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Analyse 14 (2018). Le baiser de la mort d'Istanbul

      Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 1er novembre 2018

geopolitique.mo67@gmail.com

 Le baiser de la mort d'Istanbul 

Que se passerait-il si l'Iran retirait son soutien au régime syrien ?

Samedi 27 octobre, les chefs d’État français, allemand, russe et turc, se sont réunis à Istanbul, et ont appelé à un cessez-le-feu « stable et durable » à Idlib. Lors d’une conférence de presse qui a suivi cette rencontre, Emmanuel Macron président français a déclaré : « Nous comptons sur la Russie pour exercer une pression très claire sur le régime, qui lui doit sa survie » afin de garantir un « cessez-le-feu stable et durable à Idlib ». (Lemonde.fr du 27 octobre 2018 avec AFP)

L'Iran, principal soutien militaire, politique et financier de l'actuel régime syrien, n'a pas été convié à cette réunion. Que se cache-t-il derrière l'injonction française à propos d'un « cessez-le-feu stable et durable à Idlib »? Pour comprendre le véritable enjeu de la réunion d'Istanbul et les raisons de l'absence de l'Iran, un rappel sur le rôle de chacun des protagonistes pendant la guerre de Syrie s'impose.

Pourquoi la guerre de Syrie ?

La guerre de Syrie poursuivait les mêmes objectifs, sinon davantage, que la guerre d'Irak et, plus tard, les guerres du Sud Liban et de Libye : étendre le pouvoir des puissances militaires et financières occidentales à l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient, après la chute de l'Union soviétique.

Ladite guerre devait ensuite se conclure par l'écrasement du Hezbollah libanais, suivi de l'asservissement de l'Iran, de la mainmise sur l'ensemble des ressources énergétiques et voies de communication terrestres, maritimes et aériennes du Moyen-Orient, du démantèlement des grands pays de la région, dont la Turquie, ainsi que la marginalisation croissante de la Russie et de la Chine.

Comme nous l'avons écrit dans l'une de nos analyses, «la Syrie est la porte de l'Iran» et, par ricochet, celle de la Russie. La guerre de Syrie devait exaucer le souhait de l'aile militariste du pouvoir américain, à savoir : « Make America great again » !

Chose inédite. Dès le début de la contestation en Syrie, les ambassadeurs français et britannique, alliés des Etats-Unis au sein de l'OTAN, se sont rendus dans certaines villes insurgées pour apporter le soutien de leur pays respectif, deux anciennes puissances tutélaires du Moyen-Orient et de la Syrie, auxdits insurgés.

L'insurrection de la population syrienne contre le régime dictatorial de Bachar Al-Assad était fort légitime. Cependant, la visite des ambassadeurs français et britannique aux insurgés envoyait des signaux clairs de soutien aux insurgés et d'ingérence dans les affaires intérieures d'un pays souverain.

Le passage de la révolte pacifique de la population à l'insurrection armée (encouragée par lesdites puissances et leurs obligés régionaux ?) a fini par transformer la révolte en guerre (presque) internationale, avec l'intervention directe et indirecte des puissances militaires occidentales et régionales, en particulier américaine, française, turque et par djihadistes wahhabites interposés.

L'Iran à l'avant poste de la guerre de Syrie

Dès le début, l'Iran, associé à la Syrie par un traité d'amitié, s'est fortement impliqué dans la guerre de Syrie. Même le Hamas palestinien, les démocrates occidentaux et moyen orientaux se sont trompés sur les vrais enjeux de cette guerre de reconquête en soutenant les insurgés dont le caractère progressiste - réel seulement avant la militarisation de l'insurrection - était mis en avant par les puissances militaires occidentales, la Turquie et les régimes médiévaux et archaïques saoudien, qatari, émirati.

Face aux milliards de dollars investis et l'afflux de djihadistes pressés de mourir en «martyr», le pari de l'Iran paraissait difficile à gagner. C'est à ce moment là que l'Iran invita la Russie à s'engager dans la guerre ; l’Iran fournissant les miliciens fantassins aguerris et la Russie son aviation.

Grâce à cette combinaison, le régime syrien fut sauvé, les djihadistes furent mis en déroute et les desseins de la coalition occidentale pour remodeler le Moyen-Orient furent mis en échec.

Il reste encore quelques poches de résistance dont Idlib, la plus importante, où l'Occident tente de maintenir le statut quo, sous forme d'un « cessez-le-feu stable et durable à Idlib », afin de sauver ses djihadistes restants, indispensables pour faire pression sur le régime syrien et l'Iran, dans l'espoir d'imprimer leurs marques sur la Syrie de l'après guerre.

Les puissances militaires occidentales n'ont toujours pas renoncé à leurs desseins diaboliques de reconquête et de dépeçage des grands pays du Moyen-Orient; desseins hérités de l'administration George W. Bush.

La Turquie et la Russie ont besoin de l'Iran

L'Occident compte sur la Russie et la Turquie qui ont des relations (et intérêts) très étendues avec les pays occidentaux pour faire fléchir la Syrie et l'Iran. «Mais plusieurs escarmouches ont eu lieu ces derniers jours [sur Idlib] et des frappes du régime ont fait sept morts vendredi» 26 octobre. (Lemonde.fr du 27 octobre 2018 avec AFP). C'est le message envoyé par la Syrie et l'Iran aux conférenciers d'Istanbul. La Russie a vite réagi : sans la participation de l'Iran, impossible de rétablir la paix en Syrie. CQFD !

Par ailleurs, la Russie et la Turquie sont conscientes qu'elles ont besoin de l'Iran. Imaginons un instant que l'Iran retire son soutien au régime syrien : le régime chuterait rapidement; comme en Irak, on assisterait à la création d'un Kurdistan autonome au Nord de la Syrie. À son tour, la Turquie a toutes les chances de perdre le Kurdistan turc qui, associé au Kurdistan syrien, formeraient un «Grand Kurdistan» au Sud de la Turquie et sous la protection de l'Occident. La Russie perdrait ses bases militaires et devrait quitter la Syrie. Après la chute du régime syrien, ce serait le tour de l'Iran de subir la guerre et la dévastation.

Le baiser de la mort d'Istanbul

Accepter la «main tendue» et les promesses du couple Macron-Merkel, c'est donner le baiser de la mort. La Russie et la Turquie - qui savent bien que les puissances militaires occidentales ne respectent jamais leurs promesses - en sont conscientes. C'est pourquoi, la conférence d'Istanbul du 27 octobre est mort né et, sans doute, n’aura jamais de suite.

L'Iran sort renforcé de cette conférence. Il imposera bientôt SA solution pour libérer Idlib : déloger militairement les derniers djihadistes. L'étape suivante, ce sera libérer les poches situées au Nord de la Syrie, détenues principalement par les combattants kurdes, soutenus par Washington. C'est une autre affaire où le pouvoir syrien pourrait, peut-être, compter sur l'armée turque et ses miliciens de «l'armée syrienne libre» (ASL). Les souverainetés territoriales syrienne et turque sont étroitement liées.