Paix et Justice au
Moyen-Orient
STRASBOURG, le 13 février 2018
La poussée vers l'Ouest de l'axe Iran-Russie
Nous
l’avions écrit dans l'Analyse 13 du 2 décembre 2016 : «La poussée vers l'Ouest» des forces
Russes et Iraniennes a modifié la donne géopolitique mondiale (…) La victoire
attendue de l'axe Russie-Iran, en particulier à Alep, annoncera la fin d'un
monde unipolaire sous la coupe américaine et la naissance d'un monde
multipolaire où la Russie, la Chine et l'Iran auront leur mot à dire. (…)
L'avenir nous dira où s'arrêtera la «poussée
vers l'Ouest» des puissances militaires orientales ?»
Pour
l'heure, l'Est de la Méditerranée
reste l'horizon fixé par l'Iran et la Russie. Sept années de guerre en Syrie
(2011-2018) ont permis à l'armée syrienne, épaulée par des «Forces de défense nationale» (une milice
supplétive de l'armée régulière syrienne) - soutenues par des conseillers
militaires iraniens ainsi que des milices chiites (Hezbollah libanais et
milices d'origine irakienne, afghane, pakistanaise) formées par l'armée
iranienne - de libérer la Syrie utile située sur le littoral méditerranéen. La
Russie y dispose de deux bases militaires : bases de Hmeimim (située au sud-est de la ville de Lattaquié dans
le gouvernorat de Lattaquié) et Tartous.
La Russie, une puissance nordique loin des
théâtres stratégiques
Il est à souligner
que, contrairement aux puissances militaires occidentales (Grande Bretagne,
Etats-Unis, France), la Russie est une puissance nordique, sans accès direct
aux mers chaudes, en particulier à la
Méditerranée. Elle fut un théâtre stratégique de premier plan durant la guerre
froide. En effet, l'URSS avait noué des liens militaro-stratégiques avec
l'Algérie, l'Egypte, la Libye et surtout la Syrie où elle disposait d'un port
d'attache dans la ville de Tartous.
L'engagement
de Moscou en Syrie lui permet de poursuivre un
vieux rêve impérial et, grâce à l'invitation de l'Iran, de faire un retour
triomphal en Méditerranée. Car, seule, elle n’a pas les moyens d’imposer son leadership dans la région. Un exemple : la
base syrienne de Hmeimim n’est pas capable de recevoir des bombardiers
stratégiques. C'est pourquoi, les Tu-22M3 sont obligés de s’envoler de la base
russe de Mozdok (Caucase du Nord), à 2000 km de la Syrie, pour y revenir
ensuite. Ce long trajet, entre autres, réduit le nombre de bombes et de missiles
portés.
C'est
l'Iran qui autorise les bombardiers russes à survoler son espace aérien, à
lancer, depuis l'Ouest de l'Iran, des missiles de croisière sur des cibles
ennemies en Syrie, ou à disposer de la base aérienne de Nojeh à Hamedan, à
l'Ouest de l'Iran. Les navires de guerre russes ont lancé des missiles de
croisière vers la Syrie, depuis une base militaire iranienne, située au Sud de
la mer Caspienne.
L'Iran adepte du «néocolonialisme»
Question :
Comme la Russie, l'Iran souhaite-t-il disposer de bases militaires en Irak ou
en Syrie ? La réponse se trouve dans l'histoire de l'Iran ( ou de l'empire
Perse) qui a souvent mobilisé différentes ethnies au service des desseins
«impériaux».
Actuellement,
des milices d'origine libanaise, syrienne, irakienne, afghane, armées et
entraînées par des conseillers militaires iraniens, s'activent sur différents
théâtres de guerre au Moyen-Orient.
Vu
l'importance prise par l'axe Iran-Russie au Moyen-Orient, le Qatar, la Turquie,
le Hamas palestinien, d'obédience sunnite, et les Houthistes yéménites (mouvement rebelle, dont la branche politique porte
le nom d’Ansarullah, appartenant à la communauté zaïdite), se
rapprochent de l'Iran.
Il est à
souligner que des Palestiniens de Gaza, convertis au chiisme, ont organisé leur
propre mouvement nommé Al Saberin, soutenu par l'Iran.
La
présence de l'Iran en Irak, en Syrie ou au Liban, se résume à la présence de
conseillers militaires qui encadrent et forment des milices très influentes,
capables d'agir puissamment sur la scène politique intérieure du pays. Le
Hezbollah libanais a des députés au Parlement et pèse énormément sur le choix
du président de la République. De même en Irak. «L'importance prise par les
milices chiites irakiennes, vainqueurs de l'Etat islamique (EI), encadrées par
des conseillers iraniens, est telle qu'elles jouent actuellement un rôle de
premier plan dans les élections irakiennes. Selon Hosham Dawood, spécialiste de
l'Irak à l'Ecole des hautes études en
sciences sociales (EHESS) «les
Etats-Unis et l'Iran ont négocié directement pour former cette coalition»
électorale en Irak. «Leurs représentants
étaient là le jour de la signature». (Analyse 3 (2018)).
L’ingérence
dans les affaires intérieures d'un pays par conseillers militaires ou
diplomates interposés est synonyme de néocolonialisme.
C'est également la politique menée par les Etats-Unis au Moyen-Orient (en
Arabie saoudite, dans les émirats du Golfe Persique, en Egypte, en Jordanie,
etc.) et la France en ex-Afrique française où la France dispose de bases
militaires. Des contingents militaires français y sont même très actifs.
3 obstacles à la poussée vers l'Ouest
La poussée
vers l'Ouest de l'Iran n'est pas achevée. Il y a encore 3 obstacles : la Ghouta orientale, la banlieue de Damas,
où des djihadistes, naguère armés et financés par l'Arabie saoudite et les
Américains, résistent à l'offensive de l'armée syrienne. Idlib, la province située au Nord-Ouest de la Syrie. Les
djihadistes de l'ex-Front Al Nosra, (actuel Hayat Tahrir Al-Cham, une émanation
d'Al Qaida), naguère soutenus militairement par la Turquie, y mènent la
«résistance» face à l'offensive de l'armée syrienne. Tout porte à croire que
ces djihadistes, la force dominante dans la région d'Idlib, ont été lâchés par
la Turquie, décidée à venir à bout de la résistance des milices kurdes YPG
(unités de protection du peuple) qui menacent l'intégrité territoriale de la
Syrie, et par ricochet, celle de la Turquie.
Le
troisième obstacle est de taille. Il s'agit de 2000 militaires des forces
spéciales américaines, présents à l'Est de l'Euphrate. Marc Semo, analyste au Monde, a en partie raison, lorsqu'il
écrit : «Les Etats-Unis,
[soutenus par la France] sont décidés à
empêcher une totale victoire du régime syrien et une projection stratégique de
l'Iran vers la Méditerranée.» En effet, la présence américaine à l'Est de
l'Euphrate sert à faire pression sur la Russie qui a phagocyté la Crimée et
qui, par milice interposée, est présente en Ukraine.
Tout porte
à penser que la Ghouta orientale et Idlib ne résisteront pas longtemps à
l'offensive de l'armée syrienne, soutenue par l'aviation russe et des milices
chiites. Par contre, il sera plus difficile de déloger les combattants kurdes,
soutenus par 2000 forces spéciales de l'armée américaine, positionnés à l'Est
de l'Euphrate.
Israël au secours des Etats-Unis
En effet,
le 7 février, la troupe envoyée par l'armée syrienne à l'Est de l'Euphrate pour
déloger les Forces démocratiques syriennes (FDS) - composées majoritairement de
combattants kurdes - a été bombardée par l'aviation américaine. On dénombre
entre 45 et 100 morts côté syrien. Pour Robert Ford, ancien ambassadeur
américain à Damas, «les choses ne sont
pas terminées pour autant (…) Les
Américains et leurs alliés locaux doivent se préparer à des actions non
conventionnelles telles que des assassinats, des attentats à la voiture piégée
et des coups de main conduits par de petits groupes très mobiles». La
guérilla en quelque sorte !
Venant au
secours des Etats-Unis, et pour des raisons fallacieuses, l'aviation
israélienne a mené le 10 février des raids de grande ampleur en territoire
syrien.
L'ancien
ambassadeur est pessimiste; car «Les
Américains sont isolés. La Russie veut les sortir de l'est de la Syrie; l'Iran
veut les sortir de l'est de la Syrie; le gouvernement syrien veut les sortir de
l'est de la Syrie; et la Turquie est très hostile à leur approche. Il est
difficile de voir comment cela pourrait se terminer rapidement ou heureusement
pour les forces américaines.» (Le
Monde du 10 février 2018).
Une chose
est sûre : les belligérants ont déjà commencé à parlementer. Les Américains
affichent leur souhait de discuter avec les Iraniens du sort des prisonniers
américains en Iran; voire d'ouvrir une ligne de contact directe avec
les autorités iraniennes !