6.10.09

Analyse 23 (2009)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 06 octobre 2009


cpjmo@yahoo.fr


Iran: combien de divisions? Combien de missiles?

Combien de centrifugeuses?


C’est en ces termes que les adversaires de l’Iran le jugent


Question: si l’Iran ne maîtrisait pas la technologie d’enrichissement d’uranium et de fabrication de missiles; si face à la machine de guerre israélienne, les amis de l’Iran, la Syrie et le Hezbollah libanais, ne pouvaient pas aligner de missiles pour se défendre; finalement, si l’Iran n’avait aucun réseau d’influence en Irak et en Afghanistan, ses adversaires occidentaux (États-Unis, Angleterre, France et Allemagne), l’auraient-ils pris au sérieux et l’auraient-ils invité à débattre à la table des «Grands» le premier octobre 2009?


Quiconque un tant soit peu informé des lois qui régissent les rapports de force entre États, répondra, sans hésiter, négativement à la question posée.


Les pourparlers entre l’Iran et les 5+1 portent sur le partage de zones d’influence au Moyen-Orient et en Asie centrale. Mais, les médias occidentaux ne parlent que de la question nucléaire iranienne qui joue exactement le même rôle que les «armes de destruction massives», moyen de pression et prétexte ayant permis aux Etats-Unis et aux Britanniques d’envahir l’Irak, un pays jadis souverain.


Puisque les propagandes occidentales s’époumonent autour du nucléaire iranien, alors parlons nucléaire. Puissances technologiques et financières, les pays occidentaux (la France, l’Allemagne et l’Angleterre) n’ont jamais tenu parole et n’ont jamais voulu d’un Iran politiquement indépendant et technologiquement développé.


Nucléaire: les Occidentaux ont trompé l'Iran


Selon Akbar Etemad, ancien président de l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran sous le Chah (vassal des États-Unis), les Européens ont fait perdre à l’Iran plusieurs milliards de dollars: «L'Allemagne a refusé d’accorder la licence d’exportation concernant les équipements complets des deux centrales nucléaires construites à Bushehr, au sud de l’Iran. Pourtant, ces équipements, qui sont entreposés depuis vingt-cinq ans en Allemagne, appartiennent à l’Iran parce que payés entièrement. (…) Quant à la France, elle a refusé à l’Iran le droit de faire enrichir son uranium dans l’usine d’enrichissement du Tricastin appartenant à la société Eurodif. Pourtant, l’Iran s’était associé au capital de cette société à hauteur de 10% pour avoir accès aux services d’enrichissement nécessaire pour l’approvisionnement de ses centrales en combustibles (…) La Grande Bretagne (…) a participé au front du refus en retenant un envoi d’uranium appartenant à Téhéran qui transitait par l’Angleterre à destination de Téhéran.»(1)


Conséquence : «Les Européens se sont dérobés à leurs engagements. Ces pertes se chiffrent en milliards de dollars et sans doute encore beaucoup plus en manque à gagner du fait de plus de vingt ans de retard dans la réalisation du programme nucléaire iranien»(1).


Question: Qui, des Iraniens ou des Européens, n’ont-ils pas respecté leurs engagements et les lois internationales? «Si l’Iran demandait la réparation des dommages subis, quelle serait l’attitude des pays européens?»(1).


Autant de questions et d’esquisses de réponses, montrant que les Européens ont floué l’Iran. Actuellement, de part et d’autre, la méfiance est de mise et le rétablissement de la confiance n’est pas pour demain.


Il est à souligner que ce n’est pas l’Iran qui a changé d’attitude. Il continue à enrichir de l’uranium. Ce sont les Européens qui ont modifié leur position envers l’Iran, parce que «Téhéran a réalisé une percée technologique importante dans le cycle du combustible nucléaire (…) On peut se demander pourquoi l’Iran accepterait de s’arrêter en si bon chemin»(1) (Souligné par nous). Force est de constater qu’aucune pression occidentale n’est plus en mesure d’arrêter le développement technologique de l’Iran, même si le progrès touche avant tout le domaine militaire et nucléaire. L’existence même de l’Iran en dépend.


Comme nous l’avons écrit plus haut, l’ordre du jour des pourparlers du premier octobre (date choisie par l’Iran), touche avant tout à des questions d’ordre politique, économique, géostratégique. Un exemple: en marge des négociations, William BURNS, négociateur américain, a rencontré son homologue iranien Saïd JALILI, pour parler…de l’Irak et de l’Afghanistan! Ces pourparlers se déroulent dans une ambiance de pressions réciproques.


Moyens de pressions


Quels sont les moyens de pression américains, iraniens, russes ou chinois?

L’Occident, en particulier les Américains, a de formidables moyens de pression technologique, financière et militaire. Sous la pression américaine, le Japon s’est retiré de l’exploitation d’un grand champ pétrolier en Iran, alors que l’Iran est le principal fournisseur de pétrole du Japon. Ce faisant, le Japon dépendra toujours des bons vouloirs des États-Unis qui, contrôlant les sources d’approvisionnement énergétiques, continueront à «maîtriser» le Japon.


De même l’Allemagne, principal partenaire commercial de l’Iran, commence à réduire, sous la pression américaine, son commerce avec l’Iran qui doit s’approvisionner auprès d’autres pays. Le marché iranien échappe aux entreprises allemandes qui ne ratent aucune occasion pour manifester leur mauvaise humeur. Les banques occidentales confisquent les avoirs iraniens et n’octroient pas de crédit aux sociétés occidentales qui souhaitent investir en Iran, dans l’industrie, le gaz et le pétrole.


La Chine résiste à la pression américaine et s’oppose à toute nouvelle sanction contre l’Iran. En effet, l’embargo américain contre l’Iran vise à couper la Chine de ses sources d’approvisionnement et de la faire dépendre, comme le Japon, des Etats-Unis. Couper la Chine du marché iranien constitue un autre objectif des Etats-Unis qui s’inquiètent des rapprochements politiques sino-iraniens.


Les pressions américaines sur l’Iran poussent ce pays à créer des réseaux parallèles et relativement chers : ainsi certaines marchandises traversent Dubaï. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, des produits américains arrivent en Iran via Dubaï.


Les pressions américaines s’exercent également sur la Russie, deuxième puissance nucléaire mondiale. Souvenons-nous des oligarques russes qui voulaient introduire le pétrole et le gaz russes dans les bourses occidentales (New York, Londres, Paris,…), brader ainsi la richesse russe et faire perdre la souveraineté économique, puis politique, au pouvoir russe. Les pressions américaines sur la Russie sont également d’ordre militaire. L’OTAN étend son influence jusqu’aux frontières naturelles russes, installant des bases militaires autour de la Russie, en Géorgie, en Azerbaïdjan et en Asie centrale. Ces moyens de pression sont actionnés lorsque l’Occident souhaite mettre la main sur la zone d’influence russe ou l’éloigner de l’Iran, son partenaire stratégique.


A son tour, l’Iran possède de formidables moyens de pression sur l’Occident. Ses réseaux d’influence en Irak, en Afghanistan et au Liban en font un redoutable adversaire des États-Unis au Moyen-Orient. Si un calme précaire prévaut en Irak, c’est avant tout grâce à l’Iran qui, en quelque sorte, cogère l’Irak avec les États-Unis. Sous la pression de Téhéran, l’Armée du Mahdi a rangé ses armes et participe aux élections et autres activités politiques «pacifiques». Jusqu’à quand?


Le même phénomène s’observe en Afghanistan où l’Iran, influent à l’ouest, au centre et au nord, est en mesure de mener la vie dure aux troupes de l’OTAN.


Que cherche l'Iran?


Que cherche l’Iran? Sa sécurité, le respect de ses intérêts et de sa zone d’influence en tant que grande puissance régionale. L’Iran et les Etats-Unis sont obligés de s’entendre, malheureusement, sur le dos des peuples de la région qui rejettent toute domination étrangère, qu’elle soit américaine ou iranienne. Cette entente américano-iranienne n’ira pas sans accrochage. Les puissances militaires sont à la merci de la résistance des peuples, des problèmes économiques, de l’enlisement et des contestations nationales, voire mondiales, et des coups bas des adversaires, détériorant d’autan le moral des troupes et sapant l’autorité de l’envahisseur qui finit un jour par plier bagage. Nous n’en sommes pas encore là, mais le rapprochement des États-Unis avec l’Iran montre bien que l’Amérique souffre de ses guerres et a énormément besoin de l’Iran.


Les pourparlers entre l’Iran et ses adversaires sont très complexes et portent essentiellement sur le partage de zones d’influence. Vouloir les limiter à la question nucléaire (moyens de pression) relève de la propagande ou de la myopie. Les discussions nous réserveront bien des surprises.


(1) Le Monde du 20 janvier 2005.

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