19.11.12

Analyse 15 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 19 novembre 2012

                

Moyen-Orient et Israël à la croisée des chemins


Mercredi 14 novembre 2012, Ahmed Jabari, le chef militaire du Hamas, a été assassiné à Gaza  par un missile  israélien, provoquant une nouvelle flambée de violence dans cette partie du Moyen-Orient.

Chronologiquement, la provocation de l’armée israélienne pour déclencher les hostilités ne fait aucun doute. En effet, «le 8 novembre, ce sont les forces israéliennes qui avaient provoqué les groupes armés palestiniens en pénétrant dans la bande de Gaza. L’incursion, qui venait rompre une période de calme de deux semaines, s’était soldée par la mort d’un enfant de 12 ans, tué en plein match de football.»(1)

Pour les analystes politiques, les prochaines élections israéliennes y sont pour quelque chose. Si nous acceptons que les raids aériens meurtriers de l’aviation israélienne à Gaza servent avant tout les intérêts électoraux du clan d’extrême droite au pouvoir, le quasi silence des autres fractions de l’Etat, face à l’utilisation clanique de l’aviation, provoque l’interpellation du commun des mortels.

La lecture des évènements actuels à l’aune de l’histoire de l’Etat d’Israël et de l’agitation qui règne au Proche et au Moyen-Orient, permet de constater que :

Premièrement, depuis sa fondation, l’Etat d’Israël- quelle que soit la fraction qui le dirige- ne peut exister qu’en maintenant un climat de tension, de crise et de guerre permanentes. Faut-il souligner que le ministre de la défense est un travailliste, au service de l’aile la plus droitière et réactionnaire de la bourgeoisie israélienne.
Deuxièmement, la radicalisation de l’Etat d’Israël ne date pas d’aujourd’hui. Face à l’incurie des Etats soi-disant laïcs des pays arabes- ancrés à l’Occident- les masses éprises de paix et de justice sont en train de reprendre leur destin en main. Elles se mobilisent dans des organisations radicales de masse du type «Hezbollah» au Liban ou «Hamas» à Gaza, s’équipent d’armes diverses et variées dont des missiles, afin de résister à l’agression permanente des Américano-israéliens qui mettent la région en coupe réglée. La vague de contestation à l’hégémonie de l’Occident a même gagné les régimes «amis» de l’Occident, balayés par le «printemps arabe».

Les Etats-Unis ont senti la montée de la température du volcan de contestation et ont adopté un profil bas. Ils ont accompagné le «printemps arabe» et ont réussi à conserver la Tunisie, l’Egypte et le Yémen dans leur giron. Mais, les évènements du 11 septembre, qui ont provoqué l’assassinat de l’ambassadeur américain en Libye, ont montré que la contestation antiaméricaine ne cesse de gagner en ampleur.

Contrairement aux Etats-Unis, l’Etat d’Israël, au cœur du Moyen-Orient, persévère dans sa tactique agressive. Pendant un certain temps, le glaive de l’Etat d’ Israël visait l’Iran. Le niet des Etats-Unis a calmé les ardeurs du clan au pouvoir qui se contente maintenant d’écraser les organisations révolutionnaires autonomes et armée de missiles qui échappent au contrôle de l’Occident.

L’agressivité et l’intransigeance des Américano-israéliens au Moyen-Orient ont conduit à la radicalisation des mouvements anticolonialistes au Moyen-Orient.

L’Occident est conscient que le «printemps arabe» n’a pas dit son dernier mot et les mouvements anticolonialistes qualifiés de «salafistes» ont le vent en poupe. La lecture de la lettre d’un étudiant tunisien est plus que révélateur du climat pesant au Nord de l’Afrique : «la situation économique et sociale empire et les gens attendent un changement qui n’a toujours pas eu lieu (…) ce sont les même personnes qui déclament les mêmes discours avec les même mots. Comment peut-on faire du neuf avec du vieux(2)

Actuellement, les villes israéliennes sont à la portée des missiles du Hezbollah et du Hamas. La crainte de l’Etat d’Israël c’est la victoire des mouvements anticolonialistes au Nord de l’Afrique, en Jordanie, voire en Arabie saoudite, dans des pays autrement plus puissants qui pourraient s’équiper de missiles de longue portée. Que pourrait faire l’Etat d’Israël et son système antimissile, encerclé et menacé par des milliers de missiles arrivant des quatre coins du Moyen-Orient ?

En attendant, l’Etat d’Israël laisse le pouvoir à l’extrême droite civile et religieuse et l’armée israélienne montre les dents, écrase la bande de Gaza sous les bombes et tente d’intimider les anticolonialistes du «printemps arabe».

Sans se laisser impressionner, les mouvements de libération nationale des pays arabo-musulmans se radicalisent davantage. Mais demain l’Etat d’Israël et ses protecteurs occidentaux seront amenés à choisir entre la destruction des villes, les centres vitaux d’Israël et le vivre ensemble dans une région dépourvue d’apartheid et de colonialisme. Seront-ils assez intelligents ? La question mérite d’être posée, car la réalité actuelle ne va pas dans ce sens.


(1)   Benjamin Barthe- Le Monde du 18-19 novembre 2012.
(2)   Eymen Gamha- Etudiant en management à l’IHEC Carthage, Tunis- Le Monde du 14 novembre 2012.

14.11.12

Analyse 14 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 14 novembre 2012

                 
                                              
Le néoconservatisme de l’intelligentsia française
                         
Dans sa chronique du vendredi 19 octobre 2012, Alain Frachon parle du dernier livre (1) de Francis Fukuyama, fils du doyen de la faculté de théologie de l’université de Chicago, né dans le conservatisme éclairé, ayant servi dans l’une des administrations du républicain Ronald Reagan (1980-1988) «Le grand essayiste Francis Fukuyama s’interroge : comment aller de Mogadiscio à Copenhague?» écrit Alain Frachon.

F. Fukuyama définit, en quelque sorte, les conditions nécessaires à la réalisation de la démocratie dans un pays. Ainsi, la démocratie au Danemark, en Afghanistan ou le «printemps arabe» et la tragédie syrienne sont observées et analysées à travers le prisme de l’intellectuel occidental et en dehors de toutes contraintes historiques et géopolitiques. «L’Afghanistan a organisé des élections démocratiques depuis 2003, mais ne dispose que d’un gouvernement faible, incapable de faire respecter ses lois», écrit F. Fukuyama.

Ce qu’oublient F. Fukuyama- et A. Frachon ?-, c’est que la «démocratie afghane» est une démocratie colonialiste- apportée par la baïonnette des américano-britanniques -, aucunement comparable à la démocratie danoise, «l’une des réussites les plus achevées des social-démocraties scandinaves.» Faut-il rappeler que le Danemark, allié des Etats-Unis, a participé à la recolonisation de l’Afghanistan qui, depuis la fondation du royaume en 1747, souffre d’ingérences étrangères répétées, en particulier occidentales.

Depuis le dix-huitième siècle, la décolonisation de l’Asie centrale, du Proche et du Moyen-Orient est à l’ordre du jour. Un moment tournée vers le communisme, la libération nationale des pays arabo-musulmans se conçoit actuellement avec l’islam et la charia, dépourvus de toute contamination culturelle et idéologique occidentale.

«Le printemps arabe» est fêté en Occident comme un modèle réussi de passage d’un régime autocratique à un régime démocratique. Or, ledit printemps n’a pas encore résolu le problème essentiel, voire existentiel, des nations arabo-musulmanes : comment se débarrasser de l’influence américaine et accéder à l’indépendance nationale ? Un exemple : le régime installé en Egypte après le renversement de l’autocrate Moubarak- pion des Etats-Unis – continue à vivre dans le giron des Américano-israéliens, comme si de rien n’était.

La réponse vient de la rue égyptienne : «des milliers d’islamistes, dont des salafistes et des membres du Gaama Islamiya, ont manifesté, vendredi 9 novembre [2012] au Caire, pour réclamer l’instauration en Egypte de la Charia (loi coranique)(2)

Le même phénomène s’observe en «Tunisie démocratique» où le chef salafiste du groupe Ansar Al-Charia, Abou Ayad fustige le gouvernement «transitoire et injuste qui s’est lancé dans les bras de l’Occident mécréant- surtout les Etats-Unis et la France-, afin d’empêcher la charia»(3).

En Tunisie, quelle est la force des opposants à la charia? Selon Rached Ghannouchi, «président du parti islamiste tunisien au pouvoir» : «Ceux qui refusent la charia peuvent représenter une minorité mais cette minorité a une forte influence, dans les médias, l’économie, l’administration, donc il ne faut pas les négliger(4)

Les opposants à la charia sont sûrement constitués majoritairement d’intellectuels avertis, qualifiés d’«occidentalisés», qui ne peuvent s’épanouir que dans une société évoluée, libre et démocratique. Le sort réservé aux intellectuels iraniens «occidentalisés» juste après la révolution de 1979 (ils ont été poussés à l’exode) attend peut-être les intellectuels égyptiens, tunisiens et autres ? La question mérite d’être posée.

Tout porte à croire qu’entre la charia moyenâgeuse- mais anticolonialiste- et la «démocratie colonialiste», l’intelligentsia française et occidentale a tranché : ce sera la «démocratie néoconservatrice» chère aux néoconservateurs à la Georges Bush et F. Fukuyama.

En France, sans évoquer quelques directeurs d’instituts géopolitiques et de journalistes, ce sont surtout Bernard Kouchner, Bernard- Henry Lévy et André Glucksmann, qui représentent la tendance néoconservatrice, parfaitement alignée sur les positions du ministère des affaires étrangères et de l’OTAN.

Actifs pendant le «printemps libyen»-où ils ont encouragé et justifié l’intervention occidentale- les néoconservateurs français encouragent maintenant «l’ingérence humanitaire» des armées occidentales en Syrie et au Nord Mali.

Selon la diatribe violente de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères : «Le régime syrien doit être abattu. (…) M.Bachar Al-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre. »(5) Laurent Fabius, qui a condamné le président syrien à la mort, serait-il un adepte clandestin des «aspects positifs» du colonialisme, «sauveur de l’humanité» comme au dix-huitième siècle ?

C’est une déclaration de nature colonialiste. En effet, c’est Laurent Fabius, et non pas le peuple syrien, qui décide de l’avenir de Bachar Al-Assad et de la Syrie. La France qui a hâte de « libérer» la Syrie, investit financièrement dans le conflit en cours et fait parvenir depuis le mois d’août «quelques centaines de milliers d’euros, sous forme d’enveloppe d’argent liquide» aux insurgés. (6)

Les «intellectuels», caution de Laurent Fabius, suivent. «Assez de dérobades, il faut intervenir en Syrie !» harangue le Collectif formé, entre autres, par Bernard Kouchner, Bernard- Henry Lévy et André Glucksmann. (7) Sans qu’aucune analyse n’étaye leur diagnostic, le Collectif, toujours injurieux et violent, mélange les genres et prétend que : «Le gang barbare des Assad et les extrémistes islamistes sont les ennemis de la paix au Moyen-Orient.» Il s’agit, bien entendu, de la «paix américaine» et son cortège de crime de masse en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et en Palestine.

Pauvres Syrien soumis à d’horribles traitements divers, qu’on oblige à se mettre sous la protection d’une partie de ses agresseurs !

La même rhétorique violente et injurieuse s’observe par rapport au Mali. L’éditorial du quotidien Le Monde du 23 octobre 2012 est, à cet égard, édifiant. Il contient beaucoup d’injures et aucune analyse. Voici quelques extraits : «Libérer le nord du Mali, aujourd’hui aux mains de bandes islamistes (…) deux groupes d’islamo-gangsters qui tyrannisent le nord du Mali (…) ces bandes armées (…) un réseau de crime organisé (…) la terreur aveugle (…) imposer leur tyrannie à la population (…) se comportent en barbares (…) ils violent, amputent, torturent et tuent au nom de l’islam (…) les islamo-gangsters» etc., etc. On dirait que c’est Bernard-Henry Lévy, membre du conseil de surveillance du quotidien, qui a rédigé l’éditorial.

Il faudra donc intervenir de toute urgence pour sauver les «pauvres africains»! C’est ce qu’on appelle les «aspects positifs» du colonialisme !!!!

Boubou Cissé, économiste à la Banque mondiale, Joseph Brunet- Jailly, économiste  et Gilles Holder, anthropologue au CNRS ne sont pas de cet avis. Se moquant des qualificatifs tels que les «narcotrafiquants, les terroristes» employés fréquemment par les médias occidentaux, ils estiment qu’il faudrait tenir compte de la détermination des «bandits armés» : qu’ils soient bien payés ou pas, qu’ils soient endoctrinés ou pas, ils sont animés par une envie de domination territoriale et d’élimination de toute influence occidentale, prêts à mourir pour la cause qu’ils servent. (8)

Il s’agit bel et bien de «bandits» anticolonialistes et «il se pourrait aussi que le soutien populaire aux islamistes soit plus profond qu’on ne l’imagine (…) l’application de la charia est ressentie comme la réintroduction d’une forme de justice que l’Etat n’assurait plus (…) l’Etat s’est montré si obstinément prédateur (…) dirigeants politique, tous partis confondus, depuis quarante ans, se sont réparti les prébendes au lieu de faire face aux besoins de leurs concitoyens». (8)

Conclusion : «tout cela ne fait que rendre plus probable une intervention vouée à l’échec». (8)

Ça sera également l’échec du néoconservatisme ou du colonialisme à visage humain, messieurs les néoconservateurs.


(1)   Le début de l’histoire. Des origines de la politique à nos jours (Saint-Simon, 438 pages).
(2)   Reuter-Le Monde du 11-12 novembre 2012.
(3)   Isabelle Mandraud-  Le Monde du  25 octobre 2012.
(4)   Isabelle Mandraud- Le Monde du 19 octobre 2012.
(5)   Le Monde du 19-20 août 2012.
(6)   Benjamin Barthe- Le Monde des 11-12 novembre 2012.
(7)   Collectif- Le Monde du 23 octobre 2012.
(8)   Le Monde du 26 octobre 2012.