27.12.09

Analyse 26 (2009)



Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 27 décembre 2009


cpjmo@yahoo.fr


Les deux défis de l’opposition iranienne


C’est un fait que le mouvement d’opposition iranienne attire la sympathie des peuples d’Occident. Dans la presse occidentale, les superlatifs n’ont pas manqué pour parler du courage des manifestants, bravant mains nues la violence policière.


Le «mouvement vert» en Iran serait-il de même nature que celle des révolutions de couleurs serbe, ukrainienne et géorgienne, activement soutenues et encouragées par les services et les ONG occidentaux?


Certains anticolonialistes, ignorant l’histoire moderne iranienne, n’hésitent pas à qualifier le «mouvement vert» de cheval de Troie du colonialisme occidental en Iran. Un tel jugement, s’il ne résulte pas du manque de connaissance de l’histoire moderne iranienne, résulte souvent plus d’un raisonnement simpliste que de la mauvaise intention. D’autant plus que le pouvoir iranien, acculé et en perte d’audience, traite les meilleurs fils de la révolution islamique, ceux-là même qui ont occupé, ou qui occupent encore, d’importants postes à responsabilité, de «traitres» ou d’«agents de l’impérialisme».


Pour comprendre l’essence même du «mouvement vert», il est nécessaire de revoir les pages récentes de l’histoire de l’Iran et de se demander pourquoi le pouvoir iranien n’arrive toujours pas à venir à bout du «mouvement vert» ou de ses dirigeants?


L’actuel mouvement d’opposition est la prolongation d’un vieux mouvement démocratique et populaire. Celui-ci prend racine dans le mouvement qui a abouti à la victoire de la révolution constitutionnelle de 1906. La répression accrue de l’opposition iranienne ne peut que retarder le but final des manifestants : l’avènement de la République d’Iran, vieux rêve de plus de cent ans!


Historiquement parlé, après la dynastie des Pahlavi, soutenue par les colonialistes anglo-américains, le pouvoir actuel en Iran représente le dernier obstacle face à la République d’Iran, démocratique et respectueuse des libertés fondamentales. Faut-il rappeler que, sur le plan scientifique, économique et social, l’Iran s’est notablement modernisé. Le mouvement n’est plus seulement estudiantin, il est devenu populaire, avec la participation massive d’hommes et surtout de femmes instruits, motivés et épris et libertés.


Le «mouvement vert» iranien présente des similitudes avec les mouvements de contestation soviétique et chinois, qui ont ébranlé la dictature du parti unique. En effet, après l’unité nécessaire à la victoire des révolutionnaires sur les ennemis intérieurs et extérieurs, arrive le temps de la gestion du pays. Or, une fraction d’anciens révolutionnaires s’empare peu à peu des rouages du pouvoir économique et militaire, s’octroie des avantages en tout genre et se transforme en une nouvelle oligarchie. C’est le cas en Iran où le «guide de la révolution» est à la tête de diverses fondations qui se sont approprié une grande partie des entreprises, des terres, et d’autres biens privés confisqués. Selon certaines estimations, ces structures monopolistiques contrôleraient jusqu’à 40% du PIB (produit intérieur brut)(1). Les Pasdarans, l’armée idéologique du pouvoir, gère également, à travers ses sociétés, des pans entiers de l’économie du pays : BTP, pétrole et gaz, télécom, etc.


Une autre particularité du pouvoir autoritaire qui s’est mis en place après la victoire de la révolution- soviétique, chinoise, iranienne- c’est le non respect, par le pouvoir, des libertés démocratiques et de la séparation des pouvoirs, inscrits dans la Constitution.


Afin de réprimer l’opposition qui réclame le respect de la Constitution, le pouvoir autoritaire l’accuse de collusion avec l’«ennemi impérialiste». Les «procès de Téhéran» ressemblent étrangement aux «procès de Moscou» où l’accusé, sans aucun droit, ni avocat digne de ce nom, «avoue» ses «crimes». Certains dignitaires religieux ont lancé des «fatwas» déclarant illégitimes les aveux télévisés, arrachés sous la torture.


Les opposants soviétiques et chinois, durement réprimés, n’ont pas atteint leur but: créer une société démocratique. L'Union soviétique a payé cher l’aveuglement de ses dirigeants : la perte du soutien populaire, la putréfaction du système puis son effondrement. Qu’en sera-t-il de la Chine? De l’Iran?


Issus de la nomenklatura religieuse, les dirigeants de l’opposition iranienne sont assez intelligents pour s’appuyer sur le mouvement démocratique, profond et puissant. Contrairement aux révolutionnaires soviétiques ou chinois contestataires qui furent évincés, voire fusillés par le pouvoir entre les mains du parti unique, le pouvoir iranien est très divisé entre «fondamentalistes», «fondamentalistes modérés», «fraction de la ligne de l’imam», etc.


L’actuel mouvement d’opposition a toutes les chances de résister longtemps aux assauts du pouvoir iranien. Son objectif à court terme sera de pousser à la création d’une société démocratique, où les libertés fondamentales, inscrites dans la Constitution, seront respectées. C’est un mouvement qui peut être long et rien n’indique qu’il y parviendra pacifiquement. Par contre, le cycle répression-résistance pourrait conduire à la transformation radicale du mouvement actuel, balayant le pouvoir et les dirigeants actuels de l’opposition, qui ne cessent de mettre en garde contre la montée de la radicalisation.


Le deuxième défi du mouvement d’opposition consiste à veiller à la souveraineté politique de l’Iran. En effet, les liens trop étroits du pouvoir iranien avec les Russes, ont de quoi inquiéter. Au cours de l’histoire, les Russes se sont montrés aussi agressifs avec l’Iran que les anglo-américains. La Révolution constitutionnelle de 1906 a dû combattre le soutien russe du dernier roi Qadjar. Pour achever la centrale atomique de Buchehr, les Russes trainent les pieds et ne livrent pas les batteries antimissiles S 300 à l’Iran. Pour les Russes, face à l’Occident, l’Iran est une carte à jouer. Ce que conteste le mouvement d’opposition qui réclame plus de fermeté face au jeu russe.


Question: l’opposition poursuivra-t-elle une politique conciliante avec l’Occident au Liban et en Palestine? C’est oublier que la politique moyen-orientale de l’Iran est dictée par des considérations géopolitiques. Encerclé par une centaine de bases militaires américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale et constamment menacé de bombardement ou d’invasion par des forces colonialistes occidentales, l’Iran ne peut se défendre qu’en formant une vaste coalition régionale, englobant des résistances anticolonialistes afghane, irakienne, libanaise et palestinienne. Les missiles iraniens du Hezbollah libanais braqués sur Israël immobilisent une grande partie des forces sionistes qui n’osent pas s’attaquer à l’Iran. La politique moyen-orientale de l’Iran est celle de toute la classe politique, y compris celle des dirigeants de l’opposition qui ont occupé d’importants postes à responsabilité au sein de l’Etat.


Un exemple de la lucidité de l’opposition: elle s’est opposée- avec raison- à la décision d’Ahmadinejad de livrer à l’Occident de l’uranium enrichi, carte maitresse dans les négociations en cours avec l’Occident.


Pour rester souverain, l'Etat iranien, qu’il soit dirigé par des laïcs, des religieux ou d’autres composantes de la société, n’a d’autre choix que de suivre les grandes linges de l’actuelle politique étrangère.


(1) P. Escobar, «the Roving Eye», Asia Times on Line, 5 juin 2002. http://www.atimes.com (cité par Azadeh Kian-Thiébaut, dans son livre «la République islamique d’Iran»- Editions Michalon)

6.12.09

Analyse 25 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 06 décembre 2009

cpjmo@yahoo.fr


Quel bilan pour Obama?


Le prix Nobel de la Paix a choisi l’affrontement avec l’Iran et l’intensification de la guerre en Afghanistan : ce sera pire que le Vietnam. Avec l’Iran, Obama a essuyé son premier échec diplomatique.

Avec le temps, B. Obama montre qu’il est avant tout le gardien zélé de l’héritage de Georges Bush. C’est ce qui ressort de ses propos- «il faut finir le travail»- et de sa décision d’intensifier la guerre d’Afghanistan, en y expédiant 30 000 militaires supplémentaires. Actuellement, les États-Unis déploient 69 000 militaires en Afghanistan. Ses alliés de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) y regroupent 39 000 soldats.

L'Afghanistan est devenu comme une sorte d’«auberge espagnole». On y trouve des militaires canadiens, hollandais, italiens, français, britanniques, slovaques, géorgiens, Sud coréens,… chaque contingent ayant ses propres traditions militaires et culturelles, ne maitrisant pas forcément la culture militaire- ou la culture tout court- et la langue des militaires américains.

Dans une armée, l’obéissance aveugle aux gradés supérieurs- la discipline- maintient la cohésion. De même, la suprématie des Etats-Unis impose la discipline- la soumission- aux forces alliées. Acceptent-elles une telle soumission sans broncher? Déjà, au sein de l’armée américaine, les suicides et les coups de folie meurtriers se multiplient. Qu’en est-il vraiment des relations entre militaires américains et alliés? Silence radio.

La question est de savoir si une telle armada internationale, constituée de militaires se trouvant souvent à des milliers de kilomètres de chez eux, ne sachant souvent pas pourquoi et pour qui ils se battent, pourra être efficace face à un peuple qui se bat pour son indépendance, sa souveraineté territoriale et politique?

Face à la résistance afghane, on trouve un gouvernement mis en place par des puissances étrangères, dirigé par Hamid Karzaï et sa clique de corrompus, chargés– c’est un comble !- de combattre la corruption. Côté envahisseurs, l’armada est dirigée par le général McChrystal, accusé d’avoir supervisé des séances de torture et des violations des droits de l’homme sous la présidence de Bush, lorsqu’il était affecté au camp Nama en Irak, en tant que commandant des forces spéciales (Courrier international N° 989 du 15 au 21 octobre 2009).

Les militaires français parlent désormais de la franche hostilité des Afghans, de la perte de la bataille pour le «cœur et les esprits». Les puissances occidentales vont continuer à s’endetter, remplir les caisses du complexe militaro-industriel, des sociétés privées de mercenaires et des milieux financiers associés, appauvrir la population qui gronde de plus en plus et qui risque fort de descendre dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de vie.

En décidant d’envoyer 30 000 renforts supplémentaires en Afghanistan, B. Obama a définitivement rompu avec son image d’homme de paix dont il était auréolé avant son élection. Il est actuellement soutenu par 60% des républicains qui pensent que la guerre mérite d’être menée. C’est une nouvelle victoire des va t’en guerre du Pentagone, représenté par le ministre de la défense Robert Gates.

La logique qui a conduit à la chute des anciennes puissances coloniales (britannique et française) est depuis longtemps enclenchée pour les États-Unis. Il arrive un moment où les dépenses de guerre ne sont plus couvertes par les gains issus de l’exploitation des colonies. Selon le Pentagone, l’expédition afghane coûte un million de dollars par soldat et par an (Le Monde du 02/12/09). Ce qui représente 100 milliards de dollars par an pour une armée de cent milles hommes. A cela, il faut rajouter les dépenses colossales engagées pour colmater les brèches de la crise économique et le déficit américain qui, pour 2010, devrait atteindre 1500 milliards de dollars, soit plus de 10% du PIB.

L'Afghanistan ne sera pas un nouveau Vietnam: ce sera pire. Il annonce l’accélération de la chute de l’Empire maléfique.

La guerre américaine en Afghanistan fait partie de la stratégie des États-Unis de domination planétaire; elle est étroitement liée aux conflits palestinien, libanais et aux tensions dominant dans les relations entre l’Iran et les États-Unis.

Avec l’Iran, l’administration Obama a essuyé son premier échec diplomatique. En effet, face aux difficultés des États-Unis, l’Iran défie constamment les Américains, refuse de plier l’échine, conserve son uranium enrichi et entretient le flou sur son projet nucléaire. L'Iran se déclare même prêt à un affrontement militaire avec les Etats-Unis, empêtrés dans deux guerres dévastatrices au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Nous voyons bien que la politique américaine à l’égard de l’Iran n’a pas changé. La position géostratégique de l’Iran, ses richesses naturelles et son marché font saliver les stratèges américains. L'Iran cherche-t-il à négocier l’étendue de son influence en Afghanistan, comme il le fait en Irak? C’est une grande raison de friction entre l’Occident (les États-Unis et leurs alliés européens) et l’Iran.

Israël, insensible à la colère qui enfle chez les Palestiniens et les anticolonialistes, développe toujours sa colonisation en Cisjordanie. Les rodomontades des Occidentaux ne trompent personne. Tout le monde sait que les Etats-Unis et leurs alliés israélien et européen, foncent tête baissée et essaient de forcer les obstacles à coup de pression militaire et de menaces en tout genre. Les États-Unis ne veulent pas céder un pouce de leur zone d’influence. C’est aux autres (Palestiniens, Iraniens, Syriens, etc.) de faire davantage de concessions.

Parlant de fiasco, l’éditorialiste du journal Le Monde du 13 novembre 2009 écrit : «Au Proche-Orient, il n’y a pas de «processus» de négociation en cours. Il n’y a pas non plus de perspective de paix. La situation régresse. Dangereusement. C’est d’abord le fait des États-Unis». L’éditorialiste conclut poliment: «Le prix Nobel de la paix 2009 est-il à la hauteur?».
Combien de temps tiendra-t-il cette position intransigeante? Que se passera-t-il si la situation changeait radicalement en faveur des forces anticolonialistes? Qui perdra le plus en cas d’une nouvelle déflagration au Moyen-Orient? Ces questions sont sûrement posées et discutées dans les bureaux et couloirs des chancelleries.

Les États-Unis, leur allié israélien et les anticolonialistes, se regardent en chiens de faïence. Cette position de ni guerre, ni paix ne durera pas longtemps.

Il y a de fortes chances que l’Iran et les Etats-Unis arrivent à s’entendre sur l’Afghanistan. Ça n’empêche, le compte à rebours de la première déflagration de l’époque Obama au Moyen-Orient est enclenché.