Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 7 juin 2016
L'erreur de calcul des
Etats-Unis au Moyen-Orient
Les trois
étapes de l'extension de l'empire américain depuis 1990
L'effondrement de l'Union soviétique a bouleversé
l'équilibre des forces militaires à l'échelle planétaire, en particulier en
Europe de l'Est, au Proche et Moyen-Orient; un effondrement qui a fait
apparaître un vide dans cette vaste partie du monde où de jeunes pays comme la
Yougoslavie, l'Irak, la Syrie, la Libye s'appuyaient sur l'équilibre de la terreur
entre l'Union soviétique et les Etats-Unis pour exister et prospérer à l'abri
des convoitises colonialistes.
Les puissances militaires occidentales, menées par
les Etats-Unis, ont rapidement saisi l'occasion de mettre la main sur l'
"espace soviétique" à l'est de l'Europe, en Asie Centrale et au
Moyen-Orient. La "poussées vers l'est" s'est opérée en trois étapes.
Lors de la première étape, une dizaine de pays de
l'ex-pacte de Varsovie ont rejoint le camp occidental
"pacifiquement". Les Etats-Unis ont même installé des bases
militaires dans les nouveaux pays d'Asie centrale, l'arrière-cour de la Russie.
La Roumanie fut le seul pays ayant résisté à se faire phagocyter
"pacifiquement" par l'Occident. Ceaușescu,
le président de la République, fut arrêté avec son épouse et tous deux furent fusillés le 25 décembre
1989 après un simulacre de procès. Il faut souligner le rôle décisif joué par
les ONG et autres conseillers occidentaux lors du soulèvement contre Ceaușescu
en Roumanie.
La deuxième étape fut plus sanglante. En effet la
décomposition de l'ex-Yougoslavie s'est accompagnée de plusieurs années de
guerre meurtrière où l'aviation américaine s'est acharnée sur la Serbie,
puissance fédératrice de l'ex-Yougoslavie, décomposée ensuite en plusieurs
entités ethniques et confessionnelles dont certaines ont rejoint l'Union
européenne et d'autres attendent leur tour.
La troisième étape de "poussée vers
l'est" de l'Occident, menée par les Etats-Unis, a commencé en 2001, avec
la guerre d'Afghanistan, puis d'Irak en 2003. Cette étape n'est pas encore
terminée et risque de durer de longues années. En effet, la campagne du
Moyen-Orient se heurte à l'émergence d'une nouvelle puissance, l'Iran, qui
modifie les plans initiaux des Etats-Unis. Ceux-ci pensaient pouvoir phagocyter
la région aussi facilement que l'Europe orientale. Peine perdue.
Un rappel de l'histoire récente s'impose. Le
renversement relativement facile des pouvoirs afghan et irakien devait être
complété par celui de l'Iran, sorti exsangue des 8 années de guerre meurtrière
avec l'Irak de Saddam Hussein, soutenu financièrement par les pétromonarchies
du Golfe Persique et militairement par les puissances militaires occidentales,
y compris l'Union soviétique. Or, la guerre fut aussi une bénédiction pour la théocratie
iranienne qui élimina brutalement ses opposants intérieurs, souda le pays
contre l'agression étrangère en attisant le nationalisme ancestral des
Iraniens.
La guerre a permis aux militaires iraniens
d'acquérir beaucoup d'expérience de terrain et de former, à partir des
militaires irakiens capturés, des brigades de confession chiite, au service du
clergé chiite autoproclamé "internationaliste". Faut-il souligner que
la religion n'est qu'un outil, parmi d'autres, aux mains du pouvoir iranien
pour asseoir son pouvoir et étendre son influence régionale.
L'organisation Badr fondée en 1982 en Iran, est la
plus ancienne des brigades irakiennes que certains voient comme une section du
Corps des Gardiens de la révolution, corps d'élite et idéologique du pouvoir
iranien.
Profitant du renversement du régime de Saddam
Hussein, de la dissolution de l'armée irakienne et la désorganisation de
l'Etat, l'Iran envoya l'organisation Badr en Irak ; celle-ci s'est imposée
peu à peu comme un acteur organisé et aguerri au sein du nouvel Etat irakien en
gestation.
L'implication croissante des "amis" de
l'Iran dans les affaires irakiennes a créé un nouveau terrain d'affrontement
entre les Etats-Unis - vus comme pays agresseur et colonialiste par les
Irakiens - d'une part et l'Iran - vu comme pays ami anti-américain - d'autre
part.
L'intensification de la résistance irakienne,
impliquant les milices chiites telles que l'armée du Mahdi de Moqtada Al-Sadr,
particulièrement implantée parmi les populations chiites et miséreuses de Sadr
City, a éloigné l'armée américaine des frontières iraniennes.
Voici le dilemme des Etats-Unis pendant la guerre
d'Irak : se maintenir en Irak, deuxième plus grande réserve de pétrole au monde
et consolider son influence politique contre celle de l'Iran grandissante, ou
poursuivre ses plans de renversement du régime iranien qui a imposé un terrain
de guerre loin de ses frontières ? D'autant plus que l'Iran a ouvert un nouveau
front au sud Liban, développé son industrie d'armement, son arsenal balistique
et son programme nucléaire.
La conclusion des accords nucléaires du 14 juillet
2015 a définitivement scellé le choix américain : composer avec l'Iran qui est
à la tête de dizaines de milliers de miliciens aguerris en Irak, en Syrie, au
Liban et ailleurs, plutôt que de vouloir renverser le régime de la république
islamique.
Question. Les Etats-Unis, pouvaient-ils imaginer
que le "chaos constructif"
qu'ils ont créé et entretenu au Proche et Moyen-Orient conduirait à l'émergence
de l'Iran comme la nouvelle puissance militaire adversaire de l'Occident ? Le
doute est permis.
Nous pensons qu’il s’agit d’une erreur de calcul
des Think tanks du Pentagone qui ne prévoyaient pas la renaissance de l'
"empire Perse", voguant sur la vague des sentiments anticolonialistes
des pays arabo-musulmans, au Moyen-Orient, en Asie centrale, en Asie et en
Afrique.
En deux mots. La défaite cuisante des Américains au
Vietnam facilita le renversement du Chah d'Iran. L'intervention américaine en
Irak conduisit à la renaissance de l' "empire Perse", nouvelle
version.
Si l'extension fulgurante de l'empire américain en
Europe Orientale fut facilitée par l'agonie de l'empire soviétique, celle-ci
bute actuellement sur les velléités d'une puissance militaire et politique
renaissante, motivée, qui veut sa part du gâteau régional.
Iran-
Etats-Unis et les milices ethno-confessionnelles
Il faut souligner qu'au cours de l'Histoire, et
selon l'adage "diviser pour mieux
régner", les colonialistes ont toujours confessionnalisé et ethnicisé
les luttes d'indépendance nationale. Un seul exemple. La division de l’'empire
indo-anglais donna naissance à l’Inde, majoritairement hindouiste, au Pakistan
et au Bengladesh, majoritairement musulmans.
Le même type d'organisation politique s'observe
dans les pays issus de l'éclatement de l'empire ottoman (l'Irak, la Syrie, le
Liban, l'Arabie saoudite, etc.) où les pouvoirs sont artificiels,
confessionnels ou ethniques, les frontières tirées au cordeau, la conscience
nationale inexistante et où l'islam, dans ses différentes variantes, n'arrive
pas à souder la population.
Actuellement, les Américains et leurs alliés
(Saoudiens, Turcs et Qatari) alignent en Syrie des groupes confessionnels
wahhabites, regroupés au sein de l'alliance militaire "Jaish
Al-Fatah" (Armée de la conquête), composée du "Front Al-Nosra",
la banche syrienne d'Al-Qaida, et le mouvement islamiste "Ahrar
Al-Cham".
Des brigades de l' "Armée Syrienne Libre"
(ASL), telles que "Harkat Hazm" ou le "Front des
révolutionnaires syriens" (FRS), ainsi que les autres leaders de l'ASL se
mettent sous la tutelle confessionnelle du Front Al-Nosra.
Les Kurdes, plus important groupe ethnique, sont
gérés directement par les Etats-Unis dont les instructeurs portent les insignes
du YPG (Unités de protection du peuple) sur leurs uniformes.
Vue la configuration confessionnelle du terrain,
voulue par les protagonistes, certains journalistes n'hésitent pas à parler de
l'affrontement chiites-sunnites au Proche et Moyen-Orient. Alors que lesdits
protagonistes font partie du Groupe International de Soutien à la Syrie (GISS),
regroupant 17 pays et trois organisations multilatérales, co-présidé par Moscou
et Washington.
Les
nouvelles frontières des futurs Etats seront redessinées, en grande partie, par
les forces "ethno-confessionnelles" que les Américains d'une part et
les Russes, et surtout les Iraniens, d'autre part, jettent dans la bataille. La
paix attendra.
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