14.5.12

Analyse 6 (2012)


Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 14 mai 2012

                
La bataille de Syrie

Quelle est la marge de manœuvre de l’opposition syrienne ?

Après la bataille de Libye, gagnée par l’Occident, la bataille de Syrie ne fait que commencer. Les enjeux de cette bataille sont d’ordre intérieur et surtout mondial.

Sur le plan intérieur, le régime de Bachar Al-Assad est un régime dictatorial et brutal qui ne connaît que le langage de la force. L’histoire de ce régime, installé suite à un coup d’état militaire, est jonchée de répressions et de massacres de civils qui osent manifester leur désir d’une société démocratique et d’un Etat de droit.

Actuellement, la résistance syrienne est divisée en plusieurs courants qui divergent aussi bien sur la politique à mener à l’égard du régime, sur la nature de la résistance-armée ou pacifique- que vis-à-vis des questions d’ordre international.

Face à la puissance de feu du régime syrien, un groupe de résistants s’est rapproché de l‘Occident et demande son intervention militaire. C’est surtout le cas du Conseil national syrien (CNS), mené par Burhan Ghalioun par ailleurs professeur à la Sorbonne. Pour le «Comité national de coordination pour le changement démocratique» (CNCD), un autre groupe de résistants dont les principaux membres viennent quasiment tous de la gauche nationaliste arabe ou kurde, «le CNS est le jouet de puissances étrangères comme le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie»(*).

Il est vrai qu’un mouvement de contestation au Proche et au Moyen-Orient revêt dès sa naissance un caractère international. L’Afghanistan, l’Irak et la Libye ont été reconquis par une coalition internationale menée par les Etats-Unis. La bataille de Syrie n’est que la prolongation des batailles d’Afghanistan, d’Irak et de Libye dont l’objectif est la création du Grand Moyen-Orient, cher à l’ancien président américain Georges Bush.

Faut-il souligner que l’Arabie saoudite et le Qatar soutiennent un mouvement d’insurrection dont l’objectif affiché est la création d’un régime respectueux des libertés et d’un Etat de droit en Syrie ? Or, le régime saoudien est l’archétype même d’un régime théocratique, obscurantiste, tortionnaire, misogyne et réactionnaire qui applique à la lettre la charia, un corpus de lois médiévales et antidémocratiques. De surcroît, opposée au mouvement démocratique bahreïni, l’armée saoudienne a réprimé l’opposition qui réclame un régime issu des élections, respectueux des libertés démocratiques ainsi que l’instauration d’un Etat de Droit. L’Arabie saoudite soutient les insurgés syriens, mais réprime les contestataires bahreïnis, alors que les deux poursuivent les mêmes objectifs.

La convergence des intérêts géopolitiques conduit l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et Israël à agir dans le sens des intérêts occidentaux dont l’objectif est de perpétuer la domination occidentale sur le Proche et le Moyen-Orient, région clé indispensable à son hégémonie mondiale.

Il y a pourtant, au Moyen-Orient, une situation paradoxale. Adulé par les peuples des pays arabo-musulmans, l’Iran, soutien stratégique du régime syrien, est à l’offensive au Moyen-Orient. Mais, la société iranienne est elle-même minée de l’intérieur, le clergé chiite est plus que jamais divisé, les mollahs contestataires sont emprisonnés et le régime de plus en plus contesté par le peuple. La répression s’amplifie contre la société civile, contre les cinéastes, les écrivains, les intellectuels et les femmes et face à la contestation grandissante, la direction de la république islamique prépare le terrain à l’émergence d’un califat moyenâgeux, incompatible avec le niveau de développement économique et scientifique d'un pays qui a lancé trois satellites dans l'espace. Les divisions au sein même des Pasdarans, armée idéologique du régime, sont sur la place publique.

De leur côté, les Américains, endettés et sur la défensive, sont haïs au Proche et au Moyen-Orient et leurs protégés des pays du Golfe persique sont contestés par leur propre peuple. Mais, profitant de l’agitation sociale en Syrie, les Américains et leurs alliés européens tentent d’exploiter l’offensive de la société civile contre le régime syrien pour acculer leurs adversaires orientaux, la Russie, la Chine et l’Iran.

L’opposition syrienne- en particulier le CNCD- est dans une situation très difficile. Elle est, d’une part, opposée à l’Occident, soutien d’Israël, l’ennemi qui occupe une partie du territoire syrien et qui opprime le peuple palestinien. D’autre part, combattre le régime syrien revient aussi à combattre ses soutiens iranien, russe et chinois qui ne sont pas des modèles de démocratie, loin s’en faut.

Face à l’immensité de la tâche, l’opposition syrienne n’a pratiquement pas de marge de manœuvre. Le régime syrien, l’Occident et les puissances orientales, soutiens de Bachar Al-Assad, en sont conscients.

Tout porte à croire que le régime syrien est en train de vivre une solution à l’algérienne ; l’Algérie fut autrefois déstabilisée par un puissant mouvement à connotation islamique. Tout en réprimant violemment l’opposition pacifique ou armée qui n’hésite pas à s’approvisionner auprès de ses soutiens étrangers turcs, libyens et saoudiens, le régime syrien organise des simulacres de référendum ou d’élections, dans le but de tromper l’opinion publique et mondiale et de démobiliser l’opposition.

Réprimer et épuiser le mouvement démocratique, se maintenir au pouvoir coûte que coûte, voici la recette du régime de Bachar Al-Assad, aux abois, mais conscient des rapports de force internationaux qui, pour l’instant, lui sont favorables.


*Christophe Ayad et Benjamin Barth-Le Monde du 31 mars 2012.

9.4.12

Analyse 5 (2012)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 9 avril 2012

cpjmo@yahoo.fr

La lutte finale de la bourgeoisie nationale

des pays arabo-musulmans

En Afrique, au Proche et au Moyen-Orient, les flammes du mouvement de libération nationale se propagent sans cesse


Parti d’Iran en 1979, le séisme révolutionnaire qui secoue actuellement le Nord de l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient est le prolongement des révolutions bourgeoises démocratiques, commencées au dix-huitième siècle en Europe et en Amérique.

La particularité de cette vague de mouvement révolutionnaire est qu’elle est menée par une institution féodale (l’institution religieuse) contre l’ancien système- inféodé au colonialisme occidental- dont elle fait partie. Le retard pris par le mouvement d’émancipation a des causes internes-retard du développement économique et social- et externes : domination et répression féroce colonialistes.

La révolte des Iraniens en 2009 contre l’élection frauduleuse d’Ahmadinejad à la présidence de la république islamique a montré que le système mis en place par l’institution religieuse finit par se retourner contre elle-même. En effet, l’instauration de l’Etat de droit et la séparation de la religion et de l’Etat constituaient des exigences non avouées des contestataires qui demandaient en filigrane l’instauration de la République d’Iran.

L’Iran a une longueur d’avance sur le mouvement d’émancipation qui secoue le monde arabo-musulman et qui a hâte de suivre l’exemple iranien, seul à ses yeux, capable d’arracher lesdits pays de la léthargie féodale et coloniale.

Hormis les pouvoirs islamiques fantoches mis en place par les colonialistes américains en Irak et en Afghanistan, force est de constater que les «démocrates musulmans» s’emparent du pouvoir en Turquie, en Tunisie, en Egypte, au Yémen, en Jordanie et au Maroc, alors qu’ils frappent à la porte en Syrie, à Bahreïn et en Arabie saoudite.

Le mouvement de contestation des pays arabo-musulmans n’est pas un mouvement homogène et ses dirigeants semblent portés par des considérations d’ordre pragmatique. En effet, en Jordanie et au Maroc, les «démocrates musulmans» au gouvernement forment l’aile «collaborationniste» du mouvement et n’ont pas encore remis en cause ni l’autorité du roi despote ni sa soumission à l’ordre néocolonial. L’aile révolutionnaire et anticolonialiste attend son heure qui ne saurait pas tarder.

Le même phénomène s’observe également en Tunisie et en Egypte où les «frères musulmans» constituent la fraction majoritaire des démocrates qui ne remettent en cause ni l’hégémonie politique de l’armée- aux ordres des Etats-Unis- ni les «accords de paix» humiliant Egypte-Israël qui soumettent l’Egypte aux désidératas des Etats-Unis et d’Israël.

D’aucuns essaient d’interpréter ces mouvements en terme de lutte d’influence opposant différentes branches de l’islam, comme l’opposition entre l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite. Sans vouloir minimiser le jeu d’influence politique via le levier religieux, il est important de signaler que l’ensemble du mouvement d’émancipation s’inscrit, in fine, dans le cadre du conflit qui oppose l’Orient anticolonialiste à l’Occident colonialiste.

L’exemple syrien est là pour montrer que le pouvoir de Bachar Al-Assad s’appuie sur la Russie, la Chine et la république islamique d’Iran pour combattre la tentative de prise du pouvoir par des frères musulmans qui s’appuient sur des puissances étrangères, dont l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis, la Turquie, Israël et les pays européens pour venir à bout d’un pouvoir dictatorial et répressif.

Il n’y a donc pas de place pour un conflit d’ordre religieux, même si certains «démocrates musulmans» mènent l’offensive contre l’ordre mis en place par les puissances colonialistes euro-américaines au nom d’un islam pur et dur.

Il faut rappeler que les potentats renversés en Tunisie et en Egypte se prétendaient garants d’un système, soutenu par l’«occident civilisé», en lutte contre le «terrorisme islamiste». Mais, le même Occident accepte aujourd’hui la gestion de ses intérêts par les ennemis «terroristes» d’hier.

Les flammes du mouvement de libération nationale se propagent sans cesse. La Somalie est en proie à une guerre civile incessante. Au Mali, les Touareg ont conquis le Nord du pays. Pour les colonialistes, il s’agit toujours de «terroriste islamistes» ou de salafistes intransigeants qui veulent instaurer la dictature religieuse et la charia, donc bons à bombarder sans ménagement pour prolonger l’hégémonie des puissances occidentales sur les voies de communication, les mines d’uranium, le pétrole et autres minerais et marchés juteux.

Une chose est sûre : les Etats-Unis et ses alliés européens sont obligés de composer avec l’aile dite modérée des «démocrates musulmans» pour gérer certains pays, même si lesdits pays ont encore un long chemin à parcourir jusqu’à la souveraineté politique.

La lutte sera longue et parsemée d’embuches. Certains pays, comme la Libye, retombent dans l’escarcelle du colonialisme tandis que d’autres, comme Bahreïn, l’Afghanistan ou l’Irak, sont envahis par des troupes étrangères.

Le mouvement de libération nationale à caractère musulman avance doucement dans les pays arabo-musulmans, et doit aboutir à l’instauration de régimes modernes et laïcs.

L’Occident colonialiste vit ses derniers jours qui peuvent paraître longs à l’échelle d’une vie mais qui paraîtront courts pour l’Histoire.