21.6.09

Analyse 15 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 21 juin 2009


cpjmo@yahoo.fr


La dictature


Le coup d’état du «Guide» devrait conduire à restaurer l’Empire


Le discours de Khamenei, «Guide» de la Révolution islamique, à la prière de vendredi 19 juin, n’était autre qu’un appel à l’union sacrée autour du chef afin de faire face au défi lancé par le mouvement de la contestation sociale qui ne faiblit pas. Quel est l’enjeu?


Saisir l’enjeu est possible si l’on compare les coups d’état successifs qu’a connu la République islamique depuis sa fondation. En effet, il n’y a aucune ressemblance entre le coup d’état de Khomeiny contre Bani Sadr et celui de son successeur, Khamenei, contre la République islamique. Lors de son coup d’état, Khomeiny était soutenu par l’ensemble du clergé, ce qui n’est pas le cas de Khamenei.


Avec le temps, on voit que le coup de Khomeiny, suivi d’exécution massive d’opposants laïcs, démocrates et communistes (ceux qui ont participé au renversement du régime des Pahlavi), n’a pas discrédité totalement la République, institution élective. D’autres élections, selon les normes mises en place, ont eu lieu et, à des degrés divers, le peuple y a participé.


Khamenei a fomenté son coup avec un clergé divisé. Seule une fraction du clergé soutient Khamenei et une autre se trouve dans l’opposition. Certain grands Ayatollahs, comme Sanéii ou Golpayegani, ont clairement pris position contre la fraude. S’exprimant sur la fraude à l’élection, Golpayegani a dit: «ce grand mensonge qui porte atteinte aux fondements de l’islam» (Le Monde du 16/06/09).


Le coup d’état du «Guide» a définitivement scellé la division du clergé. Le pouvoir issu du coup d’état n’est donc pas le même que celui d’avant le coup d’état dont le pouvoir s’appuie désormais sur une fraction du clergé et les forces militaires, essentiellement formées des «Gardiens de la révolution» et des «Bassidjis». Le coup d’état du «Guide» vise les fondements de la République, ses représentants et ses valeurs.


Le «Guide» n’est plus l’arbitre entre différentes fractions du pouvoir. Il bafoue ouvertement les principes de la constitution, met tous les moyens (audiovisuels, étatiques dont les moyens de répression) au service de l’aile théocratique militariste. Dans le but de la réélection de M. Ahmadinejad, le «Guide» a organisé (ou a donné son accord pour) la fraude massive, a réprimé et écarté l’aile réformatrice-républicaine, a interdit les libertés de la presse et de manifestation accordées par la constitution, a concentré tout le pouvoir entre ses mains, donc celle de la fraction théocratique militariste du pouvoir.


L’histoire de la Perse semble un eternel recommencement. En effet, l’Empire Perse, à sa naissance, avait deux piliers : l’armée, dont le Roi était le commandant en chef, et l’institution religieuse, Zarathoustra, avant la conquête de la Perse par l’islam. L’institution religieuse soutenait l’Empire, mais ne partageait pas le pouvoir avec les militaires. Le coup d’état du «Guide» signifie la victoire de l’institution militaire (le complexe militaro-industriel) sur l’institution politique et religieuse, dont l’influence devra diminuer de plus en plus dans la gestion de l’Etat.


Nous pouvons dire que le coup d’état du «Guide», en tant que commandant en chef des forces armées, devrait conduire à restaurer l’Empire ayant pour roi le "Guide".


A la suite du coup d’état, le prestige de la République islamique a pris un coup, aussi bien sur le plan intérieur qu’extérieur.


Sur le plan intérieur, la répression contre la résistance à la restauration ira crescendo. Un bain de sang n’est pas à exclure. L’avenir nous dira si le peuple et ses représentants réformateurs-républicains arriveront à leur but ? D’ors et déjà, il est certain que la partie s’annonce longue, difficile et sanguine.


D’aucuns comparent l’Iran à la Chine, rappellent Tiananmen, et d’autres comparent le coup d’état de Khamenei à celui de Jaruzelski, dernier président polonais, à la solde des Soviétiques. Or, l’Iran n’est, ni l’une ni l’autre. Sous Jaruzelski, les Polonais menaient une lutte anticolonialiste. Ce qui n’est pas le cas de l’Iran. Les événements de la place Tien An Men visaient à l’établissement de la démocratie en Chine.


En Iran, l’enjeu n’est pas que l’établissement de la démocratie. C’est la nature du régime (républicain et moderne ou despotique, médiéval et militariste) qui constitue l’enjeu majeur du mouvement social actuel.


Toujours est-il que le soutien apporté par le régime iranien au peuple palestinien et au Hezbollah libanais est vivement critiqué, développant un sentiment raciste à l’égard des Arabes. En effet, les Iraniens pensent (vrai ou faux ?) avoir entendu parler arabe et que les «Arabes libanais» (le Hezbollah libanais) participent à la répression.


La confiance n’existe plus dans le régime du coup d’état, discrédité. La haine du régime commence malheureusement à se répercuter sur les mouvements de résistance anticolonialistes du Moyen-Orient. Espérons que le peuple se ressaisira et ne poursuivra pas ce genre de confusion.


Sur le plan extérieur, face à ses ennemis, le régime ne pourra plus agir en position de force. Quel crédit accorder à l’anticolonialisme d’un régime tricheur ou soupçonné tel?


Au fur et à mesure de la dégradation de la situation sociale en Iran, Barack Obama, président des Etats-Unis, hausse le ton. Le sort du peuple iranien étant le cadet de ses soucis. C’est pour arracher des concessions à un régime iranien, affaibli et divisé, que les critiques de Barack Obama préparent le terrain.

17.6.09

Analyse 14 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 17 juin 2009


cpjmo@yahoo.fr


La grande fracture


Comprendre les évènements qui secouent l’Iran


L’élection présidentielle du 12 juin 2009 en Iran a soulevé un immense espoir de changement. Plus de 85% des Iraniens se sont rendus aux urnes, dans le but de démettre Ahmadinejad, intégriste et réactionnaire qui, durant quatre ans, a mené une politique répressive et antidémocratique à l’égard des forces vives de la société.


La victoire des réformateurs, menés par Moussavi, paraissait à portée de mains. Or, la fraude a fait échouer le rêve réformateur et c’est Ahmadinejad qui est sorti victorieux de l’élection. Dès lors, la rue a remplacé les urnes. Pour exprimer leur colère, les Iraniens sont descendus dans les rues par centaines de milliers.


Faut-il souligner que l’actuel mouvement démocratique en Iran n’a rien à voir avec la «révolution de velours» ukrainienne ou géorgienne, fomentée et financée par l’Occident et, en particulier, par les Etats-Unis ? Il s’agit, entre autres, d’un conflit entre différentes fractions du régime pour le partage du pouvoir. Le conflit, latent avant l’élection présidentielle, s’est étalé au grand jour après l’élection. En effet, les intégristes menés par le duo Khamenei-Ahmadinejad se sont senti suffisamment puissants pour fomenter un coup d’état politique afin d’écarter leurs rivaux.


C’était sans compter avec la détermination des autres fractions du régime (représentées par les trois candidats à l’élection) qui ont immédiatement réagi, en soutenant ou en organisant des manifestations populaires, à Téhéran et dans d’autres villes de l’Iran.


Le soutien apporté par le peuple à Moussavi résulte de la convergence des aspirations démocratiques de la population avec celles de l’aile réformatrice du pouvoir. Le peuple et les réformateurs exigent, entre autres, l’annulation de l’élection, l’organisation de nouvelles élections, le respect du vote des citoyens, la liberté d’expression et de la presse, etc.


Lesdites exigences sont de nature démocratique et républicaine. Le soutien apporté par la gauche iranienne au mouvement de protestation et l’aspiration à instaurer un Etat de droit ne signifient nullement le soutien à Moussavi et à ses amis. En effet, si les fractions du régime se mettent d’accord sur un nouveau partage du pouvoir (ce qui n’est pas à exclure) qui conviendrait aux réformateurs, ces derniers n’hésiteront pas à se ranger à nouveau au côté des intégristes pour massacrer la population.


La réaction relativement modérée du régime (sept morts annoncés lundi 15 juin), montre que les intégristes sont sous pression. Les «Gardiens de la révolution», gardes prétoriennes du régime, sont restés dans les casernes et seuls les miliciens et la police antiémeute interviennent. Toujours est-il que les forces de répression sont, autant que le régime lui-même, traversées par des courants divergents et le régime a intérêt à régler ses contentieux «à l’amiable».


Certains n’hésitent pas à opposer les partisans de Moussavi à ceux d’Ahmadinejad. Les premiers seraient issus des quartiers chics de Téhéran et les seconds des quartiers défavorisés. Or, ce qui compte c’est le message politique (libertés démocratiques, Etat de droit) porté par les intellectuels et les autres «couches aisées» de la population, vivant aussi dans les quartiers nord de la capitale. On sait très bien que les déshérités sont souvent manipulés, sont nourris pour soutenir ceux qui les affament et n’ont pas d’autres choix que de s’engager dans les milices et l’armée, en se transformant en agents de répression ou en chair à canon des potentats.


Les manifestations à répétition à Téhéran semblent organisées par l’aile réformatrice. Si les différentes fractions du régime n’arrivent pas à s’entendre, la colère du peuple pourrait mettre le système en danger. Dans une telle situation, le peuple devrait tirer profit de l’entente entre les différentes fractions du pouvoir. Les avancées démocratiques en Iran seront bénéfiques à tous les pays du Moyen-Orient.


Un regard historique porté sur le régime de la République islamique montre que, dès les premiers jours après la victoire de la Révolution, suivis de la proclamation de la République islamique, le clergé voulait imposer une vision monolithique de l’espace politique en Iran. En effet, la diversité dans toute sa dimension était bannie, puisque non conforme à l’islam.


Selon cette logique, la division d’un système politique en majorité et opposition est une notion occidentale. C’est ainsi que Baní Sadr, premier président de la République, fut expulsé comme un corps étranger à l’islam. Khatami, deuxième président réformateur, fut encadré et ses tentatives de réformes avortées. A son tour, Moussavi a été carrément euthanasié dans les urnes.


C’en était trop après trente ans. Faisant bloc derrière Moussavi, tous ces messieurs les dignitaires du régime, même ceux comme Rafsandjani qui prêchait l’unicité du système islamique, s’opposent maintenant au despotisme de leur chef. La rue a fait le reste, transformant Moussavi en leader. Remarquons que Moussavi avait invité les manifestants à rester chez eux lundi 15 et mardi 16 juin. Le peuple ne l’a pas écouté et est descendu dans la rue. Moussavi voulait faire un sit in au mausolée de Khomeiny à l’extérieur de Téhéran. Le peuple a préféré continuer son combat dans Téhéran. Le peuple et certains amis de Moussavi n'en font qu’à leur tête.


Pour la première fois depuis la fondation de la République islamique deux cortèges, représentant le pouvoir intégriste et l’opposition réformatrice, manifestent le même jour et à la même heure, dans les rues de Téhéran. La divergence éclate au grand jour.


C’est la grande fracture. Le clergé et son système politique ne sont plus monolithiques. Dieu a cessé d’être unique! C’est désormais la République qui s’affirme et qui relève la tête car elle n’a plus peur de l’islam. A quand la rupture tant attendue?


Vive la République laïque!

14.6.09

Analyse 13 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 14 juin 2009


cpjmo@yahoo.fr


Coup d’Etat permanent à Téhéran


L’élection présidentielle du 12 juin 2009 avait créé un immense espoir de changement en Iran. Des femmes, des jeunes des intellectuels, des minorités religieuses et ethniques, majoritairement opposés à la politique répressive et désastreuse du point de vue économique du président sortant, ont massivement participé à l’élection (chiffre du taux de participation record : 85%).


A la surprise générale, avant même le dépouillement complet des urnes, le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, a été déclaré vainqueur, avec un score incroyablement élevé de 62,63%.


Les candidats n’ont pas tardé à réagir aux résultats annoncés par le ministère de l’intérieur. Mir Hossein Moussavi, candidat favori réformateur à l’élection, a vivement contesté, dans un communiqué, les résultats annoncés, les qualifiant de «stupéfiants» et de «tour de magie». Il a déclaré : «le peuple aimerait connaître ceux des autorités qui ont organisé ce grand jeu.» et «les gens ne plieront pas face à ceux qui arrivent au pouvoir en trichant.» Karoubi, un autre candidat réformateur, a jugé les résultats «illégitimes.»


Abtahi, membre de l’Etat major de Mehdi Karoubi, a dit à la BBC : «Les bureaux de vote manquaient de bulletins et des observateurs des candidats ont été expulsés des bureaux de vote. Plus étonnant encore, c’est la proclamation rapide des résultats.» Toujours selon Abtahi, des informations circulent sur le pré remplissage de certaines urnes.


Dès l’annonce des résultats, des centaines de milliers d’Iraniens, sont descendus dans les rues de Téhéran, de Meched, d’Ispahan, de Chiraz, de Babol (au nord de l’Iran), au cris de «mort au dictateur», affrontant la police anti-émeute qui a fait usage de gaz lacrymogène et de voltigeurs pour disperser les manifestants. Le premier réseau de téléphonie mobile, contrôlé par l’Etat, a été coupé à Téhéran. Déjà, au début des votes, le réseau de SMS a été coupé. Ce qui a provoqué la protestation des candidats opposés au président sortant.


Plusieurs personnalités de l’aile réformatrice, comme Mohammad Reza Khatami, frère de l’ancien président de la République, membre du clergé combattant et du Front de la Participation, ainsi que Behzad Nabavi, dirigeant de l’ «Organisation des Moudjahidine de la Révolution Islamique» et ministre de l’industrie lourde sous le gouvernement de Mir Hossein Moussavi, ont été arrêtés à leur domicile ou lors de réunion pour organiser la suite du mouvement.


Tout porte à croire que les ultraconservateurs avaient tout préparé à l’avance, saisissant l’occasion pour museler leurs concurrents réformateurs qui gagnaient du terrain. La falsification des résultats ne laisse aucun doute et la situation ressemble, à s’y méprendre, à un coup d’Etat, fomenté par les ultraconservateurs, soutenus par les Pasdarans, les «Gardiens de la Révolution».


La situation n’est pas nouvelle. L’élection de Bani sadr, premier président de la République, avait créé le même enthousiasme. On était face à un président qui souhaitait consolider les bases républicaines du pouvoir islamique. Se sentant menacés, les ultraconservateurs, menés à l’époque par l’Ayatollah Khomeiny, renversèrent Bani Sadr. L’éviction illégitime de Bani sadr, déjà qualifié de coup d’Etat, a mis fin à l’espoir de créer un Etat de droit en Iran.


L’élection de Khatami était la deuxième tentative des réformateurs pour institutionnaliser l’ordre établi. Face à l’intransigeance des ultraconservateurs et à la mollesse de Khatami et de ses soutiens, le mouvement a fini par créer une atmosphère apaisante en Iran.


L’élection éventuelle de Mir Hossein Moussavi pouvait souffler un nouveau et puissant mouvement de réformes démocratiques en Iran. Cette troisième tentative des réformateurs pour créer l’Etat de droit en Iran a été écrasé dans l’œuf, avant même sa naissance.


Il est indéniable que la société iranienne est enceinte de réformes démocratiques et les tentatives à répétitions de mouvement de réformes, émanant des caciques du régime, ne font que confirmer ce besoin pressant de changement qui souffle sur l’Iran et qui font vaciller les fondements dictatoriaux des ultraconservateurs.


L’installation d’un pouvoir démocratique en Iran, puissance militaire, économique et morale au Moyen-Orient, ne sera pas sans conséquences sur les pays arabo-musulmans, qui souffrent tant de régimes dictatoriaux. Le coup d’Etat de Téhéran devrait donc consolider la position des Etats-Unis parmi ses pays «amis» dans la région.


La ou les prochaines tentatives de changement démocratique en Iran finiront un jour par aboutir. C’est le sens de l’Histoire. Le mouvement démocratique en Iran n’a pas dit son dernier mot. Les Iraniens ont montré qu’ils sont assez patients.

11.6.09

Election présidentielle en Iran

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 11 juin 2009


cpjmo@yahoo.fr


La révolution iranienne continue


●L’élection présidentielle révèle la montée en puissance de la société civile en Iran



Tout le monde a observé que l’actuelle élection présidentielle iranienne avait des similitudes avec celle qui a mené Mohammad Khatami, l’ancien président réformateur de la république islamique, au pouvoir. En effet, la société civile, en particulier les femmes, les jeunes et les intellectuels, participent activement à la campagne. Les partisans du président sortant ne sont pas en reste et montrent des signes de nervosité. Des heurts ont éclaté entre les deux camps et un jeune âgé de 18 ans, membre de l’état major électoral de M. Hossein Moussavi à Meched, ville sainte du chiisme à l’est de l’Iran, a été assassiné.


La campagne présidentielle en Iran fait partie de ces rares instants où le peuple peut s’exprimer librement et choisir l’un des candidats désignés par le régime théocratique. En effet, les différentes tendances au sein du régime, avec des idéologies et des intérêts différents voire divergents, disposent d’une certaine liberté pour s’exprimer. Une «certaine liberté» ne signifie pas autant de liberté que celle dont dispose la fraction ultraconservatrice du clergé, représentée par le «Guide de la Révolution», Ali Khamenei, le «jurisconsulte» (velayat-e fagih), la plus haute autorité de l’Etat. Depuis trente ans, cette fraction a étendu sa domination sur tous les leviers du pouvoir, surtout l’armée et la justice, limitant le champ de manœuvre de la fraction dite réformatrice qui œuvre pour l’institutionnalisation de l’ordre politique.


Des journaux associés à cette tendance sont fréquemment frappés d’interdiction. Yassé Now en est un exemple. Interdit de publication il y a cinq ans, il est réapparu en mai 2009, mais a été interdit à nouveau après avoir publié un seul numéro. Le journal appelle à voter pour Mir Hossein Moussavi qui a critiqué sa fermeture.


Comme nous l’avons écrit dans le communiqué n°33 du 13 mai 2007 : la «suprématie de l’institution religieuse à la tête de la révolution bourgeoise, impose des épreuves douloureuses et prolongées à la société : la révolution, inachevée, devrait se terminer d’une manière ou d’une autre, avec l’enterrement définitif de l’institution religieuse en tant que force politique majeure. En Iran, berceau de la «révolution islamique», le débat fait rage sur le rôle de l’islam en politique et, malgré son omniprésence, le «velayat-e fagih» (le gouvernement d’un jurisconsulte) est de plus en plus contesté par le peuple et par certains cercles du pouvoir. L’Histoire nous apprend que «le gouvernement d’un jurisconsulte» est condamné à disparaitre».


S’appuyant sur la société civile, les réformateurs, menés par Mir Hossein Moussavi, tentent une deuxième fois (après Mohammad Khatami) de consolider l’institutionnalisation de l’ordre politique, basé sur les institutions laïques dont font partie le Parlement et le gouvernement. L’instauration de l’Etat de droit est un objectif majeur de ce mouvement citoyen.


La victoire éventuelle de Mir Hossein Moussavi, s’il tient ses promesses envers la société civile, affaiblira le pouvoir personnel du «Guide» qui a clairement affiché son soutien au président sortant, Mahmoud Ahmadinejad.


Au volet politique s’ajoute le volet économique, représenté par l’ancien président de la République, Hachémi Rafsandjani, l’une des fortunes du pays. En effet, le secteur privé se développe en Iran et des banques privées, telles que Pârsian, liées à Iran Khodro, la plus grande entreprise automobile du Proche-Orient, se multiplient dans le paysage économique de l’Iran. «Iran Khodro» a des ambitions internationales et elle exporte déjà, entre autres, vers l’Algérie, l’Egypte, l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Arménie, la Bulgarie, la Roumanie, l’Ukraine et la Russie(1). Pourtant, l’industrie iranienne souffre du blocus économique trentenaire du pays, du manque de crédits, de la fermeture du marché mondial de la technologie, des composants et des pièces détachées.


Conscient des tensions au sein de la société iranienne et des attentes de la bourgeoisie réformatrice, Barack Obama provoque sans cesse en parlant de «la main tendue» vers l’Iran. La bourgeoisie iranienne n’est pas dupe, mais souhaite saisir la perche tendue.


A leur tour, les ultraconservateurs n’ont pas dit leur dernier mot. La fin du «gouvernement d’un jurisconsulte» n’est pas pour demain. Khamenei et sa clique sont encore très puissants. Les «Gardiens de la révolution», garde prétorienne de la République islamique, leur sont acquis. A la tête de différentes fondations riches et puissantes, dont la «Fondation des déshérités», les ultraconservateurs gèrent un pan important de l’économie du pays. «Selon les données disponibles, elle (la Fondation des déshérités- NDLR) possède plus de 400 sociétés et produit 53% de l’huile pour moteur, 43% des boissons non alcoolisées, 27% des fibres synthétiques, 26% des pneus, 20% du sucre, 20% du textile ou encore 30% des produits laitiers. Elle détient 43% des hôtels et, en 1994, a construit 2,4 millions de mètres carrés de centres commerciaux et d’immeubles d’habitation» (2). Faut-il rappeler que le clergé chiite est également le plus grand propriétaire foncier de l’Iran.


Il est à souligner qu’il n’y a aucune similitude entre le mouvement des réformateurs de la République islamique et les «révolutions de velours» en Ukraine ou en Géorgie, provoquées et financées par les Occidentaux, en particulier les Américains. Les ultraconservateurs et les réformateurs sont encore très liés les uns aux autres. En s’appuyant sur la société civile, le mouvement actuel des «réformateurs» tend à établir un nouvel équilibre des forces au sein du régime. C’est une nouveauté qui révèle la montée en puissance de la société civile en Iran.


Le mouvement citoyen actuel en Iran s’inscrit dans la droite ligne d’un mouvement démocratique dont l’objectif est d’achever la révolution bourgeoise iranienne, commencée il y a 103 ans, après la victoire de la révolution constitutionnelle de 1906. L’actuel mouvement citoyen ne sera pas le dernier et la société en verra d’autres, pacifiques ou violents, jusqu’à la victoire finale et la proclamation de la République d’Iran.


1- Le Monde Diplomatique de juin 2009.

2- La République islamique d’Iran- Azadeh Kian- Thiébaut- Editions MICHALON- 2005.