Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 28 mars 2010
Le grand marchandage régional
►Qui sont les gagnants et les perdants?
►Le sort de la Palestine se joue-t-il en Afghanistan ?
Comme nous l’avons écrit dans la précédente analyse (Analyse 3 (2010)), l’Iran et les Etats-Unis négocient en ce moment même le partage des zones d’influence au Moyen-Orient. Pourquoi ces négociations? Après la conquête militaire, vient l’ère de la «conquête des cœurs et des esprits» selon la terminologie employée par les colonialistes. Depuis la nuit des temps, ils s’emploient à appliquer la méthode bien rodée de «diviser pour mieux régner». Grâce à la complicité de l’Iran, cette méthode a donné des résultats en Irak. Pourquoi pas en Afghanistan où, pour s’armer et se financer, les résistants dépendent des voisins, de leur largesse et de leurs voies de communication. Le pouvoir Pakistanais- du moins une partie- étant divisé, il s’emploie à combattre les résistants alors qu’il les soutenait auparavant.
En ce qui concerne l’Iran, en raison de ses désaccords avec l’Occident, il serait logique qu’il soutienne des fractions de la résistance afghane qu’il pourrait armer, loger, former et même financer. Pourrait-il en être autrement, lorsque des centaines de milliers de militaires ennemis, arrivés des quatre coins du monde, équipés de la technologie la plus avancée et armés jusqu’aux dents, encerclent hermétiquement l’Iran?
L’administration Bush, qui fut à l’initiative de la conquête de l’Irak et de l’Afghanistan, s’est rendu compte qu’elle ne pouvait pas gérer ses conquêtes à coup de fusil. Selon les chiffres officiels, plus de 4000 militaires américains ont perdu la vie en Irak. Par ailleurs, selon certaine estimation, le coût financier de la guerre a atteint près de 7000 milliards de dollars. Le responsable du désastre irakien fut vite identifié: la politique «unilatéraliste» de Georges Bush. A la surprise générale, la secrétaire américaine à la défense de l’époque, Condoleezza Rice, annonçait le mardi 27 février 2007, la tenue d’une conférence internationale destinée à discuter des moyens de garantir la stabilité politique de l’Irak au cours de laquelle l’Iran et la Syrie furent, en quelque sorte, les vedettes de cette conférence (Communiqué 23 du 4 mars 2007).
Le 27 février 2007 marque le début d’un virage qui a conduit à l’abandon de ladite politique et au début de la politique «multilatéraliste» poursuivie par Barack Obama.
Nous ne sommes pas en mesure de connaître les détails du donnant-donnant entre les Etats-Unis d’une part et l’Iran et la Syrie d’autre part. Toujours est-il que le calme relatif qui règne en Irak ne serait pas possible sans l’aide de l’Iran et de la Syrie.
Le même phénomène se répète actuellement en Afghanistan, où la guerre colonialiste engloutit une somme colossale du budget américain. Par Hamid Karzaï interposé, les Etats-Unis sollicitent l’aide de l’Iran pour affaiblir l’insurrection afghane. Le 10 mars, Ahmadinejad s’est rendu en Afghanistan. Là encore, il est difficile de connaître les détails du donnant- donnant américano-iranien. Mais, Ahmadinejad a obtenu deux promesses : primo, l’Afghanistan ne sera pas utilisé comme base de lancement d’une agression contre l’Iran et, secundo, en cas d’arrêt de l’insurrection, l’armée américaine quittera la région.
Douze jours plus tard, le 22 mars 2010, Hamid Karzaï a rencontré «une délégation du Hezb-e-Islam, le second mouvement d’insurgés islamistes après les talibans, dirigé par Gulbuddin Hekmatyar» (Le Monde du 24 mars 2010), soutenu par l’Iran.
Tout porte à croire que l’administration Obama a tourné définitivement la page de la politique «unilatéraliste» de George Bush. En effet, consciente du rôle incontournable du Pakistan en Afghanistan, l’administration Obama commence à choyer les dirigeants pakistanais que l’administration Bush avait délaissés au profit de l’Inde.
Toujours à la date du 22 mars, une délégation de haut niveau, composée du général Kayani, chef d’état major de l’armée pakistanaise, et du général Shuja Pasha, chef des services secrets (ISI) «dont les liens historiques avec les talibans afghans sont notoires», s’est rendue à Washington, pour une semaine de «dialogue stratégique» (Le Monde du 25 mars 2010).
L’Inde, force de frappe de la politique unilatéraliste de Georges Bush en Asie du sud, est l’un des perdants «des grandes manœuvres militaires et diplomatiques autour d’une sortie de crise en Afghanistan» (Frédéric Bobin- Le Monde du 25 mars 2010).
Après l’Irak, le Liban sud et l’Afghanistan, les pourparlers se concentrent actuellement sur la Palestine. En échange des services rendus en Irak et en Afghanistan, l’Iran et la Syrie ont-ils obtenu des «compensations» en Palestine? La présence d’une délégation de haut rang du Hamas à Téhéran, la détérioration des relations américano-israéliennes et la prise de position récente de la Turquie et des pays arabo-musulmans du Moyen-Orient sur Jérusalem, laissent la voie ouverte à certaines hypothèses. Il n’est pas faux de dire que le sort de la Palestine se joue en Afghanistan, pièce maitresse de la domination planétaire des États-Unis.
Une chose est sûre : la politique «unilatéraliste» pratiquée encore par Israël n’arrange plus les intérêts des États-Unis. En effet, selon le secrétaire à la défense, Robert Gates, l’absence de progrès dans le processus de paix «sape les intérêts américains en matière de sécurité nationale». (Laurent Zecchini- Le Monde du 27 mars 2010).
Israël sera le deuxième perdant «des grandes manœuvres militaires et diplomatiques autour d’une sortie de crise en Afghanistan». C’est très dur pour les faucons de l’AIPAC(1) et de l’extrême droite israélienne au pouvoir de perdre le statut de «Grande puissance» régionale au Moyen-Orient. Le changement de l’attitude israélienne dépendra de celle de l’AIPAC.
En attendant, les tensions montent d’un cran en Israël et au Moyen-Orient. Israël négociera âprement son alignement sur les positions américaines. Sera-t-il tenté de livrer un baroud d’honneur, en déclenchant une nouvelle guerre au Moyen-Orient?
De leur côté, les Américains continuent d’exercer des pressions sur l’Iran, sans vouloir l’étouffer définitivement. La «sécurité nationale» des États-Unis a besoin d’un Iran puissant, en mesure d’agir en Irak, en Afghanistan et au Moyen-Orient, en faveur des intérêts américains. A quand le rétablissement de relations diplomatiques entre l’Iran et les Etats-Unis?
(1) L’American Israel Public Affairs Committee, le lobby pro-israélien à Washington