Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 23
juin 2013
Le calife d’Iran et sa république
La
république islamique est un califat « moderne ». Selon Le Petit
Robert, un calife est un « souverain musulman, successeur de Mahomet,
et investi du pouvoir spirituel et temporel ».
L’article
2 de la Constitution est on ne peut plus clair : « Dieu exerce en Iran une souveraineté absolue et préside à l’élaboration des lois ».
La Constitution confère, donc, aux religieux la primauté sur le politique.
C’est la doctrine du velayat-e faqih (« gouvernement du
docte »).
Actuellement,
c’est Ali Khamenei, le faqih, qui, en l’absence de Mahdi, l’« Imam
caché », représente Dieu et, au moyen de la charia, exerce le pouvoir
absolu du religieux sur le politique.
Le
califat iranien n’est plus-il est vrai- ce qu’il était au Moyen-âge. La
Révolution a triomphé en 1979, dans un pays relativement développé. Khomeiny
s’est trouvé entouré de jeunes croyants laïcs, cultivés et épris de libertés, à
l’exemple de la société iranienne dans son ensemble.
Le
terme « république islamique » tend à concilier la doctrine archaïque
du velayat-e faqih avec les aspirations démocratiques de la génération
qui a fait la révolution.
La
république a répondu aux besoins d’un monde moderne. Il fallait gérer, les
villes, les écoles, les universités, les hôpitaux, construire des routes, des
métros, des aéroports, des centrales électriques, des barrages, des
usines ; former des enseignants, des chercheurs, des ingénieurs, créer des
centres de recherche scientifique, etc. L’école théologique de Ghom, ville
sainte du chiisme iranien, avec ses mollahs moyenâgeux, tournés vers le martyre
des imams chiites, n’était, quant à elle, pas équipée intellectuellement pour
résoudre les problèmes d’une société moderne.
Depuis
1979, deux mondes vivent et évoluent en parallèle : l’islam et la
république. L’islam exerce sa priorité et regarde la république d’un œil
méfiant.
30
ans après sa fondation, la république islamique ne ressemble plus à celle de sa
naissance. Le clergé a perdu son unité et les mollahs ont rejoint des courants
commerciaux et industriels, dont la gestion exige l’emploi de méthodes plus ou
moins modernes.
Or,
la gestion des affaires a produit des frictions croissantes entre les deux
tendances présentes au sein de l’Etat. Un certains nombre de mollahs, sentant
le vent tourner, ont cherché à accompagner le mouvement en faveur des « réformes ».
La charia et ses lois archaïques se sont montrées de plus en plus incompatibles
avec les besoins d’un Etat du 21è siècle.
Le
développement du mouvement réformiste a eu pour effet de renforcer la
résistance des fondamentalistes, maître des appareils de l’Etat et de l’armée.
L’élection
de 2009, opposant Ahmadinejad, poulain de Khamenei, à un candidat réformateur,
a donné l’occasion à Khamenei d’étouffer définitivement le camp des
républicains, quoique fidèles au régime ; et, par ailleurs, d’installer un
califat moyenâgeux destiné à préparer la « résurrection » de l’« imam
caché ». Ce coup d’état électoral a réussi grâce au soutien des
« Pasdarans », garde prétorienne du régime.
Mais,
c’était sous estimer la vague réformatrice. On connait la suite. Les
manifestants qui contestaient l’élection d’Ahmadinejad ont été brutalement
réprimés. Des dizaines de manifestants furent tués, et des milliers, dont les
deux chefs réformateurs, sont toujours en prison ou en résidence surveillée.
Depuis quatre ans, un climat sécuritaire pesant, contesté même par certains
caciques du régime, règne dans le pays.
A
son tour, Ahmadinejad, confronté aux réalités de la gestion d’un Etat moderne,
s’est peu à peu opposé à Khamenei et à son entourage fondamentaliste. Cela ne l’a
pas empêché de préparer la « résurrection », au prix de millions
d’euros, servant, entre autres, à produire un filme intitulé la
« résurrection est proche » !
Les
conséquences économiques de la mainmise de Khamenei et de ses proches sur
l’Etat s’avèrent catastrophiques. Les « Pasdarans », contrôlaient
déjà « le tiers des importations », à partir d’une soixantaine de
quais sur les rives du Golfe Persique, d’une dizaine d’aéroports-dont celui de
Payam, proche de Téhéran (…)- de vingt-cinq quais de dédouanement à l’aéroport
international de Méhrabad » (selon une déclaration en 2007 (1)
de M.Mhammad Ali Mochafegh, l’un des conseillers de M. Mehdi Karoubi, ancien
président du Parlement, actuellement en résidence surveillée).
Après
le coup d’état électoral, ces mêmes « Pasdarans » ont mis la main sur
un tiers de l’économie iranienne. La corruption, le népotisme, le pillage et la
mauvaise gestion ont amené l’économie au bord du précipice. L’inflation dépasse
officiellement les 30%. Les fondamentalistes prétendent incriminer les
sanctions économiques. Mais personne n’est dupe. L’ampleur de la catastrophe
est directement liée à l’incompétence de l’ancienne équipe dirigeante.
Se
trouvant à la croisée des chemins : soit le régime persistait sur la même
voie, conduisant à l’effondrement total, sous la pression populaire et
internationale, soit il se résignait à changer de direction. C’est la deuxième
voie qui fut choisi.
Certes,
les fondamentalistes ont résisté jusqu’au bout. Le chef des
« Pasdarans » Mohamad Ali Jafari s’est rendu en personne au bureau du
Conseil des gardiens pour s’assurer que ces derniers allaient bien rejeter la
candidature de l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani, pourtant l’un des
fondateurs de la république islamique. (2) Ainsi va la « démocratie »
sous sa majesté le calife !
Des
rumeurs ont fait état de la volonté du peuple de boycotter l’élection
présidentielle. Mais, Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami, l’ancien
président de la république, ont exhorté la population à aller voter. Une grande
mobilisation s’est opérée en moins de 48 heures, conduisant à l’élection
d’Hassan Rohani, pourtant peu connu comme réformateur. Force est de constater
qu’Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami ont sauvé la république
islamique.
Toujours
est-il que l’échec des fondamentalistes, tel Jalili, poulain connu de Khamenei,
représente un désaveu, voire une gifle à Khamenei, qui a conduit le pays à
l’état où il se trouve.
Rohani,
homme de confiance de Khamenei, a maintenant toutes les cartes en main. Il
devient président d’un régime à bout de souffle. Le peuple reste mobilisé. Il
souhaite ardemment l’instauration de libertés démocratiques et d’un Etat de
Droit, une gestion moderne de l’économie, la fin des privilèges, la lutte
contre la pauvreté et la corruption, ainsi que la fin des discriminations qui
frappent les couches fragiles de la société, en particulier les femmes.
Vu
l’ampleur de la tâche, rien ne dit que Rohani réussira à donner satisfaction
aux revendications sociétales et économiques de la population tourmentée. Car,
il y a le plafond de verre de velayat-e faqih qui a montré son
incompatibilité avec les institutions de la république.
Le
clergé chiite n’a qu’une alternative. Soit le velayat-e faqih se résigne
à devenir un pouvoir purement symbolique ; soit il quitte définitivement
la scène politique, faisant place à une véritable République d’Iran. L’avenir
dira quel sera le choix du clergé, qui, en définitive, fait toujours couler
beaucoup de sang au nom d’Allah.
(1) Le Monde diplomatique du février 2010- www.aei.org/outlook/27433
(2) Le Monde du 13 juin 2013.