupes "terroristes", à
l'instar d'Ahrar Al-Sham,(2) le
puissant groupe salafiste soutenu par la Turquie et le Qatar.(1) La
conférence de Riyad est simplement mentionnée dans le texte Kerry-Lavrov.
Ce qui signifie que les Etats-Unis auraient lâché
leur allié saoudien et cédé face aux exigences russes et iraniennes qui visent
à écarter toutes les milices armées affiliées au triumvirat composé par
l'Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar, dont Jaish Al-Islam, groupe salafiste, adepte de la guerre de religion,
chère à l'Arabie saoudite et à son protecteur américain, et active dans la
Ghouta orientale, la périphérie agricole de Damas.(3)
Zahran Allouche était le chef incontesté de Jaish
Al-Islam, à la tête de 45000 combattants, soutenu financièrement et
militairement par l'Arabie saoudite. Il a péri vendredi 25 décembre (une
semaine après l'adoption de la résolution Kerry-Lavrov par le Conseil de
sécurité de l'ONU), dans un bombardement aérien sur l'une de ses bases
secrètes. Selon Benjamin Barthe, journaliste au quotidien Le Monde (2-3-4 janvier 2016), "en laissant tuer Allouche - ou en le tuant directement -, le Kremlin
sabote la stratégie inclusive de l'opposition".
L'assassinat de Zahran Allouche, dans "l'une de ses bases secrètes"
relèverait-il des clauses secrètes de l'accord Kerry-Lavrov ? La question
mérite d'être posée.
Parallèlement, la Russie envoie, via la Corée du
Nord, un autre message de fermeté, pour manifester sa détermination sur le
théâtre syrien. En effet, l' "ami" nord coréen a testé mercredi 6
janvier 2016 sa première "bombe à hydrogène miniaturisée", bombe plus
puissante et plus légère que la bombe à plutonium.(4) La
concomitance de la rencontre Kerry-Lavrov, le vote à l'unanimité de la
résolution du Conseil de sécurité avec l'assassinat de Zahran Alloche et
l'essai thermonucléaire de la Corée du Nord laisse songeur.
L'élimination du prédicateur chiite saoudien Nimr
Baqer Al-Nimr par l'Arabie saoudite ressemblerait plus à une vengeance (en représailles
à l'assassinat de Zahran Alloche ?) et un combat d'arrière garde qu'à une
guerre sunnites-chiites. La rupture des relations diplomatiques saoudiennes
avec Téhéran et la tentative avortée d'isoler l'Iran sur la scène
moyen-orientale représenteraient aussi un dernier effort de Riyad afin de
modifier les rapports de force en sa faveur. Mais les rapports de force
semblent avoir été modifiés à Moscou en faveur du couple Russie-Iran. Même l'
"ami " français ne pourrait rien pour l' "ami " saoudien.
Les dés de la marginalisation de l'Arabie saoudite
au Moyen-Orient ont été jetés le mardi 15 décembre 2015 et il est difficile que
John Kerry revienne dessus.
1) Marie
Bourreau et Hélène Sallon - Le Monde
des 20-21 décembre 2015.
2) Harakat Ahrar ash-Sham Al Islamiyya ou, plus simplement, Ahrar
al-Sham (en arabe : أحرار الشام, ʾAhrār
ash-Shām, « Libres du Sham ») est un groupe rebelle salafiste apparu au cours de la guerre civile syrienne. Membre du Front islamique syrien, puis du Front islamique, il opère principalement dans les gouvernorats d'Alep et d'Idleb mais aussi partout en Syrie. Il est soutenu par le Qatar et l'Arabie
saoudite(2) (Wikipédia).
3) Benjamin
Barthe - Le Monde du 29 décembre 2015.
4) Philippe
Mesmer - Le Monde du 07 janvier 2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire