17.4.10

Analyse 5 (2010)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 18 avril 2010


cpjmo@yahoo.fr



Les racines de


l’antagonisme


Occident- Iran


Un plongeon dans l’histoire de l’Asie centrale nous permet d’appréhender les racines de l’antagonisme Occident- Iran.


Comme nous l’avons écrit dans l’analyse 9 (2009) : «Depuis la victoire des révolution chinoise (1949), indienne (1947) iranienne (1979) et l’effondrement de l’URSS, la donne a complètement changé. En effet, face à l’Occident, se dressent actuellement quatre puissances régionales, voire mondiales, russe, chinoise, indienne et iranienne. Pays frontalier des quatre puissances citées, l’Afghanistan s’est transformé en rempart de l’hégémonie occidentale, menée par les États-Unis, qui conduisent plusieurs types de guerre.»


Il est à souligner que la partie d’échecs, avec l’Afghanistan comme pièce centrale, commença en 1809 entre les empires britannique et russe. Kipling l’appela «The Great Game», le «Grand jeu».


Pourtant, l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis et leurs alliés, en 2001, n’a pas mis fin au «Grand jeu». Dans la logique actuelle de l’Occident en général et des États-Unis en particulier, la victoire au «Grand jeu» n’est parfaite que si l’Iran tombe dans l’escarcelle de l’Occident. Imaginons un instant ce qui se passerait si les Américains arrivaient à leur fin.


A regarder la carte du monde, l’on se rend bien compte que, non seulement toutes les voies de communication maritimes, terrestres et aériennes de la vaste région comprenant l’Asie centrale, le Proche et Moyen-Orient seraient contrôlées par les États-Unis et leurs alliés, mais tous les robinets du pétrole et du gaz des principaux pays producteurs, tomberaient également sous l’emprise des Etats-Unis. L’encerclement de la Russie et de la Chine serait de plus en plus complet.


De surcroit, l’Europe pourrait se passer des hydrocarbures d’une Russie encerclée par des bases de l’OTAN en Asie centrale et en Europe Orientale. La Chine dépendrait définitivement des bons vouloirs des États-Unis qui n’hésiteraient pas à utiliser l’arme de l’énergie pour la mettre à genoux.


Il va sans dire que si l’Iran retombait dans la sphère d’influence des États-Unis, ces derniers soutiendraient encore plus nettement la sécession du Xinjiang (territoire des Ouïgoures) et du Tibet. Faut-il rappeler que les Etats-Unis n’ont cessé de soutenir et d’armer Taïwan face à la Chine. Après la dislocation de l’Empire russe, celle de la chine ne déplairait certainement pas aux chancelleries occidentales.


La résistance de l’Iran à l’Occident en général et aux États-Unis en particulier, dépasse largement le cadre des intérêts irano-iraniens et revêt une importance mondiale. L’existence même de la Russie et de la Chine pourrait en dépendre.


Mais, l’entente irano-américaine en Irak, en Afghanistan ou au Liban n’est-elle pas en contradiction avec la pression croissante que les Etats-Unis exercent sur l’Iran? L’étude des relations diplomatiques montre que des pays ayant des différents stratégiques majeurs, peuvent s’entendre sur tel ou tel cas local. Les relations entre l’ex-URSS et les Etats-Unis, malgré leur opposition stratégique, étaient parsemées d’ententes locales et régionales.


Il est à souligner que l’Iran et les Etats-Unis négocient par commis interposés. Etant donné l’importance des négociations directes, un changement de comportement américain pourrait-il intervenir après les élections à mi-mandat de novembre 2010? La question mérite d’être posée.


A la lumière des relations Est-Ouest, la dernière élection présidentielle en Iran, assimilée à un coup d’état par l’opposition, prend un relief bien particulier. En effet, deux courants ont coexisté au sein de l’Etat iranien: le duo Khamenei-Ahmadinejad, prônant la confrontation avec les Etats-Unis et l’aile réformatrice, adepte du «dialogue des civilisations», n’excluant pas le dialogue avec l’Occident, étant entendu que dialoguer ne signifie pas abdiquer.


Plusieurs questions viennent à l’esprit: le duo Khamenei-Ahmadinejad a-t-il obtenu la faveur des Russes et des Chinois? Les slogans «à bas la Russie», «à bas la Chine» des manifestants traduisent-semble-t-il- la frustration de l’aile réformatrice.


La fermeté avec laquelle le duo Khamenei-Ahmadinejad tient tête aux Etats-Unis, laisse supposer qu’il peut compter sur le soutien des Russes et des Chinois, lesquels «ont investi 120 milliards de dollars en Iran depuis 5 ans. En 2009, les deux pays ont signé deux importants contrats pour développer deux champs pétrolifères en Iran» (Bruno Philip (avec Natalie Nougayrède à Paris) Le Monde 09 mars 2010).


Selon nos hypothèses, l’alliance de l’Iran avec la Russie et la Chine est de nature stratégique et les pressions occidentales contre l’Iran manqueront d’efficacité. Le dernier geste de Poutine vient confirmer ce point de vue. La journaliste Marie Jégo écrit: «A peine avait-elle [Hillary Clinton] mis le pied à Moscou que le premier ministre, Vladimir Poutine (qu’elle doit rencontrer), en visite à Volgodonsk, dans le sud de la Russie, annonçait la mise en service «dès cet été» du «premier réacteur de la centrale nucléaire de Bouchehr» construite par les Russes en Iran» (Le Monde du 20 mars 2010). Selon la journaliste: «Cette annonce intervient au moment précis où Washington cherche à rallier Moscou à un projet de sanction contre l’Iran.» M. Lavrov, ministre des affaires étrangères, enfonce le clou: «Nous sommes dans l’étape finale et cette centrale nucléaire sera mise en service. Elle va démarrer, elle fonctionnera, elle produira de l’électricité.» D’autant plus que «la Russie vient de réaliser que le nouveau projet antimissile [en Roumanie et en Bulgarie] ne fait pas son affaire» (la même source). Le torchon brûle entre l’Occident et l’Orient et le «Grand jeu» continue.


Certes, l’Occident, maître des mers et des Océans, peut toujours imposer un embargo sur l’essence à l’Iran. Il peut même empêcher la livraison des pièces détachées, des capitaux et de technologie. De là à conclure à l’étouffement de l’Iran, il y a un pas qu’il est difficile de franchir.


Quels sont les points forts et les points faibles de l’Iran?


Ses points forts, ce sont sa position géographique hautement stratégique, ses richesses naturelles et intellectuelles, ses réseaux d’influence au Moyen-Orient et en Asie centrale. Comme nous l’avons déjà souligné, l’Iran participe à la gestion de l’Irak avec les États-Unis, qui comptent en outre sur l’Iran pour obtenir de la résistance afghane qu’elle compose avec le pouvoir fantoche de Hamid Karzaï en Afghanistan. A travers le Hezbollah, l’Iran est présent au sud Liban. Le Hamas palestinien compte lui aussi sur le soutien de l’Iran.


Les points faibles du pouvoir iranien ce sont la grande fracture au sein du pouvoir, suite aux élections du 12 juin 2009, et son manque de légitimité aux yeux des Iraniens. Une partie du clergé s’est même désolidarisée du pouvoir. La gestion chaotique de l’économie, l’inflation à deux chiffres, le chômage, la progression de la pauvreté, la répression de l’opposition, l’absence de libertés et l’importation massive des biens de consommation, provoquant la colère des industriels et de la population, sont autant de facteurs qui affaiblissent le pouvoir. En Iran, le feu couve sous la cendre.


L'Occident profite de la division et de la fragilité du pouvoir iranien pour accroitre la pression sur l’Iran.


Quoi qu’il en soit, sur l’échiquier de l’Asie centrale, chaque protagoniste attend un signe de faiblesse de l’autre pour ensuite pénétrer sur le terrain de l’adversaire. C’est ainsi que le «Grand jeu» continue depuis deux siècles.