18.5.10

Analyse 6 (2010). Téhéran, après Kaboul et Bagdad ?

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 18 mai 2010

cpjmo@yahoo.fr

Téhéran, après Kaboul et Bagdad ?

Au dix-huitième siècle, pour justifier l’envoi de troupes en Inde et le pillage de ses ressources, les Anglais parlaient des bienfaits supposés de conquêtes «civilisatrices» pour les populations assujetties. Le même argument prévalait lors des conquêtes coloniales françaises aux quatre coins du monde, qui devaient assurer matières premières à l’industrie et positions stratégiques pour l’Empire français, transformé, plus tard, en «Union française», dénomination moins agressive.

Force est de constater que la situation n’a pas changé aux vingtième et vingt-et-unième siècles. La reconquête de l’Irak s’est opérée autour d’un mensonge grossier, celui de la fabrication d’«armes de destruction massive» par le régime de Saddam Hussein, transformé en épouvantail. Tandis que la reconquête de l’Afghanistan s’est opérée autour d’un autre mensonge : la transformation du pays en «sanctuaire» du terrorisme.

Dans nos récentes analyses nous avons développé les raisons qui ont conduit l’Occident colonialiste, mené par les États-Unis, à reconquérir l’Irak et l’Afghanistan. Lesdites reconquêtes ne seraient parfaites que si l’Iran retombait, à son tour, dans l’escarcelle des Etats-Unis (Analyse 5 (2010)). Le scénario prévu pour l’Iran est celui de la mise en accusation de son programme nucléaire balbutiant, pourtant respectueux des critères de l’AIEA (l’Agence internationale de l’énergie atomique), critères dictés par l’Occident et la Russie.

Dans la propagande occidentale, remplacez «programme nucléaire» par «armes de destruction massive» et «Saddam Hussein» par «Ahmadinejad» et vous aurez tout compris. Avec cette différence que l’Iran n’est pas l’Irak et l’Occident de 2010 n’est plus celui de 2003, date de l’invasion de l’Irak par des hordes assoiffées de pétrole et de positions stratégiques.

Parlons des «arguments»- lisez mensonges- de l’Occident : la peur que provoque le programme nucléaire de l’Iran dans le monde, en particulier au Moyen-Orient, et l’«isolement» croissant de l’Iran.

En consultant une carte, on voit bien que l’Iran, qui ne dispose que d’uranium faiblement enrichi, est entouré de puissances militaires, détenant des milliers de têtes nucléaires: la Russie, les États-Unis dans ses centaines de bases militaires encerclant l’Iran, le Pakistan, l’Inde, Israël. Ces derniers disposent, chacun, de centaines de têtes nucléaires. Par ailleurs, les États-Unis, la France et Israël ont souvent menacé l’Iran de bombardement nucléaire. Rappelons-nous la phrase de Nicolas Sarkozy : «la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran.» Alors, qui menace qui et qui fait peur à qui ?

Une chose est sûre : la politique iranienne exigeant un Moyen-Orient dépourvu d’armes nucléaires, commence à donner des résultats. Dans Le Monde du 08 mai 2010, Laurent Zecchini écrit que «le gouvernement égyptien a même pris la tête du combat en faveur d’un Proche-Orient débarrassé d’armes nucléaires, qui vise notamment Israël. (…) Déjà en septembre, l’AIEA avait adopté une résolution au titre sans ambiguïté («Capacités nucléaires israéliennes »), enjoignant l'État hébreux de placer ses installations nucléaires, c’est-à-dire notamment son réacteur de Dimona, dans le Néguev, sous sa supervision.» Il est à souligner que le programme nucléaire balbutiant iranien est sous la supervision de l’AIEA. Alors, qui est hors la loi, l’Iran ou Israël, soutenu fermement par les États-Unis, la France, l’Allemagne et l’Angleterre, soi-disant soucieux de la sécurité internationale ?

A leur tour, des médias du type Fox news, organes de propagande colonialiste, diffusent à longueur de journée des mensonges et parlent de l’alignement de la Russie et de la Chine sur les positions américaines. Sans vouloir sous estimer les contradictions qui émaillent les relations sino-iranienne ou russo-iranienne, force est de constater que la Russie et la Chine sont «réticentes à adopter des sanctions plus dures contre l’Iran, alors que, de leur point de vue, l’arsenal d’Israël bénéficie d’une sorte d’impunité de la part de la communauté internationale.» (L. Zecchini- Le Monde du 08 mai 2010).

La presse aux ordres agite souvent le chiffon rouge de l’efficacité des sanctions occidentales pour isoler l’Iran. Qu’en est-il vraiment ?

Dans une analyse très intéressante sur le Moyen-Orient, Laurent Zecchini écrit que «l’isolement international d’Israël dû à l’opprobre que lui a valu le comportement de son armée lors de la guerre de Gaza et à son intransigeance pour faire avancer le processus de paix avec les Palestiniens, est sans précédent.» (Le Monde du 30 avril 2010). On y lit également : «L’isolement régional d’Israël s’est accru (…) Recep Tayyip Erdogan, vient de qualifier Israël de « principale menace pour la paix régionale». La situation n’est pas meilleure pour les États-Unis, engagés dans deux guerres meurtrières contre des pays musulmans.

Quant à la Palestine, personne n’est dupe de la duplicité des positions israélo-américaines. Dix-huit ans après les «négociations directes de paix», Israël propose des «négociations indirectes». De qui se moque-t-on? Conscient de l’échec sans appel des «négociations indirectes», Barack Obama pense déjà à «organiser un sommet international courant septembre» (Le Monde du 04 mai 2010). Après Georges Bush, c’est maintenant au tour de Barack Obama d’avoir Sa conférence sur la Palestine, avant de céder le relais à son successeur !

Ce n’est pas pour rien que les peuples du Moyen-Orient, de l’Asie centrale et de l’Amérique Latine soutiennent la position anti-américaine et anti-israélienne de l’Iran, qui fustige sans ménagement l’arrogance occidentale.

Dans un autre registre, comparant le nombre de délégués participant au sommet sur la sécurité nucléaire aux Etats-Unis et en Iran, Sylvain Cypel, journaliste au Monde, écrit : «Washington a aussi du mal à isoler le régime iranien. Le sommet récemment organisé à Téhéran pour «contrer» celui sur la sécurité nucléaire organisé par M. Obama a réuni 60 pays» (Le Monde du 21 avril 2010) Alors que les États-Unis n’ont réuni que 47 pays.

Face à l’Occident, l’Iran est-il en position de force? La dictature militaro-religieuse des mollahs, affrontant le mécontentement populaire et la fronde de son aile réformatrice, est sur la défensive. Par ailleurs, la bourgeoisie iranienne, désireuse d’exporter de la technologie et des capitaux, souffre de la fermeture des marchés, dominés par les États-Unis. Pour entrer dans le «club des grands», l’Iran est obligé de payer un «droit d’entrée» aux Américains. Les tractations en cours pour envoyer une partie de l’uranium enrichi en Turquie, suffiront-elles pour faire entrer la bourgeoisie iranienne dans le «club»?

30 ans après la victoire de la révolution bourgeoise de 1979, l’Occident n’a pas encore digéré la renaissance d’un Iran indépendant, s’appuyant sur ses propres forces. Pour l’Occident, un Iran «fréquentable» c’est un Iran faible et dépendant, à tout point de vue, de l’Occident. Le bras de fer Occident-Iran devrait donc se poursuivre.