Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le 17
juillet 2016
Le deuxième enterrement de l'empire
ottoman
Quel rapport existe-il entre l'Etat islamique
(EI), d'une part et la Turquie, d'autre part?
La création de l'EI ressemble, à s'y méprendre, à
celle d'Al-Qaida. Organisation sectaire djihadiste, formée à l'école wahhabite,
promotrice de la guerre de religion, équipée essentiellement de matériel de
guerre américain et financée par les donateurs saoudiens et autres qataris et
koweitiens. Faut-il rappeler que pendant la bataille de Kobané, ville peuplée
majoritairement de kurdes syriens, située à la frontière turque, l'EI a reçu
par "mégarde" plusieurs colis d'armes jetés par des avions américains
à destination des combattants kurdes.
Faut-il rappeler que l'EI est encore le chouchou
des "amis" arabes des puissances occidentales. La presse arabophone
qatarie qui diffuse des informations différentes de la presse anglophone,
qualifiait l'EI comme la tête de pont de la "révolution sunnite" au
Moyen-Orient.
Des milliers de Saoudiens, Qataris ou Emiratis
continuent à combattre dans les rangs de l'EI qui reçoit toujours encore des dons en provenance des
pays arabes du Golfe Persique via la Turquie. En effet, ce pays est la base
arrière de l'EI qui dispose de
bastions en territoire truc, à l'image d'Adiyaman, ville turque. La Turquie est le passage obligé des combattants
en provenance d'Asie (Caucasiens et autres Tchétchènes ou Indonésiens),
d'Afrique et d'Europe , ainsi que des armes et de l’argent. L'EI y fait même
soigner ses blessés.
A son tour, la Turquie, s’appuie sur l'EI pour combattre les dissidents kurdes de part et
d'autre de la frontière, lui achète du pétrole à prix cassé et continue
d’accéder à une partie des marchés irakien et syrien sous la coupe de l'EI qui
ne manque d’aucun produit de première
nécessité.
Pour les autorités turques, l’EI
leur sert à négocier leur place sur l'échiquier moyen-oriental où une autre
puissance, l'Iran, tente de s'imposer. Cela risquerait de réduire
substantiellement la voie d'accès des camions et entreprises turques aux
marchés du Moyen-Orient, via l'Irak et la Syrie.
La complémentarité stratégique des
deux entités turque et EI laisse à penser que la Turquie considère les
territoires acquis par l'EI comme une extension de son territoire, lui permettant
de ressusciter, ne serait-ce que partiellement, l'empire ottoman défunt, en
mettant la main sur près du tiers de l'Irak et de la Syrie. L'accent
confessionnel de l'actuel gouvernement turc voulant ériger l'Islam en idéologie
de l'État laïc, dénote-t-il de sa volonté de créer l'unité idéologique avec
l'EI, respecté par les intégristes turcs ?
Une chose est sûre :
la politique étrangère de l'actuel pouvoir turc est en contradiction avec celle
de ses parrains occidentaux, décidés à en découdre avec l'EI devenu
incontrôlable. Il faut rappeler que les puissances colonialistes sont pour un
état confessionnel ou ethnique sous contrôle. Al Qaida a payé au prix fort son
opposition aux Etats-Unis.
La presse occidentale n'a pas
tardé à stigmatiser la politique étrangère "néo-ottomane" d'Erdogan, qualifié de "nouveau sultan", pratiquant une
politique intérieure "de plus en
plus islamiste et autoritaire".
Toujours est-il que depuis la mise
à l'écart de l'ancien premier ministre, Ahmet Davutoğlu, le 22 mai 2016, la politique étrangère de
l'actuel pouvoir turc semble avoir emprunté
un tournant à 180°. Après six ans de brouille, la Turquie s'est
réconciliée, dimanche 26 juin 2016,
avec Israël. Lundi 27 juin, Erdogan
s'est excusé auprès de Moscou pour le bombardier russe abattu par la Turquie le
24 novembre 2015. Coïncidence ou acte prémédité de longue date, trois kamikazes
de l'EI ont attaqué, mardi 28 juin,
l'aéroport international Atatürk d'Istanbul, tuant 41 personnes. Cet
acte signe la rupture des relations stratégiques entre l'EI et la Turquie dont
le rêve de "grande puissance" régionale s'évanouit définitivement.
C'est le deuxième enterrement de l'empire ottoman.
Maintenant, tout
semble s'accélérer. Dans un entretien accordé à l'envoyé spécial du quotidien Le Monde, Mevlut Cavusoglu, le nouveau
premier ministre turc, a déclaré que "nous
avons stoppé le flux de combattants étrangers depuis longtemps. Notre liste
d'interdiction d'entrée compte 50 000 noms, nous avons refoulé plus de 3000
personnes, un millier sont détenus en Turquie." (Le Monde du 5 juillet 2016). Wait and see. Il faut souligner que les
effets concrets d'un changement de politique mettent du temps à se faire
sentir.
Après s'être engagé
à renverser Bachar Al-Assad, l'ennemi d'Erdogan (!), les autorités turques
viennent de déclarer qu'elles sont
prêtes à travailler avec la Syrie. Une manière de reconnaître la légitimité du
président syrien. Ses parrains iraniens et russes exultent.
La Turquie se rallie donc à la
"real politique" de son parrain américain. C'est la preuve que les
intérêts d'ordre mondial des grandes puissances priment sur les intérêts
d'ordre régional ou local de leurs alliés.
Il reste encore un
petit effort à faire en direction de la minorité kurde de Turquie. En effet,
pour Mevlut Cavusoglu "utiliser des
terroristes [Kurdes-NDLR] pour
combattre une autre organisation terroriste est une erreur grossière. Le
PKK et les YPG (organisations kurdes) "veulent
créer leur propre "entité".
C'est très dangereux."
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