Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 21 août 2009
Faut-il «mourir pour Kaboul»?
Après la conquête d’un pays, l’occupant met en place un pouvoir local, aux ordres de la puissance occupante. C’est un scénario connu et expérimenté par toutes les puissances colonialistes dont l’objectif consiste à perpétuer leur domination via leurs fantoches locaux.
Depuis 2001, date de l’occupation de l’Afghanistan, le colonialisme américain a changé de tactique, sans changer d’objectif. A la place de collabos sanguinaires à la Pinochet, ce sont désormais des civils à la Hamid Karzaï ou Nouri Al-Maliki (premier ministre irakien), costume trois pièces, cravate et défenseur des «libertés démocratiques», qui gèrent le pouvoir colonial.
Contrairement à l’ancienne approche où un dictateur militaire prenait le pouvoir et le conservait presque à vie, la nouvelle approche américaine autorise le duel entre collaborateurs civils divisés.
Les dernières élections législatives irakiennes éclairent bien la nature des prétendants à la députation et autres responsabilités sous la botte de l’occupant. Un exemple: les candidats de Fallouja, ville martyre, rasée par les marines de l’armée américaine, appartiennent à l’une ou à l’autre des grandes tribus du cru. La plupart se flattent d’avoir fait partie des fameux «comités du Réveil»(1), supplétifs de l’armée américaine. Les miliciens des comités sont rémunérés 300 dollars par mois par le Pentagone. Des millions ont été distribués aux chefs des tribus qui se sont fait construire des palais de marbre et circulent dans des limousines blindées. Conséquences : «tous ces millions déversés par les Américains sur les cheiks ont fractionné les tribus et créé de très dangereuses inimitiés (…) La compétition entre les clans est acharnée»(1). Nous voyons bien qu’avec quelques poignées de dollars, l’occupant achète les notables locaux qu’il «divise pour mieux régner». L'Assemblée nationale irakienne est remplie majoritairement de tels «députés», entretenus par la puissance occupante.
Les élections permettent à l’occupant américain de donner l’impression que tout est possible par la voie démocratique, même l’expulsion de l’occupant. Exemple: l’«Accord sur le retrait des troupes étrangères» d’Irak. Il a été approuvé par les trois quarts des 220 élus irakiens.
Mais il y a un flou savamment entretenu par l’occupant américain : ce texte de 31 articles fait l’objet d’interprétations différentes selon qu’il est lu en arabe ou en anglais. «Les Américains qui n’ont rendu publique leur propre version qu’après le vote de jeudi (…), estiment par exemple que l’article qui les obligera à informer les Irakiens «avant» toute opération militaire sur leur territoire ne les contraint pas à prévenir de la date ou du lieu exact d’une offensive» (2). Il va sans dire que les Américains avanceront des raisons «sécuritaires» pour justifier leur malhonnêteté. Il faut être naïf pour croire que les collabos irakiens ignoraient le caractère flou dudit accord.
Il en va sûrement de même avec tous les autres accords ou lois, votés ou discutés à l’«Assemblée nationale élue» qui octroient «légalement» les coudées franches à l’occupant étranger.
La situation est-elle différente en Afghanistan? Après la conquête de l’Afghanistan, les États-Unis ont mis à la tête de l’état colonial Hamid Karzaï, un ancien cadre d’une compagnie pétrolière américaine, «cet homme corrompu, entouré de chefs de guerre cruels sans doute responsables de crimes contre l’humanité»(3). Dans son éditorial, intitulé «mourir pour Kaboul», Olivier Picard, éditorialiste aux DNA, se déchaîne contre H. Karzaï qui «n’a fait guère évoluer le statut des femmes: une loi récente (…) prévoit qu’un mari peut légitimement priver son épouse de nourriture si elle lui refuse un rapport sexuel»(3).
Question : pour permettre aux Afghans de choisir entre deux criminels de guerre comme H. Karzaï et son rival A. Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères, vaut-il la peine de «mourir pour Kaboul»? La réponse d’Olivier Picard est positive. L’éditorialiste connaît-il vraiment les limites de l’inacceptable?
Le peuple constitue pourtant l’enjeu des élections. Que font les colonialistes et leurs marionnettes pour l’arracher à l’emprise croissante des résistants afghans, stigmatisés par diverses appellations telles que talibans ou insurgés? Hormis les lois moyenâgeuses, les situations économique et sociale ne favorisent guère l’occupant et ses collabos. Frédéric Bobin, journaliste au Monde a écouté les Afghans, mesurant la déception de la population à l’égard d’une «reconstruction» riche en «promesses non tenues»(4). Voici les griefs: le chômage dans les familles, la misère des salaires (quand il y en a), la mauvaise qualité de l’éducation, la crise du logement («Nous sommes à quinze dans deux pièces»), la corruption des nouveaux maîtres, l’insécurité ambiante avec une peur panique des enlèvements d’enfants»(4).
Pourtant, l’argent ne manque pas. Selon un rapport du Congrès américain, les États-Unis dépensent 100 000 000 de dollars par jour dans les opérations militaires en Afghanistan(5). Ce qui représente 36,5 milliards de dollars par an. C’est plus que le PNB (Produit national brut) de la Bulgarie (35 milliards de dollars)(6). C’est sans parler des milliards de dollars déversés sous forme d’«aide à la reconstruction» qui disparaissent, comme l’eau dans le sable, sans laisser de trace.
A qui profitent ces dépenses militaires colossales? Au complexe militaro-industriel et entreprises affiliées des États-Unis et des pays engagés. L’objectif, hormis les intérêts géopolitiques évidents de l’Afghanistan, c’est de piller et de massacrer les peuples de la région dans le seul but de faire tourner et enrichir l’industrie militaire.
Le colonialisme occidental teste depuis plus de deux siècles ses recettes démagogiques auprès des peuples du Moyen-Orient. Alors, pourquoi aujourd’hui le peuple afghan devrait-il faire plus confiance aux occupants étrangers et à leurs laquais locaux? Avec ou sans élections, où la fraude est massivement présente, les dés sont jetés: les Afghans ne veulent pas des occupants étrangers.
(1) Patrice Claude- Le Monde du 01-02/02/09.
(2) P.C.- Le Monde du 29 novembre 2008.
(3) Olivier Picard- Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) du 20 août 2009.
(4) Le Monde du 19 août 2009.
(5) Le Monde du 09 février 2008.
(6) Bilan du monde 2009.