24.6.13

Analyse 11 (2013)- Le calife d'Iran et sa république


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 23 juin 2013

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Le calife d’Iran et sa république


La république islamique est un califat « moderne ». Selon Le Petit Robert, un calife est un « souverain musulman, successeur de Mahomet, et investi du pouvoir spirituel et temporel ».

L’article 2 de la Constitution est on ne peut plus clair : « Dieu exerce en Iran une souveraineté absolue et préside à l’élaboration des lois ». La Constitution confère, donc, aux religieux la primauté sur le politique. C’est la doctrine du velayat-e faqih (« gouvernement du docte »).

Actuellement, c’est Ali Khamenei, le faqih, qui, en l’absence de Mahdi, l’« Imam caché », représente Dieu et, au moyen de la charia, exerce le pouvoir absolu du religieux sur le politique.

Le califat iranien n’est plus-il est vrai- ce qu’il était au Moyen-âge. La Révolution a triomphé en 1979, dans un pays relativement développé. Khomeiny s’est trouvé entouré de jeunes croyants laïcs, cultivés et épris de libertés, à l’exemple de la société iranienne dans son ensemble.

Le terme « république islamique » tend à concilier la doctrine archaïque du velayat-e faqih avec les aspirations démocratiques de la génération qui a fait la révolution.

La république a répondu aux besoins d’un monde moderne. Il fallait gérer, les villes, les écoles, les universités, les hôpitaux, construire des routes, des métros, des aéroports, des centrales électriques, des barrages, des usines ; former des enseignants, des chercheurs, des ingénieurs, créer des centres de recherche scientifique, etc. L’école théologique de Ghom, ville sainte du chiisme iranien, avec ses mollahs moyenâgeux, tournés vers le martyre des imams chiites, n’était, quant à elle, pas équipée intellectuellement pour résoudre les problèmes d’une société moderne.

Depuis 1979, deux mondes vivent et évoluent en parallèle : l’islam et la république. L’islam exerce sa priorité et regarde la république d’un œil méfiant.

30 ans après sa fondation, la république islamique ne ressemble plus à celle de sa naissance. Le clergé a perdu son unité et les mollahs ont rejoint des courants commerciaux et industriels, dont la gestion exige l’emploi de méthodes plus ou moins modernes.

Or, la gestion des affaires a produit des frictions croissantes entre les deux tendances présentes au sein de l’Etat. Un certains nombre de mollahs, sentant le vent tourner, ont cherché à accompagner le mouvement en faveur des « réformes ». La charia et ses lois archaïques se sont montrées de plus en plus incompatibles avec les besoins d’un Etat du 21è siècle.

Le développement du mouvement réformiste a eu pour effet de renforcer la résistance des fondamentalistes, maître des appareils de l’Etat et de l’armée.

L’élection de 2009, opposant Ahmadinejad, poulain de Khamenei, à un candidat réformateur, a donné l’occasion à Khamenei d’étouffer définitivement le camp des républicains, quoique fidèles au régime ; et, par ailleurs, d’installer un califat moyenâgeux destiné à préparer la « résurrection » de l’« imam caché ». Ce coup d’état électoral a réussi grâce au soutien des « Pasdarans », garde prétorienne du régime.

Mais, c’était sous estimer la vague réformatrice. On connait la suite. Les manifestants qui contestaient l’élection d’Ahmadinejad ont été brutalement réprimés. Des dizaines de manifestants furent tués, et des milliers, dont les deux chefs réformateurs, sont toujours en prison ou en résidence surveillée. Depuis quatre ans, un climat sécuritaire pesant, contesté même par certains caciques du régime, règne dans le pays.

A son tour, Ahmadinejad, confronté aux réalités de la gestion d’un Etat moderne, s’est peu à peu opposé à Khamenei et à son entourage fondamentaliste. Cela ne l’a pas empêché de préparer la « résurrection », au prix de millions d’euros, servant, entre autres, à produire un filme intitulé la « résurrection est proche » !

Les conséquences économiques de la mainmise de Khamenei et de ses proches sur l’Etat s’avèrent catastrophiques. Les « Pasdarans », contrôlaient déjà « le tiers des importations », à partir d’une soixantaine de quais sur les rives du Golfe Persique, d’une dizaine d’aéroports-dont celui de Payam, proche de Téhéran (…)- de vingt-cinq quais de dédouanement à l’aéroport international de Méhrabad » (selon une déclaration en 2007 (1) de M.Mhammad Ali Mochafegh, l’un des conseillers de M. Mehdi Karoubi, ancien président du Parlement, actuellement en résidence surveillée).

Après le coup d’état électoral, ces mêmes « Pasdarans » ont mis la main sur un tiers de l’économie iranienne. La corruption, le népotisme, le pillage et la mauvaise gestion ont amené l’économie au bord du précipice. L’inflation dépasse officiellement les 30%. Les fondamentalistes prétendent incriminer les sanctions économiques. Mais personne n’est dupe. L’ampleur de la catastrophe est directement liée à l’incompétence de l’ancienne équipe dirigeante.

Se trouvant à la croisée des chemins : soit le régime persistait sur la même voie, conduisant à l’effondrement total, sous la pression populaire et internationale, soit il se résignait à changer de direction. C’est la deuxième voie qui fut choisi.

Certes, les fondamentalistes ont résisté jusqu’au bout. Le chef des « Pasdarans » Mohamad Ali Jafari s’est rendu en personne au bureau du Conseil des gardiens pour s’assurer que ces derniers allaient bien rejeter la candidature de l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani, pourtant l’un des fondateurs de la république islamique. (2) Ainsi va la « démocratie » sous sa majesté le calife !

Des rumeurs ont fait état de la volonté du peuple de boycotter l’élection présidentielle. Mais, Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami, l’ancien président de la république, ont exhorté la population à aller voter. Une grande mobilisation s’est opérée en moins de 48 heures, conduisant à l’élection d’Hassan Rohani, pourtant peu connu comme réformateur. Force est de constater qu’Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami ont sauvé la république islamique.

Toujours est-il que l’échec des fondamentalistes, tel Jalili, poulain connu de Khamenei, représente un désaveu, voire une gifle à Khamenei, qui a conduit le pays à l’état où il se trouve.

Rohani, homme de confiance de Khamenei, a maintenant toutes les cartes en main. Il devient président d’un régime à bout de souffle. Le peuple reste mobilisé. Il souhaite ardemment l’instauration de libertés démocratiques et d’un Etat de Droit, une gestion moderne de l’économie, la fin des privilèges, la lutte contre la pauvreté et la corruption, ainsi que la fin des discriminations qui frappent les couches fragiles de la société, en particulier les femmes.

Vu l’ampleur de la tâche, rien ne dit que Rohani réussira à donner satisfaction aux revendications sociétales et économiques de la population tourmentée. Car, il y a le plafond de verre de velayat-e faqih qui a montré son incompatibilité avec les institutions de la république.

Le clergé chiite n’a qu’une alternative. Soit le velayat-e faqih se résigne à devenir un pouvoir purement symbolique ; soit il quitte définitivement la scène politique, faisant place à une véritable République d’Iran. L’avenir dira quel sera le choix du clergé, qui, en définitive, fait toujours couler beaucoup de sang au nom d’Allah.


(1)  Le Monde diplomatique du février 2010- www.aei.org/outlook/27433

(2)  Le Monde du 13 juin 2013.

16.6.13

Analyse 10 (2013)

Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 16 juin 2013
                                                              
Les gouvernements russe et américain ont sifflé la fin
de l’insurrection en Syrie

Le soulèvement du peuple syrien contre le régime dictatorial de Bachar Al-Assad, commencé il y a plus de deux ans, a des causes internes. « La situation socio-économique était déplorable : sur trois cent mille Syriens arrivant chaque année sur le marché du travail, seuls huit mille décrochaient un contrat de travail en bonne et due forme. Des réformes néolibérales imposées brutalement avaient transformé les monopoles publics en privés et engendré un capitalisme de copains et de coquins. Un état d’urgence en vigueur depuis 1963 étouffait toutes les libertés. La torture, institutionnalisée, était érigée en mode de gouvernement et de domestication des masses(1)

Le soulèvement, commencé par des manifestations pacifiques où chaque vendredi, après la prière, des milliers de Syriens descendaient dans la rue pour exprimer leur malaise et leur ras le bol d’un régime impitoyable et corrompu, s’est rapidement militarisé.

Des centaines de militaires ont rejoint la rébellion armée qui, profitant de la panique du régime, de sa désorganisation et des hésitations de l’armée, s’est rapidement emparée d’une grande partie du nord et du centre de la Syrie. Les postes frontaliers tombaient les uns après les autres et l’on spéculait sur la chute imminente du régime de Bachar AL-Assad. En août 2012, Laurent Fabius déclarait aux journalistes : « M.Bachar Al-Assad ne mériterait pas d’être sur Terre » ; il a tenu à mettre en garde contre l’après-Al-Assad : « Il faut travailler pour remplacer ce régime et en même temps faire en sorte que ce remplacement se fasse dans des conditions maîtrisées. Nous ne voulons pas qu’il y ait un chaos qui succède à la situation actuelle. (2) Tout un programme !

M. Laurent Fabius, sujet de plaisanterie de la part de Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, représente à lui seul toute la faiblesse de la diplomatie moyen-orientale de la France.

L’éditorial du monde du 23 août 2012 était sans appel : « Chacun sait, en effet, que les jours - ou, hélas, les mois - de l’actuel régime syrien sont comptés, que sa chute est inéluctable ».

On entendait le même son de cloche chez certains hommes politiques moyen-orientaux anti-Assad, comme Saad Hariri, pour qui : « Le régime syrien va tomber à l’issue de ce conflit, c’est sûr. (…) Le régime ne contrôle plus le paysil cède de plus en plus de terrain à l’Armée syrienne libre [ASL]. Le peuple syrien est en train de gagner.».(3)

Parallèlement, pour charger la barque du régime syrien honni, des « intellectuels engagés » font circuler des mensonges afin de préparer l’opinion à une intervention militaire occidentale. Bernard Henry Lévy (BHL), le philosophe multicartes, lançait sur son site, dès septembre 2011, des accusations difficiles à vérifier, contre le régime syrien : « Des tueurs d’Assad [ont] lancé dans la région d’Al-Rastan, non loin de la ville rebelle de Homs, des opérations aériennes avec utilisation de gaz toxiques »(4) Concernant les affirmations de BHL, l’AFP écrit « en dépit d’une semaine de recherches, aucun chef rebelle, chef de tribu, médecin, simple combattant ou civil n’a pu produire de preuve irréfutable. ».(4)

Même l’essayiste Caroline Fourest, sans vérifier la fiabilité des informations diffusées par une chaîne, filiale de la CIA, écrit dans Le Monde (25 février 2012) : « D’après Al-Arabiya, des opposants au régime iranien affirment que leur gouvernement a fourni un four crématoire à son allié syrien. Installé dans la zone industrielle d’Alep, il tournerait à plein régime…Pour brûler les cadavres des opposants ?».(4) Ahmadinejad qui nie l’holocauste, et son gouvernement qui fournit des fours crématoires au régime syrien : tout est là pour exiger la réaction salvatrice de la « communauté internationale » contre les «islamo-fascistes» ! Plus superficiel, menteur et sans scrupule que moi, tu meurs.

Mais, les pronostiqueurs, menteurs et « humanistes » à la BHL ont oublié un facteur : l’importance géostratégique de la Syrie pour la Russie, la Chine, l’Inde et l’Iran. De temps en temps, des informations filtraient en ce sens. « Riyad - qui a juré la perte de Bachar Al-Assad, du fait de vieux contentieux bilatéraux et pour affaiblir l’Iran, le grand ennemi régional allié de Damas - est, une fois n’est pas coutume, aux avant-postes » écrivait Gilles Paris, journaliste. (5)

Malgré le caractère géostratégique évident da la bataille de Syrie, certains géopoliticiens insistent pour conférer un caractère confessionnel au conflit syrien. Karim Emile Bitar, géopolitologue et spécialiste du monde arabe à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), en fait partie. Selon lui, l’OCI (l’Organisation de la coopération islamique) reste « fragilisée par l’opposition chiite-sunnite en son sein ». (6) Elle ne dit rien, non plus, sur la nature du conflit qui oppose les puissances occidentales, menées par les Etats-Unis, à celles orientales en Syrie, composées principalement de la Russie et de l’Iran. (1) Elle devra attendra 30 ans, la durée respectée par les Etats pour déclassifier certains dossiers secrets, afin de se rendre compte que la bataille de Syrie est avant tout une bataille d’ordre géostratégique.

C’est la militarisation de la révolution syrienne, les besoins croissants des rebelles en armes et en argent, qui ont ouvert la porte du pays aux puissances régionales et mondiales qui ont transformé la Syrie en champ de règlement de compte. Selon le Financial Times, le Qatar aurait déjà dépensé 3 milliards de dollars pour armer les rebelles. (1) Ce que ne révèle pas le journal, c’est que le Qatar, petit et richissime émirat du Golfe Persique, est le fer de lance des intérêts occidentaux, en particulier américains.

Un dernier exemple de l’implication des puissances étrangères en Syrie. Pour relancer l’insurrection à partir de Deraa, Riyad finance des livraisons d’armes, Washington supervise des formations et Amman prête son territoire aux uns comme aux autres. Les destinataires de ce dispositif sont des groupes « labélisés » Armée syrienne libre (ASL), sélectionnés et commandés par le général Ahmed Al-Na’ameh, un ancien officier de l’armée régulière. (7)

Toujours est-il que la bataille qui, au départ, opposait le peuple syrien au régime dictatorial de Bachar Al-Assad, s’est rapidement transformée en bataille russo-américaine.

Tout porte à croire que la visite du secrétaire d’Etat John Kerry, les 7 et 8 mai en Russie, aurait permis de dégager un consensus russo-américain : la Syrie restera dans le giron oriental. C’est le coup de sifflet final. L’armée syrienne, après la reconquête de Quossair, s’est lancée à la reconquête totale de Homs et d’Alep. Bientôt, la rébellion syrienne fera partie des souvenirs. Les « révélations » sur l’utilisation du gaz sarin, ou la levée de l’embargo sur les armes en faveur des insurgés, n’y changeront rien.

Question : en échange de la Syrie, qu’ont obtenu les Américains ?


(1)   Karim Emile Bitar - Le Monde Diplomatique de juin 2013.
(2)   Le Monde des 19-20 août 2012.
(3)   Christophe Ayad et Benjamin Barth - Le Monde du 13 septembre 2012.
(4)   Le Monde Diplomatique de septembre 2012.
(5)   Le Monde du 15 août 2012.
(6)   Shahzad Abdul - Le Monde du  15 août 2012.
      (7)Benjamin Barthe - Le Monde du 30 avril 2013.