17.2.08

Analyse 6

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 17 février 2008

cpjmo@yahoo.fr

Mourir pour l’Empire


Dans un article intitulé «Réflexion sur la force préventive», Henry Kissinger, ancien secrétaire d’état américain, écrit: «La pierre angulaire de la puissance n’est pas le territoire mais la technologie. Les armes de destruction massives modernes, de par leur existence même, apportent au pays qui s’en dote un gain autrement plus important que n’importe quelle annexion territoriale» (Le Monde du 21/04/06).

Les propos de H. Kissinger ne reflètent qu’une demi-vérité. Certes, l’«annexion territoriale» était propre aux puissances esclavagistes et féodales, tandis qu’actuellement, une puissance politique comme les Etats-Unis est, avant tout, une puissance technologique. En leur temps la France et la Grande Bretagne, se livrant à leurs conquêtes territoriales, étaient également des puissances technologiques. Il va sans dire que la technologie à elle seule, n’est pas en mesure d’assurer la prééminence politique et militaire d’un pays. Le Japon et l’Allemagne sont des puissances technologiques sans être des puissances politiques et militaires.

Un regard rapide sur les enjeux énergétiques et ceux liés aux matières premières, montre que la «conquête territoriale» est, malheureusement, restée d’actualité. L’«annexion territoriale» assure à une puissance technologique, un «réservoir» de matières premières, conditions sine qua non de sa survie économique et de sa suprématie politique. Les anciens empires coloniaux avaient des possessions sur tous les continents et exploitaient le sous sol. Les deux dernières guerres qui ont ravagé l’Europe, puis le monde entier, étaient avant tout des guerres entre puissances technologiques à la recherche de territoires riches en matières premières. Rappelons-nous l’«espace vital» recherché par le troisième Reich.

Les Etats-Unis, nouvelle puissance coloniale planétaire, sont présents sur les cinq continents, soit en tant que puissance occupante (en Irak et en Afghanistan), soit en tant que puissance tutélaire de nombreux pays. Les oléoducs et les gazoducs qui alimentent l’Occident passent par des régions parsemées de bases militaires américaines, et aussi françaises, britanniques, allemandes. Selon l’ancien ministre de la défense du gouvernement rouge- vert Peter Struck : «La défense de l’Europe «commence dans l’Hindou Koch»». Depuis plus de deux siècles, les puissances occidentales ont été amenées à s’activer aux confins de l’«Hindou Koch», très loin de l’Europe. Ancienne puissance mondiale, devenue, après la Seconde guerre mondiale, puissance de «seconde zone», la Grande Bretagne a soutenu les Etats-Unis, dans leur aventure irakienne en 2003. Après six années d’une guerre épuisante, les Britanniques plient bagages pour se consacrer à l’Afghanistan. Londres «épuisé» est remplacé par Paris, «allié indispensable et zélé», qui envoie des forces fraîches en Asie centrale, afin de consolider la suprématie de l’Empire américain. Riche en matières premières, l’Asie centrale attise toutes les convoitises. Après l’Afghanistan, «porte de l’Inde», Paris «noue un partenariat stratégique avec Astana», capitale de Kazakhstan, pays riche en hydrocarbures, en uranium, en titane, métal stratégique (LM du 10-11/02/08).

Pourtant, les tensions sont perceptibles dans l’édifice impérial. Tous les partenaires ne sont pas traités sur un même pied d’égalité. Ils ne veulent pas s’impliquer plus qu’il ne faut dans des guerres meurtrières, coûteuses en homme et en matériel, au profit de l’Empire américain. Le Canada s’apprête à quitter l’Afghanistan. Obligée de supporter le fardeau de plus en plus lourd des interventions colonialistes, l’Amérique se rebiffe et tance ses partenaires en des termes peu amènes. Secrétaire américain à la défense, Robert Gates, qualifie de «décevant» le refus des Alliés d’envoyer des renforts dans le Sud de l’Afghanistan. Pour lui: «certains sont prêts à se battre et mourir et d’autres qui ne le sont pas» (LM du 09/02/08).

Les déboires de l’Empire ne s’arrêtent pas là. Jadis élément important du puzzle, le Pakistan est devenu le maillon faible du dispositif américain. En effet, se sentant encerclé et s’inquiétant du rapprochement indo- afghan, l’armée et les services de renseignement pakistanais ménagent les nationalistes religieux, impliqués, directement ou indirectement, dans la lutte anticolonialiste.

Aux Etats-Unis, l’après Bush s’installe. Ce qui ne facilite pas les affaires des va-t-en-guerre de l’administration. Pour Richard Holbrook, ex-sous-secrétaire d’Etat et conseiller d’Hillary Clinton : «l’administration Bush ne pourra pas attaquer l’Iran. Une minorité peut encore s’y essayer mais elle ne réussira pas: nos chefs d’état-major s’y opposeront. Le Congrès aussi». Concernant l’avenir des relations Téhéran- Washington, R.Holbrook est, on ne peut plus, clair: «Avec Téhéran, il ne faut pas seulement parler nucléaire, mais du Hamas, du Hezbollah, de l’énergie et de l’Irak» (LM du 26/01/08). Une manière de reconnaître à Téhéran le rôle d’interlocuteur incontournable.

Afin de montrer les «réussites» de l’administration Bush, le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, est monté au créneau pour annoncer «la déroute» des combattants islamistes en Irak. Peine perdue. Les journaux n’ont pas tardé à annoncer que «le niveau de violence à Bagdad reste suspendu à la trêve décrétée par l’«Armée du Mahdi» de Moqtada Al-Sadr (LM du 14/02/08). La baisse du niveau de violence marque, sans nul doute, une entente entre Téhéran et Washington. Malgré l’embargo, le développement de la technologie militaire de l’Iran rappelle la sentence d’Henry Kissinger: «La pierre angulaire de la puissance n’est pas le territoire mais la technologie.»

La résistance anticolonialiste s’intensifie dans la région, tout comme les attentats contre les anticolonialistes (l’assassinat en Syrie d’Imad Moughniyeh par les agents israéliens) et autres complots dont sont coutumiers les américano- israéliens. Le Liban et la Palestine restent sous tension et une déflagration régionale est à craindre. L’ouverture d’un nouveau front au Tchad par la France, ne peut qu’affaiblir la position des colonialistes, désormais engagés militairement de la frontière afghane au Tchad.

Au moment où l’Empire américain manifeste des signes de faiblesse, alors que les candidats à la présidence parlent du retrait éventuel des troupes américaines d’Irak, la France arrive sur les champs de bataille. Ses militaires vont continuer à «se battre et mourir» pour les matières premières et pour l’Empire.

3.2.08

Analyse 5

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 03 février 2008

cpjmo@yahoo.fr

La guerre secrète des américano-

israéliens au Moyen-Orient


Une grande confusion règne dans la presse mondiale, quant à la nature des mouvements d’obédience sunnite au Moyen-Orient. Elle est alimentée, en grande partie, par la machine de propagande américaine, qui a érigé le mensonge en système de communication.

Dans un article consacré au film documentaire de Charles Ferguson, «Irak, de la dictature au chaos» (No End in Sight), Marc Garlasco, expert de l’Irak à l’Agence du Renseignement pour la Défense, explique: «Sitôt après les attentats, l’administration nous a demandé de trouver un lien entre Saddam Hussein et Al-Qaida (…) Nous avons consulté les spécialistes du terrorisme et nous n’avons rien trouvé du tout» (Le Monde- TV & Radio du 21 janvier au dimanche 27 janvier 2008).

Deux types de «mouvements sunnites» existent au Moyen-Orient. Le premier, comme le Hamas palestinien, est anticolonialiste. Pour lui, la lutte contre l’ennemi colonialiste prime sur toute considération d’ordre idéologique. Dans l’opposition composite libanaise, à côté des chiites et des chrétiens, on trouve également une composante sunnite. Le Hamas, de son côté, entretient de bonnes relations avec le Hezbollah chiite et avec le gouvernement iranien.

La deuxième mouvance sunnite, disséminée un peu partout au Moyen-Orient, est financée par l’Arabie saoudite et manipulée par les Etats-Unis. Pour cette mouvance, la «pureté idéologique», représentée par le «wahhabisme», prôné par les Saoudiens, prime sur toute autre considération. La plupart des attentats meurtriers perpétrés sur les marchés à forte concentration chiite et dans les mosquées chiites, sont l’ouvres de cette mouvance dont la vitrine officielle, baptisée «Sahwa» («Réveil»), est constituée de milices «volontaires», financées et armées par l’armée américaine (LM du 10/01/08).

Actuellement, avec la montée en puissance de la résistance anticolonialiste pachtoune au Pakistan, les attentats anti-chiites se multiplient, rendant difficile le rapprochement des deux branches de l’Islam. L’objectif de ces attentats est de détourner le mouvement anticolonialiste vers un combat idéologique stérile sunnite- chiite.

A son tour, le Liban est devenu le pays où se pratique la «guerre secrète» américano-israélienne. L’objectif affiché est d’ancrer le Liban à l’Occident. Un seul «obstacle» s’y oppose: le Hezbollah et ses alliés libanais. Dès lors, faut-il s’étonner que l’objectif de la guerre des 34 jours du Liban, à l’été 2006, était de: «briser la colonne vertébrale militaire du Hezbollah»? (Shlomo Ben Ami, ancien ministre des affaires étrangères d’Israël- LM du 12/08/06). On connaît la suite: «une organisation semi- militaire de quelques milliers d’hommes [le Hezbollah] a résisté, pendant quelques semaines, à la plus forte armée du Proche-Orient qui disposait d’une supériorité aérienne complète ainsi que de moyens technologiques sans pareil» (Rapport de la commission Winograd- LM du 01/02/08).

Le Hezbollah et ses alliés sont toujours là et l’armée israélienne n’a brisé que le moral de ses propres troupes. Mais Israël a poursuivi ses objectifs par la guerre secrète. La terreur qu’il tente de faire régner au Liban frappe indistinctement les hommes politiques de la «majorité» pro-occidentale, qui résident dans un hôtel étroitement surveillé, près du Parlement, et ceux de l’opposition, comme Hassan Nasrallah, secrétaire du Hezbollah, qui se montre rarement, de crainte d’être assassiné par des agents israéliens.

La cinquième colonne israélienne tente de déstabiliser le pays et d’y provoquer la guerre civile. En effet, une vingtaine d’assassinats ciblés ont été perpétrés au Liban dont celui, fin avril 2007, de deux jeunes sunnites, proches du parti socialiste progressiste (PSP). Pour le ministre de la défense, Elias Murr: «une cinquième colonne» tente de «semer la discorde» (LM du 28/04/07). Les Libanais n’ont pas cédé à la provocation.

Dimanche 27 janvier 2008, une manifestation de l’opposition contre les coupures d’électricité a viré à l’émeute. Des coups de feu ont été tirés. Les participants ont accusé une «tierce partie» d’avoir ouvert le feu (LM du 29/01/07). Qui se cache derrière cette «tierce partie» dont l’objectif est de «semer la discorde»?

Vendredi 25 janvier, le capitaine Wissam Eïd, chargé des enquêtes sur les attentats au Liban est assassiné. Il était responsable du service des écoutes, qui a fourni de précieuses informations notamment dans l’enquête relative à l’assassinat de Rafic Hariri (LM du 27-28/01/08).

Selon le procureur belge, Serge Brammertz, chargé du dossier Rafic Hariri: «La commission d’enquête a confirmé l’hypothèse selon laquelle des «liens opérationnels pourraient exister» entre les responsables de 18 autres assassinats ou attentats ciblés au Liban». Le prédécesseur de Serge Brammertz, l’Allemand Detlev Mehlis, avait montré du doigt les services syriens et libanais dans l’attentat contre Rafic Hariri, le 14 février 2005 à Beyrouth, mais le nouvel enquêteur n’a pas répété ces soupçons (Nouvelobs.com du 30/11/2007). Alors, qui avait peur du capitaine Wissam Eïd?

La crise persiste au Liban et aucune force ne semble en mesure de s’imposer. Pour «semer la discorde», la situation est fort propice. Selon le journaliste libanais, Fidaa Itani, le Courant du futur de Saad Hariri «s’emploie à enrôler des combattants sous couvert de sociétés privées de sécurité. Le mouvement de M. Hariri a ainsi pu embrigader deux mille quatre cents miliciens; il envisage d’en enrôler quatorze mille autres dans le seul nord du Liban» (Fidaa Itani- Le Monde Diplomatique du février 2008).

Les patriotes libanais sont pris en tenaille entre les commanditaires des «assassinats ciblés» et les partisans de la lutte pour la «pureté idéologique».

S’appuyant sur des puissances étrangères (Etats-Unis, Israël et Arabie saoudite), le Courant du futur joue son va- tout. L’opposition est porteuse d’un message révolutionnaire, celui de la souveraineté nationale. La bataille s’annonce dure. Mais elle peut- être gagnée par les anticolonialistes.