Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 28
novembre 2013
Accord gagnant-gagnant
américano-iranien
Avant
la victoire de la révolution de 1979 en Iran, le pays était une puissance
régionale, au service des intérêts occidentaux, en particulier américains.
Après la victoire de la révolution, l'équilibre des
forces a été rompu au Moyen-Orient. Presque en même temps, les soviétiques se
retiraient de l'Afghanistan et l'on percevait les signes annonciateurs de
l'effondrement de l'Union soviétique et du retour d'un vide politique en Asie
centrale.
Pourquoi (re)tour? Parce que ce vide politique au
Moyen-Orient et en Asie centrale s'était déjà créé au 18e siècle,
après l'effondrement de l'empire Perse en 1747: l'année où les Afghans
profitèrent, pour créer leur royaume, de l'existence d'un vide politique absolu
dans la vaste région de l'Asie centrale.
L'absence de puissance dominante en Asie centrale
conduisit les empires rivaux britannique et russe à se disputer cette vaste
région; une rivalité nommée le "Grand jeu", qui, depuis 1809 -
l'année où le premier européen, l'émissaire des Indes anglaises Mountstuart
Elphinstone parvint à Peshawar, résidence d'hiver des souverains de Kaboul, en
février 1809 -, se poursuit sous nos yeux.
L'effondrement de l'empire des Pahlavi en 1979 et
le retrait d'Afghanistan de l'armée soviétique en 1980, conduisirent les
Etats-Unis à déployer leurs forces, d'abord au Moyen-Orient, puis en Asie
centrale.
Depuis 1980, le Moyen-Orient et l'Asie centrale ont
connu 8 guerres et invasions, initiées par les Occidentaux: la guerre
Irak-Iran, encouragée par les puissances occidentales et la Russie, qui dura 8
ans. L'invasion de l'Afghanistan par une coalition des armées occidentales;
l'invasion du Koweït par l'armée irakienne; l'intervention occidentale pour
chasser l'armée irakienne du Koweït; la guerre d'Irak conduisant au renversement
de Saddam Hussein; l'invasion du Sud Liban par l'armée israélienne; l'invasion
du Bahreïn par l'armée saoudienne et, finalement, la guerre en Syrie.
Aucune autre
région du monde n'a connu, en si peu de temps, autant de guerres et d'invasions
militaires, impliquant 7 pays et des centaines de milliers de troupes venues
des quatre coins du monde. L'avenir nous dira si cet accord arrivera à mettre
un terme à 34 années de guerres et destructions, provoquées principalement par
les puissances occidentales, en particulier américaine.
Ces 34 années de guerre et d'invasion, qui ont
presque ruiné l'économie américaine, devaient permettre l'émergence d'une
puissance régionale. Les Occidentaux, en particulier les Américains, ont
beaucoup compté sur l'Arabie saoudite et la Turquie, espérant qu'une coalition
des deux vassaux des Etats-Unis pouvait remplacer le vide de puissance
politique au Proche et au Moyen-Orient.
L'Arabie saoudite a échoué.
Il faut reconnaître que les Etats-Unis ne l'ont pas tellement aidée. Pire, le
renversement de Saddam Hussein a déroulé un tapis rouge devant l'Iran qui a
installé ses pions en Irak, en particulier à Bagdad et à Bassora. L'Iran est
aussi très influent en zone Kurde d'Irak.
Actuellement, l'Arabie
saoudite- pays à système moyenâgeux et tribal- se contente de commettre des
attentats en Irak par djihadistes interposés. Les points faibles de l'Arabie
saoudite, c'est d'abord son très faible niveau technologique. Le pays achète
tout à l'étranger, en particulier aux Occidentaux et aux Américains. En suite,
pour maintenir ou étendre son influence politique, l'Arabie saoudite ne songe
qu'à provoquer ou soutenir des guerres de religion, comme en Irak et en Syrie.
L'unique succès de l'Arabie saoudite, c'est l'invasion du Bahreïn où une
résistance profonde et durable oppose toujours la population à la monarchie
tribale et dictatoriale régnante.
Les Saoudiens et les Turcs
ont beaucoup misé et investi sur la Syrie, porte d'entrée de Téhéran! Une
éventuelle victoire des "insurgés" syriens-soutenus financièrement et
militairement par l'Occident, l'Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar- sur le
régime de Bachar Al-Assad aurait facilité l'écrasement du Hezbollah libanais,
le retour du Liban dans le giron de l'Occident, puis le renversement du régime
de Téhéran.
Là encore, l'échec de l'Arabie saoudite et de la
Turquie est patent. L'ampleur de l'échec sera discutée lors d'une conférence,
prévue le 22 janvier 2014. A condition que les "insurgés" y participent.
En effet, actuellement, les "insurgés" syriens sont divisés et
affaiblis, l'armée syrienne est à l'offensive et s'apprête à récupérer Alep,
ville que les Saoudiens et les Turcs espèrent conserver comme monnaie d'échange
lors des prochaines négociations.
De ces 34 années de guerre, l'Iran est sorti
quasiment vainqueur de la nouvelle phase du "Grand jeu" qui s'est
déroulé au Proche et au Moyen-Orient. L'influence politique et militaire de
l'Iran s'étend actuellement des confins de l'Afghanistan jusqu'en Méditerranée.
L'accord américano-iranien, signé le 24 novembre
2013 au Palais des nations à Genève, est un accord gagnant-gagnant. Car l'Iran
a atteint ses objectifs nucléaires - maintien de ses centrales d'enrichissement
de l'uranium sur son sol - ce qui met l'Iran au seuil nucléaire et sanctuarise
le pays. Et politiques: être reconnu comme puissance régionale. En effet, il
serait naïf de limiter ledit accord à la question nucléaire. Les observateurs
ont relevé la coïncidence entre la signature de l'accord de Genève et
l'annonce, trente six heures après, de la conférence de paix sur la Syrie.
L'accord américano-iranien permettra à l'Occident
en général et aux Etats-Unis en particulier de disposer d'une région
"pacifiée", gérée par une puissance politique et militaire efficace.
Si la confiance d'antan se rétablit entre l'Iran et les Etats-Unis, ces
derniers pourront même retirer une partie de leurs forces, vider certaines
bases militaires et souffler financièrement.
L'Iran serait moins tributaire des Russes et le gaz
iranien pourrait réduire la dépendance du continent européen au gaz russe. Les
investissements industriels et pétroliers en Iran pourront repartir de plus belle
et rapporter énormément aux banques d'investissement et aux fonds de pension
américains et européens. De son côté, l'Iran pourra déverser des milliards de
dollars sur les marchés d'investissement occidental.
Le gouvernement français a fait beaucoup de bruit
autour de l'intervention de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères,
au cours de la première phase des négociations de Genève. Comme si la France
disposait d'une telle influence politique, capable d'intervenir sur le cours
des évènements. Or, depuis 1809, le Moyen-Orient et l'Asie centrale sont
disputés entre quatre empires: iranien, britannique, russe, et américain. Les
Français et Allemands - dépourvus d'influence politique et militaire dans les
vastes régions disputées - interviennent à la marge et seulement en soutien aux
britanniques et Américains. Selon une source officielle de Téhéran, citée par
Ai-Monitor* Washington, un accord sur le nucléaire permettrait de régler
d'autres dossiers dans la région. "La
questions [syrienne] a été largement
abordée lors de discussions parallèles. C'est
pour cette raison que des puissances régionales [Israël et Arabie saoudite] ont
demandé aux Français de bloquer les négociations."
Le protocole discuté et adopté à Genève est
pratiquement celui concocté par les Etats-Unis et l'Iran lors des discussions
secrètes à Oman, commencées en mars 2013.
Dans le cadre du "Grand jeu" en Asie
centrale, serons-nous un jour témoins d'un nouveau bras de fer, opposant la
Russie aux Etats-Unis? En effet, la Russie n'est pas encore suffisamment
puissante pour remettre la main sur ses anciens glacis en Asie centrale, où les
Etats-Unis entretiennent encore une dizaine de bases militaires.
*Cité par Courrier international- n° 1203 du 21 au 27 novembre 2013.