22.9.14

Analyse 18 (2014): Les djihadistes, force de frappe des américano-saoudiens

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 22 septembre 2014

                                  
                                           
Les djihadistes, force de frappe des américano-saoudiens

  • L'Arabie saoudite est le pays formateur et fournisseur officiel des troupes de tueurs djihadistes dans le monde !

Vers les années 1980 -2000, on les appelait djihadistes arabes, apparus en péninsule arabique, au Yémen, arrivés en Afghanistan dans le "sac à dos" de Ben Laden, lieutenant wahhabite, le djihadiste en chef, formé dans les écoles coraniques militarisées saoudiennes qui transformèrent le wahhabisme en théologie de consolidation d'un pouvoir obscurantiste et moyenâgeux en Arabie saoudite, puis en instrument de reconquête territoriale au service des Etats-Unis d'Amérique.

L'Afghanistan, passé sous contrôle de l'Union soviétique, "empire du mal", selon Ronald Reagan, ancien président américain, était la cible. La reconquête commença avec l'aide des talibans, "étudiants" formés également dans les écoles coraniques militarisées pakistanaises, "écoles" subventionnées par l'Arabie saoudite. Les Etats-Unis ont armé généreusement lesdits "écoliers".

Caractéristiques particulières des djihadistes arabes et afghans, formés par les mollahs wahhabites ? Ils étaient - et sont toujours - nihilistes, obscurantistes, moyenâgeux et violents. Pour les djihadistes, la mort est un visa d'entrée au paradis. Surprise: après la reconquête de l'Afghanistan, les djihadistes arabes et talibans se sont retournés contre leurs créateurs, qualifiés également d' "impies".

Qu'importe. Les djihadistes wahhabites - moins organisés et moins puissants que les soviétiques - caractérisés par les médias de monstres incontrôlables, furent vite délogés d'Afghanistan par les Etats-Unis et ses alliés qui occupent toujours l'Afghanistan, pays charnière, frontalier des puissances rivales des Etats-Unis. Ce qu'on appelle, en économie, "retour sur l'investissement". En effet, la formation et l'entretien des djihadistes ont un coût, "amorti" lors de la récupération de l'Afghanistan !

Depuis, l'amitié djihadiste scellée entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite continue à fonctionner. Car la réaction obscurantiste moyen orientale, djihadiste ou pas, convient bien aux puissances occidentales en général et aux Américains en particulier.

Lorsqu'un nouveau front s'est ouvert en Syrie, les puissances occidentales s'y sont engouffrées et, fortes de l'expérience afghane, y ont répandu le poison djihadiste. Avec cette différence qu'il y avait, cette fois-ci, deux courants djihadistes: le front Al- Nosra, affilié à Al Qaida, bête noire de l'Occident, et l'Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL), transformé en Etat islamique (EI), le nouveau né sorti des laboratoires des pays du Golfe Persique dont l'Arabie saoudite et le Qatar, et de la Turquie.

Avec le soutien des puissances occidentales, la Turquie acheminait par cars entiers, escortés par l'armée turque, des milliers de djihadistes - endoctrinés, venus du monde entier, en particulier de l'Arabie saoudite et de la Turquie - vers la frontière turco-syrienne.

Al-Nosra n'a pas la côte auprès des monarchies du Golfe Persique, qui l'ont soutenu, mais pas autant que sa rivale l'EIIL. En effet, Al-Nosra est resté un groupuscule sans envergure. L'EIIL, par contre, profita des financements, armements et logistiques de ses amis saoudiens, qataris et turcs.

En plus de son entreprise multinationale de fabrication et d'exportation de tueurs djihadistes, l'Arabie saoudite a même créé un "luxueux centre où Riyad "soigne" ses djihadistes". Spa, piscine olympique, sport et prières, endoctrinement permanent, sont au menu des stages de "déradicalisation" [recyclage ?], écrit Benjamin Barth, dans Le Monde du 6 septembre 2014. Selon le général Mansour Al-Turki, porte-parole de la police, "sur trois mille ex-terroristes [sortis des stages de "déradicalisation"], nous n'avons eu que 10% de rechute".

La reconquête d'un tiers du territoire de l'Irak par les djihadistes de l'EI, et le projet américain d'étendre ses opérations militaires en Syrie, montrent que l'usine saoudienne de fabrication de djihadistes tourne à plein régime et que la liste d'attente d'accès à la piscine olympique, spa, sport et prière, où Riyad "soigne" ses djihadistes", risque d'être longue.

En effet, "les Saoudiens se sont engagés à former et à entrainer des milliers de rebelles syriens, à l'instar de la Jordanie qui abrite un programme clandestin mené par les Américains."(1)

Des milliers de "rebelles syriens", qualifiés de "modérés", vont donc transiter par les écoles coraniques militarisées saoudiennes qui les transformeront en tueurs djihadistes au service des projets américains d'asservir la Syrie. Ce "miracle" permettra également de ressusciter la "moribonde Armée syrienne libre (ASL)."(2)

Dernière minute : Le plan de Barack Obama pour armer les rebelles syriens a reçu un premier feu vert, mercredi 17 septembre, au Congrès américain (...) La Chambre des représentants, dominée par les républicains, a approuvé en un temps record un plan d'équipement et d'entrainement de rebelles syriens modérés (...) M. Obama a confirmé que l'Arabie saoudite avait accepté d'entrainer sur son sol des troupes de l'opposition syrienne."(3)

C'est l'aveu que l'Arabie saoudite, alliée indéfectible des Etats-Unis, est le pays formateur et fournisseur officiel des troupes de tueurs à gage djihadistes dans le monde ! Créée au début pour combattre la dictature de Bachar El-Assad, la rébellion syrienne "modérée" s'est transformée en suppôt des Etats-Unis et de l'Arabie saoudite.

Les propos d'Alain Frachon, chroniqueur au quotidien Le Monde, pèsent de tout leur poids: "L'Arabie saoudite pratique, cultive et exporte une version de l'islam sunnite dont le modèle salafo-djihadiste, celui de l'EI, est une excroissance piquée aux hormones stéroïdes." (4)

Barack Obama, Prix Nobel de la Paix, appliquera-t-il le droit international ? Bien sûr que non. Le président américain compte élargir le champ d'action de l'armée américaine en Syrie, "sans demander l'aval du président syrien"(5). Ce qui a suscité l'ire de Moscou.

Que cherchent les Etats-Unis ? Récupérer les territoires conquis par l'EI en Irak et en Syrie pour y installer, comme en Afghanistan, un pouvoir sunnite(6) "modéré", soumis ?

C'est le principe économique de "retour sur investissement" qui dicte ses lois. En effet, la formation, l'organisation, le transport, l'armement, le financement des djihadistes bornés de l'EI par les Américains, les Saoudiens, les Qataris, les Turques, etc., ont un coût qu'il faudra amortir.

Contrairement à l'Afghanistan, en Irak et en Syrie il faudra compter avec l'appétit d'adversaires coriaces : la Russie et l'Iran ! Des turbulences en perspective. Et la mort ne chôme pas...


1)    Hélène Sallon - Le Monde du 13 septembre 2014.
2)    Service International - Le Monde du 12 septembre 2014.
3)    AFP - Rapporté par Le Monde du 19 septembre 2014.
4)    Le Monde du 5 septembre 2014.
5)    Hélène Sallon - Le Monde du 13 septembre 2014.
6)    Bagdad est prêt à accepter la décomposition du pays. "Si les provinces sunnites veulent créer leur propre territoire, elles peuvent au regard de la Constitution" a indiqué le président irakien Fouad Massoum à Paris. Hélène Sallon - Le Monde du 17 septembre 2014.



13.9.14

Analyse 17 (2014): Les vrais parrains de l'Etat islamique (EI) et la troisième guerre d'Irak

Paix et Justice au Moyen-Orient

 STRASBOURG, le 13 septembre 2014

                                                      
 Les vrais parrains de l'Etat islamique (EIet la troisième guerre d'Irak

  • L'Iran sera-t-il gagnant ou perdant de la troisième guerre d'Irak ?

Au plus fort de l'insurrection armée en Syrie, le trio que composent l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, soutenus par les Etats-Unis, a tenté un coup de poker: favoriser et soutenir la radicalisation confessionnelle de l'insurrection; une radicalisation souhaitée au départ par le régime de Bachar El-Assad qui poursuivait deux objectifs: diviser le mouvement insurrectionnel, puis montrer que les insurgés étaient des islamistes fanatisés affiliés à Al Qaida, abhorré en Occident, lequel est traumatisé par la trahison d'Oussama Ben Laden et de ses affidés en Afghanistan.

Ce coup de poker visait avant tout Téhéran, allié de la Syrie; un allié transformé en puissance régionale, futur interlocuteur des puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis. Le rapprochement américano-iranien devait reléguer tous les autres prétendants au rôle de "puissance régionale" de second rang.

La première étape du plan du régime syrien a bien fonctionné: les djihadistes, en particulier l'EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) ont mené une guerre sans merci contre les insurgés laïcs et "impies", affaiblissant du même coup l'opposition armée contre Bachar El-Assad. Mais, contre toute attente du régime syrien et au lieu de se retourner contre les djihadistes fanatisés, les puissances occidentales et leurs alliés locaux les ont soutenus financièrement et militairement. Un joli coup de poker géopolitique.

La récupération des djihadistes par le trio fut un succès. L'Arabie saoudite, le Qatar, voire même le Kuwait(1), alimentaient la caisse des djihadistes, tandis que "les autorités [turques] ont longtemps fermé les yeux sur le passage de ces rebelles le long de la frontière turco-syrienne et sur les activités de leurs soutiens sur le sol turc." (1)

Selon le député turc d'opposition (Parti républicain du peuple, CHP), "des milliers de citoyens turcs seraient partis combattre avec le groupe djihadiste ces derniers mois. Plus de 5000 volontaires." (2) Volontaires fanatisés dans les écoles coraniques militarisées ?

Les médias aux ordres internationaux ne parlaient plus de l'insurrection armée pour la démocratie et les droits de l'homme en Syrie, mais des rivalités régionales sunnites-chiites séculaires, derrière lesquelles se trouveraient l'Iran (chiite) et l'Arabie saoudite (sunnite).

Le régime syrien paraissait chancelant et la victoire de l'opposition islamisée à portée de main. L'éditorial du quotidien Le Monde du 23 août 2012 était sans appel: "Chacun sait, en effet, que les jours - ou, hélas, les mois - de l'actuel régime syrien sont comptés, que sa chute est inéluctable".

Voici ce que nous avons écrit dans l'analyse 10  du 16 juin 2013: " Même l'essayiste Caroline Fourest, sans vérifier la fiabilité des informations diffusées par une chaîne, filiale de la CIA, écrit dans Le Monde du 25 février 2012: "D'après Al-Arabiya, des opposants au régime iranien affirment que leur gouvernement a fourni un four crématoire à son allié syrien. Installé dans la zone industrielle d'Alep, il tourne à plein régime...pour brûler les cadavres des opposants ?" " Etait-ce un appel à la mobilisation internationale contre les islamo-fascistes à la solde de Téhéran? ça y ressemblait.

Tout l'Occident "civilisé" et le Moyen-Orient rigoriste et réactionnaire étaient contre le régime "impie" de Bachar El-Assad ! Le trio jubilait et les "amis de la Syrie" - puissances occidentales et obligés locaux - se réunissaient au Qatar qui avait offert l'ambassade syrienne à l'opposition. Après Damas, ce sera le tour de Téhéran, se disaient-ils en se frottant les mains !

C'était sans compter sur la détermination de la Russie et de l'Iran pour qui la Syrie est la ligne rouge. Quelques coups de missiles plus tard, lancés par la Corée du Nord vers la mer du japon, le secrétaire d'Etat américain John Kerry se rendit les 7 et 8 mai 2013 en Russie pour s'entendre avec son homologue russe: la Syrie restera dans le giron oriental. C'est le coup de sifflet final (Analyse 10 du 16 juin 2013).

Que faire maintenant avec les djihadistes bornés et millénaristes, un danger pour toute la région? L'expérience de l'Afghanistan a montré que les services saoudiens ne contrôlent pas bien leurs troupes djihadistes(3) qui se retournent contre leurs parrains. En effet, les djihadistes de l'EI ont commencé à déstabiliser la région. Les insurgés syriens, d'une part, et les partis politiques libanais, d'autre part, se sont unis contre les visées hégémoniques de l'EIIL - qui menace l'unité territoriale de la Syrie et du Liban -  dont le programme politique stipule l'instauration d'un califat au Moyen-Orient, à commencer par la Syrie, le Liban et l'Irak, puis l'Arabie saoudite, le Golfe Persique, l'Iran ?

Dans la logique des puissances occidentales, il est toujours utile de conserver l'épouvantail djihadiste quelque temps pour arracher des concessions à l'adversaire. Ce fut fait en Irak où les Etats-Unis ont poussé Téhéran au compromis pour la composition du gouvernement irakien, sous la pression de l'EIIL, transformé en EI (Etat islamique).

Tout porte à croire que Washington est tenté par utiliser la carte de l'EI en Syrie. Les pressions exercées sur la Russie en Ukraine ne sont pas étrangères à la situation syrienne. Affaiblir la Russie à coup de sanctions pour imposer la pax americana en Ukraine et en Syrie? Quelle sera la réaction de Moscou et de Téhéran? Des turbulences en perspective.

Les Etats-Unis et l'Iran sont d'accord pour contenir, voire détruire l'EI. Pour l'instant, la Turquie et l'Arabie saoudite, maîtres es démolition, sont hors jeu.

Seuls l'Iran et ses multiples milices chiites irakiennes, syriennes et libanaises sont en mesure de mener une guerre de guérilla intense et asymétrique. D'autant plus que Téhéran a prouvé qu'il contrôle bien ses troupes. Des contacts ont été pris entre les représentants de Washington et de Téhéran à Genève les 4 et 5 septembre. Dans quel but ?

Une chose est sûre: les Etats-Unis veulent empêcher l'Iran d'étendre son influence en Irak. Ils sont prêts à déclencher une troisième guerre pour réduire l'influence iranienne en Irak afin d'y renforcer la leur. Cette stratégie guerrière satisferait également l'Arabie saoudite et la Turquie.

Pour imposer son autorité régionale, l'Iran devra en finir avec l'épouvantail djihadiste de l'EI, stabiliser l'Etat syrien, consolider sa présence en Irak, réduire la prétention étatique des Kurdes d'Irak. Y parviendra-t-il ? A quel prix pour son économie et la population iranienne?

Question: Vu l'implication grandissante de l'Iran en Syrie et en Irak, peut-on encore parler de l'Iran anticolonialiste ?


1)    Le Koweïtien, cheikh Hadjaj Al-Ajmi est l'un des plus célèbres collecteurs de fonds des djihadistes. Il a posté sur son compte Twitter une photo de lui en Syrie, au côté d'Abou Omar Al-Checheni, l'un des chefs militaires de l'EI. (Benjamin Barthe - Le Monde du 06 septembre 2014).
2)    Guillaume Perrier - Le Monde du 1er août 2014.
3)    Ed Hussain, du Council on Foreign Relations, écrit dans l'International New York Times du 26 août: "Voilà cinquante ans que l'Arabie saoudite parraine le salafisme sunnite d'un bout à l'autre du globe." "Près d'un millier de Saoudiens guerroient dans les rangs de l'EI." Alain Frachon - Le Monde du  05 septembre 2014. On ne sait pas s'il s'agit d'"anciens militaires", de simples citoyens ou de militants endoctrinés dans les écoles coraniques militarisées ? La première et la troisième hypothèse semblent les plus probables.


8.9.14

Analyse 16 (2014): La vision courte de M. Gilles Kepel, professeur à Sciences Po.

Paix et Justice au Moyen-Orient

 STRASBOURG, le 08 septembre 2014

                                                        
                                  
         
La vision courte de M. Gilles Kepel, professeur à Sciences Po.

-      Le pétrole* est une arme redoutable au service des colonialistes
-      La puissance qui domine le Moyen-Orient, domine le monde

Malgré tout le respect dû à Monsieur Gilles Kepel, professeur à Sciences Po, politologue et spécialiste de l'islam, nous ne pouvons pas nous empêcher de critiquer sa vision un peu courte de la géopolitique du Moyen-Orient, exprimée dans les colonnes du quotidien Le Monde du 02 septembre 2014. Il est à souligner que cette vision est largement partagée et diffusée par l'ensemble de l'élite géopoliticienne française, exprimée dans les colonnes des médias officiels.

A la question des journalistes Gaïdz Minassian et Nicolas Weille "Mais le Moyen-Orient aura-t-il la même importance ?" Gilles Kepel répond d'emblée: "Non. Il faut tenir compte de la perte de sa centralité dans la production énergétique mondiale. Désormais, les Etats-Unis sont exportateurs de gaz de schiste et n'ont plus besoin de l'énergie en provenance du Moyen-Orient. (...) Pour les Etats-Unis, dans une stratégie à long terme où la part du Moyen-Orient dans la production d'énergie va décliner, la question se pose de savoir si leur forte présence militaire vaut toujours la peine."

Réduire le rôle du pétrole à un article quelconque de consommation intérieure du marché américain constitue la grande erreur de Gilles Kepel. En effet, pour les puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis, le pétrole joue un rôle stratégique et mercantile.

Le rôle stratégique joué par le pétrole, actuellement la principale source énergétique qui fait tourner la roue de la civilisation mondiale ressort, une fois de plus, du conflit syrien.

Rappelons que la Syrie, un pays souverain, est toujours membre des Nations-unies (ONU) et sa souveraineté politique et territoriale doit être respectée par tous les pays membres de l'ONU. Mais les puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis et leurs alliés régionaux (la Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar, Israël, la Jordanie, l'Egypte, etc.), sont intervenus, dès le premier jour, dans le conflit syrien en soutenant les insurgés et ce, sans le mandat de l'ONU. Rappelons-nous les propos de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères : "Le régime syrien doit être abattu et rapidement".(1)Laurent Fabius exprimait ainsi la position du gouvernement français, toujours animé par ses desseins colonialistes à l'égard des pays du Moyen-Orient.

Pourquoi un tel intérêt pour la Syrie, soutenue elle, par la Russie, l'Iran, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud ? Les raisons sont simples et évidentes: la conquête de la Syrie par les "insurgés" syriens à la solde de l'Occident colonialiste aurait aidé à combattre le Hezbollah libanais, suivi par le Hamas palestinien, aurait aidé à la mainmise sur le Liban, à vaincre le peuple palestinien et à permettre la victoire totale d'Israël dans cette partie du monde. Ce n'est pas tout.

Damas est la porte de Téhéran. La chute de Damas aurait facilité celle de Téhéran qui, sans ses alliés syrien, libanais et palestinien, serait réduit à sa portion congrue, une proie facile à dévorer.

La mainmise occidentale sur Téhéran aurait mis toutes les sources énergétiques du globe sous la coupe des puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis, qui auraient du même coup complété l'encerclement terrestre et énergétique de la Russie et de la Chine.

Dans le conflit syrien, les pays dit émergents (la Chine, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud) ont toujours soutenu la Syrie et l'Iran. Car lesdits pays émergents ne veulent pas d'un monde unipolaire, dominé de surcroît par les Etats-Unis, et où la goutte de pétrole se monnaierait au prix de la soumission absolue des pays consommateurs aux Etats-Unis. Ce n'est pas tout.

Le pétrole en tant que marchandise ne peut pas être séparé de son rôle stratégique de moyen de pression politique. En effet, les principales grandes compagnies pétrolières du monde sont occidentales, américaines, françaises, britanniques (pays membres du Conseil de sécurité de l'ONU). Cette position dominante leur a permis d'accumuler une richesse colossale, transformée en trésor de guerre, leur permettant d'intervenir dans le monde, en amont, dans la prospection, l'extraction, le raffinage, l'entretien des installations et la distribution du pétrole, du gaz et leurs dérivés.

Que peut faire un pays récalcitrant face à la puissance des compagnies pétrolières, bras énergétique-financier des puissances occidentales ? Avons-nous déjà oublié que, pour étouffer l'économie iranienne,  les puissances occidentales freinaient la vente du pétrole iranien ? Que les aéroports des puissances occidentales refusaient de fournir du kérosène aux avions iraniens ? Que la Russie menace l'Ukraine d'une coupure de gaz pour l'hiver prochain ? Le pétrole n'est donc pas un article banal de consommation intérieure des puissances occidentales. Le pétrole est une arme redoutable au service des desseins colonialistes.

Concernant l'importance stratégique du Moyen-Orient, il est à souligner que l'Europe, qui assure à elle seule un quart des échanges mondiaux, dépend de deux routes maritimes: celle qui passe par l'Océan Atlantique et la relie au continent américain et à l'Afrique de l'ouest et celle qui passe par la Méditerranée, la Mer Rouge et l'Océan Indien et la relie à l'Afrique du nord, au Moyen-Orient et à l'Asie.

Les Etats-Unis - dont le poids économique est égal à presque un cinquième du PIB (Produit Intérieur Brut) mondial - ont également besoin de cette route pour commercer avec le Moyen-Orient, l'Asie du sud (l'Inde, par exemple) et les nouveaux pays émergents de l'Asie du sud- est. Or, sur la route du Moyen-Orient, se trouvent des détroits d'importance stratégique comme le détroit d'Ormuz, le détroit de Bâb Al-Mândab ou le canal de Suez, dont l'ouverture est vitale pour l'économie mondiale.

Nous voyons bien que le Moyen-Orient conserve encore et toujours une position stratégique dans l'économie mondiale. La puissance qui domine cette région, domine le monde ! En effet, cette région du monde est sur la route maritime qui relie le détroit de Malacca en Asie du sud à Gibraltar, la porte d'entrée à l'Océan Atlantique. Chaque année des dizaines de milliers de navires de transport de marchandises - pas seulement le pétrole - traversent cette route maritime, véritable nouvelle route de la soie, principale artère de l'économie mondiale dont cinquante pour cent des échanges sont euro-américains.

Depuis la chute de l'Union soviétique et la création de la République islamique, les Etats-Unis tentent de mettre en cause les accords Sykes-Picot d'inspiration franco-britannique de partage du Moyen-Orient après la première guerre mondiale. L'objectif: casser les puissances régionales pour les transformer en nains politiques, plus facile à manipuler. Ils y ont peut-être réussi avec l'Irak, de facto divisés en entités chiite, kurde et sunnite. L'Iran n'a pas encore dit son dernier mot.

Sous Georges W. Bush, l'administration américaine a menacé l'Iran de partition, en déversant des millions de dollars sur les "rebelles" de différentes ethnies iraniennes, sans y parvenir. De son côté, la France sous Sarkozy a menacé, en août 2007, de bombarder l'Iran: "la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran". (2)

La guerre colonialiste menée par les puissances occidentales et le danger de partition guette toujours l'Iran(3), la Syrie(4), l'Irak ou même les "pays amis" de l'Occident lequel, pour rester hégémonique, n'hésite pas à pactiser avec le diable.

Les Etats-Unis et l'Union européenne ne peuvent pas rester indifférents vis-à-vis du Moyen-Orient, la pièce "d'un échiquier sur lequel se dispute la partie pour la domination du monde."(5) L'ingérence-implication permanente des puissances occidentales dans les affaires de la région en témoigne.

La forte présence militaire américaine au Moyen-Orient est indispensable à l'hégémonie mondiale de l'Occident, en particulier américaine, dans le monde. La fin de la présence occidentale dans la région n'est pas pour demain et ne dépend nullement du gaz de schiste.

       *La guerre d'Irak était bien une guerre du pétrole (c'est prouvé !).  Des  documents  confidentiels
        déclassifiés le prouvent: l'accès au brut  irakien  était  au  cœur  de  la  décision  britannique  de
        s'engager dans l'invasion de l'Irak en 20013. http://petrole.blog.lemonde.fr  (Le Monde du 16 juin
        2011).

1)     Le Monde du 19-20 août 2012.
2)     Yves-Michel Riols - Le Monde du 20 novembre 2013.
3)     Un membre républicain du Congrès, à Washington, [appelle] les Etats-Unis à ouvrer à une "réunification" des Azéris, répartis entre l'Azerbaïdjan et l'Iran (Natalie Nougayrède - Le Monde du 03 août 2012.
4)     Bernard Dorin, Ambassadeur de France, se prononce "Pour une fédération en Syrie" (Libération du 02 octobre 2013), premier pas vers la partition de la Syrie.
5) Michael Barry - Le royaume de l'insolence - Flammarion.

1.9.14

Analyse 15 (2014): L'Iran à l'heure de la "Bande des quatre"

Paix et Justice au Moyen-Orient

 STRASBOURG, le 1er septembre 2014

                                                               
L'Iran à l'heure de la "Bande des Quatre"


Après des décennies d'agitation, la société chinoise était devant un choix crucial: poursuivre l'agitation révolutionnaire sans issus, c'est-à-dire "s'appuyer sur ses propres forces" pour construire la "société socialiste" - tâche titanesque étant donné la pauvreté de la société, le retard technologique, le manque criant de capitaux pour investir, etc. - ou faire appel aux capitaux étrangers pour arracher la société de sa misère endémique et la faire entrer dans la modernité.

A l'époque, l'Union soviétique de Lénine et de Staline, vainqueur du nazisme, était la "Mecque" des communistes du monde entier qui croyaient dur comme fer à la construction du socialisme dans un seul pays. La Chine ne pouvait pas échapper à cette théorie léniniste, transformée en dogme.

Un facteur échappait peut-être à certains communistes chinois: la Chine n'était pas la Russie, pays relativement développé au moment de la Révolution d'octobre 1917 et adversaire de longue date des puissances occidentales européennes puis américaine. Alors que la Chine, certes une puissance asiatique, ressemblait davantage à l'Asie centrale, l'arrière cour des puissances occidentales. Disposer de l'amitié de la Chine pouvait être une carte géopolitique importante dans le jeu des puissances qui s'affrontaient depuis 1809 en Asie centrale.

Prosoviétique à sa naissance, la "RPC" de Mao Zedoung a fini par choisir son camp du vivant de son fondateur, devenu hôte de Richard Nixon, président des Etats-Unis, du 21 au 28 février 1972: Ce sera l'Occident opulent, maître de la finance mondiale, et non pas la Russie, certes "socialiste", maître de l'Europe de l'est, influente au Moyen-Orient, mais insuffisamment riche et puissante pour sortir la Chine de la misère. L'intérêt des Etats-Unis était aussi d'arracher un allié de poids à l'Union soviétique, puissance rivale de l'Occident colonialiste.

Le PCC était divisé entre "pragmatiques" dirigés par Deng Xiaoping et "révolutionnaires" dirigés par la "Bande des Quatre". Ladite bande désignait quatre membres éminents du Parti Communiste Chinois (PCC), dont l'épouse de Mao Zedoung, maoïstes convaincus, qui souhaitaient poursuivre l'œuvre révolutionnaire du fondateur de la "République populaire de Chine". C'est sans compter sur la volonté des partisans de Deng Xiaoping, (secrétaire général du PCC de 1956 à 1967), en disgrâce, qui prônait le rapprochement à tout va avec l'Occident.

Après la mort de Mao Zedoung le 9 septembre 1976, la "Bande des Quatre" tomba rapidement en disgrâce et ses membres furent arrêtés dès le 6 octobre de la même année. Parallèlement, les pro-Deng Xiaoping mettaient la main sur le parti et l'appareil d'Etat. La Chine est sortie de décennies d'agitation révolutionnaire et le pays fut livré aux capitaux étrangers qui ont transformé la Chine, en moins de quarante ans, en "atelier du monde" et la deuxième puissance économique mondiale.

Sans vouloir mettre l'Iran sur le même niveau que la Chine, force est de constater que l'Iran vit son heure de la "Bande des Quatre". En effet, une lutte fratricide, au sein de l'Etat, oppose les fondamentalistes - richissimes rentiers et spéculateurs, représentants et proches des commerçants du bazar, maîtres des appareils répressifs, opposés à tout rapprochement avec l'Occident - et les "réformateurs" libéraux, tournés vers le monde (les marchés) extérieur, partisans de réformes économiques et sociétales, d'une application plus stricte de la loi fondamentale et du rapprochement avec l'Occident.

Durant plus de trente ans et sous l'autorité de Khamenei, guide de la révolution, les fondamentalistes et leur soutien militaire, les "pasdarans", ont accumulé des richesses immenses, après avoir mis la main sur des pans entiers des secteurs économiques et en spéculant à tout va. Le guide lui-même est à la tête de fondations, dont la richesse atteint quelques cent milliards de dollars (1), équivalent du produit intérieur brut (PIB) égyptien.

Un exemple de corruption avérée. Pendant les années Ahmadinejad, "un homme d'affaire de 42 ans [Babak Zandjani dont le capital est estimé à 6 milliards d'euros], accusé d'avoir tiré profit de ses relations avec l'entourage de l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad, a fait fortune en vendant le pétrole iranien...M. Zandjani, lui, préfère revendiquer son profil d' "homme d'affaire bassiji", allusion à la milice des volontaires pro-régime en Iran." (2)

Dans un article intitulé "L'empire économique des pasdarans", Le Monde Diplomatique daté de février 2010, révèle la puissance économique de la garde prétorienne du clergé au pouvoir. Les pasdarans sont propriétaires du "quartier général de la construction", nommé Khatam Al- Anbia, créé en 1990 et connu aussi comme "complexe Ghorb". Selon le blog de M. Mir Hossein Moussavi, rival d'Ahmadinejad et en résidence surveillé, "Ghorb contrôle plus de huit cents sociétés, actives dans de multiples domaines: armée (avec la fabrication de fusées et de missiles); construction et développement (projets de routes, barrages, mines, infrastructures d'irrigation); pétrole et gaz (...); communication (...); finances (...); ." Il faut sûrement réévaluer à la hausse les richesses accumulées par les fondamentalistes, le guide de la révolution et les pasdarans.

Contrairement à la fraction des fondamentalistes hors de tout contrôle, tournée vers une économie confinée dans le cadre national, un autre pan de l'économie nationale à caractère industriel, se tourne vers l'international. Dans un article intitulé "L'Iran sous l'emprise de l'argent", Le Monde Diplomatique daté de juin 2009 révèle que la firme industrielle Iran Khodro, la plus grande entreprise automobile du Proche-Orient, dont 40% des titres appartiennent à l'Etat, se positionne comme un futur acteur sur le marché mondial. La société vient de signer avec la société algérienne Famoval, pour le montage d'un bus en Algérie, ainsi que les unités de production qu'elle a installé, pour la fabrication de la Samande (une version modifiée de la 405), au Venezuela, au Sénégal, en Syrie et en Biélorussie. Une voiture que, par ailleurs, elle exporte déjà, entre autres vers l'Algérie, l'Egypte, l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Arménie, ou encore la Bulgarie, la Roumanie, l'Ukraine et la Russie.

Dans un article intitulé "Et l'Iran découvre l'Amérique latine", Le Monde Diplomatique daté de décembre 2010 révèle l'activité des industriels iraniens au Venezuela, en Equateur, au Nicaragua, en Bolivie, etc. Pour Nikolas Kozloff, journaliste du Monde Diplomatique, l'Iran s'immisce "dans l'arrière-cour américaine": "Le commerce entre Téhéran et l'Amérique latine a triplé pour atteindre 2,9 milliards de dollars" ou encore "En Amérique latine, avec 1 milliard de dollars d'investissement annoncé, l'Iran va construire le port en eau profonde qui manque au Nicaragua."(3)

Il faut souligner que les deux fractions de la bourgeoisie iraniennes ne sont pas séparées par une ligne de démarcation claire et nette et ont souvent des intérêts croisés.

Tout porte à croire que suite à la richesse accumulée par les capitalistes iraniens, parallèlement au développement industriel, civil et militaire de ces dernières années, la bourgeoisie se tourne vers des marchés extérieurs d'exportation de capitaux, de produits industriels, civils et militaires, et fait des investissements dans différents pays du monde. Or, la clé d'entrée sur les marchés mondiaux est entre les mains des Etats-Unis et de ses alliés européens. Les négociations actuelles entre l'Iran et l'Occident devraient faciliter l'intégration de la bourgeoisie iranienne au sein de la finance mondiale.

La bourgeoisie iranienne a besoin d'un "espace commercial vital" qui s'étend actuellement des frontières chinoises jusqu'en Syrie, en passant par l'Irak, le Liban et le Golfe Persique.

Cet "espace" acquis par réseaux d'influence et milices Hezbollah interposées ne suffit pas à l'appétit de la bourgeoisie qui aspire à devenir un acteur mondial. Y parviendra-t-elle ? Vue sous cet angle, la victoire du nouveau président sur ses rivaux fondamentalistes-nationalistes, sauf événement imprévu, ne fait aucun doute.

Le nouveau président iranien, Hassan Rohani, ressemble plus à Deng Xiaoping qu'à Gorbatchev qui a participé à l'effondrement de l'Union soviétique. A moins que Hassan Rohani représente une troisième voie encore inexplorée.

Bibliographie
- Wikipédia
(1) Azadeh Kian-Thiébaut - La République islamique d'Iran - Michalon.
(2) Ghazal Golshiri - Le Monde du 10-11 novembre 2013.

(3) Nikolas Kozloff - Le Monde Diplomatique du décembre 2010.