Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 16 novembre 2008
Barack Obama: l’homme providentiel?
Suite à la victoire de Barack Obama à la présidence des États-Unis, les hypothèses vont bon train quant à la nature et à l’étendue du changement promis lors de sa campagne électorale.
D’abord, quel est le bilan militaire et économique de l’administration Bush?
En huit années de présidence Bush, l’armée américaine a occupé deux pays, d’une superficie d’un million de kilomètres carrés (deux fois la superficie de la France), comprenant plus de 60 millions d’habitants.
Au cœur du Proche-Orient, si Israël surveille l’Egypte, la Jordanie, la Syrie, le Liban et la Palestine, les États-Unis, installés au cœur du Moyen-Orient, en Irak, à l’est de la Syrie, à l’ouest de l’Iran, jouent au gendarme avec la Syrie, les Kurdes et surtout avec l’Iran.
Toutes les voies de communications terrestres, maritimes et aériennes de la région sont à portée des centres d’écoute, de l’aviation, des hélicoptères et des missiles américains. L’incursion américaine, le 26 octobre, dans un village à l’est de la Syrie, rappelle celle, ininterrompue, des Israéliens en Palestine, au Liban ou en Syrie, en violation du droit international, de la souveraineté des nations. Les hélicoptères de combat américains, dans une posture agressive, s’approchent souvent des frontières iraniennes. L’administration Bush finance certains mouvements kurdes comme le Pejak, ce qui crée de l’instabilité aux frontières occidentales de l’Iran, immobilisant une partie du potentiel militaire et économique du pays. Rappelons que l’Irak héberge 31 bases militaires, terrestres et aériennes, ainsi que des centaines d’installations militaires plus petites, dont 38 centres logistiques, 18 centres de ravitaillement en carburant et 10 entrepôts de munition(1).
L’Afghanistan occupe une place particulière dans la stratégie américaine. C’est un carrefour stratégique des civilisations perse, indienne, russe et chinoise. Désormais, toutes les voies de communication de l’Asie centrale sont contrôlées par les Etats-Unis et leurs alliés. Comme lors du «Grand jeu», on pense à un échiquier sur lequel se joue la partie pour la domination du monde.
Question: la mainmise de l’Irak et de l’Afghanistan est-elle rentable financièrement? Selon les données officielles, les guerres d’Afghanistan et d’Irak coûtent, chaque jour, 500 millions de dollars aux Etats-Unis(2). Ce qui représente 16 milliards mensuels, soit le budget annuel de l’ONU.
Dans un livre intitulé «La guerre à trois mille milliards de dollars», co-écrit par le Prix Nobel d’économie américain Joseph Stiglitz et Linda Bilmes, professeur à Harvard, «le coût des opérations militaires américaines- sans prendre en compte les dépenses à long terme comme les soins aux vétérans- dépasse déjà le coût de la guerre du Vietnam, longue de 12 ans, et représente plus du double de ce qu’à coûté la guerre de Corée»(3).
Les guerres d’Irak et d’Afghanistan font des heureux: le complexe militaro-industriel, ses affidés militaristes (Haliburton et ses succursales) et leurs «amis» corrompus en tout genre. Voici le gros titre du journal Le Monde du 18/06/08: «Fraudes en Irak: 23 milliards de dollars ont disparu». L’émission «Panorama» de la B.B.C. a même parlé «des sommes perdues, volées, volatilisées».
Selon le rapport sur la progression des dépenses militaires dans le monde de l’Institut international de Recherche pour la Paix de Stockholm (Sipri), «les dépenses militaires américaines ont progressé de 59% depuis 2001 [date de l’accession de Bush à la présidence] (ce qui représente 45% du total mondial en 2007). Quarante et une sociétés américaines ont réalisé 63% de ce chiffre d’affaires (315 milliards de dollars en 2006)»(4).
Ce profit colossal entraîne la paupérisation croissante des ménages américains dont la consommation représente 70% du PIB (produit intérieur brut).
En effet, suite à la politique économique ultralibérale de l’ère Reagan- Bush, la spéculation financière s’est étendue à l’ensemble de l’économie américaine, enrichissant une minorité. Les revenus des ménages ont stagné, voire diminué, poussant à compenser le manque à gagner par le crédit, devenu moteur de la croissance. A présent, ce moteur est cassé. Par ailleurs, les richesses du pays ont été canalisées vers les efforts de guerre et l’industrie d’armement, laissant la santé, les voiries, l’agriculture et la recherche dans un piteux état.
Les dépenses militaires ont précipité la crise économique, creusant les déficits américains à 10 000 milliards de dollars (70% du PIB), somme jamais atteinte depuis 1945.
Quant à l’armée, son état divise les hommes politiques et les militaires. Le Washington Post rapporte une violente dispute entre les généraux Petraeus, actuel chef du Centcom et Fallon, ancien commandant en charge des guerres d’Irak et d’Afghanistan, lors d’une vidéoconférence à la Maison Blanche, en présence de Bush(6). Fallon, plus réaliste de l’équipe, a été poussé à la démission.
Mardi 8 avril 2008, venus faire leur rapport au Sénat, Ryan Crocker, l’ambassadeur américain à Bagdad et le général Petraeus, commandant en chef des forces alliées en Irak, ont été interpellés par Joseph Biden, vice-président élu des Etats-Unis. Les regardant dans les yeux, ce dernier a conclu «une guerre qui coûte trois milliards de dollars par semaine, on ne peut pas continuer comme ça; c’est une question d’argent, vous comprenez?» (7)
Les deux guerres, associées à la crise économique, ont contribué à l’effondrement brutal de l’économie américaine. Toute proportion gardée, les Etats-Unis sont dans le même état que l’Europe après la seconde guerre mondiale. Le va-t-en guerre Petraeus pourra-t-il conserver sa place à la tête du Centcom?
Peut-on encore sauver l’Oncle Sam de la banqueroute? Face à l’énormité de la tache, l’entourage d’Obama montre des signes d’impatience. L’équipe d’Obama se concentre sur l’industrie automobile qualifiée de «colonne vertébrale» de l’industrie américaine, et sur les PME, premier vivier d’emplois. En effet, toutes activités confondues, le secteur automobile représente 4,5 millions d’emplois, 2,9% du total américain(8). Mais, les républicains restent fidèles au complexe militaro-industriel. Certains démocrates pensent que le sauvetage du secteur automobile est finalement trop tardif. Pour Bush, la «mission est accomplie»: l’industrie militaire est florissante, tant pis si l’économie s’écroule!
Sur le plan intérieur, Obama apparaît plutôt comme le représentant du secteur civil. Mais sur le plan extérieur, tout porte à croire que, vu les problèmes économiques américains, il souhait une rationalisation des dépenses de guerres américaines en Irak et en Afghanistan. Il ne veut pas se retirer complètement d’Irak, pièce maîtresse de l’hégémonie américaine au Moyen-Orient. Il souhaite seulement une diminution de la présence américaine, en impliquant davantage les voisins de l’Irak, surtout l’Iran. Selon Mel Levine, conseiller d’Obama pour le Proche-Orient, les deux pays ont «des intérêts communs»(9).
Concernant la guerre d’Afghanistan, le diplomate Richard Holbrooke a écrit dans «Foreign affairs» qu’on devrait dire la vérité aux Américains: «elle durera encore longtemps»(10). C’est la même politique que celle de Georges Bush. Déjà, le général John Abizaid, chef du commandement central américain (Centcom) a dit sur NBC: «Les Américains doivent se préparer à une longue guerre au Proche-Orient et en Asie centrale»(11).
Après le 20 janvier 2009, une nouvelle partie d’échec commencera entre les Etats-Unis affaiblis et l’Iran. Les Américains continueront à exercer des pressions sur l’Iran, qui se sent en position de force. Les mouvements anticolonialistes se renforceront, la Russie se rebellera de plus en plus et l’influence iranienne s’étendra. Au Moyen-Orient et en Asie centrale, Obama aura plutôt intérêt à consolider les positions acquises sous Bush qu’à provoquer l’Iran et ses alliés. L’a-t-il compris?
Bibliographie
(1) Le Monde du 11/06/08.
(2) Le Monde du 27/03/08 et LM du 12/04/08.
(3) Les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) du 12/03/08.
(4) LM du 11/06/08.
(5) LM du 09-10/03/08.
(6) LM du 11/09/07.
(7) LM du 10/04/08.
(8) LM du 9-10/11/08.
(9) LM du 29/08/08.
(10) Courrier international du 07 au 12/11/08.
(11) LM du 28/09/04.