21.11.11

Analyse 16 (2011)

Paix et Justice au Moyen-Orient

STRASBOURG, le 21 novembre 2011

cpjmo@yahoo.fr

Où s’arrête la frontière politique d’un Empire?


· La Syrie connaitra-t-elle le sort de la Libye?

· Pourquoi les Etats-Unis se retirent-ils d’Irak et maintiennent-ils des bases militaires en Afghanistan ?

Au XIXe siècle, pour protéger le sous continent indien des convoitises de l’Empire russe, la «stratégie anglaise considérait l’Hindou-Kouch comme le rempart de l’Empire des Indes face à l’expansionnisme russe». En effet, «l’Hindou-Kouch est l’unique barrière montagneuse séparant l’Asie du Sud, l’Inde et le golfe Persique des steppes du Nord qui se poursuivent de la frontière afghane jusqu’aux plages arctiques de la Sibérie sans interruption(1)

Dans l’affrontement entre empires britannique et russe, l’Afghanistan s’est transformé en pays tampon, séparant les armées russe et anglaise qui s’affrontaient pour la domination de l’Asie centrale.

Depuis deux siècles, l’Asie centrale garde son intérêt pour un Occident mené par les Etats-Unis qui voient maintenant en l’Afghanistan «le rempart de l’Empire» planétaire américain face aux adversaires et puissances anciennes ou émergeantes russe, chinoise et iranienne.

L’affaiblissement (relatif) des Etats-Unis et la montée en puissance (relative) de l’Iran entraînent une période de flottement et pourraient modifier la forme et l’étendue des frontières politiques entre l’empire Américain et ses adversaires orientaux puisque les empires n’ont pas de frontières naturelles, mais des frontières politiques dont la forme dépend des modifications des rapports de force. Actuellement, les empires américain, russe, chinois et iranien sont «voisins» et s’observent en chiens de faïence.

Force est de constater que, face à l’empire américain, les empires orientaux se battent sur deux fronts : front extérieur qui se résume à desserrer l’étau d’encerclement américano-occidental qui se tisse autour desdits empires, à empêcher le grignotage de leur «espace vital» et à conserver leur souveraineté politique et territoriale, front intérieur- politique, social et économique- une variable très importante dont se sert l’Occident pour affaiblir ses adversaires.

La frontière politique de l’empire américain au Moyen-Orient englobe tous les pays sauf l’Iran, la Syrie et le Liban. D’autant plus que les réserves de pétrole et de gaz de toute la région, sauf celles de l’Iran et de la Syrie, sont sous contrôle américain.

Pour la Russie et la Chine, l’accès aux réserves de pétrole et de gaz iranien brise le monopole américain sur l’énergie du Moyen-Orient et permet auxdits pays de disposer d’une marge de manœuvre qu’ils n’auraient pas si les Etats-Unis mettaient la main sur l’Iran. Vu sous cet angle, la Syrie est le verrou de l’Iran. En effet, la chute du régime syrien faciliterait l’écrasement du Hezbollah et la disparition de son arsenal- une assurance vie pour l’Iran et une vraie menace pour Israël- la reconquête entière du Liban et la fin du rêve de l’Etat palestinien(2), ce qui pourrait conduire à la création du «Grand Israël». L’Iran, sans alliés syrien et libanais, qui tiennent Israël en respect, ne survivrait pas à la chute du régime syrien et à l’effacement du Hezbollah libanais.

Après la mainmise totale des Etats-Unis sur la Syrie et l’Iran, la Chine deviendrait plus docile, car elle perdrait un moyen de pression sur les Etats-Unis, désormais patrons incontestés de toutes les réserves énergétiques du Moyen-Orient, occupant, de surcroît, l’espace situé à l’Ouest de la Chine qui s’étend des frontières afghanes jusqu’à la Méditerranée.

Sans allié au Moyen-Orient et en Europe Orientale, comme après la révolution de 1917, l’encerclement de la Russie serait complet. L’Occident pourrait même se passer du gaz russe et accroître ainsi sa pression sur la Russie.

Pour l’Iran, la Russie et la Chine, la Syrie est une ligne rouge et la Syrie ne prendra pas le même chemin que la Libye. Mais, comme nous l’avons écrit, le front intérieur est une autre variable dont l’Occident se sert depuis la Présidence de Jimmy Carter. «Venir en aide aux populations en détresse», combat pour les «droits de l’homme» sont écrits, en effet, sur le front du casque colonial.

Economiquement, socialement et politiquement arriérés, les régimes syrien et iranien répriment violemment l’opposition qui aspire à la liberté. C’est le talon d’Achille de ces régimes qu’exploitent sans modération les Américains et leurs alliés Occidentaux.

Mais, l’Occident a ses points faibles. La haine de l’Occident colonialiste et la préservation de la souveraineté nationale poussent l’opposition iranienne et syrienne à modérer ses ambitions. Par ailleurs, l’Occident fait face à des problèmes financiers pour alimenter ses guerres épuisantes.

A cause de leurs problèmes de trésorerie, les Etats-Unis ont été amenés à choisir entre l’Irak et l’Afghanistan. L’administration américaine a tranché. C’est en Afghanistan que les Américains disposeront de bases militaires. L’Irak représente moins d’intérêt stratégique que l’Afghanistan, frontalier de trois puissances : l’Iran, la Russie et la Chine. L’espace situé à l’Ouest de l’Iran sera désormais contrôlé par l’armée israélienne et l’armada américaine présente au Kuwait et dans le golfe Persique.

Reste les ambitions régionales de l’Iran, qui dispose d’un réseau d’influence en Irak. L’Iran arrivera-t-il un jour à remplacer les Etats-Unis en Irak et à mettre la main sur ses richesses pétrolières et gazières? La question mérite d’être posée même si l’aboutissement des efforts de l’Iran prendra beaucoup de temps. Et si l’Iran y parvenait? Ce serait la clé d’émancipation de l’Iran. En effet, pour exploiter le pétrole irakien, il faudrait se rendre à Téhéran. C’est un scénario cauchemardesque pour l’Occident. D’où, des pressions de plus en plus fortes exercées sur l’Iran pour réduire ses ambitions. Le voyage de Massoud Barzani, le chef du gouvernement autonome kurde irakien à Téhéran, a constitué un signal d’alarme.

Le jeu d’échec compliqué en Orient façonne notre vie en Occident.

(1) Le Royaume de l’insolence- Michael Barry- Flammarion.

(2) Le vote français à l’UNESCO en faveur de la Palestine montre que la France ne croit, ni à la chute du régime syrien, ni à la fin du rêve de l’Etat palestinien.

Aucun commentaire: