Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 16
juin 2013
Les gouvernements russe et américain ont sifflé la fin
de l’insurrection en Syrie
Le
soulèvement du peuple syrien contre le régime dictatorial de Bachar Al-Assad,
commencé il y a plus de deux ans, a des causes internes. « La situation
socio-économique était déplorable : sur trois cent mille Syriens arrivant
chaque année sur le marché du travail, seuls huit mille décrochaient un contrat
de travail en bonne et due forme. Des réformes néolibérales imposées
brutalement avaient transformé les monopoles publics en privés et engendré un
capitalisme de copains et de coquins. Un état d’urgence en vigueur depuis 1963
étouffait toutes les libertés. La torture, institutionnalisée, était érigée en
mode de gouvernement et de domestication des masses.»(1)
Le
soulèvement, commencé par des manifestations pacifiques où chaque vendredi,
après la prière, des milliers de Syriens descendaient dans la rue pour exprimer
leur malaise et leur ras le bol d’un régime impitoyable et corrompu, s’est
rapidement militarisé.
Des
centaines de militaires ont rejoint la rébellion armée qui, profitant de la panique
du régime, de sa désorganisation et des hésitations de l’armée, s’est
rapidement emparée d’une grande partie du nord et du centre de la Syrie. Les
postes frontaliers tombaient les uns après les autres et l’on spéculait sur la
chute imminente du régime de Bachar AL-Assad. En août 2012, Laurent Fabius
déclarait aux journalistes : « M.Bachar Al-Assad ne
mériterait pas d’être sur Terre » ; il a tenu à mettre en garde
contre l’après-Al-Assad : « Il
faut travailler pour remplacer ce régime et en même temps faire en sorte que ce
remplacement se fasse dans des conditions maîtrisées. Nous ne voulons pas qu’il
y ait un chaos qui succède à la situation actuelle.». (2) Tout un programme !
M.
Laurent Fabius, sujet de plaisanterie de la part
de Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires
étrangères, représente à lui seul toute la faiblesse de la diplomatie
moyen-orientale de la France.
L’éditorial
du monde du 23 août 2012 était sans appel : « Chacun sait, en
effet, que les jours - ou, hélas, les mois - de l’actuel régime syrien sont
comptés, que sa chute est inéluctable ».
On
entendait le même son de cloche chez certains hommes politiques moyen-orientaux
anti-Assad, comme Saad Hariri, pour qui : « Le régime syrien
va tomber à l’issue de ce conflit, c’est sûr. (…) Le régime ne contrôle
plus le pays…il cède de plus en plus de terrain à l’Armée syrienne libre
[ASL]. Le peuple syrien est en train de gagner.».(3)
Parallèlement,
pour charger la barque du régime syrien honni, des « intellectuels
engagés » font circuler des mensonges afin de préparer l’opinion à une
intervention militaire occidentale. Bernard Henry Lévy (BHL), le philosophe
multicartes, lançait sur son site, dès septembre 2011, des accusations
difficiles à vérifier, contre le régime syrien : « Des tueurs
d’Assad [ont] lancé dans la région d’Al-Rastan, non loin de la ville
rebelle de Homs, des opérations aériennes avec utilisation de gaz
toxiques »(4) Concernant les affirmations de BHL, l’AFP
écrit « en dépit d’une semaine de recherches, aucun chef rebelle, chef
de tribu, médecin, simple combattant ou civil n’a pu produire de preuve
irréfutable. ».(4)
Même
l’essayiste Caroline Fourest, sans vérifier la fiabilité des informations
diffusées par une chaîne, filiale de la CIA, écrit dans Le Monde (25 février
2012) : « D’après Al-Arabiya, des opposants au régime iranien
affirment que leur gouvernement a fourni un four crématoire à son allié syrien.
Installé dans la zone industrielle d’Alep, il tournerait à plein régime…Pour
brûler les cadavres des opposants ?».(4)
Ahmadinejad qui nie l’holocauste, et son gouvernement qui fournit des fours
crématoires au régime syrien : tout est là pour exiger la réaction
salvatrice de la « communauté internationale » contre
les «islamo-fascistes» ! Plus superficiel, menteur et sans scrupule
que moi, tu meurs.
Mais,
les pronostiqueurs, menteurs et « humanistes » à la BHL ont oublié un
facteur : l’importance géostratégique de la Syrie pour la Russie, la
Chine, l’Inde et l’Iran. De temps en temps, des informations filtraient en ce
sens. « Riyad - qui a juré la perte de
Bachar Al-Assad, du fait de vieux contentieux bilatéraux et pour affaiblir
l’Iran, le grand ennemi régional allié de Damas - est, une fois n’est pas
coutume, aux avant-postes » écrivait Gilles Paris, journaliste. (5)
Malgré
le caractère géostratégique évident da la bataille de Syrie, certains
géopoliticiens insistent pour conférer un
caractère confessionnel au conflit syrien. Karim Emile Bitar, géopolitologue et
spécialiste du monde arabe à l’Institut des relations internationales et
stratégiques (IRIS), en fait partie. Selon lui, l’OCI (l’Organisation de la
coopération islamique) reste « fragilisée par l’opposition
chiite-sunnite en son sein ». (6) Elle ne dit rien, non
plus, sur la nature du conflit qui oppose les puissances occidentales, menées
par les Etats-Unis, à celles orientales en Syrie, composées principalement de
la Russie et de l’Iran. (1) Elle
devra attendra 30 ans, la durée respectée par les Etats pour déclassifier
certains dossiers secrets, afin de se rendre compte que la bataille de Syrie
est avant tout une bataille d’ordre géostratégique.
C’est
la militarisation de la révolution syrienne, les besoins croissants des
rebelles en armes et en argent, qui ont ouvert
la porte du pays aux puissances régionales et mondiales qui ont transformé la
Syrie en champ de règlement de compte. Selon le Financial Times, le
Qatar aurait déjà dépensé 3 milliards de dollars pour armer les rebelles. (1)
Ce que ne révèle pas le journal, c’est que le Qatar, petit et richissime émirat
du Golfe Persique, est le fer de lance des intérêts occidentaux, en particulier
américains.
Un
dernier exemple de l’implication des puissances étrangères en Syrie. Pour
relancer l’insurrection à partir de Deraa, Riyad finance des livraisons
d’armes, Washington supervise des formations et Amman prête son territoire aux
uns comme aux autres. Les destinataires de ce dispositif sont des groupes
« labélisés » Armée syrienne libre (ASL), sélectionnés et commandés
par le général Ahmed Al-Na’ameh, un ancien officier de l’armée régulière. (7)
Toujours
est-il que la bataille qui, au départ, opposait le peuple syrien au régime
dictatorial de Bachar Al-Assad, s’est rapidement transformée en bataille
russo-américaine.
Tout
porte à croire que la visite du secrétaire d’Etat John Kerry, les 7 et 8 mai en
Russie, aurait permis de dégager un consensus russo-américain : la Syrie
restera dans le giron oriental. C’est le coup de sifflet final. L’armée
syrienne, après la reconquête de Quossair, s’est lancée à la reconquête totale
de Homs et d’Alep. Bientôt, la rébellion syrienne fera partie des souvenirs.
Les « révélations » sur l’utilisation du gaz sarin, ou la levée de
l’embargo sur les armes en faveur des insurgés, n’y changeront rien.
Question :
en échange de la Syrie, qu’ont obtenu les Américains ?
(1) Karim Emile
Bitar - Le Monde Diplomatique de juin 2013.
(2) Le Monde des
19-20 août 2012.
(3) Christophe Ayad
et Benjamin Barth - Le Monde du 13 septembre 2012.
(4) Le Monde
Diplomatique de septembre 2012.
(5) Le Monde du 15
août 2012.
(6) Shahzad Abdul -
Le Monde du 15 août 2012.
(7)Benjamin Barthe - Le Monde
du 30 avril 2013.
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