7.7.08

Analyse 15

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 07 juillet 2008

cpjmo@yahoo.fr

La bataille du Liban


Les États-Unis, la France et le clan Hariri bloquent la formation d'un Etat souverain et fort au nord d'Israël


Dans l'objectif de (re)mettre la main sur le Liban, fief traditionnel français, les Etats-Unis et la France se sont ligués aux Nations unies et, agissant au nom de la "communauté internationale", ont réussi à faire adopter par le Conseil de sécurité la résolution 1559, intimant à la Syrie l'ordre de retirer ses troupes du Liban. Ils avaient un soutien de taille: le clan Hariri, richissime famille, liée aux milieux financiers mondiaux et ayant de solides soutiens politiques en Arabie saoudite, aux États-Unis et en France. Mais, ils avaient oublié que les temps ont changé et que le Liban compte désormais une opposition anticolonialiste, armée et entrainée.

La question était de savoir comment la "communauté internationale", soutenue par le clan Hariri-Siniora-Joumblatt, allait se débarrasser de l'opposition libanaise? La mission d'élimination incomba à l'armée israélienne qui, à l'été 2006, entra en action dans le but de "briser la colonne vertébrale militaire du Hezbollah" (Shlomo Ben Ami, ancien ministre des affaires étrangères d'Israël- Le Monde du 12/08/06).

Pour justifier son agression contre le Liban, Israël a prétexté la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah. Cependant, le magazine américain The New Yorker affirmait que le gouvernement américain "était très impliqué dans le plan israélien contre le Hezbollah, avant même la capture le 12 juillet de deux soldats israéliens", par le mouvement chiite libanais.

On connaît la suite: après 34 jours de guerre de destruction, l'armée israélienne, incapable d'atteindre ses objectifs, a battu en retraite. L'opposition libanaise est sortie grandie de cette guerre qui a modifié profondément les rapports de force au Liban et dans la région. En effet, cette défaite s'ajoutait à l'incapacité des Etats-Unis à venir à bout de la résistance en Irak et en Afghanistan.

Partant de cette évidence, l'opposition a exigé plus de poids au sein du gouvernement libanais. Elle s'est heurtée à un refus catégorique de ses adversaires du clan Hariri-Siniora-Joumblatt, qui ont préféré le blocage des institutions du pays pendant un an et demi, plutôt que de partager le pouvoir avec l'opposition.

Il fallut attendre le 7 mai 2008 et un clash militaire et la victoire de l'opposition, pour que ses propositions soient prises en compte. En effet, pour résoudre la crise libanaise, la feuille de route de la Ligue arabe (favorable au clan Hariri) fut remplacée par l'accord de Doha (Qatar). La feuille de route stipule qu'aucun des deux camps ne disposerait du pouvoir d'imposer ou de bloquer une décision gouvernementale. L'accord de Doha obligea le clan Hariri-Siniora- Joumblatt de céder aux exigences de l'opposition à disposer d'une minorité de blocage.

La conférence de Doha signa la perte d'initiative du camp occidental au Liban. Pour reprendre l'initiative, N. Sarkozy envoya rapidement son ministre des affaires étrangères au Liban et lui- même se rendit le 7 juin à Beyrouth. De son côté, Condoleezza Rice a manifesté sa satisfaction de l'élection du nouveau président libanais. Ainsi, les responsables politiques occidentaux ont réitéré leur appui inconditionnel au clan Hariri-Siniora-Joumblatt, qui, en retour, a bloqué la formation du gouvernement libanais.

La constitution d'un tel gouvernement, si les portefeuilles stratégiques (intérieur, défense, affaires étrangères et finances) tombaient, en partie, entre les mains de l'opposition, signifierait le partage du pouvoir avec l'opposition, conduisant, à terme, à la "perte" du Liban pour l'Occident. Idée, ô combien répugnante pour les Américano- Français, qui ne veulent pas d'un Etat souverain, stable, fort et hostile au nord d'Israël.

Dès lors, deux options s'offrent au clan Hariri-Siniora-Joumblatt et à leurs "amis" occidentaux: d'une part, aller au clash et régler la question du pouvoir par la force. Du fait de leur affaiblissement politique et militaire, le clan Hariri et les Etats-Unis semblent écarter cette option; d'autre part, dialoguer avec l'opposition et ses amis (Iran, Syrie). Une ébauche de rapprochement franco- syrien et les contacts américano-iraniens laissent à penser que, pour l'instant, l'Occident privilégie la deuxième option.

L'avenir nous dira si l'on se dirige vers le scénario suivant: le clan Hariri conserverait les portefeuilles stratégiques, l'opposition se satisferait de sa minorité de blocage et l'Occident accepterait les conséquences du nouveau rapport de forces à l'échelle régionale (céder à certaines exigences de Damas et de Téhéran).

Il est à souligner que, parallèlement au blocage de la formation du nouveau gouvernement libanais, la diplomatie américano- française s'est déployée dans deux autres directions:

- manœuvres d'intimidation (sans conséquences sur la détermination du camp anticolonialiste), consistant à répandre, sur le net et dans les journaux, des rumeurs (savamment répandues par l'intermédiaire de Seymour Hersh, journaliste américain) sur la préparation d'une agression contre l'Iran, la colonne vertébrale du camp anticolonialiste.

- affaiblir, voire briser l'unité anticolonialiste. L'invitation de Bachar Al-Assad au défilé du 14 juillet, suit une telle logique.

Les Occidentaux (Etats-Unis, France,...) prétendent vouloir aider la Syrie à sortir de son "isolement". De fait, qui est vraiment isolé au Moyen-Orient? A Olmert qui se dit disposé à passer aux négociations directes (un piège de plus) avec Damas, Bachar Al-Assad oppose un refus catégorique. De même, le Liban refuse de négocier directement avec Israël (Le Monde du 20/06/08). Des sondages récents montrent que les peuples du monde ont une opinion très négative des Etats-Unis et d'Israël, qui peut s'enorgueillir pourtant du soutien de Nicolas Sarkozy qui proclama à la Knesset: "Israël n'est pas seul"!

L'hypocrisie des Américano-israéliens est sans limite. Ils parlent de paix, tout en bombardant, massacrant et confisquant des territoires. Journaliste au Monde, Michel Bôle-Richard écrit: "Tony Blair ne sait que répondre lorsqu'on lui apprend que les autorités militaires [israéliennes] viennent de confisquer des terres dans la région de Toubas [Cisjordanie] pour construire une base militaire" (LM du 21/06/08). Selon YEDIOT AHARONOT- cité par Courrier international du 3 au 9 juillet 2008- "Depuis la conférence d'Annapolis, les constructions à Jérusalem-Est n'ont pas cessé, loin de là. (...) Au total 9617 projets d'unités résidentielles dans les quartiers est de la capitale ont été autorisés ou sont en cours d'autorisation".

Nicolas Sarkozy espère pouvoir transformer Bachar Al- Assad en Mahmoud Abbas bis. La situation et les personnages ne sont pas les mêmes. Les efforts de N. Sarkozy sont donc voués à l'échec.

La bataille du Liban s'annonce longue et la formation du futur gouvernement n'en est qu'une étape supplémentaire.

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