27.12.09

Analyse 26 (2009)



Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 27 décembre 2009


cpjmo@yahoo.fr


Les deux défis de l’opposition iranienne


C’est un fait que le mouvement d’opposition iranienne attire la sympathie des peuples d’Occident. Dans la presse occidentale, les superlatifs n’ont pas manqué pour parler du courage des manifestants, bravant mains nues la violence policière.


Le «mouvement vert» en Iran serait-il de même nature que celle des révolutions de couleurs serbe, ukrainienne et géorgienne, activement soutenues et encouragées par les services et les ONG occidentaux?


Certains anticolonialistes, ignorant l’histoire moderne iranienne, n’hésitent pas à qualifier le «mouvement vert» de cheval de Troie du colonialisme occidental en Iran. Un tel jugement, s’il ne résulte pas du manque de connaissance de l’histoire moderne iranienne, résulte souvent plus d’un raisonnement simpliste que de la mauvaise intention. D’autant plus que le pouvoir iranien, acculé et en perte d’audience, traite les meilleurs fils de la révolution islamique, ceux-là même qui ont occupé, ou qui occupent encore, d’importants postes à responsabilité, de «traitres» ou d’«agents de l’impérialisme».


Pour comprendre l’essence même du «mouvement vert», il est nécessaire de revoir les pages récentes de l’histoire de l’Iran et de se demander pourquoi le pouvoir iranien n’arrive toujours pas à venir à bout du «mouvement vert» ou de ses dirigeants?


L’actuel mouvement d’opposition est la prolongation d’un vieux mouvement démocratique et populaire. Celui-ci prend racine dans le mouvement qui a abouti à la victoire de la révolution constitutionnelle de 1906. La répression accrue de l’opposition iranienne ne peut que retarder le but final des manifestants : l’avènement de la République d’Iran, vieux rêve de plus de cent ans!


Historiquement parlé, après la dynastie des Pahlavi, soutenue par les colonialistes anglo-américains, le pouvoir actuel en Iran représente le dernier obstacle face à la République d’Iran, démocratique et respectueuse des libertés fondamentales. Faut-il rappeler que, sur le plan scientifique, économique et social, l’Iran s’est notablement modernisé. Le mouvement n’est plus seulement estudiantin, il est devenu populaire, avec la participation massive d’hommes et surtout de femmes instruits, motivés et épris et libertés.


Le «mouvement vert» iranien présente des similitudes avec les mouvements de contestation soviétique et chinois, qui ont ébranlé la dictature du parti unique. En effet, après l’unité nécessaire à la victoire des révolutionnaires sur les ennemis intérieurs et extérieurs, arrive le temps de la gestion du pays. Or, une fraction d’anciens révolutionnaires s’empare peu à peu des rouages du pouvoir économique et militaire, s’octroie des avantages en tout genre et se transforme en une nouvelle oligarchie. C’est le cas en Iran où le «guide de la révolution» est à la tête de diverses fondations qui se sont approprié une grande partie des entreprises, des terres, et d’autres biens privés confisqués. Selon certaines estimations, ces structures monopolistiques contrôleraient jusqu’à 40% du PIB (produit intérieur brut)(1). Les Pasdarans, l’armée idéologique du pouvoir, gère également, à travers ses sociétés, des pans entiers de l’économie du pays : BTP, pétrole et gaz, télécom, etc.


Une autre particularité du pouvoir autoritaire qui s’est mis en place après la victoire de la révolution- soviétique, chinoise, iranienne- c’est le non respect, par le pouvoir, des libertés démocratiques et de la séparation des pouvoirs, inscrits dans la Constitution.


Afin de réprimer l’opposition qui réclame le respect de la Constitution, le pouvoir autoritaire l’accuse de collusion avec l’«ennemi impérialiste». Les «procès de Téhéran» ressemblent étrangement aux «procès de Moscou» où l’accusé, sans aucun droit, ni avocat digne de ce nom, «avoue» ses «crimes». Certains dignitaires religieux ont lancé des «fatwas» déclarant illégitimes les aveux télévisés, arrachés sous la torture.


Les opposants soviétiques et chinois, durement réprimés, n’ont pas atteint leur but: créer une société démocratique. L'Union soviétique a payé cher l’aveuglement de ses dirigeants : la perte du soutien populaire, la putréfaction du système puis son effondrement. Qu’en sera-t-il de la Chine? De l’Iran?


Issus de la nomenklatura religieuse, les dirigeants de l’opposition iranienne sont assez intelligents pour s’appuyer sur le mouvement démocratique, profond et puissant. Contrairement aux révolutionnaires soviétiques ou chinois contestataires qui furent évincés, voire fusillés par le pouvoir entre les mains du parti unique, le pouvoir iranien est très divisé entre «fondamentalistes», «fondamentalistes modérés», «fraction de la ligne de l’imam», etc.


L’actuel mouvement d’opposition a toutes les chances de résister longtemps aux assauts du pouvoir iranien. Son objectif à court terme sera de pousser à la création d’une société démocratique, où les libertés fondamentales, inscrites dans la Constitution, seront respectées. C’est un mouvement qui peut être long et rien n’indique qu’il y parviendra pacifiquement. Par contre, le cycle répression-résistance pourrait conduire à la transformation radicale du mouvement actuel, balayant le pouvoir et les dirigeants actuels de l’opposition, qui ne cessent de mettre en garde contre la montée de la radicalisation.


Le deuxième défi du mouvement d’opposition consiste à veiller à la souveraineté politique de l’Iran. En effet, les liens trop étroits du pouvoir iranien avec les Russes, ont de quoi inquiéter. Au cours de l’histoire, les Russes se sont montrés aussi agressifs avec l’Iran que les anglo-américains. La Révolution constitutionnelle de 1906 a dû combattre le soutien russe du dernier roi Qadjar. Pour achever la centrale atomique de Buchehr, les Russes trainent les pieds et ne livrent pas les batteries antimissiles S 300 à l’Iran. Pour les Russes, face à l’Occident, l’Iran est une carte à jouer. Ce que conteste le mouvement d’opposition qui réclame plus de fermeté face au jeu russe.


Question: l’opposition poursuivra-t-elle une politique conciliante avec l’Occident au Liban et en Palestine? C’est oublier que la politique moyen-orientale de l’Iran est dictée par des considérations géopolitiques. Encerclé par une centaine de bases militaires américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale et constamment menacé de bombardement ou d’invasion par des forces colonialistes occidentales, l’Iran ne peut se défendre qu’en formant une vaste coalition régionale, englobant des résistances anticolonialistes afghane, irakienne, libanaise et palestinienne. Les missiles iraniens du Hezbollah libanais braqués sur Israël immobilisent une grande partie des forces sionistes qui n’osent pas s’attaquer à l’Iran. La politique moyen-orientale de l’Iran est celle de toute la classe politique, y compris celle des dirigeants de l’opposition qui ont occupé d’importants postes à responsabilité au sein de l’Etat.


Un exemple de la lucidité de l’opposition: elle s’est opposée- avec raison- à la décision d’Ahmadinejad de livrer à l’Occident de l’uranium enrichi, carte maitresse dans les négociations en cours avec l’Occident.


Pour rester souverain, l'Etat iranien, qu’il soit dirigé par des laïcs, des religieux ou d’autres composantes de la société, n’a d’autre choix que de suivre les grandes linges de l’actuelle politique étrangère.


(1) P. Escobar, «the Roving Eye», Asia Times on Line, 5 juin 2002. http://www.atimes.com (cité par Azadeh Kian-Thiébaut, dans son livre «la République islamique d’Iran»- Editions Michalon)

6.12.09

Analyse 25 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 06 décembre 2009

cpjmo@yahoo.fr


Quel bilan pour Obama?


Le prix Nobel de la Paix a choisi l’affrontement avec l’Iran et l’intensification de la guerre en Afghanistan : ce sera pire que le Vietnam. Avec l’Iran, Obama a essuyé son premier échec diplomatique.

Avec le temps, B. Obama montre qu’il est avant tout le gardien zélé de l’héritage de Georges Bush. C’est ce qui ressort de ses propos- «il faut finir le travail»- et de sa décision d’intensifier la guerre d’Afghanistan, en y expédiant 30 000 militaires supplémentaires. Actuellement, les États-Unis déploient 69 000 militaires en Afghanistan. Ses alliés de la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) y regroupent 39 000 soldats.

L'Afghanistan est devenu comme une sorte d’«auberge espagnole». On y trouve des militaires canadiens, hollandais, italiens, français, britanniques, slovaques, géorgiens, Sud coréens,… chaque contingent ayant ses propres traditions militaires et culturelles, ne maitrisant pas forcément la culture militaire- ou la culture tout court- et la langue des militaires américains.

Dans une armée, l’obéissance aveugle aux gradés supérieurs- la discipline- maintient la cohésion. De même, la suprématie des Etats-Unis impose la discipline- la soumission- aux forces alliées. Acceptent-elles une telle soumission sans broncher? Déjà, au sein de l’armée américaine, les suicides et les coups de folie meurtriers se multiplient. Qu’en est-il vraiment des relations entre militaires américains et alliés? Silence radio.

La question est de savoir si une telle armada internationale, constituée de militaires se trouvant souvent à des milliers de kilomètres de chez eux, ne sachant souvent pas pourquoi et pour qui ils se battent, pourra être efficace face à un peuple qui se bat pour son indépendance, sa souveraineté territoriale et politique?

Face à la résistance afghane, on trouve un gouvernement mis en place par des puissances étrangères, dirigé par Hamid Karzaï et sa clique de corrompus, chargés– c’est un comble !- de combattre la corruption. Côté envahisseurs, l’armada est dirigée par le général McChrystal, accusé d’avoir supervisé des séances de torture et des violations des droits de l’homme sous la présidence de Bush, lorsqu’il était affecté au camp Nama en Irak, en tant que commandant des forces spéciales (Courrier international N° 989 du 15 au 21 octobre 2009).

Les militaires français parlent désormais de la franche hostilité des Afghans, de la perte de la bataille pour le «cœur et les esprits». Les puissances occidentales vont continuer à s’endetter, remplir les caisses du complexe militaro-industriel, des sociétés privées de mercenaires et des milieux financiers associés, appauvrir la population qui gronde de plus en plus et qui risque fort de descendre dans la rue pour réclamer de meilleures conditions de vie.

En décidant d’envoyer 30 000 renforts supplémentaires en Afghanistan, B. Obama a définitivement rompu avec son image d’homme de paix dont il était auréolé avant son élection. Il est actuellement soutenu par 60% des républicains qui pensent que la guerre mérite d’être menée. C’est une nouvelle victoire des va t’en guerre du Pentagone, représenté par le ministre de la défense Robert Gates.

La logique qui a conduit à la chute des anciennes puissances coloniales (britannique et française) est depuis longtemps enclenchée pour les États-Unis. Il arrive un moment où les dépenses de guerre ne sont plus couvertes par les gains issus de l’exploitation des colonies. Selon le Pentagone, l’expédition afghane coûte un million de dollars par soldat et par an (Le Monde du 02/12/09). Ce qui représente 100 milliards de dollars par an pour une armée de cent milles hommes. A cela, il faut rajouter les dépenses colossales engagées pour colmater les brèches de la crise économique et le déficit américain qui, pour 2010, devrait atteindre 1500 milliards de dollars, soit plus de 10% du PIB.

L'Afghanistan ne sera pas un nouveau Vietnam: ce sera pire. Il annonce l’accélération de la chute de l’Empire maléfique.

La guerre américaine en Afghanistan fait partie de la stratégie des États-Unis de domination planétaire; elle est étroitement liée aux conflits palestinien, libanais et aux tensions dominant dans les relations entre l’Iran et les États-Unis.

Avec l’Iran, l’administration Obama a essuyé son premier échec diplomatique. En effet, face aux difficultés des États-Unis, l’Iran défie constamment les Américains, refuse de plier l’échine, conserve son uranium enrichi et entretient le flou sur son projet nucléaire. L'Iran se déclare même prêt à un affrontement militaire avec les Etats-Unis, empêtrés dans deux guerres dévastatrices au Moyen-Orient et en Asie centrale.

Nous voyons bien que la politique américaine à l’égard de l’Iran n’a pas changé. La position géostratégique de l’Iran, ses richesses naturelles et son marché font saliver les stratèges américains. L'Iran cherche-t-il à négocier l’étendue de son influence en Afghanistan, comme il le fait en Irak? C’est une grande raison de friction entre l’Occident (les États-Unis et leurs alliés européens) et l’Iran.

Israël, insensible à la colère qui enfle chez les Palestiniens et les anticolonialistes, développe toujours sa colonisation en Cisjordanie. Les rodomontades des Occidentaux ne trompent personne. Tout le monde sait que les Etats-Unis et leurs alliés israélien et européen, foncent tête baissée et essaient de forcer les obstacles à coup de pression militaire et de menaces en tout genre. Les États-Unis ne veulent pas céder un pouce de leur zone d’influence. C’est aux autres (Palestiniens, Iraniens, Syriens, etc.) de faire davantage de concessions.

Parlant de fiasco, l’éditorialiste du journal Le Monde du 13 novembre 2009 écrit : «Au Proche-Orient, il n’y a pas de «processus» de négociation en cours. Il n’y a pas non plus de perspective de paix. La situation régresse. Dangereusement. C’est d’abord le fait des États-Unis». L’éditorialiste conclut poliment: «Le prix Nobel de la paix 2009 est-il à la hauteur?».
Combien de temps tiendra-t-il cette position intransigeante? Que se passera-t-il si la situation changeait radicalement en faveur des forces anticolonialistes? Qui perdra le plus en cas d’une nouvelle déflagration au Moyen-Orient? Ces questions sont sûrement posées et discutées dans les bureaux et couloirs des chancelleries.

Les États-Unis, leur allié israélien et les anticolonialistes, se regardent en chiens de faïence. Cette position de ni guerre, ni paix ne durera pas longtemps.

Il y a de fortes chances que l’Iran et les Etats-Unis arrivent à s’entendre sur l’Afghanistan. Ça n’empêche, le compte à rebours de la première déflagration de l’époque Obama au Moyen-Orient est enclenché.

1.11.09

Analyse 24 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 1er novembre 2009


cpjmo@yahoo.fr


Pourquoi l’Occident cherche-t-il à désarmer l’Iran?


L'Occident, mené par les États-Unis, s’arrogeant, de surcroit, le titre pompeux de «communauté internationale», n’a qu’une idée en tête: désarmer l’Iran. En effet, arracher 1200 kg d’uranium enrichi à 3,5%, parfait «colis» de dissuasion, équivaut, ni plus ni moins, à un début de désarmement.


Certes, ce désarmement n’a rien à voir avec celui de Saddam Hussein, qui a conduit à l’invasion de l’Irak. Mais, un désarmement a toujours des conséquences néfastes sur les intérêts nationaux et sur ceux géostratégiques du pays.


Souvenons-nous que l’Iran, situé au cœur du Moyen-Orient, dans une zone de grande turbulence, a été agressé à plusieurs reprises par les Empires russe, britannique, soviétique et américain. Ce dernier avait fomenté un coup d’état en 1953, renversant le Dr. Mossadegh et ramenant sur le trône le Chah déchu.


Après la victoire de la révolution de 1979, l’Iran a été agressé par l’armée irakienne soutenue par l’Occident, y compris la Russie. Ils ont fourni des armes et des munitions des plus sophistiquées à l’armée irakienne qui a pilonné sans répit, pendant huit ans, les villes et les infrastructures de l’Iran. L’aviation irakienne était principalement équipée de matériel russe et français.


Pour imposer la fin de la guerre, nuisible à la circulation dans le Golfe persique, un avion d’Iran-Air, avec plus d’une centaine de passagers civils à bord, fut abattu par la marine américaine au-dessus du Golfe persique.


L’invasion de l’Irak, puis de l’Afghanistan devait se poursuivre par celle de l’Iran, tâche cependant considérée très difficile par l’état major de l’armée américaine, enlisée, affaiblie et discréditée en Irak.


Ce fut l’occasion pour l’Iran de renforcer son potentiel militaire, ses réseaux d’influence dans la région et fabriquer des centrifugeuses. Les missiles iraniens ont montré leur efficacité lors de la guerre du Liban à l’été 2006, au cours de laquelle, la résistance libanaise a fait mordre la poussière à Tsahal. Depuis, le développement de l’arsenal balistique iranien, décrié en Occident, est évalué en fonction de sa portée pour atteindre, entre autres, la centaine de bases militaires américaines au Moyen-Orient et en Asie centrale, qui encerclent l’Iran.


Le comble de l’hystérie anti-iranienne fut atteint lorsque les États-Unis autorisèrent la France à installer une base militaire à Abou Dhabi, à 250 km au sud de l’Iran.


Au fur et à mesure du redressement de la situation en faveur de l’Iran et de la résistance anticolonialiste de la région, les Américains modifièrent leur comportement, acceptant le rôle joué par l’Iran qui, à son tour- et suite à une entente avec eux- calma l’ardeur de ses partisans irakiens. Ceci permit à l’armée américaine de commencer à rapatrier d’Irak une partie de ses militaires.


Faut-il rappeler qu’une entente entre deux puissances ressemble à un marché où règne la loi du donnant-donnant.


La puissance militaire iranienne, ses missiles, ses centrifugeuses et son influence régionale sont des moyens de pression qui permettent à l’Iran de contrer l’agressivité de ses adversaires, d’empêcher l’invasion de son territoire et d’arracher un maximum de concessions lors des pourparlers.


A leur tour, les puissances occidentales regardent d’un mauvais œil le progrès accompli par leurs adversaires. Le jour où l’Union soviétique voulut développer le nucléaire militaire, les États-Unis la menacèrent d’un bombardement nucléaire. Un vaste mouvement mondial pour la paix empêcha les États-Unis, alors uniques détenteurs de l’arme nucléaire, de passer à l’action.


L’Iran se trouve dans la même situation que l’Union soviétique avant l’acquisition de l’arme nucléaire. Avec cette différence que, possédant des réseaux depuis les frontières chinoises jusqu’à la Méditerranée, l’Iran est en mesure de se défendre et de monnayer au prix fort sa collaboration.


Désarmer l’Iran, ou simplement empêcher le développement de son potentiel militaire, permettrait à l’Occident de parler en position de force avec l’Iran, de réduire ses prétentions de puissance régionale, de le «pakistaniser», c’est-à-dire le transformer en pion au service des intérêts géostratégiques de l’Occident, en particulier les États-Unis.


Sortir d’Iran l’uranium enrichi est un premier pas dans le complot occidental consistant à affaiblir l’Iran, sa souveraineté politique, sa souveraineté territoriale, son influence régionale et les mouvements anticolonialistes d’Orient.


Certes, le pouvoir théocratique iranien est sorti affaibli suite à l’élection présidentielle qui a reconduit pour quatre ans le bail d’Ahmadinejad. Le mouvement de contestation ne faiblit pas en Iran. Le clergé chiite et les fondamentalistes au pouvoir sont divisés. L’Occident sait bien qu’il est difficile au pouvoir iranien de se battre sur plusieurs fronts, intérieurs et extérieur. C’est pourquoi, pour arracher des concessions, l’Occident exerce des pressions de plus en plus fortes sur le pouvoir iranien, falsifie le compte-rendu des pourparlers, en se targuant à tort de la disponibilité des négociateurs à accepter les conditions posées par les puissances occidentales. Ceci, dans le but de diviser davantage la classe politique iranienne, pourtant réputée bonne «joueuse d’échecs»!


Mais, les Iraniens nationalistes et sourcilleux quant à l’indépendance du pays, ainsi que l’opposition, veillent. Le pouvoir iranien, aussi contestable soit-il, a montré qu’il est conscient de l’immensité des enjeux et qu’il n’est pas prêt à plier l’échine devant la pression occidentale.


La situation se dégrade de plus en plus en Afghanistan et au Pakistan. Le front s’élargit chaque jour et les Américains ont énormément besoin de l’influence iranienne pour «pacifier» leur zone d’influence en Asie centrale.


Faut-il rappeler que les États-Unis n’ont pas les mêmes intérêts stratégiques que l’Union européenne ou Israël, traités comme des pions. Ils doivent s’adapter à la stratégie américaine.


En effet, les États-Unis cherchent un compromis avec l’Iran, qui n'y rechigne pas, non plus. L’entente en Irak peut servir de modèle pour trouver un compromis en Afghanistan, «pièce» Ô combien stratégique, aux confins de quatre puissances mondiales et régionales: la Russie, la Chine, l’Inde et l’Iran. La suprématie planétaire des États-Unis en dépend. Autrement dit, l’Iran doit aider les États-Unis à perpétuer sa domination mondiale. Quelle «honte» pour l’Iran «anti-impérialiste» et pour les États-Unis, la plus grande puissance économique et militaire. C’est de la géopolitique!


La recherche de compromis va de pair avec les «moyens de pression». Donc tous les coups sont permis. L’uranium enrichi à 3,5% en fait partie.

6.10.09

Analyse 23 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 06 octobre 2009


cpjmo@yahoo.fr


Iran: combien de divisions? Combien de missiles?

Combien de centrifugeuses?


C’est en ces termes que les adversaires de l’Iran le jugent


Question: si l’Iran ne maîtrisait pas la technologie d’enrichissement d’uranium et de fabrication de missiles; si face à la machine de guerre israélienne, les amis de l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais, ne pouvaient pas aligner de missiles pour se défendre; finalement, si l’Iran n’avait aucun réseau d’influence en Irak et en Afghanistan, ses adversaires occidentaux (États-Unis, Angleterre, France et Allemagne), l’auraient-ils pris au sérieux et l’auraient-ils invité à débattre à la table des «Grands» le premier octobre 2009?


Quiconque un tant soit peu informé des lois qui régissent les rapports de force entre États, répondra, sans hésiter, négativement à la question posée.


Les pourparlers entre l’Iran et les 5+1 portent sur le partage de zones d’influence au Moyen-Orient et en Asie centrale. Mais, les médias occidentaux ne parlent que de la question nucléaire iranienne qui joue exactement le même rôle que les «armes de destruction massives», moyen de pression et prétexte ayant permis aux Etats-Unis et aux Britanniques d’envahir l’Irak, un pays jadis souverain.


Puisque les propagandes occidentales s’époumonent autour du nucléaire iranien, alors parlons nucléaire. Puissances technologiques et financières, les pays occidentaux (la France, l’Allemagne et l’Angleterre) n’ont jamais tenu parole et n’ont jamais voulu d’un Iran politiquement indépendant et technologiquement développé.


Nucléaire: les Occidentaux ont trompé l'Iran


Selon Akbar Etemad, ancien président de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran sous le Chah (vassal des États-Unis), les Européens ont fait perdre à l’Iran plusieurs milliards de dollars: «L'Allemagne a refusé d’accorder la licence d’exportation concernant les équipements complets des deux centrales nucléaires construites à Bushehr, au sud de l’Iran. Pourtant, ces équipements, qui sont entreposés depuis vingt-cinq ans en Allemagne, appartiennent à l’Iran parce que payés entièrement. (…) Quant à la France, elle a refusé à l’Iran le droit de faire enrichir son uranium dans l’usine d’enrichissement du Tricastin appartenant à la société Eurodif. Pourtant, l’Iran s’était associé au capital de cette société à hauteur de 10% pour avoir accès aux services d’enrichissement nécessaire pour l’approvisionnement de ses centrales en combustibles (…) La Grande Bretagne (…) a participé au front du refus en retenant un envoi d’uranium appartenant à Téhéran qui transitait par l’Angleterre à destination de Téhéran.»(1)


Conséquence : «Les Européens se sont dérobés à leurs engagements. Ces pertes se chiffrent en milliards de dollars et sans doute encore beaucoup plus en manque à gagner du fait de plus de vingt ans de retard dans la réalisation du programme nucléaire iranien»(1).


Question: Qui, des Iraniens ou des Européens, n’ont-ils pas respecté leurs engagements et les lois internationales? «Si l’Iran demandait la réparation des dommages subis, quelle serait l’attitude des pays européens?»(1).


Autant de questions et d’esquisses de réponses, montrant que les Européens ont floué l’Iran. Actuellement, de part et d’autre, la méfiance est de mise et le rétablissement de la confiance n’est pas pour demain.


Il est à souligner que ce n’est pas l’Iran qui a changé d’attitude. Il continue à enrichir de l’uranium. Ce sont les Européens qui ont modifié leur position envers l’Iran, parce que «Téhéran a réalisé une percée technologique importante dans le cycle du combustible nucléaire (…) On peut se demander pourquoi l’Iran accepterait de s’arrêter en si bon chemin»(1) (Souligné par nous). Force est de constater qu’aucune pression occidentale n’est plus en mesure d’arrêter le développement technologique de l’Iran, même si le progrès touche avant tout le domaine militaire et nucléaire. L’existence même de l’Iran en dépend.


Comme nous l’avons écrit plus haut, l’ordre du jour des pourparlers du premier octobre (date choisie par l’Iran), touche avant tout à des questions d’ordre politique, économique, géostratégique. Un exemple: en marge des négociations, William BURNS, négociateur américain, a rencontré son homologue iranien Saïd JALILI, pour parler…de l’Irak et de l’Afghanistan! Ces pourparlers se déroulent dans une ambiance de pressions réciproques.


Moyens de pressions


Quels sont les moyens de pression américains, iraniens, russes ou chinois?

L’Occident, en particulier les Américains, a de formidables moyens de pression technologique, financière et militaire. Sous la pression américaine, le Japon s’est retiré de l’exploitation d’un grand champ pétrolier en Iran, alors que l’Iran est le principal fournisseur de pétrole du Japon. Ce faisant, le Japon dépendra toujours des bons vouloirs des États-Unis qui, contrôlant les sources d’approvisionnement énergétiques, continueront à «maîtriser» le Japon.


De même l’Allemagne, principal partenaire commercial de l’Iran, commence à réduire, sous la pression américaine, son commerce avec l’Iran qui doit s’approvisionner auprès d’autres pays. Le marché iranien échappe aux entreprises allemandes qui ne ratent aucune occasion pour manifester leur mauvaise humeur. Les banques occidentales confisquent les avoirs iraniens et n’octroient pas de crédit aux sociétés occidentales qui souhaitent investir en Iran, dans l’industrie, le gaz et le pétrole.


La Chine résiste à la pression américaine et s’oppose à toute nouvelle sanction contre l’Iran. En effet, l’embargo américain contre l’Iran vise à couper la Chine de ses sources d’approvisionnement et de la faire dépendre, comme le Japon, des Etats-Unis. Couper la Chine du marché iranien constitue un autre objectif des Etats-Unis qui s’inquiètent des rapprochements politiques sino-iraniens.


Les pressions américaines sur l’Iran poussent ce pays à créer des réseaux parallèles et relativement chers : ainsi certaines marchandises traversent Dubaï. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, des produits américains arrivent en Iran via Dubaï.


Les pressions américaines s’exercent également sur la Russie, deuxième puissance nucléaire mondiale. Souvenons-nous des oligarques russes qui voulaient introduire le pétrole et le gaz russes dans les bourses occidentales (New York, Londres, Paris,…), brader ainsi la richesse russe et faire perdre la souveraineté économique, puis politique, au pouvoir russe. Les pressions américaines sur la Russie sont également d’ordre militaire. L’OTAN étend son influence jusqu’aux frontières naturelles russes, installant des bases militaires autour de la Russie, en Géorgie, en Azerbaïdjan et en Asie centrale. Ces moyens de pression sont actionnés lorsque l’Occident souhaite mettre la main sur la zone d’influence russe ou l’éloigner de l’Iran, son partenaire stratégique.


A son tour, l’Iran possède de formidables moyens de pression sur l’Occident. Ses réseaux d’influence en Irak, en Afghanistan et au Liban en font un redoutable adversaire des États-Unis au Moyen-Orient. Si un calme précaire prévaut en Irak, c’est avant tout grâce à l’Iran qui, en quelque sorte, cogère l’Irak avec les États-Unis. Sous la pression de Téhéran, l’Armée du Mahdi a rangé ses armes et participe aux élections et autres activités politiques «pacifiques». Jusqu’à quand?


Le même phénomène s’observe en Afghanistan où l’Iran, influent à l’ouest, au centre et au nord, est en mesure de mener la vie dure aux troupes de l’OTAN.


Que cherche l'Iran?


Que cherche l’Iran? Sa sécurité, le respect de ses intérêts et de sa zone d’influence en tant que grande puissance régionale. L’Iran et les Etats-Unis sont obligés de s’entendre, malheureusement, sur le dos des peuples de la région qui rejettent toute domination étrangère, qu’elle soit américaine ou iranienne. Cette entente américano-iranienne n’ira pas sans accrochage. Les puissances militaires sont à la merci de la résistance des peuples, des problèmes économiques, de l’enlisement et des contestations nationales, voire mondiales, et des coups bas des adversaires, détériorant d’autan le moral des troupes et sapant l’autorité de l’envahisseur qui finit un jour par plier bagage. Nous n’en sommes pas encore là, mais le rapprochement des États-Unis avec l’Iran montre bien que l’Amérique souffre de ses guerres et a énormément besoin de l’Iran.


Les pourparlers entre l’Iran et ses adversaires sont très complexes et portent essentiellement sur le partage de zones d’influence. Vouloir les limiter à la question nucléaire (moyens de pression) relève de la propagande ou de la myopie. Les discussions nous réserveront bien des surprises.


(1) Le Monde du 20 janvier 2005.