Paix et Justice au Moyen-Orient
STRASBOURG, le
08 septembre 2014
La vision courte de M. Gilles Kepel, professeur à Sciences Po.
- Le pétrole* est une arme redoutable au service des colonialistes
- La puissance qui domine le Moyen-Orient, domine le monde
Malgré tout le respect dû à Monsieur Gilles Kepel,
professeur à Sciences Po, politologue et spécialiste de l'islam, nous ne
pouvons pas nous empêcher de critiquer sa vision un peu courte de la
géopolitique du Moyen-Orient, exprimée dans les colonnes du quotidien Le Monde du 02 septembre 2014. Il est à
souligner que cette vision est largement partagée et diffusée par l'ensemble de
l'élite géopoliticienne française, exprimée dans les colonnes des médias
officiels.
A la question des journalistes Gaïdz Minassian et
Nicolas Weille "Mais le
Moyen-Orient aura-t-il la même importance ?" Gilles Kepel répond
d'emblée: "Non. Il faut tenir compte
de la perte de sa centralité dans la production énergétique mondiale.
Désormais, les Etats-Unis sont exportateurs de gaz de schiste et n'ont plus
besoin de l'énergie en provenance du Moyen-Orient. (...) Pour les Etats-Unis, dans une stratégie à
long terme où la part du Moyen-Orient dans la production d'énergie va décliner,
la question se pose de savoir si leur forte présence militaire vaut toujours la
peine."
Réduire le rôle du pétrole à un article quelconque
de consommation intérieure du marché américain constitue la grande erreur de Gilles
Kepel. En effet, pour les puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis,
le pétrole joue un rôle stratégique
et mercantile.
Le rôle stratégique joué par le pétrole,
actuellement la principale source énergétique qui fait tourner la roue de la
civilisation mondiale ressort, une fois de plus, du conflit syrien.
Rappelons que la Syrie, un pays souverain, est
toujours membre des Nations-unies (ONU) et sa souveraineté politique et
territoriale doit être respectée par tous les pays membres de l'ONU. Mais les
puissances occidentales, en particulier les Etats-Unis et leurs alliés
régionaux (la Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar, Israël, la Jordanie,
l'Egypte, etc.), sont intervenus, dès le premier jour, dans le conflit syrien
en soutenant les insurgés et ce, sans le mandat de l'ONU. Rappelons-nous les
propos de Laurent Fabius, ministre français des affaires étrangères : "Le régime syrien doit être abattu et
rapidement".(1)Laurent Fabius exprimait ainsi la position
du gouvernement français, toujours animé par ses desseins colonialistes à
l'égard des pays du Moyen-Orient.
Pourquoi un tel intérêt pour la Syrie, soutenue
elle, par la Russie, l'Iran, la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud ?
Les raisons sont simples et évidentes: la conquête de la Syrie par les
"insurgés" syriens à la solde de l'Occident colonialiste aurait aidé
à combattre le Hezbollah libanais, suivi par le Hamas palestinien, aurait aidé
à la mainmise sur le Liban, à vaincre le peuple palestinien et à permettre la
victoire totale d'Israël dans cette partie du monde. Ce n'est pas tout.
Damas est la porte de Téhéran. La chute de Damas
aurait facilité celle de Téhéran qui, sans ses alliés syrien, libanais et
palestinien, serait réduit à sa portion congrue, une proie facile à dévorer.
La mainmise occidentale sur Téhéran aurait mis
toutes les sources énergétiques du globe sous la coupe des puissances
occidentales, en particulier les Etats-Unis, qui auraient du même coup complété
l'encerclement terrestre et énergétique de la Russie et de la Chine.
Dans le conflit syrien, les pays dit émergents (la
Chine, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud) ont toujours soutenu la Syrie et
l'Iran. Car lesdits pays émergents ne veulent pas d'un monde unipolaire, dominé
de surcroît par les Etats-Unis, et où la goutte de pétrole se monnaierait au
prix de la soumission absolue des pays consommateurs aux Etats-Unis. Ce n'est
pas tout.
Le pétrole en tant que marchandise ne peut pas être
séparé de son rôle stratégique de moyen de pression politique. En effet, les
principales grandes compagnies pétrolières du monde sont occidentales,
américaines, françaises, britanniques (pays membres du Conseil de sécurité de
l'ONU). Cette position dominante leur a permis d'accumuler une richesse
colossale, transformée en trésor de guerre, leur permettant d'intervenir dans
le monde, en amont, dans la prospection, l'extraction, le raffinage,
l'entretien des installations et la distribution du pétrole, du gaz et leurs
dérivés.
Que peut faire un pays récalcitrant face à la puissance
des compagnies pétrolières, bras énergétique-financier des puissances
occidentales ? Avons-nous déjà oublié que, pour étouffer l'économie
iranienne, les puissances occidentales
freinaient la vente du pétrole iranien ? Que les aéroports des puissances
occidentales refusaient de fournir du kérosène aux avions iraniens ? Que la
Russie menace l'Ukraine d'une coupure de gaz pour l'hiver prochain ? Le pétrole
n'est donc pas un article banal de consommation intérieure des puissances
occidentales. Le pétrole est une arme redoutable au service des desseins
colonialistes.
Concernant l'importance stratégique du
Moyen-Orient, il est à souligner que l'Europe, qui assure à elle seule un quart
des échanges mondiaux, dépend de deux routes maritimes: celle qui passe par
l'Océan Atlantique et la relie au continent américain et à l'Afrique de l'ouest
et celle qui passe par la Méditerranée, la Mer Rouge et l'Océan Indien et la
relie à l'Afrique du nord, au Moyen-Orient et à l'Asie.
Les Etats-Unis - dont le poids économique est égal
à presque un cinquième du PIB (Produit Intérieur Brut) mondial - ont également
besoin de cette route pour commercer avec le Moyen-Orient, l'Asie du sud
(l'Inde, par exemple) et les nouveaux pays émergents de l'Asie du sud- est. Or,
sur la route du Moyen-Orient, se trouvent des détroits d'importance stratégique
comme le détroit d'Ormuz, le détroit de Bâb Al-Mândab ou le canal de Suez, dont
l'ouverture est vitale pour l'économie mondiale.
Nous voyons bien que le Moyen-Orient conserve
encore et toujours une position stratégique dans l'économie mondiale. La
puissance qui domine cette région, domine le monde ! En effet, cette région du
monde est sur la route maritime qui relie le détroit de Malacca en Asie du sud
à Gibraltar, la porte d'entrée à l'Océan Atlantique. Chaque année des dizaines
de milliers de navires de transport de marchandises - pas seulement le pétrole
- traversent cette route maritime, véritable nouvelle route de la soie,
principale artère de l'économie mondiale dont cinquante pour cent des échanges
sont euro-américains.
Depuis la chute de l'Union soviétique et la
création de la République islamique, les Etats-Unis tentent de mettre en cause
les accords Sykes-Picot d'inspiration franco-britannique de partage du
Moyen-Orient après la première guerre mondiale. L'objectif: casser les
puissances régionales pour les transformer en nains politiques, plus facile à
manipuler. Ils y ont peut-être réussi avec l'Irak, de facto divisés en entités
chiite, kurde et sunnite. L'Iran n'a pas encore dit son dernier mot.
Sous Georges W. Bush, l'administration américaine a
menacé l'Iran de partition, en déversant des millions de dollars sur les
"rebelles" de différentes ethnies iraniennes, sans y parvenir. De son
côté, la France sous Sarkozy a menacé, en août 2007, de bombarder l'Iran:
"la bombe iranienne ou le
bombardement de l'Iran". (2)
La guerre colonialiste menée par les puissances
occidentales et le danger de partition guette toujours l'Iran(3), la
Syrie(4), l'Irak ou même les "pays amis" de l'Occident
lequel, pour rester hégémonique, n'hésite pas à pactiser avec le diable.
Les Etats-Unis et l'Union européenne ne peuvent pas
rester indifférents vis-à-vis du Moyen-Orient, la pièce "d'un échiquier sur lequel se dispute la
partie pour la domination du monde."(5)
L'ingérence-implication permanente des puissances occidentales dans les
affaires de la région en témoigne.
La forte présence militaire américaine au
Moyen-Orient est indispensable à l'hégémonie mondiale de l'Occident, en
particulier américaine, dans le monde. La fin de la présence occidentale dans
la région n'est pas pour demain et ne dépend nullement du gaz de schiste.
*La
guerre d'Irak était bien une guerre du pétrole (c'est prouvé !). Des documents
confidentiels
déclassifiés
le prouvent: l'accès au brut irakien était au
cœur de la décision britannique de
s'engager dans l'invasion de l'Irak en 20013.
http://petrole.blog.lemonde.fr (Le Monde du 16 juin
2011).
1) Le Monde du 19-20 août 2012.
2) Yves-Michel
Riols - Le Monde du 20 novembre 2013.
3) Un membre
républicain du Congrès, à Washington, [appelle] les Etats-Unis à ouvrer à une
"réunification" des Azéris,
répartis entre l'Azerbaïdjan et l'Iran (Natalie Nougayrède - Le Monde du 03 août 2012.
4) Bernard
Dorin, Ambassadeur de France, se prononce "Pour une fédération en Syrie" (Libération du 02 octobre 2013), premier pas vers la partition de la
Syrie.
5) Michael Barry - Le royaume de l'insolence - Flammarion.
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