28.11.13

Analyse 16 (2013): Accord gagnant-gagnant américano-iranien

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 28  novembre 2013

                
                                              
Accord gagnant-gagnant américano-iranien

Avant la victoire de la révolution de 1979 en Iran, le pays était une puissance régionale, au service des intérêts occidentaux, en particulier américains.

Après la victoire de la révolution, l'équilibre des forces a été rompu au Moyen-Orient. Presque en même temps, les soviétiques se retiraient de l'Afghanistan et l'on percevait les signes annonciateurs de l'effondrement de l'Union soviétique et du retour d'un vide politique en Asie centrale.

Pourquoi (re)tour? Parce que ce vide politique au Moyen-Orient et en Asie centrale s'était déjà créé au 18e siècle, après l'effondrement de l'empire Perse en 1747: l'année où les Afghans profitèrent, pour créer leur royaume, de l'existence d'un vide politique absolu dans la vaste région de l'Asie centrale.

L'absence de puissance dominante en Asie centrale conduisit les empires rivaux britannique et russe à se disputer cette vaste région; une rivalité nommée le "Grand jeu", qui, depuis 1809 - l'année où le premier européen, l'émissaire des Indes anglaises Mountstuart Elphinstone parvint à Peshawar, résidence d'hiver des souverains de Kaboul, en février 1809 -, se poursuit sous nos yeux.

L'effondrement de l'empire des Pahlavi en 1979 et le retrait d'Afghanistan de l'armée soviétique en 1980, conduisirent les Etats-Unis à déployer leurs forces, d'abord au Moyen-Orient, puis en Asie centrale.

Depuis 1980, le Moyen-Orient et l'Asie centrale ont connu 8 guerres et invasions, initiées par les Occidentaux: la guerre Irak-Iran, encouragée par les puissances occidentales et la Russie, qui dura 8 ans. L'invasion de l'Afghanistan par une coalition des armées occidentales; l'invasion du Koweït par l'armée irakienne; l'intervention occidentale pour chasser l'armée irakienne du Koweït; la guerre d'Irak conduisant au renversement de Saddam Hussein; l'invasion du Sud Liban par l'armée israélienne; l'invasion du Bahreïn par l'armée saoudienne et, finalement, la guerre en Syrie.

Aucune autre région du monde n'a connu, en si peu de temps, autant de guerres et d'invasions militaires, impliquant 7 pays et des centaines de milliers de troupes venues des quatre coins du monde. L'avenir nous dira si cet accord arrivera à mettre un terme à 34 années de guerres et destructions, provoquées principalement par les puissances occidentales, en particulier américaine.

Ces 34 années de guerre et d'invasion, qui ont presque ruiné l'économie américaine, devaient permettre l'émergence d'une puissance régionale. Les Occidentaux, en particulier les Américains, ont beaucoup compté sur l'Arabie saoudite et la Turquie, espérant qu'une coalition des deux vassaux des Etats-Unis pouvait remplacer le vide de puissance politique au Proche et au Moyen-Orient.

L'Arabie saoudite a échoué. Il faut reconnaître que les Etats-Unis ne l'ont pas tellement aidée. Pire, le renversement de Saddam Hussein a déroulé un tapis rouge devant l'Iran qui a installé ses pions en Irak, en particulier à Bagdad et à Bassora. L'Iran est aussi très influent en zone Kurde d'Irak.

Actuellement, l'Arabie saoudite- pays à système moyenâgeux et tribal- se contente de commettre des attentats en Irak par djihadistes interposés. Les points faibles de l'Arabie saoudite, c'est d'abord son très faible niveau technologique. Le pays achète tout à l'étranger, en particulier aux Occidentaux et aux Américains. En suite, pour maintenir ou étendre son influence politique, l'Arabie saoudite ne songe qu'à provoquer ou soutenir des guerres de religion, comme en Irak et en Syrie. L'unique succès de l'Arabie saoudite, c'est l'invasion du Bahreïn où une résistance profonde et durable oppose toujours la population à la monarchie tribale et dictatoriale régnante.

Les Saoudiens et les Turcs ont beaucoup misé et investi sur la Syrie, porte d'entrée de Téhéran! Une éventuelle victoire des "insurgés" syriens-soutenus financièrement et militairement par l'Occident, l'Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar- sur le régime de Bachar Al-Assad aurait facilité l'écrasement du Hezbollah libanais, le retour du Liban dans le giron de l'Occident, puis le renversement du régime de Téhéran.

Là encore, l'échec de l'Arabie saoudite et de la Turquie est patent. L'ampleur de l'échec sera discutée lors d'une conférence, prévue le 22 janvier 2014. A condition que les "insurgés" y participent. En effet, actuellement, les "insurgés" syriens sont divisés et affaiblis, l'armée syrienne est à l'offensive et s'apprête à récupérer Alep, ville que les Saoudiens et les Turcs espèrent conserver comme monnaie d'échange lors des prochaines négociations.

De ces 34 années de guerre, l'Iran est sorti quasiment vainqueur de la nouvelle phase du "Grand jeu" qui s'est déroulé au Proche et au Moyen-Orient. L'influence politique et militaire de l'Iran s'étend actuellement des confins de l'Afghanistan jusqu'en Méditerranée.

L'accord américano-iranien, signé le 24 novembre 2013 au Palais des nations à Genève, est un accord gagnant-gagnant. Car l'Iran a atteint ses objectifs nucléaires - maintien de ses centrales d'enrichissement de l'uranium sur son sol - ce qui met l'Iran au seuil nucléaire et sanctuarise le pays. Et politiques: être reconnu comme puissance régionale. En effet, il serait naïf de limiter ledit accord à la question nucléaire. Les observateurs ont relevé la coïncidence entre la signature de l'accord de Genève et l'annonce, trente six heures après, de la conférence de paix sur la Syrie.

L'accord américano-iranien permettra à l'Occident en général et aux Etats-Unis en particulier de disposer d'une région "pacifiée", gérée par une puissance politique et militaire efficace. Si la confiance d'antan se rétablit entre l'Iran et les Etats-Unis, ces derniers pourront même retirer une partie de leurs forces, vider certaines bases militaires et souffler financièrement.

L'Iran serait moins tributaire des Russes et le gaz iranien pourrait réduire la dépendance du continent européen au gaz russe. Les investissements industriels et pétroliers en Iran pourront repartir de plus belle et rapporter énormément aux banques d'investissement et aux fonds de pension américains et européens. De son côté, l'Iran pourra déverser des milliards de dollars sur les marchés d'investissement occidental.

Le gouvernement français a fait beaucoup de bruit autour de l'intervention de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, au cours de la première phase des négociations de Genève. Comme si la France disposait d'une telle influence politique, capable d'intervenir sur le cours des évènements. Or, depuis 1809, le Moyen-Orient et l'Asie centrale sont disputés entre quatre empires: iranien, britannique, russe, et américain. Les Français et Allemands - dépourvus d'influence politique et militaire dans les vastes régions disputées - interviennent à la marge et seulement en soutien aux britanniques et Américains. Selon une source officielle de Téhéran, citée par Ai-Monitor* Washington, un accord sur le nucléaire permettrait de régler d'autres dossiers dans la région. "La questions [syrienne] a été largement abordée lors de discussions parallèles. C'est pour cette raison que des puissances régionales [Israël et Arabie saoudite] ont demandé aux Français de bloquer les négociations."

Le protocole discuté et adopté à Genève est pratiquement celui concocté par les Etats-Unis et l'Iran lors des discussions secrètes à Oman, commencées en mars 2013.

Dans le cadre du "Grand jeu" en Asie centrale, serons-nous un jour témoins d'un nouveau bras de fer, opposant la Russie aux Etats-Unis? En effet, la Russie n'est pas encore suffisamment puissante pour remettre la main sur ses anciens glacis en Asie centrale, où les Etats-Unis entretiennent encore une dizaine de bases militaires.


*Cité par Courrier international- n° 1203 du 21 au 27 novembre 2013.

25.10.13

Analyse 15 (2013): Rapprochement USA-Iran

Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 25 octobre 2013

               
Rapprochement Etats-Unis (USA)- Iran


Depuis l’accession de Rohani à la présidence de la république islamique, puis le coup de fil d’un quart d’heure passé entre Barack Obama et Rohani, les relations Etats-Unis (USA)-Iran semblent emprunter le chemin de l’apaisement.

Littéralement, rapprochement signifie : « Etablissement ou rétablissement d’un contact, de relation plus cordiale. » En effet, décidé en « haut lieu », l’Etat iranien a décidé de normaliser ses contacts, autrement dit, de se « rapprocher » des USA, en établissant des relations lui permettant un contact normal, sans intermédiaire et le plus cordial possible avec le plus puissant état du monde.

Sans tenir compte de la nature de son Etat (démocratique, despotique, ou autres) l’Iran, par sa géopolitique et son histoire, ses potentiels économiques et intellectuels, jouit d’une place particulière dans la région et dans le monde. Il est influent en Asie centrale, en Afghanistan, très présent-économiquement et par groupes politiques et militaires entraînés- en Irak et impliqué politiquement économiquement et militairement au Liban et en Syrie. L’Iran dispose d’une industrie militaire en plein développement. Il fait partie des 6 nations qui ont envoyé des êtres vivants dans l’espace. Avec ses 15000 centrifugeuses, son uranium enrichi à 3 ; 5 ou 20%, l’Iran est au seuil nucléaire. L’Iran est un pays acteur de la région.

Est-ce le cas des pays comme la Turquie, Israël ou l’Arabie saoudite ? Disons le d’emblée : lesdits pays se trouvent dans le giron des Etats-Unis et se comportent plus comme un laquais que comme un pays acteur. Sur le plan économique, l’Arabie saoudite, pays très riche, ne peut fonctionner que grâce à la présence de milliers de techniciens et d’ingénieurs occidentaux. Malgré les attentas commis en Irak et en Syrie par ses agents djihadistes, l’Arabie saoudite, ne pèse pas grand-chose sur le plan militaire et politique. Malgré ses efforts désespérés, elle a perdu potentiellement la bataille de Syrie, même si elle s’accroche à la position de ses mercenaires à Alep. Ses soutiens libanais, groupés au sein du rassemblement du 14 mars, ont perdu le pouvoir au profit du Hezbollah et de ses alliés. Ses plans sur la Palestine sont restés lettres mortes. Ses revers politiques et militaires sont ceux de l’Occident qui la parraine. L’écrasement de la révolte à Bahreïn constitue la seule « réussite » de l’Arabie saoudite. Depuis le réchauffement des relations USA-Iran, l’Arabie saoudite est transformée en ce qu’elle a toujours été : un pays féodal, le « Vatican » des musulmans et producteur de l’or noir ; point.

Israël est également dans de sales draps. Efficace lorsqu’il y a un conflit entre les USA et ses adversaires moyen-orientaux, Israël n’est plus aussi utile lorsque l’apaisement s’installe entre les USA et ses concurrents. Israël ne coûte que 3 milliards de dollars au budget des Etats-Unis tandis que l’apaisement et la « sécurité » au Moyen-Orient peuvent rapporter, directement ou indirectement, des milliards de dollars à l’économie mondiale, donc aux institutions financières. Il est temps que Netanyahu et son équipe va-t-en-guerre partent, remplacés par une autre équipe, conforme à la nouvelle situation au Moyen-Orient.

L’Iran négocie-t-il en position de force ? Comparé à il y a dix ans, l’Iran se trouve au seuil nucléaire et se sent sanctuarisé. Ses 15 000 centrifugeuses sont capables de produire en peu de temps suffisamment d’uranium de qualité militaire. En filigrane, c’est également le souhait des USA qui souhaitent que l’Iran soit assez puissant pour jouer le rôle de gendarme. Un peu puissant, mais pas trop ! 

La situation intérieure est l’épine dorsale du pouvoir. Les Iraniens sont férus de libertés et de justice sociale. Certains groupes de pression, constitués de fondamentalistes, de militaires et de spéculateurs en tous genres, sont les perdants de l’apaisement social et du rapprochement USA-Iran. Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, les dirigeant du mouvement vert, sont toujours en prison où croupit un nombre important de prisonniers politiques. Chaque année, des milliers de jeunes arrivent sur un marché du travail atone et des milliers de jeunes diplômés quittent le pays pour des cieux plus cléments. L’inflation bat toujours des records et le mécontentement social pourrait rapidement se transformer en révolte dont le pays est coutumier.

Disposant de beaucoup d’atouts, face à l’Occident, actuellement l’Iran n’est ni en position de force ni en position de faiblesse. Pour beaucoup de raisons, il a intérêt à négocier. Sur le plan nucléaire, un retour en arrière est impossible. Mais, le pays a intérêt à équilibrer ses relations entre la Russie, la Chine et l’Occident. L’Occident en général et les USA en particulier en sont conscients. C’est dans l’intérêt de l’Occident que l’Iran jouisse d’une liberté de manœuvre par rapport à la Russie.

Le rapprochement avec l’Occident, permettra à l’oligarchie iranienne de placer sa fortune colossale sur le marché mondial et profiter des dividendes qui seront exportés à leur tour vers d’autres cieux. L’exportation de capitaux va désormais de pair avec l’exportation industrielle-automobile et militaire- et pétrolière.

10.9.13

Analyse 14 (2013): L'axe Russie-Iran-Syrie arrivera-t-il à empêcher l'humanité à rebasculer dans un monde unipolaire?

Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 10 septembre 2013

                 
Sommes-nous au seuil d’un changement de l’ordre mondial ?

L’axe Russie-Iran-Syrie arrivera-t-il à empêcher l’humanité de rebasculer dans un monde unipolaire ?

Les Etats-Unis et la France sont décidés à « punir » la Syrie pour l’emploi de gaz toxique le 21 août dernier à la Ghouta, une banlieue de Damas. Sans attendre les conclusions de l’enquête menée par une équipe des Nations unies, des radios et des chaînes de télés mènent une campagne de matraquage, consistant à préparer l’opinion à une agression sans mandat de l’ONU contre la Syrie. En effet, tout porte à croire que les Etats-Unis et la France sont prêts à ne plus solliciter l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies où le droit de véto russe les empêche d’intervenir.

Relevant la différence de situation avec l’Irak ou le Kosovo, certains analystes n’hésitent pas à comparer l’éventuelle agression du couple franco-américain contre la Syrie à l’expédition franco-britannique du canal de Suez en 1956, suite à la nationalisation (26 juillet 1956) du canal par Gamal Abdel Nasser. Le conflit prenait fin le 6 novembre sous la pression conjointe des Etats-Unis et de l’URSS.

Refusant leur déclin, la France et la Grande Bretagne disposaient alors de vastes territoires en Afrique, en Asie, dans les Océans pacifique et Atlantique. Mais l’heure était à la décolonisation et à la naissance d’un nouvel « ordre mondial », dominé par les superpuissances américaine et soviétique. La crise du canal de Suez agissait comme révélateur du déclin des anciennes puissances colonialistes franco-britannique.

La bataille de Syrie agit-elle comme révélateur du déclin américain, une puissance militaire et économique encore colossale, mais discréditée et endettée à hauteur de son PIB- près de 16 milles milliards de dollars- un quatrième du PIB mondial ?

Le monde actuel n’est plus ce qu’il était dans les années 1950. L’URSS n’existe plus. Une nouvelle puissance émerge sur la scène internationale : le groupe des « pays émergents », composé essentiellement de la Chine, du Brésil, de l’Inde, de la Russie, de l’Afrique du Sud, qui se cherche une place dans le concert des nations, et se montre de plus en plus réticent à accepter le dictat américain qui détient encore des cartes financières, économiques, militaires, diplomatiques non négligeables.

La réticence des « pays émergents » face à la dictature américaine s’est manifestée lors des sanctions imposées à l’Iran, en dehors du cadre des Nations unies. « Pékin et Moscou ont dit qu’ils ne voteraient pas de nouvelles [sanctions]. En mars, le sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) a réaffirmé son opposition « aux menaces militaires et aux sanctions unilatérales », et le groupe considère que les mesures commerciales les plus dures contre l’Iran, celles décidées par les Etats-Unis et l’Europe, sont « unilatérales ». (Alain Frachon- Le Monde du 12 avril 2013). 

Le même groupe- auquel se sont associés l’Indonésie, le Mexique et l’Argentine- présent au sommet du G20 des 5 et 6 septembre 2013 à Saint Petersburg, n’a pas voté la déclaration commune présentée en catastrophe et in extremis par le couple Obama-Hollande. Faut-il rappeler que ledit texte n’exprime pas un soutien à une opération militaire franco-américaine, même s’il appelle « à une forte réponse internationale à cette violation grave des règles et valeurs universelles ».

La décomposition du camp des va-t-en-guerre colonialistes est patente. Même le président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, a dit clairement qu’« il n’y a pas de solution militaire en Syrie. » « La solution doit être politique. »

Que faut-il comprendre de ces déclarations et prise de position ?

En Syrie, trois camps se font face : le camp occidental mené par les Etats-Unis ; le camp oriental composé de la Russie, de l’Iran et de la Chine et les « pays émergents » qui soutiennent le camp oriental.

Pour le camp occidental, l’enjeu est de perpétuer la domination occidentale, en particulier celle des Etats-Unis, désireux de « remodeler », c’est-à-dire de décomposer-comme l’ex-Yougoslavie- certains pays souverains du Moyen-Orient en petites entités ethniques ou religieuses (« pays sunnite », « pays chiite », « pays alaouite », « pays kurde », « pays azéris », etc.) et de créer le « Grand Moyen-Orient » à la botte des Etats-Unis.

Autrement dit, ce qui a réussi avec l’Irak-décomposé de fait en trois entités chiite, sunnite et Kurde- pourrait se reproduire avec la Syrie et, plus tard, avec l’Iran. Le secrétaire d’Etat américain l’a dit clairement : « Notre inaction lui [Iran] donnerait certainement la possibilité au mieux de se tromper sur nos intentions quand ce ne serait pas les mettre à l’épreuve. »(Libération du 06 septembre 2013). L’Iran est dans la ligne de mire des frappes franco-américaines.

En cas de réussite, ce dessein mettra toutes les voies de communication vitales du globe, depuis le détroit de Malacca, en passant par le détroit d’Ormuz jusqu’à Gibraltar, ainsi que des ressources énergétiques-sauf celles de la Russie, considérables- sous la coupe des Etats-Unis.

Une telle mainmise mettrait les « pays émergent » ou non en position de quémander de l’énergie, des matières premières ou des marchés auprès des Etats-Unis, patrons du monde.

Vu sous cet angle, l’enjeu de la bataille de Syrie est d’ordre stratégique, aussi bien pour l’Occident que pour les puissances orientales et les « pays émergents ».

L’affaiblissement du pouvoir syrien représente, pour les Etats-Unis, le meilleur moment pour intervenir militairement afin de casser l’axe formé par la Syrie, le Hezbollah et l’Iran et leurs soutiens chinois, russes, voire même les « pays émergents ».

L’opposition de la Chine et surtout de la Russie risque de provoquer une grande déflagration, du moins dans la péninsule coréenne. Mais, comme lors de la crise du canal de Suez, les faucons néoconservateurs américains et français ont décidé de jouer le tout pour le tout.

Certains pays industriels-dont l’Allemagne- craignent une déflagration généralisée, conduisant à la montée des cours des matières premières, en particulier le pétrole, et à l’effondrement des bourses, dans un contexte de crise économique qui n’en finit pas. Pour les sceptiques, comme Herman Van Rompuy, « la solution doit être politique. »

Ne pas réagir militairement, c’est perdre leur « crédit », donc perdre l’occasion de s’imposer définitivement, sans tirer un coup de feu. Ne pas réagir, c’est céder à la résistance et à la pression des puissances orientales et à celles des « pays émergents », radicalement opposés aux frappes franco-américaines.

En cas d’échec du couple franco-américain, les puissances orientales et les « pays émergents » joueraient le même rôle que les Etats-Unis et l’URSS lors de la crise du canal de Suez. La France serait-elle encore du côté des perdants ?

En cas d’échec, nous serions témoins de la naissance d’un nouvel « ordre mondial », multilatéral où les Etats-Unis ne seront qu’une puissance parmi d’autres.

1.9.13

Analyse 13 (2013)- Le colonialisme "punit" les nations et peuples insoumis

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le premier septembre 2013

                 
                                              
Depuis plus de deux siècles, l’Occident 
colonialiste « punit » les nations et peuples insoumis

L’utilisation d’armes chimiques en Syrie a offert l’occasion aux puissances colonialistes occidentales-se disant respectueuses des lois internationales- d’agiter le spectre d’une « punition » à l’encontre du pouvoir syrien.

Un retour sur l’Histoire montre qu’en Afrique, en Asie et partout ailleurs, lesdites puissances sont intervenues militairement à maintes reprises, utilisant toutes les armes de destruction massive, au nom de la « morale », du « respect de la vie humaine », du « respect de la loi internationale » pour « punir », semer terreur et désolation à l’encontre des nations et peuples qui voulaient s’émanciper. Quelques exemples :

Le protocole concernant la prohibition de l’emploi, lors de conflits armés, de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, a été signé à Genève en 1925. Mais, les Etats-Unis n’en ont cure. Ils ont utilisé largement un herbicide contenant de la dioxine qu’ils ont déversé durant la guerre du Vietnam sur les zones tenues par la résistance vietnamienne. Le défoliant nommé « agent orange » est source de multiples cancers, de leucémies et de malformations génétiques dans la population. (1) En 2013, plus de 40 ans après la fin de la guerre au Vietnam, l’« agent orange » répandu par les Américains continue de tuer. (1) De plus, Le Monde du 28 août 2013 vient de révéler que « l’Irak a utilisé des gaz contre l’Iran avec l’aide de la CIA » !

Quand ce n’est pas le gaz, d’autres « armes de destruction massive » sont utilisées pour assurer la domination colonialiste. Prétextant la « guerre contre le terrorisme », les Etats-Unis foulent aux pieds la souveraineté des Etats membres des Nations Unies, envoient leurs drones au Yémen, en Afghanistan et au Pakistan assassiner en toute impunité la population sans défense. Rien qu’en 2012, plus de trois mille Pakistanais ont perdu la vie sous les bombes lâchées par les drones, téléguidés depuis les Etats-Unis.

Guantanamo, la prison d’Abou Ghraib en Irak- où des prisonniers étaient couramment humiliés et torturés par l’armée américaine- et les prisons secrètes de la CIA dans le monde, en particulier en Europe, sont d’autres facettes du mépris affiché par les Etats-Unis du droit international et des droits de l’homme.

Toujours au nom de la « lutte contre le terrorisme », Edward Snowden, un consultant du renseignement américain, a révélé que le globe entier a été mis sur écoute illégalement par la NSA (Agence nationale de sécurité). Même des messages cryptés des Nations unies ont été interceptés par la NSA. (2) Pour Julian Assange, créateur de WikiLeaks, « Google est un agent de l’impérialisme américain. En dépit de son message humaniste, le géant du Web agit contre les libertés » (3). « La NSA, la police fédérale (FBI) et l’Agence centrale de renseignement (CIA) disposent, avec la nouvelle technologie digitale, de pouvoirs de surveillance sur nos propres citoyens dont la Stasi (la police secrète de la disparue République démocratique allemande) n’aurait guère pu rêver. Edward Snowden révèle que ladite communauté du renseignement est devenue the United Statsi of America. » (4)

On voit bien que l’administration Obama, prix Nobel de la paix, est la digne héritière du colonialisme américain qui, par tous les moyens, continue de « punir » l’humanité qui refuse la pax americana. Alors, les Américains sont-ils qualifiés pour intervenir en Syrie au nom des droits de l’homme ?

Le bilan des colonialistes Britanniques n’est pas meilleur. « L’opiomanie de l’Inde, en conjonction avec l’alcoolisme, a été l’un des moyens auxquels l’Angleterre a eu recours pour maintenir sa domination » (5). Toujours en Inde ; lors de la rébellion de 1857, des centaines d’insurgés furent « punis » c’est-à-dire pendus ou ligotés à la bouche des canons et « volatilisés » (5).

En 2033, sans l’autorisation des Nations unies et sur la base des mensonges distillés par les services de « sa majesté », la Grande Bretagne s’est associée aux Etats-Unis pour envahir un pays souverain, l’Irak, causant des centaines de milliers de morts. « Sur les 600 000 victimes civiles de la tragédie irakienne, 31% seraient décédées en raison de l’attitude des troupes d’occupation, qu’il s’agisse des tirs aux check points, sur les routes, dans les prisons ou lors des raids dans les maisons. Cette violence a été largement assumée par la hiérarchie militaire qui, malgré l’étendue de l’horreur, a persisté à couvrir ses hommes.» (6)
Alors, les Britanniques sont-ils qualifiés pour parler au nom des droits de l’homme ?

Quant à la France, son armée est omniprésente en Afrique, dans l’Océan indien, dans ses anciennes colonies, dont les gouvernements fantoches assurent à l’industrie française matière premières et marché. L’intervention récente de l’armée au Mali visait à maintenir une vaste zone riche en minerai d’uranium et autres minerais stratégiques indispensables.

Plus de cinquante ans après la guerre meurtrière en Algérie, la France refuse toujours de reconnaître la responsabilité de son armée dans la torture et le massacre de la population algérienne, « punie », parce qu’elle voulait vivre librement. Actuellement, « Hollande veut mobiliser sur la Centrafrique », une ancienne colonie, qui risque de s’émanciper de l’emprise française. (7) Bien entendu, les opposants au colonialisme sont accusés de commettre « des exactions » et la France-Zorro s’apprête à venir en aide à la population mal traitée ! « La France dispose en permanence d’au moins huit navires dans la région [Océan Indien] et leur zone de patrouille s’étend de la mer d’Arabie aux îles Kerguelen. » (8)

Derrière la « défense des droits de l’homme » se cachent bien des intérêts géostratégiques. L’objectif : perpétuer la domination planétaire de l’Occident, menée par les Etats-Unis. La Syrie, le Liban et l’Iran souverains empêchent la réalisation du « Grand Moyen-Orient », qui pourrait assurer aux Etats-Unis une suprématie sans partage du globe.

L’agression de 2006 du Liban par Israël n’a pas abouti. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France s’apprêtent à finir le travail inachevé d’Israël. Affaibli par des vagues de mercenaires « jihadistes » venus d’Arabie saoudite, de Turquie, de Qatar, d’Egypte, de Libye, de Tunisie, l’Etat souverain syrien est en grand danger. Une campagne de bombardement « punitive » pourrait avoir raison d’un Etat- dictatorial-qui refuse de plier l’échine devant les colonialistes.


(1)  Bruno Philip- Le Monde du 30 avril 2013.
(2)  AFP, Reuter- Le Monde du 27 août 2013.
(3)  Le Monde des 9-10 juin 2013.
(4)  Daniel Ellsberg, ancien haut fonctionnaire américain- Le Monde du 26 juin 2013.
(5)  Marc Ferro-Le livre noir du colonialisme- Robert Laffont.
(6)  Marianne- 28 juillet au 3 août 2007.
(7)  Le Monde du 29 août 2013.

(8)  Le Monde du 25 février 2006.

3.8.13

Analyse 12 (2013): L'islamisme est-il une alternative? En Iran, en Egypte et en Tunisie

Paix et Justice au Moyen-Orient
 STRASBOURG, le 3 août 2013

                
L’islamisme est-il une alternative ?
En Iran, en Egypte et en Tunisie 

L’ère de l’islamisme triomphant a commencé en 1979 avec la victoire de la révolution iranienne et l’instauration de la république islamique, drapée dans sa devise emblématique « ni Est, ni Ouest, république islamique ».

En effet, suite à l’affaiblissement du camp socialiste « athée, mécréant et matérialiste »  et aux crises à répétition du monde capitaliste « amoral, colonialiste et matérialiste », les représentants de la république islamique promettaient l’épanouissement de l’humanité sous les auspices d’un ordre islamique qui restait à définir.

Que constate-t-on 34 ans après la victoire de la révolution islamique ?

Sur le plan économique, un capitalisme ultralibéral- équivalent à celui qui régnait en Europe au dix-neuvième siècle- sans foi ni loi, s’est imposé dans tous les domaines de l’économie nationale. La seule loi qui vaille c’est la « loi de Dieu », celle des intérêts du clergé chiite et des commerçants et industriels du sérail islamique, en particulier les « pasdarans », garde prétorienne du régime, qui ont mis la main sur 30% de l’économie nationale. Ahmadinejad et sa clique étaient les représentants emblématiques de ce capitalisme sauvage, saignant à blanc l’économie nationale, la livrant aux spéculateurs et aux pilleurs qui ont dilapidé des milliards de dollars, en laissant derrière eux des millions de chômeurs et un taux d’inflation frisant les 50%. Parallèlement, dans le but de satisfaire le FMI (Fonds monétaire international), le peu de « socialisme » encore présent dans l’économie iranienne- sous forme de subventions des denrées alimentaires de première nécessité- a été supprimé, créant des millions de nécessiteux et de miséreux au sein de la population.

Sur le plan social, la charia moyenâgeuse a empêché l’évolution moderne de la société. En effet, depuis 34 ans, une dictature misogyne, ennemie jurée des libertés individuelles, de la presse, de la création artistique, des associations civiles, syndicales et politiques, sévit en Iran. Les discriminations religieuses sont monnaie courante. Seuls les fondamentalistes peuvent se présenter aux élections, elles-mêmes supervisées par les instances de sa « majesté le calife ».

Ultralibéral sur le plan économique, adepte d’un capitalisme sauvage, laissant libre cours aux spéculateurs, la république islamique est moyenâgeuse et dictatoriale sur le plan social. Sur ces deux plans, l’islamisme ne peut absolument pas représenter une alternative populaire.

Les peuples des pays arabo-musulmans, qui souffrent souvent de la dictature militaire et d’un ordre social arriéré, observent de près l’évolution de la société iranienne et se rendent compte que l’islamisme n’est pas le bon modèle, leur permettant le progrès économique au service du peuple et l’émancipation sociale.

Des décennies de dictature militaire au Proche et au Moyen-Orient (Egypte, Tunisie, Yémen, Irak, Syrie, etc.) ont réduit au silence la société civile laïque dans les pays arabo-musulmans qui ont vu fleurir des organisations « charitables » religieuses à la sauce « frères musulmans ».

Suite à l’avènement du « printemps arabe », en Tunisie et en Egypte, lesdites « organisations charitables » ont comblé le vide laissé vacant par la déroute des régimes militaires. La société civile a profité également du « printemps arabe » pour s’organiser. Mais, le temps presse et le modèle de société proposé par les organisations laïques se rapproche de celui des pays occidentaux, décrié par les islamistes comme « corrompu, matérialiste », propageant les valeurs des ex-pays colonialistes.

La masse des croyants est sensible au message des islamistes tandis que la couche instruite, minoritaire, du pays ne voit que l’aspect positif de la société occidentale développée, avec ses libertés individuelles et collectives, les libertés de la presse, d’association et de la création.

Les blocages des sociétés égyptienne et tunisienne et la division de la population entre « intégristes » et « modernes », montrent l’absence d’alternative dont souffrent actuellement les sociétés arabo-musulmanes.

Le combat des laïcs contre les intégristes revêt différentes formes et tout porte à croire que l’Egypte est devenue le laboratoire de la transformation sociale dans l’intérêt de l’Occident. En Egypte, les anti-intégristes ont préféré le coup d’état de l’armée- soutien de l’ordre ancien et rempart des multinationales- au régime de Morsi, pourtant élu démocratiquement.

Comme à l’époque de Hosni Moubarak, mais forte du soutien populaire, l’armée massacre les « frères musulmans », transformant Morsi et ses soutiens en victimes. Le camp laïc commence à paniquer et se divise, se rappelant les atrocités du régime militaire contre lequel il s’est battu. Il est fort possible que le camp laïc finisse par se désolidariser de l’armée qui, par souci de stabilité chère aux multinationales et à Israël, ne tardera pas à instaurer l’ordre ancien.

Une autre possibilité suggère qu’après le « colonialisme à visage humain », soucieux des « droits de l’homme » et adepte de l’« ingérence humanitaire », est peut-être venu le temps des « coups d’état à visage humain » où, comme en Egypte, l’armée se porte garante de la démocratie colonialiste, « respectueuse des libertés démocratiques », personnifiées par El Baradai.

Face à l’armée pro-occidentale, respectueuse des accords de Camp David, le risque existe que les « frères musulmans » redeviennent l’alternative, s’ils adoptent une rhétorique anticolonialiste, donc antioccidentale et anti-israélienne. En effet, c’est le seul point sur lequel les islamistes représentent une alternative.

En Tunisie, les islamistes au pouvoir résistent encore. En effet, selon Ghannouchi, président du parti islamiste au pouvoir, « ceux qui refusent la charia peuvent représenter une minorité mais cette minorité a une forte influence, dans les médias, l’économie, l’administration, donc il ne faut pas les négliger » (1)

En attendant, pour désorganiser le camp laïc « minoritaire » farouchement opposé à la charia moyenâgeuse, l’élimination physique de ses représentants-Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (2)- est à l’ordre du jour. Il est à craindre qu’en Tunisie, malgré la résistance héroïque du camp laïc, l’état islamique s’appuie sur les assassinats politiques pour consolider son pouvoir.

L’avenir nous dira si, face à la résistance grandissante du camp laïc, un « coup d’état à visage humain » sera possible en Tunisie ? Sinon, en l’absence de démocratie à l’occidentale imposée par l’armée, l’«alternative» islamiste se consolidera définitivement avec des assassinats ciblés.


(1)  Isabelle Mandraud- Le Monde du 19 octobre 2012.
      (2) Chokri Belaïd, assassiné le 6 février 2013 et Mohamed Brahmi, assassiné le 25 juillet 2013, par des tireurs à moto.

24.6.13

Analyse 11 (2013)- Le calife d'Iran et sa république


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 23 juin 2013

     cpjmo@yahoo.fr
                 
Le calife d’Iran et sa république


La république islamique est un califat « moderne ». Selon Le Petit Robert, un calife est un « souverain musulman, successeur de Mahomet, et investi du pouvoir spirituel et temporel ».

L’article 2 de la Constitution est on ne peut plus clair : « Dieu exerce en Iran une souveraineté absolue et préside à l’élaboration des lois ». La Constitution confère, donc, aux religieux la primauté sur le politique. C’est la doctrine du velayat-e faqih (« gouvernement du docte »).

Actuellement, c’est Ali Khamenei, le faqih, qui, en l’absence de Mahdi, l’« Imam caché », représente Dieu et, au moyen de la charia, exerce le pouvoir absolu du religieux sur le politique.

Le califat iranien n’est plus-il est vrai- ce qu’il était au Moyen-âge. La Révolution a triomphé en 1979, dans un pays relativement développé. Khomeiny s’est trouvé entouré de jeunes croyants laïcs, cultivés et épris de libertés, à l’exemple de la société iranienne dans son ensemble.

Le terme « république islamique » tend à concilier la doctrine archaïque du velayat-e faqih avec les aspirations démocratiques de la génération qui a fait la révolution.

La république a répondu aux besoins d’un monde moderne. Il fallait gérer, les villes, les écoles, les universités, les hôpitaux, construire des routes, des métros, des aéroports, des centrales électriques, des barrages, des usines ; former des enseignants, des chercheurs, des ingénieurs, créer des centres de recherche scientifique, etc. L’école théologique de Ghom, ville sainte du chiisme iranien, avec ses mollahs moyenâgeux, tournés vers le martyre des imams chiites, n’était, quant à elle, pas équipée intellectuellement pour résoudre les problèmes d’une société moderne.

Depuis 1979, deux mondes vivent et évoluent en parallèle : l’islam et la république. L’islam exerce sa priorité et regarde la république d’un œil méfiant.

30 ans après sa fondation, la république islamique ne ressemble plus à celle de sa naissance. Le clergé a perdu son unité et les mollahs ont rejoint des courants commerciaux et industriels, dont la gestion exige l’emploi de méthodes plus ou moins modernes.

Or, la gestion des affaires a produit des frictions croissantes entre les deux tendances présentes au sein de l’Etat. Un certains nombre de mollahs, sentant le vent tourner, ont cherché à accompagner le mouvement en faveur des « réformes ». La charia et ses lois archaïques se sont montrées de plus en plus incompatibles avec les besoins d’un Etat du 21è siècle.

Le développement du mouvement réformiste a eu pour effet de renforcer la résistance des fondamentalistes, maître des appareils de l’Etat et de l’armée.

L’élection de 2009, opposant Ahmadinejad, poulain de Khamenei, à un candidat réformateur, a donné l’occasion à Khamenei d’étouffer définitivement le camp des républicains, quoique fidèles au régime ; et, par ailleurs, d’installer un califat moyenâgeux destiné à préparer la « résurrection » de l’« imam caché ». Ce coup d’état électoral a réussi grâce au soutien des « Pasdarans », garde prétorienne du régime.

Mais, c’était sous estimer la vague réformatrice. On connait la suite. Les manifestants qui contestaient l’élection d’Ahmadinejad ont été brutalement réprimés. Des dizaines de manifestants furent tués, et des milliers, dont les deux chefs réformateurs, sont toujours en prison ou en résidence surveillée. Depuis quatre ans, un climat sécuritaire pesant, contesté même par certains caciques du régime, règne dans le pays.

A son tour, Ahmadinejad, confronté aux réalités de la gestion d’un Etat moderne, s’est peu à peu opposé à Khamenei et à son entourage fondamentaliste. Cela ne l’a pas empêché de préparer la « résurrection », au prix de millions d’euros, servant, entre autres, à produire un filme intitulé la « résurrection est proche » !

Les conséquences économiques de la mainmise de Khamenei et de ses proches sur l’Etat s’avèrent catastrophiques. Les « Pasdarans », contrôlaient déjà « le tiers des importations », à partir d’une soixantaine de quais sur les rives du Golfe Persique, d’une dizaine d’aéroports-dont celui de Payam, proche de Téhéran (…)- de vingt-cinq quais de dédouanement à l’aéroport international de Méhrabad » (selon une déclaration en 2007 (1) de M.Mhammad Ali Mochafegh, l’un des conseillers de M. Mehdi Karoubi, ancien président du Parlement, actuellement en résidence surveillée).

Après le coup d’état électoral, ces mêmes « Pasdarans » ont mis la main sur un tiers de l’économie iranienne. La corruption, le népotisme, le pillage et la mauvaise gestion ont amené l’économie au bord du précipice. L’inflation dépasse officiellement les 30%. Les fondamentalistes prétendent incriminer les sanctions économiques. Mais personne n’est dupe. L’ampleur de la catastrophe est directement liée à l’incompétence de l’ancienne équipe dirigeante.

Se trouvant à la croisée des chemins : soit le régime persistait sur la même voie, conduisant à l’effondrement total, sous la pression populaire et internationale, soit il se résignait à changer de direction. C’est la deuxième voie qui fut choisi.

Certes, les fondamentalistes ont résisté jusqu’au bout. Le chef des « Pasdarans » Mohamad Ali Jafari s’est rendu en personne au bureau du Conseil des gardiens pour s’assurer que ces derniers allaient bien rejeter la candidature de l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani, pourtant l’un des fondateurs de la république islamique. (2) Ainsi va la « démocratie » sous sa majesté le calife !

Des rumeurs ont fait état de la volonté du peuple de boycotter l’élection présidentielle. Mais, Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami, l’ancien président de la république, ont exhorté la population à aller voter. Une grande mobilisation s’est opérée en moins de 48 heures, conduisant à l’élection d’Hassan Rohani, pourtant peu connu comme réformateur. Force est de constater qu’Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami ont sauvé la république islamique.

Toujours est-il que l’échec des fondamentalistes, tel Jalili, poulain connu de Khamenei, représente un désaveu, voire une gifle à Khamenei, qui a conduit le pays à l’état où il se trouve.

Rohani, homme de confiance de Khamenei, a maintenant toutes les cartes en main. Il devient président d’un régime à bout de souffle. Le peuple reste mobilisé. Il souhaite ardemment l’instauration de libertés démocratiques et d’un Etat de Droit, une gestion moderne de l’économie, la fin des privilèges, la lutte contre la pauvreté et la corruption, ainsi que la fin des discriminations qui frappent les couches fragiles de la société, en particulier les femmes.

Vu l’ampleur de la tâche, rien ne dit que Rohani réussira à donner satisfaction aux revendications sociétales et économiques de la population tourmentée. Car, il y a le plafond de verre de velayat-e faqih qui a montré son incompatibilité avec les institutions de la république.

Le clergé chiite n’a qu’une alternative. Soit le velayat-e faqih se résigne à devenir un pouvoir purement symbolique ; soit il quitte définitivement la scène politique, faisant place à une véritable République d’Iran. L’avenir dira quel sera le choix du clergé, qui, en définitive, fait toujours couler beaucoup de sang au nom d’Allah.


(1)  Le Monde diplomatique du février 2010- www.aei.org/outlook/27433

(2)  Le Monde du 13 juin 2013.

16.6.13

Analyse 10 (2013)

Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 16 juin 2013
                                                              
Les gouvernements russe et américain ont sifflé la fin
de l’insurrection en Syrie

Le soulèvement du peuple syrien contre le régime dictatorial de Bachar Al-Assad, commencé il y a plus de deux ans, a des causes internes. « La situation socio-économique était déplorable : sur trois cent mille Syriens arrivant chaque année sur le marché du travail, seuls huit mille décrochaient un contrat de travail en bonne et due forme. Des réformes néolibérales imposées brutalement avaient transformé les monopoles publics en privés et engendré un capitalisme de copains et de coquins. Un état d’urgence en vigueur depuis 1963 étouffait toutes les libertés. La torture, institutionnalisée, était érigée en mode de gouvernement et de domestication des masses(1)

Le soulèvement, commencé par des manifestations pacifiques où chaque vendredi, après la prière, des milliers de Syriens descendaient dans la rue pour exprimer leur malaise et leur ras le bol d’un régime impitoyable et corrompu, s’est rapidement militarisé.

Des centaines de militaires ont rejoint la rébellion armée qui, profitant de la panique du régime, de sa désorganisation et des hésitations de l’armée, s’est rapidement emparée d’une grande partie du nord et du centre de la Syrie. Les postes frontaliers tombaient les uns après les autres et l’on spéculait sur la chute imminente du régime de Bachar AL-Assad. En août 2012, Laurent Fabius déclarait aux journalistes : « M.Bachar Al-Assad ne mériterait pas d’être sur Terre » ; il a tenu à mettre en garde contre l’après-Al-Assad : « Il faut travailler pour remplacer ce régime et en même temps faire en sorte que ce remplacement se fasse dans des conditions maîtrisées. Nous ne voulons pas qu’il y ait un chaos qui succède à la situation actuelle. (2) Tout un programme !

M. Laurent Fabius, sujet de plaisanterie de la part de Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, représente à lui seul toute la faiblesse de la diplomatie moyen-orientale de la France.

L’éditorial du monde du 23 août 2012 était sans appel : « Chacun sait, en effet, que les jours - ou, hélas, les mois - de l’actuel régime syrien sont comptés, que sa chute est inéluctable ».

On entendait le même son de cloche chez certains hommes politiques moyen-orientaux anti-Assad, comme Saad Hariri, pour qui : « Le régime syrien va tomber à l’issue de ce conflit, c’est sûr. (…) Le régime ne contrôle plus le paysil cède de plus en plus de terrain à l’Armée syrienne libre [ASL]. Le peuple syrien est en train de gagner.».(3)

Parallèlement, pour charger la barque du régime syrien honni, des « intellectuels engagés » font circuler des mensonges afin de préparer l’opinion à une intervention militaire occidentale. Bernard Henry Lévy (BHL), le philosophe multicartes, lançait sur son site, dès septembre 2011, des accusations difficiles à vérifier, contre le régime syrien : « Des tueurs d’Assad [ont] lancé dans la région d’Al-Rastan, non loin de la ville rebelle de Homs, des opérations aériennes avec utilisation de gaz toxiques »(4) Concernant les affirmations de BHL, l’AFP écrit « en dépit d’une semaine de recherches, aucun chef rebelle, chef de tribu, médecin, simple combattant ou civil n’a pu produire de preuve irréfutable. ».(4)

Même l’essayiste Caroline Fourest, sans vérifier la fiabilité des informations diffusées par une chaîne, filiale de la CIA, écrit dans Le Monde (25 février 2012) : « D’après Al-Arabiya, des opposants au régime iranien affirment que leur gouvernement a fourni un four crématoire à son allié syrien. Installé dans la zone industrielle d’Alep, il tournerait à plein régime…Pour brûler les cadavres des opposants ?».(4) Ahmadinejad qui nie l’holocauste, et son gouvernement qui fournit des fours crématoires au régime syrien : tout est là pour exiger la réaction salvatrice de la « communauté internationale » contre les «islamo-fascistes» ! Plus superficiel, menteur et sans scrupule que moi, tu meurs.

Mais, les pronostiqueurs, menteurs et « humanistes » à la BHL ont oublié un facteur : l’importance géostratégique de la Syrie pour la Russie, la Chine, l’Inde et l’Iran. De temps en temps, des informations filtraient en ce sens. « Riyad - qui a juré la perte de Bachar Al-Assad, du fait de vieux contentieux bilatéraux et pour affaiblir l’Iran, le grand ennemi régional allié de Damas - est, une fois n’est pas coutume, aux avant-postes » écrivait Gilles Paris, journaliste. (5)

Malgré le caractère géostratégique évident da la bataille de Syrie, certains géopoliticiens insistent pour conférer un caractère confessionnel au conflit syrien. Karim Emile Bitar, géopolitologue et spécialiste du monde arabe à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), en fait partie. Selon lui, l’OCI (l’Organisation de la coopération islamique) reste « fragilisée par l’opposition chiite-sunnite en son sein ». (6) Elle ne dit rien, non plus, sur la nature du conflit qui oppose les puissances occidentales, menées par les Etats-Unis, à celles orientales en Syrie, composées principalement de la Russie et de l’Iran. (1) Elle devra attendra 30 ans, la durée respectée par les Etats pour déclassifier certains dossiers secrets, afin de se rendre compte que la bataille de Syrie est avant tout une bataille d’ordre géostratégique.

C’est la militarisation de la révolution syrienne, les besoins croissants des rebelles en armes et en argent, qui ont ouvert la porte du pays aux puissances régionales et mondiales qui ont transformé la Syrie en champ de règlement de compte. Selon le Financial Times, le Qatar aurait déjà dépensé 3 milliards de dollars pour armer les rebelles. (1) Ce que ne révèle pas le journal, c’est que le Qatar, petit et richissime émirat du Golfe Persique, est le fer de lance des intérêts occidentaux, en particulier américains.

Un dernier exemple de l’implication des puissances étrangères en Syrie. Pour relancer l’insurrection à partir de Deraa, Riyad finance des livraisons d’armes, Washington supervise des formations et Amman prête son territoire aux uns comme aux autres. Les destinataires de ce dispositif sont des groupes « labélisés » Armée syrienne libre (ASL), sélectionnés et commandés par le général Ahmed Al-Na’ameh, un ancien officier de l’armée régulière. (7)

Toujours est-il que la bataille qui, au départ, opposait le peuple syrien au régime dictatorial de Bachar Al-Assad, s’est rapidement transformée en bataille russo-américaine.

Tout porte à croire que la visite du secrétaire d’Etat John Kerry, les 7 et 8 mai en Russie, aurait permis de dégager un consensus russo-américain : la Syrie restera dans le giron oriental. C’est le coup de sifflet final. L’armée syrienne, après la reconquête de Quossair, s’est lancée à la reconquête totale de Homs et d’Alep. Bientôt, la rébellion syrienne fera partie des souvenirs. Les « révélations » sur l’utilisation du gaz sarin, ou la levée de l’embargo sur les armes en faveur des insurgés, n’y changeront rien.

Question : en échange de la Syrie, qu’ont obtenu les Américains ?


(1)   Karim Emile Bitar - Le Monde Diplomatique de juin 2013.
(2)   Le Monde des 19-20 août 2012.
(3)   Christophe Ayad et Benjamin Barth - Le Monde du 13 septembre 2012.
(4)   Le Monde Diplomatique de septembre 2012.
(5)   Le Monde du 15 août 2012.
(6)   Shahzad Abdul - Le Monde du  15 août 2012.
      (7)Benjamin Barthe - Le Monde du 30 avril 2013.

23.5.13

Analyse 9 (2013)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 23 mai 2013

                 
Quossaire sera-t-il le Diên Biên Phu de l’insurrection syrienne ?

Les enjeux de la bataille de Quossaire, ville frontalière syro-libanaise, occupée par des milliers d’opposants armés aguerris, sont éminemment stratégiques. La victoire de l’armée syrienne dans cette ville aurait pour première conséquence de sonner le glas de l’insurrection, et par ricochet, celui de ses soutiens occidentaux et régionaux qui ont misé sur elle pour « casser les liens entre l’Iran, le Hezbollah et la Syrie » dixit Mme Clinton, l’ancienne secrétaire d’Etat américaine. (1)

La conquête de cette ville stratégique sera-t-elle le Diên Biên Phu des « insurgés » ? Suivie par d’autres conquêtes qui, in fine, propulserait l’Iran vers l’avant de la scène politique du Moyen-Orient, le consacrant dans son rôle de « puissance régionale » ?

En cas de victoire de l’insurrection, par contre, la bataille de Syrie favorable à l’opposition, mettrait le pouvoir syrien et ses soutiens en difficulté et permettrait aux Etats-Unis d’agir en position de force à l’encontre des Russes.

Opposée à l’occupation de l’Irak en 2003, l’Union européenne s’est ralliée aux Etats-Unis en Syrie -l’avant dernier maillon de la chaîne de domination planétaire des Etats-Unis - œuvrant ensemble pour l’instauration de la pax americana dans ce pays.

Les propos de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangère, éclairent les enjeux stratégiques de la bataille de Syrie : « Le chaudron syrien constitue, avec le nucléaire iranien-et d’ailleurs les deux sont liés-, la plus grande menace actuelle contre la paix »(2) Il s’agit, bien sûr, de la pax americana ! Pour Laurent Fabius, l’engagement des Iraniens aux côtés du régime syrien est « considérable. Il existe d’ailleurs une certaine relation entre la question du nucléaire iranien et les affrontements en Syrie. Si la communauté internationale n’est pas capable d’arrêter un mouvement dans lequel les hommes d’Assad sont soutenus puissamment par les Iraniens, quelle sera notre crédibilité pour assurer que l’Iran ne se dotera pas de l’arme nucléaire ? » (2) Le « nucléaire iranien » sert de paravent à des questions d’ordre géopolitique.

La bataille de  Syrie est le prolongement de l’affrontement Israël-Hezbollah au Sud Liban en 2006. La défaite de l’insurrection syrienne rendra impossible l’attaque directe ou indirecte de l’Occident contre l’Iran.

Les « insurgés » syriens, djihadistes venus d’Arabie saoudite, d’Egypte, de Libye, de Tunisie, de Turquie, soutenus militairement et financièrement par les Etats-Unis, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Arabie saoudite (siège du Conseil national syrien), le Qatar, la Turquie, Israël et la Jordanie,  composent l’opposition qui affronte l’armée syrienne, soutenue de son côté, par le Hezbollah libanais, les conseillers iraniens et russes. C’est une vraie mini « guerre mondiale » qui ne dit pas son nom.

Faut-il rappeler qu’aucun des participants à la guerre en Syrie ne mérite la palme des droits démocratiques et humains, bien au contraire !

Tout porte à croire que la rencontre entre John Kerry, secrétaire d’état américain et son homologue russe, Sergueï Lavrov, les 7 et 8 mai, a tourné en faveur des positions russes. Mais une entente ne signifie pas la fin des combats. Les adversaires se battront jusqu’à la dernière cartouche afin d’arracher une dernière concession et participer en position de force à la conférence de fin mai, qui devra décider de la victoire des uns ou des autres. Voilà qui explique la férocité des combats à Quossaire.

La livraison d’armes sophistiquée au pouvoir syrien (missiles sol-air S-300 ; missiles sol-mer) devrait afficher une fois de plus la détermination des Russes, et mettre en garde Israël et l’Occident contre une éventuelle aventure militaire irréfléchie en Syrie.
 Le tir de quelques missiles Nord Coréens rappellera également aux Etats-Unis que ses bases militaires, les voies de navigation en Asie du Sud-est ainsi que les territoires japonais et Sud- Coréens sont à portée des missiles Nord-Coréens équipés de têtes nucléaires. L’équilibre de la terreur fonctionne encore et toujours.

Il est vrai que « le conflit syrien consacre le repli américain » (3). Les guerres incessantes aux quatre coins du monde et l’entretien de centaines de bases militaires, d’une armada de navires de guerre, de sous-marins nucléaires et de porte-avions ont amoindri la volonté de puissance américaine, endettée et démoralisée. « Nous ne pouvons pas être en position de force dans le monde si nous ne sommes pas en position de force chez nous » affirme le titre du dernier livre de Richard Haass, un va-t-en-guerre, ancien adjoint de Colin Powell au département d’Etat de Georges Bush. (3)

D’aucuns pensent que l’importance économique prise par la Chine dans l’Océan Pacifique conduit les Etats-Unis à se « désengager » du Moyen-Orient. C’est oublier que cette région se trouve sur la voie de navigation entre le détroit de Malacca et Gibraltar, par où passent, chaque année plus de 50 000 navires de marchandise et pétroliers. Malgré l’importance prise par l’Océan indien, les voies de navigation traversant le Moyen-Orient représentent plus des deux tiers du commerce mondial. Les Etats-Unis ne se désengagent pas du Moyen-Orient. Mais ils n’ont plus les moyens d’intervenir comme avant.

Le vrai perdant de la bataille de Syrie est le peuple syrien martyrisé, dont la révolution a été confisquée par les puissances étrangères, qui ont fait de ce pays le champs-clos de leurs règlements de comptes. Des milliers de morts, des destructions massives et des centaines de milliers de réfugiés n’ont pas eu raison d’un régime dictatorial qui su tirer profit des contradictions des puissances mondiales et régionales.


(1)  AFP, Reuter- Le Monde du 14 août 2012.
(2)  Propos recueillis par Christophe Châtelot et Rémy Ourdan- Le Monde du 10 mai 2013.
(3)  Corine Lesnes- Le Monde du 18 mai 2013.

11.5.13

Analyse 8 (2013)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 11 mai 2013

                 
L’avenir du monde en 2030 se joue-t-il en Syrie ?

Le forcing de l’Occident mené par les Etats-Unis va-t-il aboutir ?

La Syrie subit l’encerclement de ses voisins ennemis : Israël, la Turquie, la Jordanie, l’Arabie saoudite, elle-même appuyée par le Qatar. Aucun de ces voisins ne ménage ses forces et ses ressources financières pour venir à bout du régime de Bachar Al-Assad, par « rébellion » interposée.

Nous mettons rébellion entre guillemets ; car, sans nier le caractère dictatorial du régime syrien, ni sous estimer le martyre du peuple syrien, une grande partie de la « rébellion » syrienne revêt le caractère d’une cinquième colonne de forces étrangères, liguées contre un Etat souverain, membre des Nations-Unies.

La dernière intervention en Syrie a été le bombardement, dimanche 5 mai, de la banlieue de Damas et de ses environs par l’aviation israélienne. Tout porte à croire que l’attaque de l’aviation israélienne était bien calculée comme soutien des « rebelles », dans le but d’affaiblir le pouvoir syrien, dont le sort sera négocié entre les « grandes puissances » lors de la prochaine conférence internationale. L’attaque israélienne a eu lieu au moment où, selon Laurent Zecchini du Monde, le pouvoir syrien a « lancé une offensive d’envergure pour sécuriser son « territoire utile », allant de Damas, la capitale, à Lattaquié, au nord de la côte méditerranéenne, en passant par Homs et Qusai, tout en tenant de contenir la poussée rebelle au sud, dans la région de Deraa » (Le Monde du  7 mai).

L’encerclement ne concerne pas que le pouvoir syrien. De son côté, l’Iran, soutien du pouvoir syrien, est confronté au pire blocus économique et militaire de son histoire. En vue de bloquer les capitaux iraniens, estimés entre 60 et 100 milliards de dollars, placés dans des pays amis de l’Iran, le Sénat américain compte exercer des pressions sur lesdits pays. Militairement, l’Iran est encerclé par une centaine des bases américaines et les Etats-Unis prévoient installer 9 bases militaires permanentes en Afghanistan, dont 3 se trouvent déjà près de Hérat, ville persanophone d’Afghanistan, à l’Est de Meched.

La pression militaire et financière sur la Syrie, l’Iran, la Russie, voire même la Chine, est énorme. Les bases américaines en Asie centrale et en Afghanistan visent à contrôler les pays limitrophes de l’Afghanistan : l’Iran, la Russie et la Chine. Ces trois pays devront immobiliser une grande partie de leurs forces armées pour faire face aux velléités d’agression américaine. Le renforcement du potentiel militaire des pays satellites des Etats-Unis dans la région a comme conséquence d’accroître encore la pression militaire sur les puissances régionales opposées à l’hégémonie des Etats-Unis.

Il est à souligner qu’une guerre sans merci se livre en Syrie, sans tenir compte du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Cette guerre fait partie de ce que les anticolonialistes qualifient de « lutte pour le partage des zones d’influence ». Ce partage risque de coûter très cher aux puissances orientales si elles n’arrivent pas à contenir la poussée américaine.

Malgré la pression militaire et financière, « les Russes ne mollissent pas » relève Corine Lesnes, dans Le Monde du 7 mai. Pourquoi « molliraient »-ils si, en position de force, ils parviennent à négocier sur la Syrie avec les Etats-Unis? En effet, suite aux menaces nord coréennes, qui semblent avoir réussi à contrebalancer les pressions américaines sur la Syrie, le secrétaire d’Etat américain John Kerry, était les 8 et 9 mai, en Russie pour parler du problème syrien et évoquer la tenue d’une conférence internationale. John Kerry a reconnu explicitement que les deux puissances ont des « intérêts communs » en Syrie. Face aux Américains, les Russes semblent avoir marqué un point non négligeable.

De son côté, la « République islamique ne cède pas » relève Alain Frachon, dans Le Monde du 12 avril. Le chroniqueur vise, bien sûr, le « dossier nucléaire » iranien. Mais il faut être naïf pour ne pas voir derrière le dit dossier un contentieux d’ordre géopolitique entre les Etats-Unis et l’Iran, prêt à « perdre une province » plutôt que de « perdre la Syrie », selon les aveux d’une haute autorité iranienne. Selon la même autorité : « si, aujourd’hui, les Etats-Unis mettaient la main sur Damas, demain ils se retrouveraient à Téhéran ».

Les soutiens de l’Iran ne manquent pas. « Pékin et Moscou ont dit qu’ils ne voteraient pas de nouvelles [sanctions]. En mars, le sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) a réaffirmé son opposition « aux menaces militaires et aux sanctions unilatérales », et le groupe considère que les mesures commerciales les plus dures contre l’Iran, celles décidées par les Etats-Unis et l’Europe, sont « unilatérales »». (Alain Frachon- Le Monde du 12 avril 2013). Exit l’ONU ; vive la loi du plus fort (Etats-Unis et Europe) : la loi de la jungle.

Tout porte à croire que l’enjeu de la « bataille de Syrie » dépasse largement le cadre d’un pays ou d’une région. En effet, selon l’un des « quatre scénarios de la CIA pour 2030 » (1), la centrale américaine prévoit une bipolarisation du monde en 2030, autour de deux « superpuissances » : les Etats-Unis et la Chine.

En cas de victoire des Etats-Unis dans la « bataille de Syrie », les Américains arriveraient à resserrer leur étau autour de la Chine, incapable, dans une telle situation, de jouer son rôle de « superpuissance » ; et le « monde unipolaire » se trouverait sous les fourches caudines des Etats-Unis.

Nous n’en sommes pas encore là. Mais, l’épée de Damoclès des Etats-Unis menace l’humanité de la domination sans partage du monde.


(1) Le monde en 2013, vu par la CIA- Edition des Equateurs- cité par Le Monde du 08 mai 2013.