Paix et Justice au
Moyen-Orient
STRASBOURG, le 13 juillet 2018
geopolitique.mo67@gmail.com
La
guerre des postes-frontières,
la
militarisation des détroits
La guerre des détroits aura-t-elle lieu ?
La guerre
sans fin au Moyen-Orient ne connaît pas de répit. L'Irak et la Syrie se
trouvent toujours en état de guerre. Des forces occidentales, en particulier
américano-françaises(1), sont encore présentes dans ces pays, rêvent
à un nouveau traité du type Sykes-Picot, renforcent leurs positions dans des
bases militaires, défient les armées irakienne ou syrienne, voire même des
miliciens chiites multiethniques. La Turquie n'est pas en reste, son armée, en
accord avec l'Iran et la Russie, occupe certains territoires au Nord de la
Syrie et de l'Irak. Un vrai capharnaüm !
Le pouvoir
syrien, encore chancelant il y a deux ans, a fini - avec le soutien de l'Iran
et de la Russie - par venir à bout des djihadistes soutenus (financièrement et
militairement) par des puissances militaires occidentales et leurs obligés du
Golfe Persique. Il consolide son assise militaire et politique. L'armée
syrienne est arrivée début juillet 2018 au Sud de la Syrie, à la frontière
jordanienne.
L'intérêt
stratégique des postes-frontières
A leur
apogée, les djihadistes, conseillés et appuyés par les voisins de la Syrie (la
Turquie, la Jordanie), s'étaient rapidement emparés des postes frontières - Cilvegozu à Reyhanli et Bab al-Hawa
entre la Syrie et la Turquie et le terminal de Nassib entre la Syrie et la
Jordanie - afin d'asphyxier économiquement le pouvoir syrien.
En effet,
l'importance stratégique des postes-frontières est étroitement liée à la
viabilité économique d'un pays et à la survie de son régime politique.
L'exemple du terminal de Nassib est frappant. «Ce terminal et la zone franche adjacente généraient, avant le
déclenchement de la guerre civile, un trafic commercial d'une valeur estimée à
1,5 milliard de dollars par an. Les camions de produits syriens, mais aussi
turcs, libanais et européens, en route vers Amman et les monarchies du Golfe, y
croisaient d'autres poids lourds, remplis d'exportations égyptiennes,
jordaniennes et saoudiennes, à destination de Damas, d'Istanbul et des pays
européens.». (Benjamin Barthe - Le
Monde des 8-9 juillet 2018). Ces quelques lignes prouvent également la
position stratégique de la Syrie comme
carrefour des voies de communication commerciale au Proche et Moyen-Orient.
Asphyxier
économiquement le pouvoir syrien pour faciliter sa chute a donc conduit les
puissances militaires occidentales et leurs obligés locaux (Turcs, Saoudiens et
Jordaniens) à encourager les groupes djihadistes à s'emparer, au début de
l'insurrection, des postes-frontières.
Ainsi, au
Terminal de Nassib, l'Agence centrale américaine (CIA) a parrainé les miliciens
du «Front du Sud», leur apportant depuis 2014, son soutien financier et
militaire; miliciens qualifiés d' «insurgés»,
voire de «révolutionnaires» par les
médias occidentaux !!!(2)
La
reconquête du Terminal Nassib par l'armée syrienne fut facilitée grâce à un marchandage
avec les Etats-Unis quand leur ambassade à Amman annonça le désengagement
américain dans une note aux commandants du «Front du Sud»: «Vous ne devez pas fonder vos décisions sur
l'hypothèse ou sur l'attente d'une intervention militaire américaine».
Asphyxier le Qatar
La guerre des frontières ne se limite pas à la Syrie. Le 5 juin
2017, l'Arabie saoudite, l'Égypte, Bahreïn et les Émirats arabes unis mettent un terme à leurs relations diplomatiques avec
le Qatar pourtant membre du «Conseil de coopération des Etats arabes
du Golfe» (CCG). Une décision assortie de
mesures économiques, comme la fermeture
des frontières terrestres et maritimes, l'interdiction de survol et des
restrictions sur le déplacement des personnes. La principale raison : le Qatar
refuse le leadership saoudien, se rapproche de l'Iran avec qui il partage
l'énorme gisement gazier de South Pars offshore (appelé également North Dome ou North Field) dans le Golfe Persique.
L'intérêt stratégique des détroits
a - Militarisation du détroit d'Ormuz
Si les
postes-frontières peuvent agir comme des goulots d'étranglement des pays, les
détroits agissent comme ceux du commerce mondial. Les détroits les plus
stratégiques au Proche et Moyen-Orient sont les détroits d'Ormuz dans le Golfe Persique, le détroit de Bab el-Mandeb qui sépare les continents africain et asiatique au
Sud-ouest du Yémen. Par lesdits détroits transitent chaque année des milliers
de navires chargés de marchandises ainsi que des méthaniers, assurant l'énergie
indispensable à l'économie mondiale.
Depuis
plus de deux siècles, d'abord la Grande Bretagne, puis les Etats-Unis épaulés
par les mini puissances maritimes européennes, sont maîtres des océans et des
détroits stratégiques du globe, depuis le détroit de Malacca en Asie du Sud-Est
jusqu'à Gibraltar, détroit qui sépare les continents africain et européen.
Il est à
souligner que les détroits sont surveillés par des bases militaires. Les Etats-Unis ont installé à Bahreïn le quartier général de leur 5ème flotte, «reconstituée» le 1er juillet 1995. Le quartier général (NSA Bahreïn) se trouve
à Manama. La Ve flotte
opère sous l'autorité du CENTCOM.
En avril 2018 le Royaume-Uni
a ouvert une base militaire à Bahreïn, ce qui constitue la première
implantation permanente de ses forces armées au Moyen-Orient en près d’un
demi-siècle.
La France a aussi Sa base militaire dans le Golfe Persique. Il s'agit
d'un ensemble de trois bases militaires situées
aux Émirats arabes unis.
La Turquie a
déployé des forces terrestres dans la caserne de Tariq bin Ziyad au Qatar, dans
le cadre de l’accord signé entre Ankara et Doha le 19 décembre 2014. Le Qatar
prend en charge tous les frais de construction de cette base.
N'importe
quels arguments sont avancés pour justifier la militarisation des détroits. Par
exemple, un parlementaire turc affirme que la création d’une base militaire
turque au Qatar n’a qu'une seule motivation : défendre le Qatar face à l’Iran !!! Alors que pour empêcher
l'asphyxie du Qatar, l'Iran a mis son espace aérien à la disposition de Qatar
Airways et alimente le marché qatari par voie maritime.
b-
Militarisation du Bab el-Mandeb
Si la présence militaire turque au Qatar a pour
objectif, selon le pouvoir turc, de défendre ce pays face à l'Iran, quels
arguments peuvent justifier la présence turque en Somalie, dans la Corne de
l'Afrique ? En effet, le chef
d’état-major des forces armées turques, le général Hulusi Akar, s’est rendu, le
30 septembre 2017, sur le sol somalien pour y inaugurer sa plus grande
base militaire installée dans un pays tiers.
Estimée à 50 millions de dollars, la base serait
destinée, selon les dires de la Turquie et des Somaliens acquis à l'Occident, à
la formation des forces somaliennes pour affronter "seuls" à long
terme les «terroristes de Shebab».
Il faut souligner que le colonialisme empêche le
développement harmonieux des pays de la Corne de l'Afrique qui souffrent de
misère et de sous-développement chronique. La résistance des peuples de cette
région stratégique crée une situation d'instabilité qui porte des coups
mortifères aux intérêts de l'Occident. Il est à noter que la résistance
anticolonialiste n'a jamais cessé en Afrique sub-saharienne depuis la
«décolonisation» qui a donné naissance à des Etats africains fantoches.
Emiratis dans la Corne de l'Afrique
Engagés au côté de l'Arabie Saoudite dans une guerre sanglante au Yémen
contre la minorité houthie, les Emirats (quatrième importateur de matériel
militaire, en particulier américain, dans le monde) ont pris possession d’un
petit port abandonné, face aux côtes yéménites, à l’extrémité Sud de
l’Erythrée.
Il s'agit du port d'Assab,
une ancienne base militaire délaissée par l’armée soviétique à la fin de la
Guerre froide. Située en plein désert, Assab se trouve au milieu de nulle part,
à 500 km au sud de la capitale érythréenne Asmara, idéalement située face à la ville yéménite d’Aden.
Base militaire en Erythrée
Selon le site spécialisé Jane’s 360, cité par le journal Le
Monde du 4 juin «cette base émiratie abrite des Mirage
2000, des hélicoptères et des avions de transport pour les blindés émiratis…
une base arrière pour la guerre au Yémen. Une partie des combattants, sont
également entraînés à Assab», selon un accord signé avec
l’Erythrée. Lequel s’accompagne, selon les experts de l’ONU, d’un «transfert de matériel militaire vers
l’Erythrée et d’une assistance militaire, en
violation de l’embargo sur les armes imposé depuis 2009 à ce pays, l’une des pires dictatures au monde.»
Une
seconde base militaire des Émirats arabes unis va bientôt s'implanter dans la
Corne de l'Afrique. Après l'Érythrée l'an dernier, c'est le Somaliland qui a
accepté d'accueillir des troupes émiraties sur son territoire, dans le port de Berbera.
Il
est à signaler que les navires de guerre américains, français, allemands et
britanniques patrouillent en permanence près de la Corne de l'Afrique.
Récemment,
les résistants houthistes yéménites ont réussi à s'installer dans les hauteurs
de la montagne qui domine le détroit de Bab el-Mandeb, menaçant les navires de
guerre et de marchandise de l'Arabie saoudite, en représailles aux
bombardements incessants du Nord du Yémen par les forces de la coalition,
soutenues par les puissances militaires occidentales dont la France.
La
guerre des détroits aura-t-elle lieu ? A suivre.
Bibliographie :
1)
Selon Nicholas Heras du Center for a New American
Security, il existerait à Washington une volonté de consolider «une zone OTAN en Syrie avec, dans le
Nord-Ouest, les territoires contrôlés par la Turquie et ses alliés issus de la
rébellion, et dans le Nord-Est, les territoires contrôlés par les Etats-Unis et
les FDS [à dominante kurde]. Manbij
serait la clé de voûte de cette nouvelle zone» (Allan Kaval - Le Monde du 07 juin 2018).
2)
Benjamin Barthe - Le Monde du 27 juin 2018.
3)
Wikipédia.
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