21.9.08

Analyse 21

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 21 septembre 2008

cpjmo@yahoo.fr


Afghanistan: échec programmé de


l’OTAN


Au sein de l’OTAN, deux conceptions s’affrontent à propos de l’Afghanistan. L’une privilégie la voie militaire et sécuritaire, soutenue principalement par Washington, acteur dominant sur le terrain. L’autre insiste sur l’«afghanisation», le développement et «une meilleure coordination entre l’action militaire et l’effort de reconstruction», souhaitée, entre autres, par des ONG (organisations non gouvernementales) et par Paris qui a posé ses conditions au sommet de l’OTAN à Bucarest (Le Monde du 14/04/08).


Vu la maigre contribution française à l’effort de guerre (3000 militaires et 280 soldats pour la formation et le soutien de l’Armée nationale afghane (ANA), sur 70000 soldats de 40 pays), la voix des tenants du «changement stratégique» ne pèse pas lourd. Même l’envoi de troupes supplémentaires laisse sceptiques les spécialistes et autres intellectuels serviteurs du colonialisme.


Pour Gérard Chaliand, «écrivain, géostratège, spécialiste des «guerres irrégulières»» (LM du 22/07/08), malgré l’envoi de renforts «la victoire de l’OTAN en Afghanistan est impossible». Car, toujours selon G. Chaliand : «hors de Kaboul et de quelques grandes villes, ce sont les talibans qui contrôlent les pouvoirs locaux».


Même son de cloche chez Gérard Fussman, professeur au collège de France: «les troupes de l’OTAN [70000 hommes] ne contrôlent pas plus l’Afghanistan que ne le faisaient les Soviétiques [160000 hommes]» (LM du 30/0808). Lors de la visite de Nicolas Sarkozy en Afghanistan, le général Stollsteiner, commandant français pour la région de Kaboul, a dressé un tableau très sombre de la situation (LM du 21/08/08).


La militarisation de l’engagement américain en Afghanistan inquiète le pragmatique Brzezinski, ancien conseiller à la sécurité nationale de Jimmy Carter, qui craint que son pays et l’Occident, ne reproduisent «les erreurs commises dans ce pays, il y a 25 ans, par les Soviétiques» (LM du 18/08/08).


Pour l’instant, il n’y a aucune oreille à Washington pour entendre les appels au «changement de stratégie» lancés des quatre coins du monde. Bien au contraire, la guerre s’étend au Pakistan et, faute de troupes suffisantes, les Américains lancent des attaques aériennes qui massacrent des civils, dont les survivants renforcent massivement les résistants. A tel point que Bernard Dupaigne, professeur au Musée de l’homme, s’inquiète: «il est temps d’admettre que nos forces sont harcelées, non pas par les suppôts d’Al-Qaïda, mais par des volontaires issus de la population locale, qui luttent contre la présence armée étrangère, en profitant de la neutralité des paysans locaux, aussi désireux qu’eux d’être débarrassés des étrangers…» (LM du 26/08/08).


Nicolas Sarkozy, est-il sincère lorsqu’il laisse filtrer son souhait d’un «changement de stratégie» en Afghanistan? Devant les familles des soldats morts en Afghanistan, et à court d’arguments pour justifier la présence de l’armée française à 6000 km de sa frontière, Nicolas Sarkozy vend la mèche: «En abandonnant le peuple afghan à ses malheurs et à ses bourreaux (…) nous renoncerions au statut de grande puissance avec nos droits et nos devoirs pour la paix du monde» (LM du 28/08/08). Cette phrase montre bien que le peuple afghan n’est qu’un pretexte pour affirmer le «statut de grande puissance» de la France, ayant des «droits» (droit de coloniser des pays, des territoires et de piller leurs ressources naturelles; droit d’occuper des voies de communication, des cols et des détroits stratégiques, etc.) que n’ont pas les nations moins puissantes, et des «devoirs» pour la «paix du monde», réduite à la «Pax americana».


Militairement, économiquement, politiquement, la France est-elle supplétive des Etats-Unis? La réponse est affirmative pour Gérard Fussman, professeur du Collège de France qui, en bon «conseiller du colonialisme français» avancent des propositions pour vaincre la résistance afghane.



En cas de changement éventuel de stratégie, y aurait-il une chance pour modifier le rapport de forces en faveur des États-Unis et de leurs alliés? Ceci nécessiterait un gouvernement compétent, s’appuyant sur une administration (préfets, gouverneurs, police, etc.) au service de la population. Or, Hamid Karzaî, chef de l’Etat afghan, est une marionnette des États-Unis et les anciens chef de guerre, tous criminels et pourvoyeurs de drogue, ont été achetés par les États-Unis, puis recyclés et transformés en ministres, gouverneurs ou députés. «Thomas Schweich, qui a récemment quitté son poste de coordinateur du département d’Etat américain chargé de la lutte contre le trafic de stupéfiants et la réforme de la justice en Afghanistan, accuse le gouvernement Karzaï de protéger le trafic d’opium» (Dernières Nouvelles d’Alsace du 05/09/08).


Pierre Lellouche, député UMP, rapporteur de la mission parlementaire, chargé d’évaluer l’opération militaire française en Afghanistan et la stratégie de l’OTAN, se demande: «où sont passés les 20 milliards de dollars réunis en juin à la conférence de Paris pour l’Afghanistan? (…) Il faut parler sans tabou de la corruption, du problème de la drogue. On a réussi à fabriquer le premier narco-Etat de la planète financé par l’argent du contribuable de l’OTAN» (LM du 14-15/09/08).


Comme n’importe quel pays colonisé, l’Afghanistan est devenu une vache à lait, pillé au grand jour par le complexe militaro-industriel et par les entreprises civiles occidentales, liées aux militaristes. «Depuis 2001, les Etats-Unis ont dépensé quelques 127 milliards de dollars pour la guerre, et les forces américaines dépensent actuellement 100 millions de dollars par jour, soit 36 milliards de dollars par ans» (LM du 27/03/08). Qui d’autre que le complexe militaro-industriel, profite de ces dépenses de guerre colossales?

Combien coûte la construction d’une route en Afghanistan? «La route entre le centre de Kaboul et l’aéroport international a coûté 2,4 millions de dollars par kilomètre, soit au moins quatre fois le coût moyen de la construction des routes en Afghanistan»! Qui d’autres que les entreprises liées aux militaristes, profitent de ces gabegies?


L’Afghanistan est devenu aussi le paradis des «consultants étrangers» (auxiliaires du colonialisme). «Le coût d’un consultant expatrié pouvait se situer entre 250 000 et 500 000 dollars par an» (rapport d’Acbar, l’agence qui coordonne 94 organisations non gouvernementales (ONG) travaillants en Afghanistan (dont Oxfam, Care et Solidarité- LM du 27/03/08).


Pourtant «il suffit d’ouvrir les yeux dans les rues de Kaboul, de Kandahar ou de Jalalabad pour voir que l’Afghanistan manque encore de tout, à commencer par l’essentiel» (Alain Deloche, chirurgien, président de l’Espoir ; Eric Cheysson, chirurgien, président d’Enfants afghans- LM du 10/06/08).


Conséquences : «les coopérants civils, ils ne sortent pas de leur quartier aux murs hérissés de barbelés. S’ils circulent en ville, c’est dans des 4X4 aux vitres teintés, blindés souvent, et hérissés d’antennes» (G. Fussman- professeur au Collège de France- LM du 30/08/08).


Qu’il s’agisse de la stratégie sécuritaire ou celle basée sur l’effort de reconstruction, les colonialistes américains et leurs alliés n’ont «rien à faire dans un pays que les Occidentaux- et les Russes- n’ont jamais compris» (Helmut Schmidt- LM du 11/06/08).


Dans l’impasse militaire, l’OTAN ne peut vaincre en Afghanistan.