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Analyse 15 (2014): L'Iran à l'heure de la "Bande des quatre"

Paix et Justice au Moyen-Orient

 STRASBOURG, le 1er septembre 2014

                                                               
L'Iran à l'heure de la "Bande des Quatre"


Après des décennies d'agitation, la société chinoise était devant un choix crucial: poursuivre l'agitation révolutionnaire sans issus, c'est-à-dire "s'appuyer sur ses propres forces" pour construire la "société socialiste" - tâche titanesque étant donné la pauvreté de la société, le retard technologique, le manque criant de capitaux pour investir, etc. - ou faire appel aux capitaux étrangers pour arracher la société de sa misère endémique et la faire entrer dans la modernité.

A l'époque, l'Union soviétique de Lénine et de Staline, vainqueur du nazisme, était la "Mecque" des communistes du monde entier qui croyaient dur comme fer à la construction du socialisme dans un seul pays. La Chine ne pouvait pas échapper à cette théorie léniniste, transformée en dogme.

Un facteur échappait peut-être à certains communistes chinois: la Chine n'était pas la Russie, pays relativement développé au moment de la Révolution d'octobre 1917 et adversaire de longue date des puissances occidentales européennes puis américaine. Alors que la Chine, certes une puissance asiatique, ressemblait davantage à l'Asie centrale, l'arrière cour des puissances occidentales. Disposer de l'amitié de la Chine pouvait être une carte géopolitique importante dans le jeu des puissances qui s'affrontaient depuis 1809 en Asie centrale.

Prosoviétique à sa naissance, la "RPC" de Mao Zedoung a fini par choisir son camp du vivant de son fondateur, devenu hôte de Richard Nixon, président des Etats-Unis, du 21 au 28 février 1972: Ce sera l'Occident opulent, maître de la finance mondiale, et non pas la Russie, certes "socialiste", maître de l'Europe de l'est, influente au Moyen-Orient, mais insuffisamment riche et puissante pour sortir la Chine de la misère. L'intérêt des Etats-Unis était aussi d'arracher un allié de poids à l'Union soviétique, puissance rivale de l'Occident colonialiste.

Le PCC était divisé entre "pragmatiques" dirigés par Deng Xiaoping et "révolutionnaires" dirigés par la "Bande des Quatre". Ladite bande désignait quatre membres éminents du Parti Communiste Chinois (PCC), dont l'épouse de Mao Zedoung, maoïstes convaincus, qui souhaitaient poursuivre l'œuvre révolutionnaire du fondateur de la "République populaire de Chine". C'est sans compter sur la volonté des partisans de Deng Xiaoping, (secrétaire général du PCC de 1956 à 1967), en disgrâce, qui prônait le rapprochement à tout va avec l'Occident.

Après la mort de Mao Zedoung le 9 septembre 1976, la "Bande des Quatre" tomba rapidement en disgrâce et ses membres furent arrêtés dès le 6 octobre de la même année. Parallèlement, les pro-Deng Xiaoping mettaient la main sur le parti et l'appareil d'Etat. La Chine est sortie de décennies d'agitation révolutionnaire et le pays fut livré aux capitaux étrangers qui ont transformé la Chine, en moins de quarante ans, en "atelier du monde" et la deuxième puissance économique mondiale.

Sans vouloir mettre l'Iran sur le même niveau que la Chine, force est de constater que l'Iran vit son heure de la "Bande des Quatre". En effet, une lutte fratricide, au sein de l'Etat, oppose les fondamentalistes - richissimes rentiers et spéculateurs, représentants et proches des commerçants du bazar, maîtres des appareils répressifs, opposés à tout rapprochement avec l'Occident - et les "réformateurs" libéraux, tournés vers le monde (les marchés) extérieur, partisans de réformes économiques et sociétales, d'une application plus stricte de la loi fondamentale et du rapprochement avec l'Occident.

Durant plus de trente ans et sous l'autorité de Khamenei, guide de la révolution, les fondamentalistes et leur soutien militaire, les "pasdarans", ont accumulé des richesses immenses, après avoir mis la main sur des pans entiers des secteurs économiques et en spéculant à tout va. Le guide lui-même est à la tête de fondations, dont la richesse atteint quelques cent milliards de dollars (1), équivalent du produit intérieur brut (PIB) égyptien.

Un exemple de corruption avérée. Pendant les années Ahmadinejad, "un homme d'affaire de 42 ans [Babak Zandjani dont le capital est estimé à 6 milliards d'euros], accusé d'avoir tiré profit de ses relations avec l'entourage de l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad, a fait fortune en vendant le pétrole iranien...M. Zandjani, lui, préfère revendiquer son profil d' "homme d'affaire bassiji", allusion à la milice des volontaires pro-régime en Iran." (2)

Dans un article intitulé "L'empire économique des pasdarans", Le Monde Diplomatique daté de février 2010, révèle la puissance économique de la garde prétorienne du clergé au pouvoir. Les pasdarans sont propriétaires du "quartier général de la construction", nommé Khatam Al- Anbia, créé en 1990 et connu aussi comme "complexe Ghorb". Selon le blog de M. Mir Hossein Moussavi, rival d'Ahmadinejad et en résidence surveillé, "Ghorb contrôle plus de huit cents sociétés, actives dans de multiples domaines: armée (avec la fabrication de fusées et de missiles); construction et développement (projets de routes, barrages, mines, infrastructures d'irrigation); pétrole et gaz (...); communication (...); finances (...); ." Il faut sûrement réévaluer à la hausse les richesses accumulées par les fondamentalistes, le guide de la révolution et les pasdarans.

Contrairement à la fraction des fondamentalistes hors de tout contrôle, tournée vers une économie confinée dans le cadre national, un autre pan de l'économie nationale à caractère industriel, se tourne vers l'international. Dans un article intitulé "L'Iran sous l'emprise de l'argent", Le Monde Diplomatique daté de juin 2009 révèle que la firme industrielle Iran Khodro, la plus grande entreprise automobile du Proche-Orient, dont 40% des titres appartiennent à l'Etat, se positionne comme un futur acteur sur le marché mondial. La société vient de signer avec la société algérienne Famoval, pour le montage d'un bus en Algérie, ainsi que les unités de production qu'elle a installé, pour la fabrication de la Samande (une version modifiée de la 405), au Venezuela, au Sénégal, en Syrie et en Biélorussie. Une voiture que, par ailleurs, elle exporte déjà, entre autres vers l'Algérie, l'Egypte, l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Arménie, ou encore la Bulgarie, la Roumanie, l'Ukraine et la Russie.

Dans un article intitulé "Et l'Iran découvre l'Amérique latine", Le Monde Diplomatique daté de décembre 2010 révèle l'activité des industriels iraniens au Venezuela, en Equateur, au Nicaragua, en Bolivie, etc. Pour Nikolas Kozloff, journaliste du Monde Diplomatique, l'Iran s'immisce "dans l'arrière-cour américaine": "Le commerce entre Téhéran et l'Amérique latine a triplé pour atteindre 2,9 milliards de dollars" ou encore "En Amérique latine, avec 1 milliard de dollars d'investissement annoncé, l'Iran va construire le port en eau profonde qui manque au Nicaragua."(3)

Il faut souligner que les deux fractions de la bourgeoisie iraniennes ne sont pas séparées par une ligne de démarcation claire et nette et ont souvent des intérêts croisés.

Tout porte à croire que suite à la richesse accumulée par les capitalistes iraniens, parallèlement au développement industriel, civil et militaire de ces dernières années, la bourgeoisie se tourne vers des marchés extérieurs d'exportation de capitaux, de produits industriels, civils et militaires, et fait des investissements dans différents pays du monde. Or, la clé d'entrée sur les marchés mondiaux est entre les mains des Etats-Unis et de ses alliés européens. Les négociations actuelles entre l'Iran et l'Occident devraient faciliter l'intégration de la bourgeoisie iranienne au sein de la finance mondiale.

La bourgeoisie iranienne a besoin d'un "espace commercial vital" qui s'étend actuellement des frontières chinoises jusqu'en Syrie, en passant par l'Irak, le Liban et le Golfe Persique.

Cet "espace" acquis par réseaux d'influence et milices Hezbollah interposées ne suffit pas à l'appétit de la bourgeoisie qui aspire à devenir un acteur mondial. Y parviendra-t-elle ? Vue sous cet angle, la victoire du nouveau président sur ses rivaux fondamentalistes-nationalistes, sauf événement imprévu, ne fait aucun doute.

Le nouveau président iranien, Hassan Rohani, ressemble plus à Deng Xiaoping qu'à Gorbatchev qui a participé à l'effondrement de l'Union soviétique. A moins que Hassan Rohani représente une troisième voie encore inexplorée.

Bibliographie
- Wikipédia
(1) Azadeh Kian-Thiébaut - La République islamique d'Iran - Michalon.
(2) Ghazal Golshiri - Le Monde du 10-11 novembre 2013.

(3) Nikolas Kozloff - Le Monde Diplomatique du décembre 2010.

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