Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 3
août 2013
L’islamisme est-il une
alternative ?
En Iran, en Egypte et en Tunisie
En Iran, en Egypte et en Tunisie
L’ère
de l’islamisme triomphant a commencé en 1979 avec la victoire de la révolution
iranienne et l’instauration de la république islamique, drapée dans sa devise
emblématique « ni Est, ni Ouest, république islamique ».
En
effet, suite à l’affaiblissement du camp socialiste « athée, mécréant et
matérialiste » et aux crises à répétition du monde capitaliste
« amoral, colonialiste et matérialiste », les représentants de la
république islamique promettaient l’épanouissement de l’humanité sous les
auspices d’un ordre islamique qui restait à définir.
Que
constate-t-on 34 ans après la victoire de la révolution islamique ?
Sur
le plan économique, un capitalisme ultralibéral- équivalent à celui qui régnait
en Europe au dix-neuvième siècle- sans foi ni loi, s’est imposé dans tous les
domaines de l’économie nationale. La seule loi qui vaille c’est la « loi de
Dieu », celle des intérêts du clergé chiite et des commerçants et
industriels du sérail islamique, en particulier les « pasdarans »,
garde prétorienne du régime, qui ont mis la main sur 30% de l’économie nationale.
Ahmadinejad et sa clique étaient les représentants emblématiques de ce
capitalisme sauvage, saignant à blanc l’économie nationale, la livrant aux
spéculateurs et aux pilleurs qui ont dilapidé des milliards de dollars, en
laissant derrière eux des millions de chômeurs et un taux d’inflation frisant
les 50%. Parallèlement, dans le but de satisfaire le FMI (Fonds monétaire
international), le peu de « socialisme » encore présent dans
l’économie iranienne- sous forme de subventions des denrées alimentaires de
première nécessité- a été supprimé, créant des millions de nécessiteux et de
miséreux au sein de la population.
Sur
le plan social, la charia moyenâgeuse a empêché l’évolution moderne de la
société. En effet, depuis 34 ans, une dictature misogyne, ennemie jurée des
libertés individuelles, de la presse, de la création artistique, des
associations civiles, syndicales et politiques, sévit en Iran. Les
discriminations religieuses sont monnaie courante. Seuls les fondamentalistes
peuvent se présenter aux élections, elles-mêmes supervisées par les instances
de sa « majesté le calife ».
Ultralibéral
sur le plan économique, adepte d’un capitalisme sauvage, laissant libre cours
aux spéculateurs, la république islamique est moyenâgeuse et dictatoriale sur
le plan social. Sur ces deux plans, l’islamisme ne peut absolument pas
représenter une alternative populaire.
Les
peuples des pays arabo-musulmans, qui souffrent souvent de la dictature
militaire et d’un ordre social arriéré, observent de près l’évolution de la
société iranienne et se rendent compte que l’islamisme n’est pas le bon modèle,
leur permettant le progrès économique au service du peuple et l’émancipation
sociale.
Des
décennies de dictature militaire au Proche et au Moyen-Orient (Egypte, Tunisie,
Yémen, Irak, Syrie, etc.) ont réduit au silence la société civile laïque dans
les pays arabo-musulmans qui ont vu fleurir des organisations
« charitables » religieuses à la sauce « frères
musulmans ».
Suite
à l’avènement du « printemps arabe », en Tunisie et en Egypte,
lesdites « organisations charitables » ont comblé le vide laissé
vacant par la déroute des régimes militaires. La société civile a profité
également du « printemps arabe » pour s’organiser. Mais, le temps
presse et le modèle de société proposé par les organisations laïques se
rapproche de celui des pays occidentaux, décrié par les islamistes comme
« corrompu, matérialiste », propageant les valeurs des ex-pays
colonialistes.
La
masse des croyants est sensible au message des islamistes tandis que la couche
instruite, minoritaire, du pays ne voit que l’aspect positif de la société
occidentale développée, avec ses libertés individuelles et collectives, les
libertés de la presse, d’association et de la création.
Les
blocages des sociétés égyptienne et tunisienne et la division de la population
entre « intégristes » et « modernes », montrent l’absence
d’alternative dont souffrent actuellement les sociétés arabo-musulmanes.
Le
combat des laïcs contre les intégristes revêt différentes formes et tout porte
à croire que l’Egypte est devenue le laboratoire de la transformation sociale
dans l’intérêt de l’Occident. En Egypte, les anti-intégristes ont préféré le
coup d’état de l’armée- soutien de l’ordre ancien et rempart des
multinationales- au régime de Morsi, pourtant élu démocratiquement.
Comme
à l’époque de Hosni Moubarak, mais forte du soutien populaire, l’armée massacre
les « frères musulmans », transformant Morsi et ses soutiens en
victimes. Le camp laïc commence à paniquer et se divise, se rappelant les
atrocités du régime militaire contre lequel il s’est battu. Il est fort
possible que le camp laïc finisse par se désolidariser de l’armée qui, par
souci de stabilité chère aux multinationales et à Israël, ne tardera pas à
instaurer l’ordre ancien.
Une
autre possibilité suggère qu’après le « colonialisme à visage
humain », soucieux des « droits de l’homme » et adepte de l’« ingérence
humanitaire », est peut-être venu le temps des « coups d’état à
visage humain » où, comme en Egypte, l’armée se porte garante de la
démocratie colonialiste, « respectueuse des libertés
démocratiques », personnifiées par El Baradai.
Face
à l’armée pro-occidentale, respectueuse des accords de Camp David, le risque
existe que les « frères musulmans » redeviennent l’alternative, s’ils
adoptent une rhétorique anticolonialiste, donc antioccidentale et
anti-israélienne. En effet, c’est le seul point sur lequel les islamistes
représentent une alternative.
En
Tunisie, les islamistes au pouvoir résistent encore. En effet, selon
Ghannouchi, président du parti islamiste au pouvoir, « ceux qui refusent la
charia peuvent représenter une minorité mais cette minorité a une forte
influence, dans les médias, l’économie, l’administration, donc il ne faut pas
les négliger » (1)
En
attendant, pour désorganiser le camp laïc « minoritaire »
farouchement opposé à la charia moyenâgeuse, l’élimination physique de ses
représentants-Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (2)- est à l’ordre du
jour. Il est à craindre qu’en Tunisie, malgré la résistance héroïque du camp
laïc, l’état islamique s’appuie sur les assassinats politiques pour consolider
son pouvoir.
L’avenir
nous dira si, face à la résistance grandissante du camp laïc, un « coup
d’état à visage humain » sera possible en Tunisie ? Sinon, en l’absence
de démocratie à l’occidentale imposée par l’armée, l’«alternative» islamiste se
consolidera définitivement avec des assassinats ciblés.
(1)
Isabelle Mandraud- Le Monde
du 19 octobre 2012.
(2) Chokri Belaïd, assassiné le
6 février 2013 et Mohamed Brahmi, assassiné le 25 juillet 2013, par des tireurs
à moto.
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