Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 14 novembre 2012
Le néoconservatisme de
l’intelligentsia française
Dans
sa chronique du vendredi 19 octobre 2012, Alain Frachon parle du dernier livre (1)
de Francis Fukuyama, fils du doyen de la faculté de théologie de l’université
de Chicago, né dans le conservatisme éclairé, ayant servi dans l’une des
administrations du républicain Ronald Reagan (1980-1988) «Le grand essayiste
Francis Fukuyama s’interroge : comment aller de Mogadiscio à Copenhague?»
écrit Alain Frachon.
F.
Fukuyama définit, en quelque sorte, les conditions nécessaires à la réalisation
de la démocratie dans un pays. Ainsi, la démocratie au Danemark, en Afghanistan
ou le «printemps arabe» et la tragédie syrienne sont observées et analysées à
travers le prisme de l’intellectuel occidental et en dehors de toutes
contraintes historiques et géopolitiques. «L’Afghanistan a organisé des
élections démocratiques depuis 2003, mais ne dispose que d’un gouvernement
faible, incapable de faire respecter ses lois», écrit F. Fukuyama.
Ce
qu’oublient F. Fukuyama- et A. Frachon ?-, c’est que la «démocratie
afghane» est une démocratie colonialiste- apportée par la baïonnette des
américano-britanniques -, aucunement comparable à la démocratie danoise, «l’une
des réussites les plus achevées des social-démocraties scandinaves.»
Faut-il rappeler que le Danemark, allié des Etats-Unis, a participé à la
recolonisation de l’Afghanistan qui, depuis la fondation du royaume en 1747,
souffre d’ingérences étrangères répétées, en particulier occidentales.
Depuis
le dix-huitième siècle, la décolonisation de l’Asie centrale, du Proche et du
Moyen-Orient est à l’ordre du jour. Un moment tournée vers le communisme, la
libération nationale des pays arabo-musulmans se conçoit actuellement avec
l’islam et la charia, dépourvus de toute contamination culturelle
et idéologique occidentale.
«Le
printemps arabe» est fêté en Occident comme un modèle réussi de passage d’un
régime autocratique à un régime démocratique. Or, ledit printemps n’a pas
encore résolu le problème essentiel, voire existentiel, des nations
arabo-musulmanes : comment se débarrasser de l’influence américaine et accéder
à l’indépendance nationale ? Un exemple : le régime installé en Egypte après
le renversement de l’autocrate Moubarak- pion des Etats-Unis – continue à vivre
dans le giron des Américano-israéliens, comme si de rien n’était.
La
réponse vient de la rue égyptienne : «des milliers d’islamistes, dont
des salafistes et des membres du Gaama Islamiya, ont manifesté, vendredi 9
novembre [2012] au Caire, pour réclamer l’instauration en Egypte de la
Charia (loi coranique).»(2)
Le
même phénomène s’observe en «Tunisie démocratique» où le chef salafiste du
groupe Ansar Al-Charia, Abou Ayad fustige le gouvernement «transitoire et
injuste qui s’est lancé dans les bras de l’Occident mécréant- surtout les
Etats-Unis et la France-, afin d’empêcher la charia»(3).
En
Tunisie, quelle est la force des opposants à la charia? Selon Rached
Ghannouchi, «président du parti islamiste tunisien au pouvoir» : «Ceux
qui refusent la charia peuvent représenter une minorité mais cette minorité a
une forte influence, dans les médias, l’économie, l’administration, donc il ne
faut pas les négliger.» (4)
Les
opposants à la charia sont sûrement constitués majoritairement d’intellectuels
avertis, qualifiés d’«occidentalisés», qui ne peuvent s’épanouir que dans une
société évoluée, libre et démocratique. Le sort réservé aux intellectuels
iraniens «occidentalisés» juste après la révolution de 1979 (ils ont été
poussés à l’exode) attend peut-être les intellectuels égyptiens, tunisiens et
autres ? La question mérite d’être posée.
Tout
porte à croire qu’entre la charia moyenâgeuse- mais anticolonialiste- et la
«démocratie colonialiste», l’intelligentsia française et occidentale a
tranché : ce sera la «démocratie néoconservatrice» chère aux
néoconservateurs à la Georges Bush et F. Fukuyama.
En
France, sans évoquer quelques directeurs d’instituts géopolitiques et de
journalistes, ce sont surtout Bernard Kouchner, Bernard- Henry Lévy et André
Glucksmann, qui représentent la tendance néoconservatrice, parfaitement alignée
sur les positions du ministère des affaires étrangères et de l’OTAN.
Actifs
pendant le «printemps libyen»-où ils ont encouragé et justifié l’intervention
occidentale- les néoconservateurs français encouragent maintenant «l’ingérence
humanitaire» des armées occidentales en Syrie et au Nord Mali.
Selon
la diatribe violente de Laurent Fabius, ministre français des affaires
étrangères : «Le régime syrien doit être abattu. (…) M.Bachar
Al-Assad ne mériterait pas d’être sur la Terre. »(5)
Laurent Fabius, qui a condamné le président syrien à la mort, serait-il un
adepte clandestin des «aspects positifs» du colonialisme, «sauveur de
l’humanité» comme au dix-huitième siècle ?
C’est
une déclaration de nature colonialiste. En effet, c’est Laurent Fabius, et non
pas le peuple syrien, qui décide de l’avenir de Bachar Al-Assad et de la Syrie.
La France qui a hâte de « libérer» la Syrie, investit financièrement dans
le conflit en cours et fait parvenir depuis le mois d’août «quelques
centaines de milliers d’euros, sous forme d’enveloppe d’argent liquide» aux
insurgés. (6)
Les
«intellectuels», caution de Laurent Fabius, suivent. «Assez de dérobades, il
faut intervenir en Syrie !» harangue le Collectif formé, entre autres,
par Bernard Kouchner, Bernard- Henry Lévy et André Glucksmann. (7)
Sans qu’aucune analyse n’étaye leur diagnostic, le Collectif, toujours
injurieux et violent, mélange les genres et prétend que : «Le gang
barbare des Assad et les extrémistes islamistes sont les ennemis de la paix au
Moyen-Orient.» Il s’agit, bien entendu, de la «paix américaine» et son
cortège de crime de masse en Irak, en Afghanistan, au Pakistan et en Palestine.
Pauvres
Syrien soumis à d’horribles traitements divers, qu’on oblige à se mettre sous
la protection d’une partie de ses agresseurs !
La
même rhétorique violente et injurieuse s’observe par rapport au Mali.
L’éditorial du quotidien Le Monde du 23 octobre 2012 est, à cet égard,
édifiant. Il contient beaucoup d’injures et aucune analyse. Voici quelques
extraits : «Libérer le nord du Mali, aujourd’hui aux mains de bandes
islamistes (…) deux groupes d’islamo-gangsters qui tyrannisent le nord
du Mali (…) ces bandes armées (…) un réseau de crime organisé
(…) la terreur aveugle (…) imposer leur tyrannie à la population
(…) se comportent en barbares (…) ils violent, amputent, torturent et
tuent au nom de l’islam (…) les islamo-gangsters» etc., etc. On
dirait que c’est Bernard-Henry Lévy, membre du conseil de surveillance du
quotidien, qui a rédigé l’éditorial.
Il
faudra donc intervenir de toute urgence pour sauver les «pauvres africains»!
C’est ce qu’on appelle les «aspects positifs» du colonialisme !!!!
Boubou
Cissé, économiste à la Banque mondiale, Joseph Brunet- Jailly, économiste
et Gilles Holder, anthropologue au CNRS ne sont pas de cet avis. Se moquant
des qualificatifs tels que les «narcotrafiquants, les terroristes»
employés fréquemment par les médias occidentaux, ils estiment qu’il faudrait
tenir compte de la détermination des «bandits armés» : qu’ils
soient bien payés ou pas, qu’ils soient endoctrinés ou pas, ils sont animés par
une envie de domination territoriale et d’élimination de toute influence
occidentale, prêts à mourir pour la cause qu’ils servent. (8)
Il
s’agit bel et bien de «bandits» anticolonialistes et «il se pourrait
aussi que le soutien populaire aux islamistes soit plus profond qu’on ne
l’imagine (…) l’application de la charia est ressentie comme la réintroduction
d’une forme de justice que l’Etat n’assurait plus (…) l’Etat s’est
montré si obstinément prédateur (…) dirigeants politique, tous partis
confondus, depuis quarante ans, se sont réparti les prébendes au lieu de faire
face aux besoins de leurs concitoyens». (8)
Conclusion :
«tout cela ne fait que rendre plus probable une intervention vouée à l’échec».
(8)
Ça
sera également l’échec du néoconservatisme ou du colonialisme à visage
humain, messieurs les néoconservateurs.
(1) Le début de
l’histoire. Des origines de la politique à nos jours (Saint-Simon, 438 pages).
(2) Reuter-Le Monde
du 11-12 novembre 2012.
(3) Isabelle
Mandraud- Le Monde du 25 octobre 2012.
(4) Isabelle
Mandraud- Le Monde du 19 octobre 2012.
(5) Le Monde du
19-20 août 2012.
(6) Benjamin Barthe-
Le Monde des 11-12 novembre 2012.
(7) Collectif- Le
Monde du 23 octobre 2012.
(8) Le Monde du 26
octobre 2012.
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