Paix et Justice au
Moyen-Orient
STRASBOURG, le 2 janvier 2018
Iran : la rue déshéritée défie le pouvoir
Jeudi 28 décembre 2017, au cris de «mort à Rohani» (le président de la
République islamique), une manifestation contre la vie chère et le
gouvernement s'est déroulée à Machhad, la seconde «ville sainte» du chiisme,
située à l'Est de l'Iran.
Selon certains analystes iraniens, la manifestation
était encouragée, à l'origine, par l'aile fondamentaliste du pouvoir, puissante
à Machhad, qui voulait créer un mouvement contre le «gouvernement réformateur»
de Rohani, incapable de résoudre les problèmes liés à la corruption, au
chômage, à la vie chère et à la misère de larges couches défavorisées.
Les slogans anti-Rohani ont très vite pris une
coloration anti-clergés, visant même Ali Khamenei le guide suprême dont les
portraits ont été arrachés, voire incendiés par les manifestants. La
manifestation a fini par faire tâche d'huile et s'étend désormais à l'ensemble
du territoire, du Nord au Sud et d'Est en Ouest. Des milliers de manifestants
sont descendus dans la rue vitupérant contre la classe politique dans son
ensemble, que ce soient les fondamentalistes ou les «réformateurs». Ces
derniers font croire qu'ils manœuvrent avec difficulté dans un couloir étroit
tracé par les fondamentalistes, détenteurs réels des pouvoirs exécutifs,
militaires, judiciaires, policiers, etc.
Par rapport au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad, le
pouvoir de Rohani a certes fait baisser le taux d'inflation et conclu un traité
nucléaire avec les puissances militaires de la planète. Mais, dans d'autres domaine,
le bilan de Rohani reste plus que médiocre. Le chômage comme la corruption,
sévissent dans le pays et un écart abyssal sépare les riches, proches du
pouvoir, vivant dans des palaces, de l'immense majorité de gens pauvres et
précaires sous contrôle policier étroit.
A entendre les analystes occidentaux, la révolte
des Iraniens est une conséquence de la lenteur des investissements des riches
pays occidentaux en Iran. Cerise sur le gâteau, l'arrivée au pouvoir de Donald
Trump aux États-Unis et son accent guerrier anti-iranien n'a rien arrangé.
C'est une façon de soutenir le régime iranien qui
tremble sous les coups de boutoir de la population exaspérée par un régime
corrompu, englué dans ses contradictions.
Cette vision masque l'incompétence et la corruption
endémique du pouvoir, incapable de répondre aux besoins vitaux de la
population. En effet, les Pasdarans, garde prétorienne du régime, disposent
encore de plus de 70 ports par où les marchandises de la contrebande, dont la
valeur atteint des milliards de dollars, inondent le pays. Les caisses de
l'Etat, les industries et le commerce du pays souffrent de cette contrebande
organisée à laquelle participent, selon certains députés, les douaniers et
autres autorités de l'Etat.
Le clientélisme est une autre facette du régime,
généreux vis-à-vis des fondamentalistes et leurs familles, des organisations
religieuses et militaires, des mosquées et autres fondations richissimes comme
la «fondation des déshéritées» sous
le patronage direct du Guide suprême. La richesse accumulée des «fondations» du
Guide, sorte de trust industriel, est évaluée à plus de 100 milliards de
dollars.
Face à la richesse des possédants, il y a la misère
des salariés, ouvriers, enseignants, mineurs, artisans, retraités, mal payés ou
qui n'ont pas été payés depuis des mois. Des dizaines d'établissements de prêts
illégaux ont fait faillite et ont poussé de nombreux épargnants à protester et
à demander le soutien de l'État qui reste sourd à la sollicitation des citoyens
bernés. Les dépenses militaires en Syrie et en Irak ont aggravé la situation
économique des déshérités que le pouvoir prétend défendre.
Un seul geste de contestation est souvent puni de
coups de fouet, d'internement, de prison, d'expulsion au nom des «intérêts
vitaux» de la République islamique et de l'islam. C'est au nom de la «sécurité
nationale» que la police réprime la moindre contestation ouvrière ou
estudiantine. Les étudiants contestent la transformation des universités en
caserne.
La contestation actuelle en Iran n'épargne
personne, pas même les «réformateurs» qui protègent en quelque sorte la
domination dictatoriale de l'oligarchie financière et rentière.
Les manifestants, majoritairement constitués
d'ouvriers, d'enseignants, d'étudiants, de mineurs et autres déshérités,
anciens soutiens du régime, exigent la libération des prisonniers politiques en
excluant celle de Mir Hossein Moussavi et de Mehdi Karroubi, ex-dirigeants du «mouvement vert», en résidence
surveillée. Voient-ils dans les dirigeants du «mouvement vert», qui ont déjà exercé le pouvoir, des complices
objectifs du pouvoir islamique ?
Toujours est-il que le mouvement actuel détonne par
sa particularité. Un mouvement sans chef, décentralisé, avançant des exigences
d'ordre économique et visant le système politique dans son ensemble. Les
attaques contre les écoles théologiques et les mosquées se multiplient. Il n'y
a plus de tabous. Sommes-nous face à l'avènement de la seconde phase de la
révolution de février 1979 ? En effet, le clergé représente la survivance de
l'Ancien Régime. Le pouvoir actuel parait encore solide, même si son discrédit
commence à prendre de l'ampleur. Le régime est rongé par ses contradiction
internes. La religion n'est pas en mesure de répondre aux défis de la justice
sociale, de la modernité industrielle, technologique et sociale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire