27.6.10

Analyse 8 (2010)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 27 juin 2010


cpjmo@yahoo.fr


Afghanistan : un général rusé remplace un va-t-en-guerre



Que se cache-t-il derrière le limogeage du général Stanley McChrystal, le commandant en chef des forces de l’OTAN en Afghanistan ?


A en croire les médias, ce sont les propos sévères du général sur l’équipe présidentielle qui seraient à la base de son limogeage. Or, depuis un certain temps, le torchon brûlait entre l’administration Obama et McChrystal, général tortionnaire, favori de Dick Cheney et de Donald Rumsfeld.


Ce n’est pas que l’administration Obama soit contre la torture, pratiquée quotidiennement à Bagram, la plus grande base-prison américaine en Afghanistan. Et il n’y pas que la torture. Barack Obama, comme le dit un responsable militaire, a accepté «des choses que le gouvernement précédent n’autorisait pas»(1), depuis les attaques de drones au Pakistan, qui ne sont pas officiellement reconnues, jusqu’aux frappes unilatérales en Somalie et les opérations conjointes au Yémen(1). Arme préférée d’Obama, les forces spéciales sont désormais déployées dans 75 pays, au lieu de 60 au début de 2009(1). On voit bien que la soi-disant «sécurité nationale» américaine piétine allégrement la souveraineté des nations, la liberté des peuples et menace la paix mondiale.


B. Obama a tiré les leçons de la guerre du Vietnam perdue, côté américain, à cause de l’utilisation disproportionnée et exclusive de l’outil militaire. McChyrystal fait partie de ces officiers qui ne jurent que par l’utilisation à outrance de la force militaire. La conduite de la guerre asymétrique par ce type de généraux assure inexorablement la victoire des insurgés, et mène à l’usure des militaires et à la casse finale de l’outil militaire de la puissance occupante.


Comme au début de la guerre d’Irak, l’usage exclusif de la force militaire en Afghanistan a conduit au renforcement de la résistance afghane. Voici ce que dit un vieux du village [Marjah] lors d’une choura («conseil») organisée par un des hommes de McChrystal : «Vos patrouilles incessantes sèment la peur dans le village. Vous nous faites peur. Nous avons peur des talibans mais nous avons aussi peur de la police afghane et de vous, les marines»(2). Selon F. Bobin, «l’incident est révélateur du gouffre qui sépare les marines de la population locale.»


Selon toute vraisemblance, l’offensive de Marjah, baptisée «Mushtarak», lancée dans la nuit du 12 au 13 février 2010 à grand renfort publicitaire- 15000 hommes de l’OTAN et de l’armée afghane- n’a pas atteint ses objectifs. Là où Frédéric Bobin parle au conditionnel, tout indique que l’OTAN s’ensable effectivement à Marjah, un cas d’école, un bourg qui cristallise une guerre de propagande, à l’enjeu international. Le signal est très fâcheux.


Le remplacement du général va-t-en-guerre McChrystal devient alors indispensable, si l’administration Obama compte gagner la «bataille des cœurs et des esprits». Son remplaçant, le général Petraeus, «le plus intelligeant des officiers supérieurs» a réussi, grâce à la complicité de l’Iran, puissance morale auprès des peuples du Moyen-Orient, à «pacifier» l’Irak (tout est relatif). A lui seul, Petraeus résume l’expérience de la guerre du Vietnam et de l’Irak. Pour les maquisards afghans, Petraeus est plus dangereux que MacChrystal jusqu'au-boutiste.


Il n’empêche que le renvoi de McChrystal est une victoire de la résistance afghane qui gagne en importance. Elle a même réussi à imposer son point de vue sur le retrait des troupes étrangères d’Afghanistan. En effet, comme en Irak, l’équipe en charge de la politique en Afghanistan, propose de pratiquer, à coup de dollars, la politique irakienne en Afghanistan. Il s’agit d’intégrer au sein de l’administration fantoche d’Hamid Karzaï, une fraction des talibans. «Diviser pour mieux régner» a déjà donné des résultats en Irak, pourquoi pas en Afghanistan? D’autant plus que, comme en Irak, l’Iran est prêt à vendre ses services, ô combien précieux.


Avec McChrystal, ce fut l’impasse. Selon un diplomate américain : «Nos généraux(…) veulent d’abord, grâce au surge [renforts], passer à l’offensive. Lorsque les talibans auront perdu des territoires, il sera toujours temps de voir ce qui est négociable.»(3) Une politique avec un volet militaire dominant. De leur côté, les résistants exigent le départ des forces étrangères. Un dialogue de sourd en quelque sorte. Pendant ce temps-là, les colonialistes continuent à perdre du terrain, des hommes et des matériels. Devenus hardis, les résistants ont même attaqué, le 19 mai, la plus grande base militaire de l’OTAN à Bagram.


Une fois de plus, l’évolution sur le terrain a donné raison à Petraeus qui a défendu le 16 juin le plan de retrait des troupes américaines d’Afghanistan, fixé théoriquement à juillet 2011(4). Il faut être naïf pour croire à la promesse de retrait américain en juillet 2011. Mais, l’aveu même de Petraeus est déjà une grande victoire pour la résistance afghane qui devra affronter un grand défi, celui de sa division.


Soutenu par l’Iran, le Hezb-e-Islam- second mouvement d’insurgés islamiques après les talibans- dirigé par Gulbuddin Hekmatyar, manifeste son intérêt pour la collaboration avec le fantoche Hamid Karzaï, tout en exigeant le départ des forces étrangères.


Tout porte à croire que l’alliance Petraeus-Iran, qui fonctionne déjà en Irak, sera reconduite en Afghanistan. Devenu quatrième investisseur en Afghanistan(5) qu’obtiendra l’Iran en échange de ses bons offices? Tout comme la coalition internationale, l’Iran constitue actuellement une cible des résistants irakiens et afghans.


«Dans un environnement géopolitique aussi hostile depuis des siècles, les tribus afghanes ont perfectionné des mécanismes de résistance. La rébellion contre les grands empires constitue même le motif central de leur histoire.»(6) Faisons confiance aux résistants afghans pour libérer leur pays des envahisseurs étrangers.



(1) Courrier international- N° 1023 du 10 au 16 juin 2010.

(2) Frédéric Bobin- Le Monde du 23/06/2010.

(3) Rémy Ourdan- Le Monde du 6/04/2010.

(4) Le Monde du 18/06/2010.

(5) Le Monde du 27/02/2010.

(6) Michael Barry- LE ROYAUME DE L’INSOLENCE- Flammarion.

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