10.4.18

Analyse 5 (2018). La disgrâce des djihadistes-soldats de l'Empire

   Paix et Justice au Moyen-Orient

                                         STRASBOURG, le 10 avril 2018

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      La disgrâce des djihadistes-soldats de l'Empire

Que se cache-t-il derrière les menaces de bombardement de la Syrie par les Etats-Unis ?

Tous ceux qui s'intéressent, de près ou de loin, aux guerres sans fin au Proche et au Moyen-Orient, voient bien que les djihadistes, qu'ils soient d'«Al Qaida» ou de l'«Etat islamique» (EI) sont mus par l'idéologie wahhabite propagée par l'Arabie saoudite. Pendant la guerre d'Afghanistan et de Syrie, lesdits djihadistes ont été, et continuent à être, armés et financés par l'Arabie saoudite et les émirats arabes du Golfe Persique.

Wahhabisme comme force de frappe idéologique

Ceux qui avaient quelques doutes quant à l'implication de l'Arabie saoudite et de son mentor américain dans les guerres meurtrières au Proche et Moyen-Orient, les ont perdu après l'interview accordée par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman au Washington Post du 22 mars 2018. Il a déclaré que l'Arabie saoudite avait commencé à propager l'idéologie wahhabite à la demande de ses alliés occidentaux, pendant la guerre froide, pour contrer l'URSS.

Voici ce que nous avions écrit dans l'analyse 18 (2014) : «Vers les années 1980 -2000, on les appelait djihadistes arabes, apparus en péninsule arabique, au Yémen, arrivés en Afghanistan dans le "sac à dos" de Ben Laden, lieutenant wahhabite, le djihadiste en chef, formé dans les écoles coraniques militarisées saoudiennes qui transformèrent le wahhabisme en théologie de consolidation d'un pouvoir obscurantiste et moyenâgeux en Arabie saoudite, puis en instrument de reconquête territoriale au service des Etats-Unis d'Amérique. (…) Caractéristiques particulières des djihadistes arabes et afghans, formés par les mollahs wahhabites ? Ils étaient - et sont toujours - nihilistes, obscurantistes, moyenâgeux et violents. Pour les djihadistes, la mort est un visa d'entrée au paradis. (…) Depuis, l'amitié djihadiste scellée entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite continue à fonctionner. (…) Lorsqu'un nouveau front s'est ouvert en Syrie, les puissances occidentales s'y sont engouffrées et, fortes de l'expérience afghane, y ont répandu le poison djihadiste. (…) En plus de son entreprise multinationale de fabrication et d'exportation de tueurs djihadistes, l'Arabie saoudite a même créé un "luxueux centre" où Riyad les "soigne". Spa, piscine olympique, sport et prières, endoctrinement permanent, sont au menu des stages de "déradicalisation" [recyclage ?], écrit Benjamin Barth, dans Le Monde du 6 septembre 2014. (…) La "déradicalisation" n'est que de la poudre aux yeux de la population occidentale horrifiée par les exactions mortifères des djihadistes obscurantistes. En effet, "les Saoudiens se sont engagés à former et à entrainer des milliers de rebelles syriens, à l'instar de la Jordanie qui abrite un programme clandestin mené par les Américains.»

En Syrie, la Ghouta orientale, proche banlieue de Damas est l'une des dernières poches «rebelles» où les djihadistes wahhabites, regroupés au sein de Jaish Al-Islam (l'Armée de l'islam), étaient bien implantés. Zahran Allouch (tué lors d'un bombardement aérien le 25 décembre 2015), était le commandant redouté de cette secte djihadiste qui dominait la Ghouta orientale et son marché noir. Son père, installé en Arabie saoudite, avait pour mission d'obtenir des financements et des armes du royaume. (Benjamin Barthe - Le Monde du 29 décembre 2015).

Dans la droite ligne de la guerre de religion, prônée par l'Arabie saoudite, Zahran Allouch, dans ses discours, appelait à purger Damas de ces «saletés» de chiites et d'alaouites. Il se prononçait pour l'établissement en Syrie d'une théocratie, régie par la charia, la loi islamique.

Après la mort de son chef, Jaish Al-Islam a poursuivi la gestion de la Ghouta orientale et de son marché noir, dans la voie tracée par son commandant. Suite à l'offensive de l'armée syrienne début 2018, certains djihadistes ont été contraints de quitter la Ghouta orientale pour Idlib, au Nord-Ouest de la Syrie, privant ainsi l'Arabie saoudite et les Etats-Unis d'un levier de pression redoutable sur le pouvoir syrien, l'Iran et la Russie. Soutenue par ses parrains Américano-saoudiens, Jaish Al-Islam continue à «résister» à Douma, le dernier réduit "rebelle" de la Ghouta orientale!

Le temps des doutes

L'échec des djihadistes wahhabites en Syrie et en Irak et l'enlisement de Riyad au Yémen ont sonné le glas de l'efficacité militaire de l'Arabie saoudite et du wahhabisme, comme idéologie conquérante, au Proche et au Moyen-Orient. D'autant plus que des fractions de djihadistes se retournent souvent contre leurs mentors américano-saoudiens, commettant des attentats au cœur même des métropoles euro-américaines. Ce fut le cas de Ben Laden, responsable annoncé de l'attentat contre les tours jumelles à New York. Et de l'Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak dont les affidés ont commis des attentats en France, en Belgique et en Allemagne. Aux Etats-Unis, on s'interroge sur les capacités du prince héritier Mohamed Ben Salman à surmonter avec succès de nombreuses crises régionales.

Actuellement, des poches de «rebelles djihadistes», poursuivant leur mission de déstabilisation en Syrie, bénéficient encore du soutien logistique et aérien des Etats-Unis ainsi que des militaires français et britanniques. Plus de 2000 soldats des forces spéciales américaines sont présents au Nord de la Syrie, en particulier à Manbij. Mais, les Etats-Unis et leurs soutiens occidentaux - dont la France - songent à remplacer les djihadistes égorgeurs par une autre force, «moderne», plus expérimentée, plus efficace et implantée localement.

Combattants kurdes comme alternative

Comme nous avion écrit dans l'analyse 2 (2018) : «les Américains ont annoncé la création d'une force frontalière de 30000 hommes le long de la frontière entre l'Irak et la Syrie, composée notamment de combattants kurdes des YPG.

Pour calmer le courroux turc, l'armée américaine prétend que la nouvelle force n'a pas vocation à défier Ankara. Or, Madjid Zerrouky,  journaliste du quotidien Le Monde (17 janvier 2018) reste dubitatif : «On peut cependant s'interroger sur la taille annoncée, impressionnante, de ladite force (30000 hommes) au regard des objectifs limités qui lui sont assignés» [à savoir : assurer la défaite de l'Etat islamique [EI], empêcher les conditions dans lesquelles il pourrait réapparaître et restreindre le flux de terroristes étrangers en Irak, en Turquie et en Europe, précise le colonel Ryan S. Dillon, porte-parole à Bagdad de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis]. Alors que la menace représentée par l'EI, suite à son effondrement, est désormais écartée.»

A son tour, le président français, Emmanuel Macron a reçu, jeudi 29 mars 2018, une délégation venue de Syrie, composée des responsables militaires kurdes et des personnalités de la coalition des «Forces démocrates syriennes» (FDS). Selon Allan Kaval «Emmanuel Macron a délivré à ces alliés des Occidentaux un message de soutien politique d'une portée inédite». (Le Monde du 31 mars 2018).

Selon Redur Khalil, du bureau des relations extérieurs des FDS :«Le président Macron nous a confirmé le soutien politique et militaire de la France dans un moment critique».

Polarisation des forces en Syrie

Actuellement, deux camps se font face en Syrie : le camp occidental mené par les Etats-Unis souhaitant conserver une présence militaire en l'absence d'une force militaire locale loyale aux puissances militaires occidentales. Dans cet objectif, selon un analyste, «des préparatifs sont en cours visant à construire au moins une nouvelle base de la coalition dans les environs de Manbij». Des tranchées ont été creusées à l'entrée de la ville, des barrages de police ont été érigés.

Face au camp occidental s'érige le camp oriental composé de l'Iran, de la Russie et de la Turquie, membre de l'OTAN, opposée farouchement à la politique américano-française qui souhaite renforcer les FDS. Même l'opposition kémaliste hausse le ton contre la France :«Nous disons à la France : reste où tu es, tu n'as rien à faire en Syrie.» (Marie Jégo et Allan Kaval (à Paris) - Le Monde des 1er, 2,3 avril 2018).

Offensive occidentale - riposte orientale

De temps à autre les Américains brandissent le chiffon rouge de frappes américaines sur les positions syriennes en cas d'utilisation d'armes chimiques par ces derniers. A son tour, Israël bombarde le territoire syrien. Ce sont des actes de guerre de type voyou, sans autorisation des Nations-Unies, contre un pays souverain. L'intimidation de l'adversaire et la menace d'occuper illégalement le territoire syrien font partie de la panoplie militaire occidentale employée.

Tout porte à croire que la guérilla antioccidentale, lancée par des patriotes syriens et irakiens aguerris, constitue une forme de riposte envisagée par l'adversaire oriental. Elle pourrait causer beaucoup de dégâts aux forces américaines. En effet, le 29 mars, deux militaires de la coalition, un Américain et un Britannique, ont été tués dans une explosion. Pour Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères : les Américains doivent quitter la Syrie. «Ils n'ont reçu aucune invitation de Damas, ils doivent quitter les territoires syriens après l'élimination des terroristes. Cela se fera bientôt».

Un nouvel affrontement Est-Ouest est en perspective en Syrie. A leur tour, la Russie et l'Iran ont haussé le ton et menacent l'Occident de représailles en cas de bombardement de la Syrie. Ambiance !