11.6.09

Election présidentielle en Iran

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 11 juin 2009


cpjmo@yahoo.fr


La révolution iranienne continue


●L’élection présidentielle révèle la montée en puissance de la société civile en Iran



Tout le monde a observé que l’actuelle élection présidentielle iranienne avait des similitudes avec celle qui a mené Mohammad Khatami, l’ancien président réformateur de la république islamique, au pouvoir. En effet, la société civile, en particulier les femmes, les jeunes et les intellectuels, participent activement à la campagne. Les partisans du président sortant ne sont pas en reste et montrent des signes de nervosité. Des heurts ont éclaté entre les deux camps et un jeune âgé de 18 ans, membre de l’état major électoral de M. Hossein Moussavi à Meched, ville sainte du chiisme à l’est de l’Iran, a été assassiné.


La campagne présidentielle en Iran fait partie de ces rares instants où le peuple peut s’exprimer librement et choisir l’un des candidats désignés par le régime théocratique. En effet, les différentes tendances au sein du régime, avec des idéologies et des intérêts différents voire divergents, disposent d’une certaine liberté pour s’exprimer. Une «certaine liberté» ne signifie pas autant de liberté que celle dont dispose la fraction ultraconservatrice du clergé, représentée par le «Guide de la Révolution», Ali Khamenei, le «jurisconsulte» (velayat-e fagih), la plus haute autorité de l’Etat. Depuis trente ans, cette fraction a étendu sa domination sur tous les leviers du pouvoir, surtout l’armée et la justice, limitant le champ de manœuvre de la fraction dite réformatrice qui œuvre pour l’institutionnalisation de l’ordre politique.


Des journaux associés à cette tendance sont fréquemment frappés d’interdiction. Yassé Now en est un exemple. Interdit de publication il y a cinq ans, il est réapparu en mai 2009, mais a été interdit à nouveau après avoir publié un seul numéro. Le journal appelle à voter pour Mir Hossein Moussavi qui a critiqué sa fermeture.


Comme nous l’avons écrit dans le communiqué n°33 du 13 mai 2007 : la «suprématie de l’institution religieuse à la tête de la révolution bourgeoise, impose des épreuves douloureuses et prolongées à la société : la révolution, inachevée, devrait se terminer d’une manière ou d’une autre, avec l’enterrement définitif de l’institution religieuse en tant que force politique majeure. En Iran, berceau de la «révolution islamique», le débat fait rage sur le rôle de l’islam en politique et, malgré son omniprésence, le «velayat-e fagih» (le gouvernement d’un jurisconsulte) est de plus en plus contesté par le peuple et par certains cercles du pouvoir. L’Histoire nous apprend que «le gouvernement d’un jurisconsulte» est condamné à disparaitre».


S’appuyant sur la société civile, les réformateurs, menés par Mir Hossein Moussavi, tentent une deuxième fois (après Mohammad Khatami) de consolider l’institutionnalisation de l’ordre politique, basé sur les institutions laïques dont font partie le Parlement et le gouvernement. L’instauration de l’Etat de droit est un objectif majeur de ce mouvement citoyen.


La victoire éventuelle de Mir Hossein Moussavi, s’il tient ses promesses envers la société civile, affaiblira le pouvoir personnel du «Guide» qui a clairement affiché son soutien au président sortant, Mahmoud Ahmadinejad.


Au volet politique s’ajoute le volet économique, représenté par l’ancien président de la République, Hachémi Rafsandjani, l’une des fortunes du pays. En effet, le secteur privé se développe en Iran et des banques privées, telles que Pârsian, liées à Iran Khodro, la plus grande entreprise automobile du Proche-Orient, se multiplient dans le paysage économique de l’Iran. «Iran Khodro» a des ambitions internationales et elle exporte déjà, entre autres, vers l’Algérie, l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Arménie, la Bulgarie, la Roumanie, l’Ukraine et la Russie(1). Pourtant, l’industrie iranienne souffre du blocus économique trentenaire du pays, du manque de crédits, de la fermeture du marché mondial de la technologie, des composants et des pièces détachées.


Conscient des tensions au sein de la société iranienne et des attentes de la bourgeoisie réformatrice, Barack Obama provoque sans cesse en parlant de «la main tendue» vers l’Iran. La bourgeoisie iranienne n’est pas dupe, mais souhaite saisir la perche tendue.


A leur tour, les ultraconservateurs n’ont pas dit leur dernier mot. La fin du «gouvernement d’un jurisconsulte» n’est pas pour demain. Khamenei et sa clique sont encore très puissants. Les «Gardiens de la révolution», garde prétorienne de la République islamique, leur sont acquis. A la tête de différentes fondations riches et puissantes, dont la «Fondation des déshérités», les ultraconservateurs gèrent un pan important de l’économie du pays. «Selon les données disponibles, elle (la Fondation des déshérités- NDLR) possède plus de 400 sociétés et produit 53% de l’huile pour moteur, 43% des boissons non alcoolisées, 27% des fibres synthétiques, 26% des pneus, 20% du sucre, 20% du textile ou encore 30% des produits laitiers. Elle détient 43% des hôtels et, en 1994, a construit 2,4 millions de mètres carrés de centres commerciaux et d’immeubles d’habitation» (2). Faut-il rappeler que le clergé chiite est également le plus grand propriétaire foncier de l’Iran.


Il est à souligner qu’il n’y a aucune similitude entre le mouvement des réformateurs de la République islamique et les «révolutions de velours» en Ukraine ou en Géorgie, provoquées et financées par les Occidentaux, en particulier les Américains. Les ultraconservateurs et les réformateurs sont encore très liés les uns aux autres. En s’appuyant sur la société civile, le mouvement actuel des «réformateurs» tend à établir un nouvel équilibre des forces au sein du régime. C’est une nouveauté qui révèle la montée en puissance de la société civile en Iran.


Le mouvement citoyen actuel en Iran s’inscrit dans la droite ligne d’un mouvement démocratique dont l’objectif est d’achever la révolution bourgeoise iranienne, commencée il y a 103 ans, après la victoire de la révolution constitutionnelle de 1906. L’actuel mouvement citoyen ne sera pas le dernier et la société en verra d’autres, pacifiques ou violents, jusqu’à la victoire finale et la proclamation de la République d’Iran.


1- Le Monde Diplomatique de juin 2009.

2- La République islamique d’Iran- Azadeh Kian- Thiébaut- Editions MICHALON- 2005.

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