Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 10
septembre 2013
Sommes-nous au seuil d’un changement de l’ordre
mondial ?
L’axe Russie-Iran-Syrie arrivera-t-il à empêcher l’humanité de
rebasculer dans un monde unipolaire ?
Les
Etats-Unis et la France sont décidés à « punir » la Syrie pour
l’emploi de gaz toxique le 21 août dernier à la Ghouta, une banlieue de Damas.
Sans attendre les conclusions de l’enquête menée par une équipe des Nations
unies, des radios et des chaînes de télés mènent une campagne de matraquage,
consistant à préparer l’opinion à une agression sans mandat de l’ONU contre la
Syrie. En effet, tout porte à croire que les Etats-Unis et la France sont prêts
à ne plus solliciter l’aval du Conseil de sécurité des Nations unies où le
droit de véto russe les empêche d’intervenir.
Relevant
la différence de situation avec l’Irak ou le Kosovo, certains analystes
n’hésitent pas à comparer l’éventuelle agression du couple franco-américain
contre la Syrie à l’expédition franco-britannique du canal de Suez en 1956,
suite à la nationalisation (26 juillet 1956) du canal par Gamal Abdel Nasser.
Le conflit prenait fin le 6 novembre sous la pression conjointe des Etats-Unis
et de l’URSS.
Refusant
leur déclin, la France et la Grande Bretagne disposaient alors de vastes territoires
en Afrique, en Asie, dans les Océans pacifique et Atlantique. Mais l’heure
était à la décolonisation et à la naissance d’un nouvel « ordre mondial »,
dominé par les superpuissances américaine et soviétique. La crise du canal de
Suez agissait comme révélateur du déclin des anciennes puissances colonialistes
franco-britannique.
La
bataille de Syrie agit-elle comme révélateur du déclin américain, une puissance
militaire et économique encore colossale, mais discréditée et endettée à
hauteur de son PIB- près de 16 milles milliards de dollars- un quatrième du PIB
mondial ?
Le
monde actuel n’est plus ce qu’il était dans les années 1950. L’URSS n’existe
plus. Une nouvelle puissance émerge sur la scène internationale : le
groupe des « pays émergents », composé essentiellement de la
Chine, du Brésil, de l’Inde, de la Russie, de l’Afrique du Sud, qui se cherche
une place dans le concert des nations, et se montre de plus en plus réticent à
accepter le dictat américain qui détient encore des cartes financières,
économiques, militaires, diplomatiques non négligeables.
La
réticence des « pays émergents » face à la dictature
américaine s’est manifestée lors des sanctions imposées à l’Iran, en dehors du
cadre des Nations unies. « Pékin et Moscou ont dit qu’ils ne voteraient
pas de nouvelles [sanctions]. En mars, le sommet des BRICS (Brésil, Russie,
Inde, Chine, Afrique du Sud) a réaffirmé son opposition « aux menaces
militaires et aux sanctions unilatérales », et le groupe considère que
les mesures commerciales les plus dures contre l’Iran, celles décidées par les
Etats-Unis et l’Europe, sont « unilatérales ». (Alain Frachon-
Le Monde du 12 avril 2013).
Le
même groupe- auquel se sont associés l’Indonésie, le Mexique et l’Argentine-
présent au sommet du G20 des 5 et 6 septembre 2013 à Saint Petersburg, n’a pas
voté la déclaration commune présentée en catastrophe et in extremis par le
couple Obama-Hollande. Faut-il rappeler que ledit texte n’exprime pas un
soutien à une opération militaire franco-américaine, même s’il appelle « à
une forte réponse internationale à cette violation grave des règles et valeurs
universelles ».
La
décomposition du camp des va-t-en-guerre colonialistes est patente. Même le
président de l’Union européenne, Herman Van Rompuy, a dit clairement qu’« il
n’y a pas de solution militaire en Syrie. » « La solution doit
être politique. »
Que
faut-il comprendre de ces déclarations et prise de position ?
En
Syrie, trois camps se font face : le camp occidental mené par les
Etats-Unis ; le camp oriental composé de la Russie, de l’Iran et de la Chine
et les « pays émergents » qui soutiennent le camp oriental.
Pour
le camp occidental, l’enjeu est de perpétuer la domination occidentale, en
particulier celle des Etats-Unis, désireux de « remodeler »,
c’est-à-dire de décomposer-comme l’ex-Yougoslavie- certains pays souverains du
Moyen-Orient en petites entités ethniques ou religieuses (« pays sunnite »,
« pays chiite », « pays alaouite », « pays
kurde », « pays azéris », etc.) et de créer le
« Grand Moyen-Orient » à la botte des Etats-Unis.
Autrement
dit, ce qui a réussi avec l’Irak-décomposé de fait en trois entités chiite,
sunnite et Kurde- pourrait se reproduire avec la Syrie et, plus tard, avec
l’Iran. Le secrétaire d’Etat américain l’a dit clairement : « Notre
inaction lui [Iran] donnerait certainement la possibilité au mieux de se
tromper sur nos intentions quand ce ne serait pas les mettre à l’épreuve. »(Libération
du 06 septembre 2013). L’Iran est dans la ligne de mire des frappes
franco-américaines.
En
cas de réussite, ce dessein mettra toutes les voies de communication vitales du
globe, depuis le détroit de Malacca, en passant par le détroit d’Ormuz jusqu’à
Gibraltar, ainsi que des ressources énergétiques-sauf celles de la Russie,
considérables- sous la coupe des Etats-Unis.
Une
telle mainmise mettrait les « pays émergent » ou non en
position de quémander de l’énergie, des matières premières ou des marchés
auprès des Etats-Unis, patrons du monde.
Vu
sous cet angle, l’enjeu de la bataille de Syrie est d’ordre stratégique, aussi
bien pour l’Occident que pour les puissances orientales et les « pays
émergents ».
L’affaiblissement
du pouvoir syrien représente, pour les Etats-Unis, le meilleur moment pour
intervenir militairement afin de casser l’axe formé par la Syrie, le Hezbollah
et l’Iran et leurs soutiens chinois, russes, voire même les « pays
émergents ».
L’opposition
de la Chine et surtout de la Russie risque de provoquer une grande
déflagration, du moins dans la péninsule coréenne. Mais, comme lors de la crise
du canal de Suez, les faucons néoconservateurs américains et français ont
décidé de jouer le tout pour le tout.
Certains
pays industriels-dont l’Allemagne- craignent une déflagration généralisée,
conduisant à la montée des cours des matières premières, en particulier le
pétrole, et à l’effondrement des bourses, dans un contexte de crise économique
qui n’en finit pas. Pour les sceptiques, comme Herman Van Rompuy, « la
solution doit être politique. »
Ne
pas réagir militairement, c’est perdre leur « crédit », donc
perdre l’occasion de s’imposer définitivement, sans tirer un coup de feu. Ne
pas réagir, c’est céder à la résistance et à la pression des puissances
orientales et à celles des « pays émergents », radicalement
opposés aux frappes franco-américaines.
En
cas d’échec du couple franco-américain, les puissances orientales et les
« pays émergents » joueraient le même rôle que les Etats-Unis
et l’URSS lors de la crise du canal de Suez. La France serait-elle encore du
côté des perdants ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire