Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 28
juillet 2012
Syrie : la révolution confisquée.
Les Etats-Unis poursuivent leur plan
pour le remodelage du Moyen-Orient et disposent d’un projet bien ficelé pour la
Syrie.
Drôle de «révolution» en Syrie. Chaque protagoniste est
soutenu par une ou plusieurs puissances étrangères. A commencer par les «révolutionnaires»
portés financièrement et militairement par la réaction internationale :
colonialistes occidentaux et relais régionaux, les régimes saoudien-bastion de
la réaction arabo-musulmane - et qatari qui envoient argent, armes et «combattants
jihadistes» en Syrie pour combattre le «régime apostat syrien». Le
drapeau noir des jihadistes flotte à côté du drapeau des opposants syriens.
«Les Etats-Unis ont fourni un soutien logistique aux forces
insurgées (comme les images satellite des déplacements des troupes). Pour les
fournitures d’armes aux insurgés, Washington dépend de ses relais régionaux, la
Turquie et le Qatar en premier lieu. Ils vont «appuyer maintenant sur
l’accélérateur», déclarait au New York Times un haut diplomate(1).
En effet, «Avec
l’argent du Qatar et de l’Arabie saoudite, une filière d’approvisionnement en
armes s’est mise en place à la frontière avec la Turquie (…) depuis un
mois et demi, le rythme des arrivages s’est accéléré.» (1) Selon
un analyste cité par Benjamin Barthe, journaliste du quotidien Le Monde,
l’ingérence du tandem Saoudo-qatari va encore plus loin. La défection des
militaires hauts placés de l’armée syrienne serait même financée par le Qatar (2).
Un travail de pro et bien synchronisé entre les Etats-Unis et ses relais
locaux.
L’objectif non avoué des commanditaires des »jihadistes»
est de ramener la Syrie dans le giron des Etats-Unis, qui poursuivent leur projet
du «Grand Moyen-Orient» hérité de l’ère Bush. Le patron américain compte
même organiser à la fin du mois une réunion générale des opposants, peut-être
en Bulgarie (1). A-t-il déjà bouclé la liste des ministres du prochain
gouvernement syrien issu de la «révolution»? Mais, l’Amérique d’Obama est
«pragmatique». Washington insiste sur l’organisation d’une «opposition
pluraliste» (1). Autrement dit, tout le monde sous la coupe des
Etats-Unis. L’expérience irakienne et les interférences iraniennes par milice
chiite interposée- l’armée du Mahdi- ne conviennent plus à l’Oncle Sam.
L’expérience irakienne
aidant, les Etats-Unis songent déjà à la mise en place d’une future force d’occupation
qualifiée de «stabilisation» (1) capable de remplacer au pied
levé l’armée syrienne. Qui va diriger la force d’occupation? Pour Washington,
l’idéal consisterait en une force sous leadership turc bénéficiant d’un soutien
affiché de la ligue arabe (1). Un projet de pro bien ficelé.
Obama mériterait un second Nobel de la paix !...
Comme en Irak, ce sera peut-être un Kurde, Abdel Basset Sieda-
actuel président du Conseil national syrien (CNS), jouet de l’Occident- qui dirigera
la Syrie.
Une chose est sûre : l’Occident colonialiste n’aime pas
les Etats forts et centralisés. La Yougoslavie a été décomposée en plusieurs Etats
ethniques. Avec le soutien de l’Occident, l’Empire russe a été décomposé en une
multitude d’Etat ethniques et la Russie a failli perdre sa souveraineté et le
Caucase. Le Kurdistan irakien s’émancipe de plus en plus et le risque de
décomposition menace la Syrie et le Liban. Ayman Abdel Nour, fondateur en 2003
du site d’information All4Syria craint que la Syrie soit coupée en trois, avec
un réduit alaouite, un Etat kurde et un Etat sunnite. Selon lui, «l’unité de
la Syrie est menacée. Et pas que par Bacahr et ses sbires. Les puissances
occidentales jouent un rôle néfaste.» (3)
Le «remodelage du Moyen-Orient» est un projet associé
au «Grand Moyen-Orient». Si les Etats-Unis réussissent leur dessein
néfaste en Syrie, le Liban et l’Iran, en tant qu’Etats centralisés et
multiethniques, auraient du mal à survivre au rouleau compresseur américain.
Le craquèlement se fait déjà entendre au Liban. «A Saïda [Liban]
un cheik radical défie depuis début juillet le Hezbollah. Réclamant que la
formation dépose ses armes, Cheik Ahmed Al- Assir bloque l’un des principaux
axes de la ville, porte d’entrée vers le sud, fief du Hezbollah. Ce tribun
sunnite (…) ne lèvera pas son sit-in tant qu’il n’aura pas obtenu gain de cause»
(4).
De son côté, le régime militaire syrien est soutenu en
particulier par la Russie et l’Iran, qui mettent leur savoir faire répressif
sanguinaires-Tchétchénie, Iran- au service d’un régime dictatorial. Selon
certaines sources, «10 000 experts militaires russes» travaillent en Syrie
(5).
La révolution commencée par un peuple souffrant de la
dictature d’un régime policier, s’est peu à peu dévoyée et la Syrie s’est
transformée actuellement en un champ de bataille aux enjeux mondiaux qui
dépassent largement le cadre national.
La bataille de Syrie trace une possible physionomie du monde
de demain : domination sans partage des Etats-Unis suivi de l’éclatement
de l’Iran, de l’encerclement poussé de la Russie et de la Chine ; voire
l’installation de «régimes amis» dans lesdits pays. Ou un monde multipolaire
dans lequel plusieurs puissances, surtout la Russie, la Chine, l’Inde et
l’Iran, auront leur mot à dire. L’envoi de navires de guerre supplémentaires dans
le Golfe Persique, le quasi blocus de l’Iran et la bataille de Syrie font
partie du même plan.
Vu les enjeux, Washington se prépare «à une guerre longue
et encore plus féroce» (1). L’opposition armée en Syrie a opté
pour une guérilla de harcèlement. Elle occupe un jour quelques quartiers de
Damas et, sous le feu de l’armée, se retire pour concentrer ses forces à Alep.
Quelle ville ou quels quartiers seront-ils visés après Alep?
In fine, c’est la population qui est deux fois perdante :
elle s’est fait confisquer sa révolution et face à l’offensive de l’armée et au
repli tactique de l’opposition armée, elle se fait massacrer sous les bombes.
Peut-on encore parler de la révolution syrienne ?
(1) Sylvain Cypel- Le Monde du 25
juillet 2012.
(2) Benjamin Barthe- Le Monde des
22-23 juillet 2012.
(3)
Propos recueillis par Benjamin Barthe- Le Monde du 26
juillet 2012.
(4)
Laure Stephan- Le Monde du21 juillet 2012
(5)
Le Monde du 20
juillet 2012.